PARTIE 2
L’examen médical



Aucun examen ne doit être pratiqué sans l’accord préalable de la victime, d’où l’importance de l’accueil et des explications qui lui sont fournies.

Il faut préparer la victime à l’examen médical en lui expliquant son déroulement et son importance.

La qualité de l'accueil et de l'entretien permet de la préparer à l’examen médical.


LA VICTIME EST UN ENFANT

L’enfant doit être considéré dans sa globalité, il ne doit pas être réduit à ses organes génitaux : trop souvent encore un examen des seuls organes génitaux est pratiqué.
Outre le fait qu’en l’absence de lésion visible, cas le plus souvent rencontré, certains concluent hâtivement à l’absence d’abus sexuel, d’autres, de façon tout aussi erronée à l’absence de gravité. Polariser l'attention sur la zone génitale risque de fixer l’enfant dans son statut « d’abusé sexuel » alors qu’il faut l’aider à redevenir un enfant.

L’examen ne doit être pratiqué que lorsque l’enfant est en confiance et qu’il est prêt à l'accepter. De préférence, l'enfant sera examiné seul.

L’examen ne doit pas être traumatisant, ni aggraver la souffrance de l'enfant. Il peut au contraire être réparateur : le médecin, en parlant, peut montrer qu’il s’intéresse à l’enfant et l'amener de nouveau à investir, protéger et soigner son corps.

L’examen est indispensable, mais il n’est que très rarement urgent.

Il ne doit être pratiqué que par un médecin compétent et qui se sent capable de le faire.

Tout ceci doit être expliqué à l’enfant [2]

L’examen clinique initial des victimes de violences sexuelles (de sexe féminin ou masculin) est fondamental et ce d’autant qu’il survient précocement après les faits. Le rôle du médecin n'est pas de prouver que les révélations sont fondées ou non, que le viol a eu lieu ou non.

Il doit :

° dépister et traiter les traumatismes physiques et psychiques.

° prévenir et traiter les maladies sexuellement transmissibles.

° prévenir une grossesse.

° colliger les données de l’anamnèse et de l’examen au sein d’un dossier et d'un certificat médical initial exhaustif.

1. Eacute;VALUATION DE LA SITUATION

L'examen de la victime va se dérouler en plusieurs étapes, auxquelles la victime aura été préalablement préparée :

L’ANAMNÈSE DES FAITS

Elle est fondamentale car c'est elle qui va permettre d'orienter l'examen clinique, ainsi que les prélèvements ultérieurs. Des questions primordiales doivent ainsi trouver des réponses :

° La date, l'heure et le lieu des faits, le nombre d'agresseurs (actifs ou non), leur sexe et l'éventuel lien de parenté avec la victime.

° Les circonstances de l'agression avec recherche de coups et blessures associés (strangulation, coups de poings/pieds, objet contondant, arme blanche, arme à feu), de violences verbales (insultes, chantage, pressions psychologiques), d'une possible séquestration, tentative de résistance...

° Les événements associés : une perte de connaissance, une chute au sol, une prise de
toxiques (alcool, drogues, médicaments...).

° Le déroulement de l'agression : l'existence ou non d'attouchements sexuels réalisés ou subis (oraux, vaginaux, anaux, organes génitaux externes), la notion de pénétrations sexuelles (orales, vaginales, anales) avec ou sans l’utilisation de corps étrangers, l'existence ou non d'éjaculations, leur nombre, le site. Il convient de faire préciser également si l'auteur portait ou non un préservatif.

° Le comportement après l'agression : il faut savoir notamment si, après les faits, la victime a effectué ou non une toilette intime, si elle a changé de vêtements, ce qui va pouvoir influencer la recherche de spermatozoïdes. Il est important de savoir si depuis l'agression, la victime a pris des médicaments ou bu de l'alcool.

LES ANTÉCÉDENTS DE LA VICTIME

Ils sont recherchés sur le plan médical, chirurgical et gynécologique. Il faut préciser s'il existait des rapports sexuels antérieurs aux faits, la date des derniers rapports librement consentis, avec le partenaire habituel ou non, la date des dernières règles, quelle est la contraception utilisée. Egalement, si la victime de sexe féminin utilise habituellement des tampons hygiéniques.

L’ÉVALUATION PSYCHOLOGIQUE

Elle concerne les antécédents psychiatriques, la notion de traitements psychotropes, la présentation de la victime (faciès triste, ralentissement psychomoteur), l'existence de signes de stress post-traumatique récent (réactions de sursaut, anxiété, labilité thymique, obnubilation, anesthésie affective), ou secondaires (troubles du sommeil avec cauchemars, troubles des conduites alimentaires, anxiété, troubles de la thymie, troubles somatoformes, conduites phobiques, rituels obsessionnels), l'existence de conduites délirantes, de confusion ou perplexité, de conduites addictives. Le comportement de la victime sera également rapporté : agressivité verbale, repli sur soi, mutisme, inhibition, confusion, auto-accusation, calme anormal.

Il est important de décrire la présentation de la victime et son état psychologique au moment de l’examen.

LES PLAINTES DE LA VICTIME

On recherche les plaintes au cours et au décours de l'agression (douleurs abdominales, vaginales, anales, saignements, brûlures mictionnelles...).

Une agression sexuelle peut être évoquée devant un faisceau d'arguments :

- Troubles somatiques chroniques : céphalées, insomnies, douleurs digestives, pulmonaires ou dorsales.

- Troubles psychologiques : sentiment de dévalorisation, dépression, anxiété, abus d'alcool ou de psychotropes, voire tentative de suicide.

- Troubles gynécologiques : métrorragies, douleurs pelviennes, leucorrhées, troubles sexuels avec perte de la libido, frigidité, dyspareunie.

LES SYMPTMES ÉVOCATEURS CHEZ L’ENFANT ET L'ADOLESCENT

Certains symptômes attirent l’attention sur la sphère génitale :

° les lésions traumatiques des organes génitaux : plaies, ecchymoses, rupture du frein de la verge, fissurations anales, anus béant.

° les maladies sexuellement transmissibles : condylomes vénériens, écoulement gonococcique et autres.

° la survenue d’une grossesse chez une adolescente (la question de l’abus sexuel doit être posée, plus encore quand elle ne veut pas révéler l’identité du père du bébé ou si une demande d’interruption volontaire de grossesse est faite en présence de son père. Il faut savoir y penser également en cas de déni de grossesse ou de déclaration tardive).

D’autres symptômes n’ont rien de spécifique mais devraient faire envisager l’éventualité d’abus sexuel en raison du contexte dans lequel ils surviennent :

° manifestations psychosomatiques, véritables symptômes écrans, parfois liées à la nature de l’acte sexuel infligé : énurésie secondaire, encoprésie, constipation, anorexie, gêne à la déglutition, vomissements, terreurs nocturnes d’apparition récente, douleurs abdominales, douleurs osseuses.

° manifestations psychiatriques : dépression avec parfois tentative de suicide notamment chez les adolescent(e)s, mutisme, repli, automutilations, excitation, labilité de l’humeur.

° conduites antisociales chez les préadolescent(e)s et les adolescent(e)s : fugue, toxicomanie, prostitution.

° troubles du comportement :
- changement récent et massif du comportement (pleurs, tristesse, disparition des conduites ludiques).
- désinvestissement scolaire brutal.
- peur brutale et incontrôlable des hommes.
- refus de rentrer à la maison.
- refus d’aller se coucher, de se déshabiller la nuit.
- tendance à se barricader la nuit dans sa chambre.

° préoccupations sexuelles excessives pour l’âge de l’enfant, masturbation excessive et en public, comportement séducteur et sexualisé avec l’adulte présent, qui entraîne chez celui-ci un sentiment de malaise.

° rituels de lavage obsessionnels ou au contraire peur de la toilette des organes génitaux.

Parfois, c’est le comportement d’un des parents, le plus habituellement le père ou le beau-père, qui fait soupçonner une relation incestueuse :

° parent ou adulte ayant une proximité corporelle inhabituelle avec son enfant.

° parent ou adulte intrusif s’imposant à la consultation médicale.3


2 EXAMEN CLINIQUE

LES EXAMENS COMMUNS À LA FEMME, L’HOMME ET L’ENFANT

L’examen clinique est toujours réalisé avec des gants.

° Date et heure de l’examen, délai écoulé depuis l’agression.

° Taille, poids de la victime.

° L'examen général de la victime permet d'établir une relation de confiance avec la victime et de la rassurer. Cet examen général comporte un examen cutanéomuqueux rigoureux, à la recherche des traces de violence sur l'ensemble du corps et surtout au niveau de la face interne des cuisses et de la poitrine, ainsi que des zones d’appui et de contention (cou, poignets, chevilles). Les lésions éventuelles devront être décrites de manière très précise en mentionnant leur taille, leur aspect, leur localisation et leur ancienneté estimée. Il ne faut pas omettre l'examen de la cavité buccale à la recherche de lésions dentaires et muqueuses, ainsi que celui du frein de la langue.

° Un examen sous anesthésie générale, avec prélèvements, pourra être envisagé dans certaines circonstances exceptionnelles en fonction des soins à réaliser.

° L'examen de l'anus est indispensable : il doit être systématique. Les signes recueillis sont décrits en les répertoriant par rapport à un cadran horaire (il faut préciser la position dans laquelle est réalisé l'examen : gynécologique ou genupectorale).
L'examen débute par l'inspection simple et se poursuit par le déplissement de la marge anale (leur disposition sera notée) pour étudier l'état du revêtement cutanéomuqueux et rechercher des marques de violence, une pathologie de la muqueuse, une béance anale ou toute autre anomalie (hémorroïdes, condylome, eczéma, fissures...).
Le toucher rectal peut compléter l'examen et apprécie la tonicité du sphincter anal. Il faut préciser s'il ramène du sang, s'il est douloureux. La béance et l’hypotonicité anale peuvent évoquer un abus sexuel. Elles sont cependant insuffisantes pour affirmer une pénétration.
Au moindre doute, une anuscopie avec rectoscopie pourra être réalisée en milieu spécialisé.

Des schémas récapitulatifs pourront être réalisés, permettant ainsi de repérer l'ensemble des lésions en un même temps.

Un examen normal ne permet pas d’éliminer une agression à caractère sexuel, d’autant plus que l’impossibilité de résistance à l’agresseur est fréquente.

Il est également important de préciser que les différents prélèvements seront effectués dans le même temps que l'examen, afin de ne pas avoir à répéter les investigations.


L’EXAMEN DE LA FEMME

LE TOUCHER VAGINAL DOIT ÊTRE EFFECTUÉ APRÈS LES PRÉLÈVEMENTS

L'examen gynécologique vient après l'examen général, une fois que la victime est en confiance. Il est réalisé par une personne compétente, qui explique au fur et à mesure à la victime tous ses gestes, afin de la rassurer en permanence. L'examen débute par l'inspection de la vulve, des grandes et des petites lèvres, du clitoris et de la fourchette vulvaire à la recherche de traces de violence.

L'examen de l'hymen, classique "frontière médico-légale du viol" est essentiel : il suffit d'une traction douce des lèvres vers l'extérieur et vers le bas pour le visualiser ou d'un bombement de la cloison recto-vaginale provoqué par un toucher rectal. La mise en place d’une sonde à ballonnet peut être envisagée, mais elle devra être réalisée par un médecin expérimenté.

L'hymen devra être décrit avec précision, les lésions devant être localisées suivant un cadran horaire et relevées sur un schéma récapitulatif. En cas de défloration récente, les déchirures incomplètes ou complètes siègent le plus souvent à 5 heures et à 7 heures en position de décubitus dorsal, leur cicatrisation s’effectuant entre 5 à 8 jours.
La mesure du diamètre vaginal de l’orifice hyménéal doit être notée (voir schémas des hymens).

Un toucher vaginal à un ou deux doigts peut enfin compléter cet examen, en notant la douleur provoquée, orificielle ou profonde (cul-de-sac vaginal, mobilisation de l’utérus).

L’examen médical

L’EXAMEN DE L’HOMME ET DU GARÇON

L'examen génital comporte l'examen du pubis, de la verge et du scrotum, des faces antérieure et postérieure de la verge décalottée, de l'orifice urétral, du prépuce, du frein prépucial et des testicules : recherche d'un phymosis, d'un paraphymosis, de lésions de l'orifice urétral à type de déchirure, d’un corps étranger, d’une déchirure du frein prépucial, de la présence de sang, d’un oedème du prépuce ou de tout le pénis, d’hématomes ou de plaies du scrotum.

L’EXAMEN DE LA PETITE FILLE

Le Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la vie et de la Santé du 20 février 1997 a été interrogé sur la possibilité d’effectuer sous anesthésie générale les examens gynécologiques d’enfants victimes d’abus sexuels. Sa réponse le 20 février 1997 rappelle les principes suivants :

- On ne peut se poser la question « de la possibilité d’effectuer des examens sous anesthésie générale, ceci pour répondre à la logique judiciaire qui a besoin d’un maximum d’éléments pour juger » sans prendre en compte l’intérêt de l’enfant.
En effet l’intérêt qui doit primer n’est pas l’intérêt de la justice mais bien celui de l’enfant : si cet intérêt exige un examen clinique et le recueil de sperme pour soustraire l’enfant à un environnement dangereux, la question de l’anesthésie se pose ; si par contre, l’intérêt de l’enfant n’exige pas un examen approfondi, celui-ci ne doit pas être fait, car il serait une agression supplémentaire.

- Même si l’examen est utile à l’enfant, on ne peut aller contre son refus et l’anesthésie ne peut en aucun cas permettre ce que l’enfant refuse. Il faut donc lui expliquer la nécessité de l’examen gynécologique en le simulant par exemple sur un mannequin et, en dernier recours lui proposer une sédation appropriée en lui expliquant en quoi elle consiste ; il pourra l’accepter dès lors qu’elle ne sera pas ressentie comme une violence supplémentaire.

- Bien que l’anesthésie puisse être réalisée en ambulatoire sans hospitalisation ni bilan sanguin systématique, elle doit évidemment respecter les règles de sécurité précisées dans le décret du 5 décembre 1994 sur la pratique anesthésique.
Il importe donc que soit défini cas par cas et en concertation avec le service d’anesthésie qui sera chargé de cette mission, un protocole éthiquement acceptable.

L’examen se fait pour la fillette pré-pubère en position de décubitus dorsal dite de grenouille : étendue sur le dos, les jambes pliées et les genoux écartés vers l’extérieur avec les talons collés près des fesses. Une enfant de moins de 3 ans peut parfois être examinée assise ou couchée sur les genoux de la personne qui l’accompagne, infirmière ou adulte en qui elle a confiance.

L’examen est un examen externe car la majorité des lésions peut être observée sans avoir recours à un examen gynécologique habituel, surtout chez l’enfant pré-pubère.
Après un temps d’observation de la zone génitale, on sépare les grandes lèvres en y appliquant le pouce et l’index de chaque main et en faisant une pression latérale vers les cuisses et postérieure vers le bas. Puis à l’aide du pouce et de l’index de chaque main on pince légèrement les deux grandes lèvres et on les tire vers soi, en demandant à l’enfant de pousser comme si elle voulait uriner.

L’examen des cuisses, du pubis, des grandes et petites lèvres, du clitoris, de l’urètre et de la fourchette postérieure permet de rechercher des traces de traumatisme récent (abrasion, ecchymose, pétéchie, hématome, érythème, lacération) ou des lésions évoquant de possibles maladies sexuellement transmissibles. L’examen permet également
de rechercher des séquelles d’anciens traumatismes ou de traumatismes chroniques (béance du méat urinaire, cicatrice, hypertrophie du clitoris ou du capuchon du clitoris, pigmentation ou hypopigmentation, synéchies, dépression de la fourchette postérieure...).

Les fusions labiales ou adhérences des petites lèvres ont été récemment associées à la présence d’un abus sexuel. Cependant ces adhérences ne sont pas un indice suffisant d’abus, sauf si les adhérences ne sont pas typiques ou si l’on a relevé d’autres indices lors de l’histoire clinique et/ou de l’examen. Un abus sexuel peut être la cause d’une fusion labiale par manipulation provoquant une inflammation entraînant l’adhérence des tissus.

Au niveau de l'hymen, les principales lésions constatées sont : des contusions, des déchirures traumatiques récentes, sanguinolentes ou anciennes cicatrisées. Le caractère traumatique des lésions est d’autant plus typique qu’elles sont complètes (allant jusqu’au vestibule).

Les lésions doivent être représentées sur un schéma cadran horaire.

On mesure le diamètre horizontal et vertical de l’orifice hyménéal. En général chez une fillette de 5 ans, le diamètre de l’orifice hyménéal est inférieur à 5 mm. Par la suite, on ajoute 1 mm par année : par exemple 7 mm à 7 ans, 8 mm à 8 ans, avec une marge d’erreur de 1 à 2 mm.

A la puberté le diamètre de l’orifice hyménéal est variable surtout après l’apparition des premières règles. L’utilisation de tampons internes peut élargir l’orifice hyménéal mais ne provoque pas de déchirure de l’hymen. Il faut savoir qu’il peut y avoir eu une pénétration vaginale lors d’un abus sexuel sans déchirure.

L’absence de lésion hyménéale ne correspond pas forcément à l’absence d’abus sexuels ou de pénétration.


Schémas de l’examen hyménéal

Schéma 1

La traction divergente des grandes lèvres permet d’exposer l’hymen qui est ici de type falciforme : les mesures a, bord libre de l’hymen et b, diamètre de l’orifice vaginal de l’hymen doivent être précisées en mm.

Schéma 2
Hymen frangé, coraliforme : les mesures sont plus difficiles à préciser. Le médecin peut s’aider d’un coton-tige pour déplisser l’hymen et vérifier son bord libre.

Schéma 3
L’hymen présente deux déchirures à 4 h et à 7 h dont il faudra préciser le siège, la taille, les contours, la couleur, les bords afin de distinguer les déchirures récentes des déchirures anciennes.

Bibliographie
2. « L’hôpital face à l’enfance maltraitée » Editions karthala. 3. « L’enfant en danger » Editions Fleurus.


Dernière mise à jour : jeudi 18 octobre 2001 19:12:05
Dr Jean-Michel Thurin