Toutefois, il repose sur des hypothèses fortes, notamment en ce qui concerne les données d’observance. Henry reprend l’étude de Weissman (46) qui indique qu’un tiers des patients ne sont pas observants, alors que la méta-analyse d’Anderson (4) indique un taux d’interruption de traitement de 27 % pour la nouvelle génération d’antidépresseurs. De plus, l’auteur utilise différentes études sans vérifier la définition de la dépression, et des hypothèses sans en indiquer la source (pourcentage de patients n’achetant pas leur médicament).

 

Figure 1 :

 

L'étude GAZEL menée sur une cohorte en France (employés d’EDF-GDF) indique elle aussi l'insuffisance de traitement médicamenteux (10). En effet, seulement 47 % des dépressifs diagnostiqués reçoivent un traitement médicamenteux par antidépresseur ou par un autre psychotrope.

Une étude épidémiologique menée par Rouillon (35) a estimé la prévalence de prescription des antidépresseurs à 2,75 %. L’auteur en conclut que seulement la moitié des dépressifs diagnostiqués serait traitée par un antidépresseur pour leur dépression.

Les résultats d’une étude menée aux Etats-Unis dans un centre spécialisé contre le traitement de la dépression révèlent que 31 % des dépressifs ne reçoivent pas de traitement (88bis).

Si ces études donnent des chiffres quelque peu différents, elles indiquent par contre toutes la même tendance, un constat terrible d'insuffisance de traitement concernant la dépression.

 

 


 

Le manque d’information

 

Il existe des RMO en France clairement définies s’agissant du traitement de la dépression : elles indiquent la prescription d'antidépresseurs. Pourtant, seulement 25 % des prescriptions médicamenteuses concernent les antidépresseurs (29). Ce faible pourcentage laisse donc douter du bon respect des RMO.

 

Tableau 1 : Poids des différentes classes de médicaments psychotropes prescrits pour une dépression (Source : 22)

 

Psychotropes

% des conditionnements

 

1992

1989

Hypnotique

15,45

9,0

Tranquillisant

38,80

48,2

Neuroleptique

7,05

11,1

Antidépresseur

37,12

29,7

Psychostimulant

1,44

1,7

Antivertigineux

0,13

0,1

Total

100,0

100,0

 

 

Les habitudes de prescriptions des médecins pour le traitement de la dépression persistent, et l’utilisation d'autres psychotropes, tels que des tranquillisants ou des hypnotiques, est encore importante, même si elle tend à diminuer avec le temps (22). Ce type de traitement a été démontré comme étant inefficace pour la dépression et source de nombreux effets indésirables. Il s’avère en plus, en cas d’utilisation d’antidépresseurs, que les doses prescrites sont inférieures aux doses préconisées pour trois quarts des dépressifs traités, diminuant ainsi le taux de réponse au traitement (32).

De nombreux auteurs signalent la trop petite proportion de dépressifs recevant un traitement efficace (19) (21). Les pratiques actuelles ne permettent pas une prise en charge efficace et efficiente de la dépression. Cela induit donc un fort impact, aussi bien du point de vue du patient, de son entourage, que de la société.

 


 

LES REMEDES POUR L’AVENIR

 

La formation des généralistes

 

Malgré la présence de traitement thérapeutique efficace, le sous-traitement de la dépression est important, entraînant ainsi de lourdes conséquences pour la société. Ce paradoxe trouve sans doute son origine dans le manque de formation des médecins, la subjectivité du diagnostic et le manque de coordination lors de la prise en charge de la dépression.

 

 

La dépression est principalement prise en charge par la médecine générale : environ 80 % (7). Or, il s'avère que les généralistes sont trop peu informés sur la dépression. Ainsi, une formation articulée autour de séminaires, améliorant la reconnaissance de la dépression et de son traitement auprès de ce public, pourrait être à la source d'une amélioration de la prise en charge de la dépression, de par une meilleure reconnaissance de la pathologie, et de par l'utilisation de traitement adéquat et efficace.

Une telle expérience a été menée en Suède, plus précisément sur l’île de Gotland (56 000 habitants). En effet, l'étude de Rutz (36) (37) est constituée d'un programme d'éducation complet auprès de tous les généralistes (n=18) de l’île, sous forme de séminaires et de documentation pendant une durée de deux jours, en deux fois.

Elle a montré des résultats satisfaisants concernant la prise en charge de la dépression. Ces derniers se traduisent par un changement positif d'attitude des généralistes, induisant une meilleure reconnaissance de la dépression.

 

Tableau 2 : Résultats du programme d’éducation de Gotland (36)

 

 

1982

1985

Taux de suicide

25/100 000

7/100 000

Nombre jours hôpital (moyenne)

30

15

Prescription d’antidépresseur en DDD[1]/1000 habitants

3.9

5.2

Prescription tranquillisant en DDD/1000 habitants

11.6

9.7


 

Les médecins ont ainsi augmenté leur prescription d’antidépresseurs, réduisant alors le recours aux services psychiatriques et aux hospitalisations. Les arrêts maladie ont été diminués de moitié. Il est à noter que le taux de suicide a été significativement réduit. La mesure des effets à long terme a démontré que cette tendance était le résultat du programme d’éducation. Le bénéfice des résultats du programme s'estompant avec le temps témoigne de la nécessité de reproduire régulièrement ce programme, c'est-à-dire tous les trois ans (effet maximal du programme)...

A la suite du programme d'éducation, une évaluation coût-bénéfice a été menée et montre que les coûts du programme (SEK 369 000) ont été largement compensés par les bénéfices liés à la diminution de la morbidité et de la mortalité, ainsi qu’une meilleure utilisation des traitements par antidépresseur, réduisant massivement les coûts indirects de la dépression (SEK 155 millions).

 

 

Tableau 3 : Coûts et bénéfices du programme d’éducation (38)

 

Coûts du programme

Coûts directs de la maladie

Coûts indirects de la maladie

Catégories

Montant SEK

Catégories

Montant SEK

Catégories

Montant SEK

 

 

Programme d’éducation

 

 

+212 000

Médicaments

Antidépresseur

 

Tranquillisant

Jours sédation

Nuits sédation

 

Net

 

+242 000

 

 

-347 000

-122 000

 

-227 000

 

 

Morbidité

Jours arrêt maladie

 

 

 

-3 400 000

Pertes d’activité généralistes

 

+80 000

Soins hôpital jour

+-0

Mortalité

Nombre suicide

 

-140 600 000

Pertes d’activité enseignants

 

+77 000

Soins hospitalisation

-11 250 000

 

 

Total

+369 000

Total

-11 477 000

Total

-144 000 000

Profit net

155 500 000

 

 

 

Ce programme montre qu'un meilleur dépistage de la dépression et une meilleure prise en charge médicale produisent des effets très positifs pour les patients et pour la société. Un programme d'éducation à moindre échelle a été mené aux Etats-Unis auprès de médecins généralistes amenant une meilleure prise en charge de la dépression, mais avec des effets à très court terme : trois mois (44). Certains auteurs préconisent ce type de programme (39) (45).


 

Une piste de réflexion est à mener. Il faut peut-être prévoir également à une échelle régionale ou nationale en France un tel programme d'éducation, qui permettrait alors un meilleur repérage des dépressifs et une meilleure prise en charge, conduisant à une situation préférable pour la société et pour les dépressifs.

 

L’éducation des patients

 

Sturm (43) a mené une analyse coût-efficacité et effectué des simulations à partir des données du Medical Outcomes Study. Le but de l’étude était de mesurer les coûts et la qualité de vie des patients en fonction de la prise en charge retenue. Les résultats démontrent qu'une meilleure prise en charge de la dépression amène à une amélioration de la qualité de vie des patients. En effet, l’existence de soins appropriés, c’est-à-dire plus de conseils pratiqués par les médecins aux malades, une utilisation plus adéquate des antidépresseurs, permet effectivement d’améliorer la prise en charge de la dépression. Il n’est peut-être pas judicieux de considérer uniquement les coûts du traitement, il convient sans doute de donner aussi de l’importance à la qualité des soins et à l’information à donner aux patients.

 

 

 

Tableau 4 : Simulation de l’amélioration de la qualité (43)

 

Type de soins

Coût par patient $

Réduction de l’incapacité fonctionnelle*

Ratio coût-efficacité $

Médecine générale

 

 

 

Situation courante

1060

-0.4

-

Niveau 1 

1270

0.1-0.2

870-1500

Niveau 2 

1490

0.32-0.35

1100-1200

Niveau 3 

1430

0.32-0.43

790-1030

Psychiatrie

 

 

 

Situation courante

3760

0.32

-

Niveau 1

3940

0.40-0.44

1500-2250

Niveau 2

4050

0.45-0.48

1810-2230

Niveau 3

3940

0.45-0.67

510-1380

 

Niveau 1 : Augmentation de l’utilisation appropriée d’antidépresseur

Niveau 2 : Augmentation conjointe de l’utilisation appropriée d’antidépresseur et de conseils fournis par le médecin

Niveau 3 : Augmentation conjointe de l’utilisation appropriée d’antidépresseur, de conseils fournis par le médecin et réduction de l’utilisation des tranquillisants mineurs

* P=0.03

Le statut fonctionnel est défini par le nombre d’incapacité fonctionnelle : impossibilité d’exercer une activité professionnelle, le travail ménager, de faire du sport, de monter les escaliers...

 

Katon (21) a montré qu'une prise en charge soutenue de la dépression, avec des conseils adaptés de la part des médecins, est efficace et entraîne une meilleure observance de la part des patients.

Les études menées jusqu'à présent tendent à favoriser les conseils prodigués par les médecins et une utilisation appropriée des antidépresseurs.

 

 

CONCLUSION

 

 

Dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses de santé, il est de plus en plus fréquent de mener des études de rendement pour démontrer non seulement l’efficacité des traitements, mais aussi leur moindre coût. Les traitements pour la dépression n’échappent pas à cette tendance.

Toutefois, la dépression se situe dans une problématique différente. Il existe un paradoxe : son coût n’est pas tant lié aux coûts du traitement, mais plutôt à celui de son inefficace prise en charge. Il a été effectivement démontré que la dépression est à la fois sous-diagnostiquée, sous-traitée et traitée de façon non optimale, alors que le traitement médicamenteux de la dépression a été prouvé comme étant efficace.

Dans une perspective de santé publique se traduisant par une meilleure prise en charge de la dépression, permettant ainsi une amélioration de la qualité de vie des malades, autrement dit une meilleure capacité fonctionnelle, sociale et un meilleur bien-être, réduisant le recours à des ressources médicales onéreuses telles que l’hospitalisation et augmentant alors les capacités de production, se joint également une perspective de réduction des coûts pour la société.

La prise en charge de la dépression devient alors un enjeu majeur de santé publique, qu’il convient d’étudier avec un plus grand intérêt. La mise en place de programme d’éducation auprès des médecins généralistes qui sont souvent amenés à rencontrer des patients dépressifs, mais qui souffrent également d’un déficit de connaissance tant au niveau de l’établissement du diagnostic qu’à celui de la prise en charge correcte de la maladie, pourrait être à la source d’un bénéfice aussi bien pour le patient que pour la société, et ce du fait de l’existence de traitements médicamenteux efficaces. Le débat actuel entre les différentes classes d’antidépresseurs sur les conséquences en termes de coût de la prise en charge de la dépression n’est peut-être pas le bon débat.

 

 



[1] Defined Daily Dosages.

Dernière mise à jour : mardi 24 avril 2001 17:42:26
Dr Jean-Michel Thurin