Linguistique et Psychiatrie



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Acquisition du langage chez l'enfant

JAKOBSON R., - langage enfantin et aphasie - 1980 - Flammarion - (tr 1969 ed minuit)

Interaction entre langage enfantin et langues naturelles.

Cet ouvrage est la réunion de 5 écrits de Jakobson qui s’échelonnent de 1939 à 1963 et qui ont pour sujet commun l’étude de l’acquisition du langage chez l’enfant et celle des syndromes aphasiques.

Il nous rappelle les deux tendances, celle du romantisme qui soulignait la créativité de l’enfant et celle du réalisme qui cherchait à ramener à une imitation pure et simple toutes les activités intellectuelles et celles linguistiques en particulier. Evidemment ces deux tendances ont tord et raison, en effet ces deux pôles existent mais pas pur et simple et surtout indépendant l’un de l’autre. “L’enfant crée en empruntant.… l’emprunt n’est pas une copie conforme ; chaque imitation nécessite un choix et donne ainsi lieu à un écart créateur par rapport au modèle, certaines parties de celui-ci étant éliminées, d’autres largement remaniées. Il se peut alors que le système phonique de l’enfant présente, en dépit de sa dépendance à l’égard du système adulte, des éléments totalement étrangers au modèle.”

Ainsi certain enfants n’ayant pas encore acquis le phonème “r” restituent souvent le couplage “voyelle + r” de la même syllabe par l’augmentation de la durée de la voyelle. ex : le marka (marque) russe est rendu par mäka, ce qui introduit une opposition de quantités qui, par ailleurs, n’existe pas dans la langue.”pp 16

Jakobson donne ainsi différents exemples qui aboutissent à dire que l’enfant peut avoir un système consonantique provisoire. pp 17

“Le jeune locuteur introduit des modifications dans le modèle linguistique et s’en écarte souvent avec obstination en s’opposant à toute tentative de correction. Ce type de position séparatiste, lourde de conséquence et qui se rencontre, dans les champs linguistiques les plus divers, se retrouve aussi chez l’enfant et peut même mener à la pratique d’une sorte de langage autistique. L’exemple le plus connu se trouve chez Stumpf (son fils vers trois ans, refusait sciemment toute adaptation à son milieu linguistique.”  Il possédait de façon passive la langue mais refusait activement la langue de son milieu (pp 18  et 19 pour d’autres exemples)

Principe du moindre effort et disparition des sons apparus dans le babil

Le principe du moindre effort a été radicalement infirmé.

Les véritables début du langage enfantin sont précédés par la période du babil au cours de laquelle on assiste à la production d’une étonnante quantité de sons les plus divers.

Les observateurs constatent qu’à leur grande surprise l’enfant perd pratiquement toutes ses facultés d’émettre des sons lorsqu’il passe du stade prélinguistique à l’acquisition de ses premiers mots, première étape à proprement parler linguistique (il perd même certains  sons faisant partie du système linguistique parental). pp 24-25

Ainsi, parallèlement au monologue égocentrique et sans but, se forme et se développe peu à peu chez l’enfant une intention de communication qui va remplacer ce “délire de la langue” encore ancré dans le biologique. Le son acquiert à ce moment là une valeur phonématique.p27

Nous assistons là aux premières manifestation de la vie sociale de l’enfant.

A la place de l’abondance phonétique du babil s’installe l’austérité phonématique des premiers paliers du langage. Les sons sauvages du babil sont transformés en valeurs linguistiques.

Exceptions supposées dans l’ordre d’apparition des sons

On a pu noter que lors de l’apparition des sons du babil “toutes les réponses ont divergé quand à l’ordre d’apparition”.

Mais aussitôt atteint le premier stade du langage proprement dit, aussitôt entamée la sélection des sons et la construction d’un système phonématique, on observe un ordre de succession strictement régi et universellement valide.

Détérioration du système phonématique

Ce n’est pas la capacité en elle-même de produire ou de percevoir des sons qui était surtout importante lorsque, enfant, nous apprenions à parler, mais la valeur distinctive linguistique des sons en question. Il en est de même pour leur perte chez l’aphasique : ce n’est pas l’appauvrissement des sons articulables ou audibles qui importe, mais celle des sons à fonction distinctive. Là réside l’origine véritable des troubles de production ou de la compréhension des sons.

Parfois l’aphasique est capable d’émettre à l’occasion les sons manquants, lesquels persistent souvent dans ses gestes vocaux, mais cela n’empêche qu’il y a perte de la valeur distinctive (phonématique) à l’intérieur des “signes arbitraires du langage”. p 36

On voit l'importance, en pathologie du langage, de la notion distinctive du phonème qui acquiert alors le statut de valeur linguistique en acquisition du langage mais aussi en aphasiologie. En effet, la démarche thérapeutique est tout à fait différente pour la reconquête du phonème perdu ou de son acquisition que ce soit de la récupération de sa valeur ou de son articulation.