Pour la Recherche n° 14, Septembre 1997 : Economie et Santé mentale


 
- Managed Care -
 
n En moins de 10 ans, le traitement des troubles mentaux et des toxicomanies a subi un dramatique changement avec l'apparition de sociétés commerciales de contrôle et de gestion du soin « managed care ». En psychiatrie, le prétexte a été une extension d'institutions privées pour adolescents pratiquant des hospitalisations souvent inutiles et très coûteuses.
Partant de quelques situations expérimentales où les sociétés prenaient tous les risques financiers et réalisaient des réductions de coûts de 30 à 50% pour les dépenses de santé mentale, la plupart des grandes sociétés et compagnies se sont mises à les utiliser pour administrer leur budget. Avec l'augmentation de la pression à tous les niveaux du gouvernement pour une réduction des coûts, les autorités d'état ont aussi commencé à signer des contrats avec des compagnies commerciales au sein des programmes médicaux.
Le coeur du système implique d'autoriser seulement des fournisseurs agréés, sous contrat, à traiter des patients déterminés, en soumettant leur décision à la façon dont ils produisent des services et en réduisant les cas à haut coût. Une fois la direction de réduction des dépenses engagée, un certain nombre de compagnies ont augmenté leur bénéfice en réduisant une partie de la couverture des soins ambulatoires.
Faisant appel à des conseils dont la plupart ne sont pas psychiatres, ces compagnies supervisent l'usage de la santé mentale et adressent les patients vers le traitement approprié le moins cher. Pour ce faire, elles répondent 24 h sur 24, 7 jours sur 7, aux appels des patients qui réclament une aide. Elles disposent d'un réseau de soins au sein duquel les psychiatres représentent environ 20%, les psychologues 40% et les travailleurs sociaux les 40% complémentaires.
Les décisions des psychiatres et autres professionnels de santé doivent être prises en tandem avec les sociétés commerciales. Qu'elles s'adressent à la santé mentale ou physique, toutes les formes de « gestion contrôlée du soin » visent à limiter l'usage des services. La plupart des plans proposent une couverture pour la santé mentale ; mais cette couverture est limitée aux troubles aigus de façon très restrictive et elle ne couvre pas les troubles chroniques.
Les psychiatres se sont trouvés initialement divisés devant l'émergence de ce phénomène d'économie de marché, les uns pensant trouver un avantage dans l'apport de clientèle qui leur était proposé, tandis que d'autres, comme les universitaires, n'y étaient généralement pas inclus, car considérés comme trop coûteux.n
 
(Extraits de Health policy report. Managed care and mental health, J.K. Iglehart, (NEJM, 1996, 334, 2, 131-135)
n Dans son bulletin « Ethics »*, le Comité sur les questions éthiques et légales de l'Association Américaine de Médecine revient sur les conflits potentiels d'intérêt rencontrés par les praticiens travaillant dans un environnement de «gestion contrôlée du soin ».
Rappelons-en les principes de base : prévention par un dépistage précoce ; restriction du libre choix à des praticiens ayant accepté des remboursements plus faibles ou qui peuvent témoigner d'une histoire de pratique à bas prix ; bonus versés aux médecins en fonction de la réduction des dépenses ; accès aux services des spécialistes médicaux soumis à l'accord d'un médecin généraliste ; agrément exigé pour certaines prescriptions et exclusion de certains traitements coûteux du plan d'assurance. Le managed care a également réduit les coûts en coordonnant les soins entre les médecins et les hôpitaux et en imposant l'usage de protocoles et de références.
L'AMA souligne que certaines des techniques de gestion contrôlée du soin peuvent contrarier l'obligation du médecin de fonctionner comme l'avocat de son patient et même faire obstacle à des procédures diagnostiques ou des modalités de traitement appropriées. Deux conflits de loyauté peuvent se rencontrer. D'abord, les médecins doivent mettre en parallèle les intérêts de certains de leurs patients avec ceux d'autres patients. Le budget étant global, un examen ou un traitement proposé à l'un ne pourra pas l'être à un autre. Ensuite, le système de bonus tire la prescription vers le bas, car elle entraîne potentiellement un réduction des revenus.
Dans certains cas, le rapport coût-bénéfice va venir en conflit avec des risques rares ou des effets secondaires importants,mais qui ne sont pas majeurs. Le poids du coût va être considéré comme plus important que celui du risque éventuel. Cela peut se retrouver dans des cas où les enjeux sont considérables, (quelque fois la vie, dans le cas par exemple de greffe de moelle), et le succès incertain. Certains plans ne couvrent pas ces risques.
Il se produit ainsi un conflit entre le médecin praticien qui doit préserver l'intérêt de son patient et le médecin citoyen qui devient le gardien des ressources de la société. Le jugement du médecin concernant la légitimité du besoin médical du patient doit prendre en compte aussi le poids relatif de ce besoin en fonction de l'ensemble des patients et du contrôle des coûts.
Les généralistes n'échappent pas au conflit d'intérêts et l'organisation des soins a pu conduire certains d'entre eux à garder plus longtemps que nécessaire l'administration d'un cas et à dispenser un traitement inapproprié.
 
Pour réduire les risques précédents, le Comité de l'AMA a présenté différentes recommandations :
u ne pas laisser la décision aux sociétés commerciales mais produire des guides professionnels régulièrememnt mis à jour, réalisés par des experts médecins qui ne négligent pas la prise en considération des différences individuelles entre patients ;
u obtenir une législation qui obligerait les sociétés de gestion contrôlée du soin à mettre en place un conseil médical, comme cela existe déjà dans différentes structures hospitalières ;
u considérer la qualité du service plutôt que la quantité, qualité référée aux références médicales, à la satisfaction du patient et au jugement des pairs ;
u ne concevoir les incitations financières que si elles améliorent la qualité et le rapport coût efficacité du soin, sans remettre en question son accès ; que leur usage soit transparent, limité, calculé pour des groupes de médecins plutôt que des individus isolés ;
u les patients doivent être largement informés des possibilités thérapeutiques et des limitations que peut produire leur plan d'assurance. Les praticiens ne devraient participer à aucun plan qui ne respecte pas les standards professionnels.n
 
* Ethics Newsletter, published by the APA Ethics Committee, vol XI, n° 1, 1995

Dernière mise à jour : 7 juin 99

Monique Thurin





                   
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