Figure 1 : Comparaison du coût de la dépression avec d’autres pathologies (25)

 

 

Les défaillances de sa prise en charge

Force est de constater que la prise en charge actuelle de la dépression est sous-optimale. La dépression est encore trop rarement diagnostiquée et correctement traitée.

Pourtant, il existe un arsenal thérapeutique efficace permettant de traiter la dépression, et ainsi d'améliorer non seulement la qualité de vie des dépressifs, mais aussi celle de leur entourage : les antidépresseurs.

 

Un arsenal thérapeutique existe

Face à l'impact de la dépression pour le patient et pour la société, il existe pourtant des solutions : le traitement thérapeutique. Ce dernier peut prendre plusieurs forme, à savoir : la psychothérapie, les électrochocs (ECT) et, bien sûr, le traitement médicamenteux par antidépresseur. Le but du traitement est d’amener le patient à un état stable, asymptotique, avec une restauration des fonctions psychosociales, et d’établir un état de bien-être à long terme (4).

Le traitement par antidépresseur est efficace de par son action thérapeutique spécifique sur les troubles de l'humeur. Des essais cliniques ont démontré l'efficacité de ces traitements, à l’aide d’échelles spécifiques telles que l’Hamilton Depression Rating Scale, Montgomery-Asberg Depression Rating Scale ou Clinical Global Impression, indiquant un taux de réponse de l’ordre de 70 % (11). Les antidépresseurs permettent une levée des symptômes dépressifs[1] (3). Leur administration requiert certaines conditions, notamment la présence d’un épisode dépressif confirmé, la possibilité d’obtenir la coopération du malade, le suivi régulier du patient pour évaluer le bénéfice thérapeutique.

 

L’autorisation de mise sur le marché des antidépresseurs mentionne le traitement de la dépression en première indication, du fait de leur action thérapeutique spécifique sur les troubles de l’humeur. Cependant, les antidépresseurs sont également efficaces dans la prévention des attaques de panique, le traitement des troubles obsessionnels compulsifs et dans le traitement de certaines algies rebelles (3).

Actuellement, il existe plusieurs catégories d’antidépresseurs : les dérivés imipraminiques (ou tricycliques), les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO, réversibles ou non), les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) et les antidépresseurs de profils chimiques différents (cf. Annexe 2).

Ils sont tous indiqués pour le traitement des épisodes dépressifs majeurs avec un délai d'action de l'ordre de quatre à six semaines. Le délai d’action spécifique sur l’humeur se manifeste après dix à vingt jours à posologie suffisante, même si une amélioration symptomatique sur le ralentissement idéomoteur, l’insomnie ou l’anxiété est observée précocement. Il est recommandé de ne pas interrompre le traitement pour inefficacité avant trois à six semaines (3).

 

La phase de traitement initial se différencie selon les antidépresseurs. Ainsi, les dérivés imipraminiques sont administrés de façon progressive sur plusieurs jours, afin d’obtenir une dose quotidienne comprise entre 75 et 150 mg. L’administration des IMAO se fait de façon encore plus progressive pour atteindre des doses de 300 à 600 mg par jour. Par contre les ISRS se prescrivent d’emblée ou presque aux doses préconisées, différentes selon la molécule (3).

La poursuite du traitement est de l’ordre de six mois après la disparition des symptômes de dépression. Il est nécessaire de diminuer très progressivement les doses afin de réduire les risques de sevrage, et ce quel que soit l’antidépresseur prescrit. Il existe des traitements de consolidation dont le but est de réduire le risque de rechute, autrement dit la réapparition des manifestations de l’épisode dépressif en cours de traitement, et des traitements de maintenance prévenant la récidive chez les patients à risque pour une durée comprise entre quatre et cinq ans (3).

Il existe aujourd’hui un débat concernant le choix de l’antidépresseur en première ligne de traitement. En effet, la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) présente l’avantage, à même efficacité que les dérivés imipraminiques (70 %), de posséder de moindres effets indésirables (absence d’effets secondaires anticholinergiques et de toxicité cardiaque), engendrant ainsi une meilleure tolérance et facilitant leur administration en ambulatoire, au prix d’un coût d’acquisition plus élevé.

La méta-analyse menée par Anderson (4), à partir de 62 essais randomisés, souligne une meilleure observance, pour les ISRS par rapport aux dérivés imipraminiques, provenant du plus faible taux d’interruption : 10 % de moins sur la totalité des interruptions, et 25 % de moins si l’on considère uniquement les effets indésirables.

Dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses de santé, il va sans dire que cela favorise la multiplication des études de rendement entre les ISRS et les imipraminiques (18) (20) (28) (34) (40) (41).

 


 

Ces études s'appuient toutes sur des essais cliniques et modélisent ainsi les résultats.

Or ces essais s'appuient sur des hypothèses très restrictives, en termes de durée de traitement (quatre à six semaines) plus courte que la durée préconisée par les RMO, en termes de sélection des patients (sex ratio de 1, alors que les femmes sont 4 fois plus nombreuses que les hommes), qui ne se retrouvent pas en pratique courante, pouvant ainsi induire des biais et ne pas refléter la situation réelle. Il apparaît que les résultats sont extrêmement liés à la méthodologie utilisée. De plus, il est également nécessaire de rappeler que la prise en compte des coûts indirects est nécessaire si l'on veut obtenir des données significatives.

La plupart de ces études démontrent le coût-efficacité des ISRS, et cela principalement du fait du moindre recours aux soins hospitaliers (20). Par contre, Simon (41) ne dégage pas de différence de coût à six mois entre les deux types de traitement. Il se dégage donc de ces études un avantage pour les ISRS sur les imipraminiques. Leur coût d’acquisition étant compensé par un moindre recours à l’utilisation des ressources médicales, notamment l’hospitalisation et une meilleure observance. Toutefois, les RMO actuelles ne préconisent pas un antidépresseur en particulier dans le traitement en première ligne de la dépression, ce choix est de la responsabilité du prescripteur.

 

Une maladie sous-diagnostiquée

 

Le sous-diagnostic de la dépression est reconnu par de nombreux auteurs (15) (26) (13) (24) (31) (17), mais très peu l’ont mesuré. Henry (19) à partir de la littérature, avance que seulement 30 % des dépressifs sont correctement diagnostiqués. Il s’agit d’un constat terrible. Toutefois, il convient de préciser qu’Henry ne spécifie pas le type de dépression retenue, qu’il s’appuie sur seulement deux études mesurant le taux de diagnostic des dépressifs (34bis) (21) et qu’il en déduit alors un taux moyen du sous-diagnostic de la dépression.

En dépit des critiques formulées quant à la méthodologie utilisée par Henry, le sous-diagnostic de la dépression n’en demeure pas moins, dont les arguments explicatifs s’articulent autour de trois axes : à savoir le patient, le médecin, et les systèmes de soins et d’assurance maladie.

Les patients ont effectivement un rôle actif, et ce, de par la volonté de nier l’existence d’une maladie pas toujours reconnue en tant que telle. Ce déni pouvant se traduire par un refus du diagnostic (15). L'étude DEPRES (29) signale que 31 % des dépressifs majeurs ne consultent pas leur médecin pour leur dépression, et la plupart n’y songent même pas.

 

Les médecins eux aussi ont une part non négligeable dans l'explication de ce sous-diagnostic. Il persiste encore parmi certains d’entre eux le refus de reconnaître la dépression comme une pathologie à part entière. De plus, les médecins, et plus particulièrement les généralistes, souffrent d’un déficit des connaissances permettant l’établissement d’un diagnostic de dépression, surtout lorsque cette dernière est cachée par une comorbidité importante.

 

A toutes ces raisons, s’ajoute le système de soins qui impose des contraintes aux médecins, sur la durée des consultations par exemple.

La durée nécessaire d’une consultation pour un dépressif se traduit par un temps de consultation plus élevé. D’ailleurs, Kind (23) souligne qu’une consultation pour dépression coûte 17 livres sterling, contre 4,3 à 7,5 pour un autre type de consultation. D'autres arguments sont mentionnés, mais ils concernent plutôt des systèmes de santé de type HMO existant aux Etats-Unis, où l'accès aux soins et aux traitements peut être limité, selon le type de paiement (au forfait ou à l’acte).

En résumé, le sous-diagnostic de la dépression s'explique majoritairement par une interaction de comportements et d’attitudes entre les médecins, les patients et le système de soins, mais surtout par un manque de connaissances.

 

Des malades sous-traités

 

Non seulement, la dépression est sous-diagnostiquée, mais en plus elle est sous-traitée. Parmi les dépressifs correctement diagnostiqués, seulement un tiers reçoit une prescription médicamenteuse (Henry, 19). L’étude DEPRES (Lépine, 29) apporte des résultats similaires. Cependant, il convient de souligner la corrélation positive entre sévérité de la dépression et prescription médicamenteuse. Ainsi, en France, la moitié des dépressions majeures ont une prescription médicamenteuse.

 

Tableau 1 : Prescription médicamenteuse par pays et sévérité dépression (Source : 29)

 

 

 % de prescription médicamenteuse

Pays

Toute dépression

Dépression majeure

Dépression mineure

Symptômes dépressifs

Allemagne

22,6

34,6

26,1

13,3

Belgique

38,8

49,9

36,7

29,6

Espagne

26,9

34,5

18,9

22,7

France

38,7

51,4

29,2

30,0

Grande-Bretagne

25,4

34,6

22,8

17,0

Pays-Bas

37,9

50,8

38,1

24,1

Total

30,7

41,4

27,7

22,5

 

En tenant compte des données d'observance et de taux de réponse issus de la littérature[2], il en résulte que seulement 5 % des dépressifs reçoivent une prise en charge médicale correcte pour leur dépression (Henry, 19). Ce chiffre est alarmant.


 



[1] Tristesse, inhibition psychomotrice, désintérêt, troubles du sommeil, anxiété, idées de mort, de culpabilité, plaintes somatiques, amaigrissement, asthénie.

[2] Weissman, 1974 ; Gerner, 1980

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Dernière mise à jour : mardi 24 avril 2001 17:42:45
Dr Jean-Michel Thurin