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Enfant fantasmatique, enfant imaginé

(voir livre)

L'enfant fantasmatique est l'héritier des conflits inconscients des parents.

Par exemple, la mère, dans le cadre d'une problématique œdipienne intense, veut être mère comme sa mère parce qu'elle est attachée à son père et désire donc avoir des enfants (de lui) comme elle. Si le père vient à mourir ou s'il est détesté par sa fille, future mère, parce qu'il a abusé d'elle, des haines vont se déplacer sur le bébé né dans ces conditions; ceci peut être vrai aussi bien dans l'inceste symbolique que dans l'inceste réel. Le grand-père devient donc en quelque sorte (pour la mère) le père (non biologique) mais fantasmatique de l'enfant. On voit ainsi que, pour la femme, l'enfant fantasmatique est l'héritier du désir œdipien inconscient d'avoir un enfant du père et d'être mère comme sa mère. Cela veut dire aussi que la (future) mère contracte une dette à l'égard de la (future) grand-mère à qui elle montre qu'elle n'est plus qu'une grand-mère, parce qu'elle-même est enceinte et va donc lui ravir cette place de mère. J'ai vu des cas tout à fait nets où la mère annonce à la future grand-mère: "Maman, tu sais, tu vas être grand-mère, je suis enceinte!" Ainsi, la grand-mère peut se sentir éliminée. Après l'accouchement, elle va peut-être pouvoir se rattraper parce qu'elle en sait plus que sa fille sur la manière d'élever des enfants. Il faut cependant qu'elle se montre discrète à ce moment-là pour ne pas réveiller de conflits.

Quant à l'enfant imaginé par la mère, ce n'est pas seulement l'enfant qu'elle porte dans les bras, c'est aussi l'enfant qu'elle porte déjà en elle avant qu'il ne naisse.

Cet enfant imaginé est à mon avis constitué de deux types d'enfants : l'enfant fantasmatique dont nous venons de parler et l'enfant imaginaire qui est l'enfant de sa vie préconsciente, l'enfant de son désir de grossesse, de son désir conscient d'être enceinte et d'être mère. Mais ce désir d'être enceinte et d'être mère peut être isolé et ne pas comporter de désir d'enfant en tant que tel. Ainsi certaines femmes qui veulent être enceintes, conçoivent et avortent ensuite parce qu'elles ont seulement voulu prouver et se prouver qu'elles étaient capables d'être enceintes, c'est-à-dire vérifier leur intégrité narcissique.

À propos de l'enfant imaginaire, il faut dire un mot de l'échographie (voir vidéo). Actuellement, les parents voient un véritable enfant à l'échographie. Les conséquences de cette échographie sont fondamentales pour la mère qui voit son enfant, connaît même son sexe dans trois quarts des cas et peut donc lui donner un prénom. Le choix de ce prénom est fondamental parce qu'il peut être révélateur de toute une part de transmission intergénérationnelle s'il est choisi en référence à un personnage de l'histoire familiale qu'on veut révérer ou qu'on déteste, d'un personnage qui s'est suicidé, qui est mort ou qu'on a aimé en secret… Même dans les cas où le choix du prénom est dicté par les lois culturelles habituelles, ce choix demeure très important (grand-père paternel ou maternel…).

D'une certaine manière, le choix du prénom contient les éléments essentiels du destin transgénérationnel, du mandat transgénérationnel de l'enfant (voir chapitre livre et vidéo).

Par ailleurs, le fait de savoir à l'avance que l'enfant sera un garçon ou une fille peut accentuer les craintes de la mère pendant la grossesse : elle peut avoir peur, selon les cas, que l'enfant soit porteur d'une maladie ou d'un handicap lié au sexe par exemple. Les paroles de l'échographiste sont également fondamentales, soit pour l'inquiéter, soit pour la rassurer. On sait que ces clichés échographiques en viennent aujourd'hui à constituer les premières photographies de l'enfant dans l'album de famille.

Il y a donc dans tout cela quelque chose de très important et qui montre le poids de l'enfant imaginé tout au long de la grossesse. Cependant, cet enfant ne peut être imaginé que s'il est investi narcissiquement par ses parents. Il faut que cet investissement narcissique soit suffisant pour que l'enfant se sente convenablement étayé en cas de séparation éventuelle avec les parents.

Or, on sait bien que l'union parfaite entre le nouveau-né et les soins maternels n'est pas durable et c'est seulement si l'investissement narcissique de l'enfant a été suffisant que celui-ci peut surmonter la séparation et se sentir quand même "entier".

Ceci revient à dire qu'en même temps qu'il dépend totalement des soins maternels (et cette dépendance totale a été conceptualisée par S. Freud sous le terme d'Hilflosigkeit), il se sent en même temps tout-puissant puisqu'il ne ressent jamais ces besoins quand tout se passe bien. C'est en cela qu'il se constitue un narcissisme que S. Freud appelait narcissisme primaire et qui est en partie un narcissisme agressif et violent. Le narcissisme permet plus tard à l'enfant de se construire un "soi", dont D.W. Winnicott a montré qu'il émergeait dès la fin de la quatrième semaine, c'est-à-dire de se sentir exister.

J. Lacan a exprimé cela en disant que l'enfant ne se voit que dans le reflet du miroir. On sait que H. Wallon avait décrit avant lui le stade du miroir dont l'étude a été ensuite reprise par R. Zazzo.

Il faut encore parler du développement des représentations et plus exactement des proto-représentations (voir enveloppe proto-narrative).

Dans la métaphore célèbre du rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de l'enfant, D.W. Winnicott dit très justement : "La mère peut être laide ou belle, l'enfant peut la voir belle ou laide, peu importe; ce qui compte c'est qu'il y ait un échange de regards entre les deux".

Ainsi la genèse des proto-représentations maternelles se trouve liée à l'attitude maternelle mais aussi à l'enfant qui fait de sa mère une mère. Il la classe désormais dans la catégorie des mères et cette classification permet de donner naissance à une représentation maternelle qui est plus généralisée que la représentation d'une mère.

Lorsqu'on étudie l'interaction entre la mère et son bébé ou entre un bébé et un adulte qui dispense à l'enfant des soins nourriciers, on étudie de préférence ce qu'en dit la mère ou l'adulte qui s'occupe du bébé, plutôt que le comportement interactif lui-même.

Pour étudier véritablement les interactions, il faudrait pouvoir prendre en compte le comportement du bébé dans sa réalité intime. Or, le bébé est à la fois un bébé réel et un bébé imaginé. Le bébé réel se développe selon des modalités qui sont maintenant bien connues des pédiatres. C'est le bébé dans sa dimension de croissance et de maturation prédictibles, au sein d'une programmation habituelle. Mais de l'enfant imaginé dépendent en fait beaucoup de choses, en particulier l'attitude de la mère vis-à-vis de cet enfant et aussi l'attitude de l'enfant vis-à-vis de sa mère.

Dans le cadre des dépressions maternelles (voir dépressionpérinatale) qui s'accompagnent de modifications du comportement du bébé, il existe une certaine instabilité du système interactif, une dysharmonie des interactions. C'est donc sur le plan réel, imaginaire, fantasmatique et affectif qu'il faut évaluer la qualité des interactions.

De ce point de vue-là, on sait que D.N Stern a montré l'importance du comportement affectif réciproque. On dit souvent que la mère et le bébé se développent dans un bain d'affects. Stern a précisé l'importance de " l'atunement " (voir accordage affectif), c'est-à-dire de l'harmonisation affective qui existe entre les deux partenaires.

Autrement dit, l'enfant imaginé et l'enfant réel se voient confrontés à des interactions diverses. Les interactions comportementales appartiennent plutôt à l'enfant réel, mais celles-ci sont également faites des projections de l'enfant réel sur sa mère et des projections de la mère sur son enfant.

L'école genevoise autour de B. Cramer (voir vidéo) et F. Palacio-Espasa insiste ainsi, non sans raison, sur le fait que le stade de la maternalité comporte des projections de la mère sur l'enfant, alors que M. Klein s'était contentée, quant à elle, de monter que le bébé projette sur sa mère, de façon identificatoire, ses propres conflits.

De même, l'enfant imaginé par la mère console en quelque sorte le bébé réel de sa détresse, mais, selon W.R. Bion, le bébé imagine également sa mère et cette imagination de sa mère est liée à ses représentations sensorielles. L'étude de la pathologie interactive montre que la dysharmonie interactive se situe à l'entrecroisement du comportement de l'enfant réel et du domaine de l'enfant imaginé. Il y a donc là une approche variée qu'il faut prendre en compte et qui démontre l'existence d'interactions "contingentes", selon la terminologie anglo-saxonne.

Il s'agit là d'une traduction littérale, un peu simpliste, où le terme de "contingent" renvoie à l'idée d'une interaction qui se déroule de manière harmonieuse : si un enfant lève les bras vers sa mère, celle-ci va peut-être le regarder; si un enfant est pris dans les bras de sa mère, il se love contre son sein, tourne sa tête et utilise son réflexe bucco-lingual d'orientation. Tout ceci indique donc que les interactions comportementales ne sont pas liées au seul comportement mais aussi à ce qui se passe dans la tête de la mère, et bien plus tard dans celle du bébé. Celui-ci va ainsi se forger des représentations de la mère à partir de proto- représentations que celle-ci lui impose en quelque sorte. Tout cet ensemble évolue, nous l'avons dit, dans le champ du narcissisme.

Finalement, l'enfant fantasmatique et l'enfant imaginaire constituent le socle du destin de l'enfant imaginé et cet enfant imaginé ne peut l'être que sur le fond d'un maillage narcissique.

Nous avons beaucoup parlé de la mère, mais le père va également investir narcissiquement son rôle, autour de ses propres raisons de faire un enfant : perpétuer la race, au nom de son père, au nom de la tradition paternelle, faire plaisir à sa femme, faire plaisir à sa famille. Plus tard seulement, il va investir l'enfant en tant que tel, et véritablement devenir père et être paternalisé par son bébé.

Dès lors, nous l'avons vu, l'enfant imaginé va être confronté aux représentations parentales de l'enfant et l'enfant va également se constituer des représentations de ses parents. Les parents ont donc des représentations fantasmatiques de l'enfant, mais le bébé a également des représentations de sa mère et de son père.

Ceci pose tout le problème de l'intentionalité du bébé et de la sémantisation. Comment l'enfant se forge-t-il ses représentations ? Il les forge à partir du moment où il est capable, grâce à ses relations et à l'affectivité qui se développe, de se représenter les soins.

Pour J. Bowlby, tendre les bras vers la mère ne signifie pas forcément que le bébé désire être pris. Pour cet auteur et dans le cadre de la théorie de l'attachement, le bébé tend les bras parce qu'il ne peut pas se déplacer et il n'y a là qu'un réflexe d'ordre génétique. Mais si la mère interprète ce comportement comme un comportement de désir, plus tard, dès quatre à six semaines, l'enfant aura tendance à lier entre elles les différentes perceptions visuelles, auditives qu'il a de sa mère et à s'en faire une représentation plus unifiée. C'est déjà une ébauche de représentation maternelle.

En outre, le bébé, qui présente des compétences très précoces, est capable d'une très grande précision dans certaines de ses reconnaissances. Ce sont tous ces phénomènes qui donnent leur richesse aux échanges interactifs, lesquels vont prendre rétrospectivement, dans l'après-coup, la valeur d'événements pour le bébé.

Tout ceci entre donc en jeu dans l'intrication du bébé réel et du bébé imaginé. Il faut encore ajouter l'impact de l'ambivalence. Les parents sont toujours dans une situation difficile parce que, inévitablement, la mère aime et déteste à la fois son bébé. Elle veut le jeter par la fenêtre, comme disait D.W. Winnicott: elle ne le jette pas mais elle a envie de le faire.

On voit très souvent des mères évoluer de la phobie simple ("Pourvu que tu ne tombes pas, pourvu qu'il ne tombe pas") au désir, ou à tout le moins, à la lutte contre le désir qu'il tombe. Il s'agit en fait du passage d'une phobie simple à une phobie d'impulsion et cette dernière, qui témoigne de l'angoisse de la mère d'avoir envie de faire du mal à son bébé, révèle une certaine violence.

Le maillage narcissique des différents enfants dans la tête de la mère est donc fondamental à titre de contre-investissement de cette violence mais aussi pour que l'enfant puisse instaurer un certain sentiment de la continuité de son existence (D.W. Winnicott).