Pour la Recherche n° 14, Septembre 1997 : Economie et Santé mentale


Une étude du CREDES sur la dépression
 
 

Dr Thérèse Lecomte*

L'objectif du CREDES (Centre de Recherche d'Étude et de Documentation en Economie de la Santé) est de contribuer à nourrir la réflexion de tous ceux qui s'intéressent à l'avenir du système de santé. Multidisciplinaire, l'équipe du CREDES observe et analyse l'évolution des comportements des consommateurs et des producteurs de soins à la fois sous l'angle médical, économique, sociologique et géographique.
 
Le CREDES réalise des études et des recherches, qui s'appuient notamment sur les données des enquêtes qu'il effectue ou qu'il exploite, sur des analyses bibliographiques ou sur des comparaisons internationales. Ces études et recherches explorent des problématiques variées, relatives à l'offre et la demande de soins, sous un angle macro ou micro-économique : analyse de l'évolution de la morbidité, de l'accès aux soins, études des pratiques de prescriptions des médecins, des déterminants de la consommation médicale, évaluation des alternatives à l'hospitalisation...
 
Parmi ces travaux sur la morbidité, des études particulières ont été menées sur la maladie dépressive à partir des données d'enquêtes réalisées en 1980-81 et 1991-92 auprès d'un échantillon représentatif de ménages. Dans ces enquêtes, la morbidité recensée est celle qui est déclarée par les enquêtés avec des risques d'oublis ou d'imprécision. 960 individus sur les 20 416 enquêtés en 1991-92 ont déclaré être atteints de dépression, avec des vocabulaires variés : « voit tout en noir », « neurasthénie », « fatigue nerveuse »...
 
Dans la population générale, 4,7 % des individus se déclarent donc dépressifs, taux supérieur de 50 % à celui observé en 1980-81. Les femmes se disent plus souvent dépressives que les hommes (6,7 % contre 2,6 %). La fréquence de la dépression varie avec l'âge : très rare avant 20 ans, elle atteint sa fréquence maximale entre 60 et 80 ans.
 
Quelle consommation de soins pour la dépression ?
 
La demande de soins des dépressifs déclarés s'effectue avant tout auprès du généraliste et plus rarement auprès du spécialiste : psychiatre, psychanalyste, ou neuropsychiatre. En effet, 41 % d'entre eux ont vu au moins une fois un généraliste en trois mois et seulement 14 % un spécialiste des troubles mentaux.
 
Près de 75 % des dépressifs ont été au moins consommateurs de pharmacie en trois mois, c'est dire l'importance du traitement médicamenteux pour cette maladie.
 
93 % des dépressifs déclarés, consommateurs de pharmacie, ont acquis des médicaments de la classe des hypnotiques et des psychotropes, 13 % de la classe des sédatifs et 15 % de la classe des anti-anémiques, fortifiants et modificateurs de terrain. Les médicaments des autres classes sont très rarement acquis dans le cadre de la dépression, mais notons tout de même les thérapeutiques digestives, cardio-vasculaires, et les « divers » que 3 à 5 % des dépressifs consomment pour ce motif (ou pour lutter contre les effets secondaires des psychotropes). L'analyse détaillée de la grande classe « hypnotiques et psychotropes » montre que 39 % des conditionnements sont des tranquillisants et anxiolytiques et 37 % des antidépresseurs. En dépense ces produits représentent respectivement 26 % et 58 % de cette classe. En 1980-81, les tranquillisants occupaient une place beaucoup plus importante dans le traitement de la dépression : près de 50 % des conditionnements contre 30 % pour les antidépresseurs.
 
14 dépressifs parmi les 960 ont été hospitalisés en 3 mois ; certains d'entre eux ayant été hospitalisés plus d'une fois, nous avons observé 17 hospitalisations au total. A noter qu'en 1980, 14 dépressifs sur les 647 avaient été hospitalisés au moins une fois, ce qui correspondait à 18 hospitalisations. Il semble donc que le recours à l'hospitalisation soit moins fréquent pour la dépression. Les malades atteints de dépression grave sont peut-être aussi souvent hospitalisés en 1991 qu'en 1980. L'augmentation du nombre de dépressifs ne nécessitant pas une hospitalisation témoigne sans doute d'une prise en charge plus facile de la maladie dans le secteur ambulatoire.
 
En terme de dépense, le coût du traitement de la dépression, par dépressif consommateur de soins ou non, a légèrement augmenté entre 1980-81 et 1991-92, passant de 765 francs (francs 91) à 787 francs pour trois mois.
En revanche, la structure des dépenses selon le type de soins s'est fortement modifiée.
Ainsi, les dépenses en séances de médecin pour motif de dépression ont doublé, passant de 107 francs à 202 francs. Parallèlement, les dépenses pharmaceutiques ont augmenté de 58 % pour atteindre 203 francs en 1991-92. La part de ces deux postes au sein des dépenses pour dépression passe respectivement de 13,8 à 25,7 % et de 22,4 à 25,8 %.
Par ailleurs, l'hospitalisation reste le type de soins le plus important d'un point de vue des dépenses, même si sa part diminue. En effet, ces soins représentaient 60,6 % des dépenses pour dépression en 1980-81 contre seulement 42 % en 1991-92. Notons que c'est le seul poste pour lequel la dépense a diminué durant ces dix années, passant de 509 francs à 331 francs par dépressif.
En 1980-81, les analyses de laboratoire et les soins paramédicaux pour dépression étaient marginaux avec respectivement 2 % et 3,2% de dépressifs consommateurs de ces soins. En 1991-92, ces soins sont un peu plus fréquents avec 4,5 % de dépressifs ayant recours à des soins d'auxiliaires (rappelons que les séances de psychologues relèvent de cette catégorie de soins), et 3,4 % à des analyses de laboratoire. De ce fait, les soins paramédicaux représentent 4,8 % des dépenses pour dépression en 1991-92 contre 2,6% dix ans auparavant. Les analyses de laboratoire restent le plus petit poste avec 12,44 francs par dépressifs, mais elles représentent 1,6 % des dépenses en 1991-92 contre seulement 0,5 % en 1980-81.
 
Au total, les dépenses médicales ayant pour motif la dépression représentent 2,8 % de l'ensemble des dépenses médicales en 1991-92 contre 2,3 % en 1980-81.
 
Et dans l'avenir...
 
Conscients de l'imprécision ou de l'inexactitude de la déclaration faite par des enquêtés, nous avons cherché à améliorer notre outil d'observation de la dépression.
Dans l'enquête sur la santé et la protection sociale que le CREDES mène annuellement, nous avons introduit en 1996 et 1997 des questions du mini international neuro-psychiatric interview (version CIM 10) qui permettent d'identifier les individus souffrant de dépression. Nous allons donc d'ici peu disposer de données basées d'une part sur la déclaration spontanée et d'autre part sur des réponses à des questions spécifiques concernant la dépression. La comparaison de ces résultats à ceux des enquêtes antérieures promet d'être intéressante.
 
 
* Directeur de recherche au CREDES


 
A propos de l'enquête décennale de santé
(Entretien avec T. Lecomte)
Le CREDES est issu de la division d'économie médicale du CREDOC (Centre d'étude et de recherche sur les conditions de vie des français, créé dans les années 50). Le CREDOC avait pour mission d'être un organisme d'observation et d'étudier des phénomènes économiques et sociologiques L'équipe était constituée de médecins dont les Dr Roche et Pr Péquignot qui ont été à l'origine à l'origine de la création. Des économistes ont rejoint l'équipe plus tard.
 
La première enquête de consommation médicale aurpès des ménages a été réalisée par l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) et le CREDOC. Cette enquête est réalisée tous les 10 ans (enquête décennale de santé) depuis 1960, la dernière ayant eu lieu en 91-92. Elle est financée par l'INSEE qui en est le maître d'oeuvre avec la mise en place de ses enquêteurs à travers le territoire national. 10 000 ménages sont enquêtés.
 
Le CREDES, composé d'une quarantaine de personnes pluridisciplinaires (pas de psychiatre) s'est donné pour objectif de connaître la consommation médicale des ménages mais aussi de savoir pourquoi ils consomment et de quoi ils souffrent. Il a ainsi développé différentes enquêtes afin de réunir le plus d'informations possibles : enquêtes auprès des producteurs de soins, (médecins, hôpitaux...) ; enquêtes spécifiques sur un type de population (par exemple les exclus du système habituel avec problèmes de logement, de langue, de communication ; enquêtes auprès des personnes âgées vivant en institution.
 
Depuis 1988, une enquête annuelle (Enquête santé et protection sociale), beaucoup plus légère que l'enquête décennale est réalisée. Elle a l'avantage de faire percevoir les évolutions importantes. Alors que l'enquête décennale dure trois mois pour chaque personne, celle-ci se fait sur une période d'observation d'un mois.
 
Le CREDES est financé par des fonds publics : le budget est ecoschema couvert à 90% par la CNAM et les 10% restant par la Fédération de la Mutualité française, le CNRS, la Mutualité sociale agricole, l'Assurance maladie des non salariés non agricoles.
 
Tout ce qui est fait au CREDES est public. Il y a un fond documentaire important qui peut être consulté sur place (en prenant rendez-vous car l'espace est restreint). Les documentalistes peuvent éventuellement faire une recherche par thème. Pour recevoir les informations relatives à la documentation parue, il faut le demander pour être inscrit sur le fichier.
 
Le but de l'exploitation des données est de connaître le mieux possible notre système de soins : qui y a recours, pourquoi, comment, où sont les trous ? Par exemple, on parle beaucoup de sur consommation mais il y a aussi des gens qui sous consomment.
Lorsque les psychiatres pensent économie, ils pensent gestion, dépenses, contrôle mais ils n'ont pas une représentation de la ventilation de la somme globale de dépenses de santé (voir graphique).
 
 
(schéma) Structure de la Consommation
Médicale totale (CMT) en %
Dépense par personne (francs courants),
 
Source : Eco-Santé france, Comptes Nationaux de la Santé



Dernière mise à jour : 7 juin 99

Monique Thurin




                   
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