ARGUMENTAIRE


Sommaire


I. A quelle tranche d’âge s’appliquent les recommandations ? *

II. Repères épidémiologiques *

III. Facteurs favorisant les tentatives de suicide chez l’adolescent *

IV. La prise en charge hospitalière des adolescents suicidants *

V. La prise en charge après les urgences hospitalières *

VI. Le suivi ultérieur *

VII. Conclusion *

Annexe 1 : Parametres reperes par l’echelle d’intentionalite suicidaire de Beck (49) *

Références *

 

 

I. A QUELLES TRANCHES D'AGE S'APPLIQUENT LES RECOMMANDATIONS ?

Sommaire Argumentaire

Il n’est pas aisé de délimiter l’adolescence dans le temps. D’un point de vue strictement somatique, c’est une période débutant à la puberté, d’âge variable selon les individus, plus précoce chez les filles, et se terminant à la fin de la croissance. La fin de l’adolescence est souvent arbitrairement fixée à l’âge de la majorité civile, ce qui varie avec les lois nationales et leur évolution. Sur le plan psychologique, l’adolescence est considérée comme une période psychologiquement dynamique dont les limites ne peuvent pas être uniquement déterminées par des critères morphologiques ou des aspects légaux. Les études épidémiologiques concernant le suicide, en particulier françaises, considèrent souvent la tranche d’âge 15-24 ans. Cependant, les conduites suicidaires existent avant l’âge de 15 ans. La limite supérieure tardive peut se justifier par l’observation très fréquente de comportements, de modes de relation, de traits psychologiques propres à l’adolescence, qui perdurent bien après l’âge de la majorité civile.

La réglementation de l’hospitalisation en France introduit une séparation entre les services de pédiatrie, prenant en charge les jeunes de moins de 15 ans et 3 mois (mais accueillant souvent dans la pratique des sujets un peu plus âgés) et les services d’adultes prenant en charge les jeunes à partir de cet âge. Les services de psychiatrie d’adultes fixent en général leur limite inférieure d’intervention à 16 ans, avec une application assez stricte. Les services de psychiatrie infanto-juvénile accueillent parfois des adolescents de plus de 16 ans, mais les places sont limitées en nombre et sont rarement disponibles pour des admissions en urgence. Ces règles et les disponibilités en lits d’hospitalisation sont susceptibles d’influer sur les modalités organisationnelles de la prise en charge hospitalière des adolescents suicidants en France, et créent une distinction entre les classes d’âge non justifiée au plan médical et psychologique.

Tenant compte de ces différents éléments, le groupe de travail a retenu que les recommandations s’appliquaient aux adolescents et aux jeunes suicidants de 11 à 20 ans, mais pouvaient être étendues jusque vers 25 ans.

II. REPERES EPIDEMIOLOGIQUES

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II.1 Les suicides

Les conduites suicidaires sont un grave problème de santé publique en France. La France fait partie des pays occidentaux à forte mortalité par suicide, avec 11 300 décès en 1996 (soit 19 pour 100 000 habitants) toutes tranches d’âge confondues (1). Le suicide devance ainsi les accidents de la circulation pour le nombre de décès annuels.

Même si le nombre des suicides chez les 15-24 ans est très inférieur à celui des suicides dans les classes d’âge plus élevées (en 1993, il représente 7,9 % de l’ensemble des suicides, 9 % des suicides chez les hommes et 6 % des suicides chez les femmes), les adolescents et les jeunes adultes dans cette tranche d’âge sont particulièrement touchés (tableau 1). Le suicide représente chez eux la deuxième cause de mortalité après les accidents (respectivement 16 % et 48,6 % des décès en 1993, alors que le suicide n’était responsable que de 2 % des décès de l’ensemble de la population tous âges confondus).

 

Tableau 1. Taux de suicide pour 100 000 habitants en France (1).

 

Tous âges confondus

15-24 ans

25-44 ans

45-74 ans

75 ans et plus

Sexe Masculin

1950-51

1973-75

1982-84

1988-90

1991-93

1994-96

26,6

25,0

32,6

30,2

30,0

29,2

6,5

11,5

16,1

14,5

15,4

14,5

19,4

21,8

34,6

34,6

36,7

37,1

49,7

42,0

48,1

42,2

40,8

39,7

94,5

83,5

116,7

109,4

100,2

91,1

Sexe Féminin

1950-51

1973-75

1982-84

1988-90

1991-93

1994-96

7,1

8,7

11,5

10,8

10,4

9,8

2,7

4,7

4,9

4,4

4,4

4,3

5,2

7,8

11,9

10,8

11,2

10,7

13,9

15,3

19,3

18,7

17,2

16,3

17,9

19,9

28,9

25,6

25,2

20,9

En 1993 en France, 13 000 enfants et jeunes de moins de 25 ans sont morts (2) (soit une mortalité de 66,3/100 000, très inférieure à celle de l’ensemble de la population, qui est supérieure à 900/100 000). Huit de ces décès sur 10 concernent deux tranches d’âge : les moins de 1 an (35,4 %) et surtout les adolescents et adultes jeunes de 15-24 ans (46,4 %, sex ratio = 2,3). Dans la classe d’âge 15-24 ans, les morts violentes de nature accidentelle au sens large représentent 70,5 % des causes de décès, 74,5 % des décès chez les garçons et 59,1 % chez les filles (tableau 2). Parmi les morts violentes, les accidents (essentiellement de la circulation) viennent en tête et représentent près de la moitié des décès, principalement chez les garçons (78,2 % des décès par accidents) comparativement aux filles (21,8 % des décès par accidents). Le suicide est la deuxième cause de mortalité (16 % des décès), touchant là encore majoritairement les garçons (78 % des décès par suicide).

 

Tableau 2. Mortalité des 15-24 ans. Données françaises de l’INSERM en 1993

 

Sexe Masculin

Sexe Féminin

Total

Population

4 162 000

4 020 000

8 182 000

Décès toutes causes

4 465

(107,3 pour 100 000)

1 562

(38,9 pour 100 000)

6 027

(73,6 pour 100 000)

Morts violentes

Accidents

Suicides

Homicides

Autres

3 328 (74,5 %)*

2 292 (51,3 %)

756 (16,8 %)

58 (1,3 %)

222 (4,9 %)

924 (59,1 %)

641 (41 %)

210 ( 13,4 %)

21 (1,3 %)

52 (3,3 %)

4 252 (70,5 %)

2 933 (48,6 %)

966 (16 %)

79 (1.3 %)

274 (4,5 %)

Décès par maladie

993 (22,2 %)

534 (34,2 %)

1 527 (25,3 %)

Autres causes

144

104

248

* % par rapport au total des décès

La mortalité des 15-24 ans a nettement diminué depuis le début des années 80. Cette diminution s’explique essentiellement par la baisse de la mortalité par accidents, surtout pour les sujets de sexe masculin. Le nombre de décès par suicide durant la même période reste une réalité préoccupante (tableau 1), soulignée dans le rapport de la Conférence Nationale de Santé de 1997 (3). Sur la période 1991-1993, on a observé une hausse du nombre des suicides dans la tranche d’âge15-24 ans, exclusivement parmi les garçons (mortalité par suicide : 15,4 pour 100 000 chez les sujets de sexe masculin, contre 4,4 pour 100 000 chez les sujets de sexe féminin), et principalement dans la tranche d’âge 20-24 ans. Sur la période 1994-1996, le nombre des suicides apparaît en diminution (966 suicides recensés en 1993 sur 6 027 décès entre 15 et 24 ans ; 803 en 1995 sur 5324 décès). Le nombre de suicides est plus faible chez les adolescents de 15-19 ans que chez les jeunes de 20-24 ans (environ 3 fois plus de suicides pour 100 000 dans cette dernière tranche d’âge).

Les suicides sont beaucoup plus rares entre 10 et 14 ans. En 1995, sur 672 décès, 28 (4,2 %) étaient des suicides. La majorité (22 sur 28) a été observée chez des garçons, soit un taux
de 1,1 pour 100 000 contre 0,3 pour les filles (4).

Toutes ces données sont établies à partir des certificats de décès, déclarant le suicide comme cause principale du décès. Mais on considère qu’il y a, en France, une sous-estimation d’environ 20 % du nombre des suicides (5). Pour l’année 1993, le rapport des causes médicales de décès établit que 262 garçons et 71 filles âgés de moins de 25 ans sont décédés par " traumatisme et empoisonnements causés d’une manière indéterminée quant à l’intention ", et 519 garçons et 176 filles sont décédés par " accidents non précisés " ou de " causes inconnues ou non déclarées ". Ce sont ces résultats qui laissent à penser qu’il existe une sous-estimation des suicides chez les 15-24 ans.

Les suicides sont réalisés le plus souvent par des moyens violents (4, 6), principalement par armes à feu et par pendaison, en particulier chez les garçons (Tableau 3).

 

Tableau 3. Mode de suicide chez les 15-24 ans en France en 1995 (4)

 

Sexe Masculin

(622 suicides)

Sexe Féminin

(181 suicides)

Total

(803 suicides)

Pendaison

38,7 %

27,1 %

36,1 %

Usage d’armes à feu

35,0 %

14,9 %

30,5 %

Intoxication

7,2 %

26 %

11,5 %

Saut d’un lieu élevé

7,6 %

18,8 %

10,1 %

Noyade

2,3 %

2,2 %

2,2 %

Usage d’instrument tranchant

0,8 %

0,6 %

0,7 %

Autres modes

8,4 %

10,0 %

8,8 %

 

Toutes les caractéristiques épidémiologiques ci-dessus ne sont pas propres à la France, mais sont retrouvées dans d’autres pays occidentaux (7-11).

Une comorbidité psychiatrique, à type de dépression majeure, psychose, troubles de la personnalité (état limite ou psychopathie), est retrouvée chez 60 à 90 % des suicidés, alors que la prévalence n’est estimée qu’entre 10 et 30 % chez les suicidants (5-6, 12-13). Les deux tiers des suicidés n’ont bénéficié d’aucune prise en charge psychologique avant leur suicide (14).

II.2 Les tentatives de suicide

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Les tentatives de suicide (TS) dans la tranche d’âge 15-24 ans sont estimées être environ
30 à 60 fois plus fréquentes que les suicides (5-6, 9). Des chiffres de 120 000 à 140 000 TS, dont 40 000 chez des jeunes de moins de 25 ans, sont habituellement retenus (5). On enregistre 22 TS pour un suicide chez les garçons et 160 TS pour un suicide chez les
filles (6).

En 1993, une étude française (2) sur 12 391 adolescents scolarisés, âgés de 11 à 19 ans, a mis en évidence que 6,5 % d’entre eux (8 % de filles et 5 % de garçons) avaient fait une TS. Parmi eux, un quart avait fait plusieurs TS. Seulement 20 % de ces suicidants avaient été hospitalisés. Dans une étude effectuée aux Pays-Bas, Kienhorst, chez 9 393 adolescents scolarisés, âgés de 14 à 20 ans, a retrouvé un antécédent de TS chez 2,2 % d’entre eux (15). En Suisse, une étude similaire réalisée en 1992-93 chez 9 268 adolescents de 15 à 20 ans a montré que 26 % avaient des idées suicidaires, 15 % avaient préparé une TS et 3 % avaient effectué une TS ; 39 % seulement des suicidants avaient parlé de leur TS à leur
entourage (16).

A l’inverse des suicides, les TS sont majoritairement observées chez les filles (en moyenne 75 % de filles et 25 % de garçons) (4, 5).

Pour les TS, les moyens les plus employés sont les médicaments (80 à 90 % des cas), notamment les dérivés du paracetamol et les psychotropes, et les phlébotomies (environ 10 %) (6, 12-13, 17). Une prise d’alcool associée est observée dans environ 25 %
des cas (5, 13).

Les adolescents suicidants consultent plus souvent les professionnels de santé que les non-suicidants, en priorité un médecin généraliste ou une infirmière scolaire (2).

Le rapport idées de suicide/TS se situe autour de 4 en France (2). Entre 11 et 19 ans, ce rapport augmente chez les garçons, alors qu’il diminue chez les filles (tableau 4). La chronicité des idées suicidaires est un facteur de risque de passage à l’acte : 8 % des garçons et 13 % des filles pensent souvent au suicide, et 41 % de ce groupe ont déjà fait une TS, alors que 1 % seulement de ceux qui n’ont jamais eu d’idées suicidaires a réalisé une TS (2, 18).

 

Tableau 4. Pourcentage d’adolescents rapportant des conduites suicidaires en France (2)

Garçons

Filles

 

< 13 ans

14-15 ans

16-17 ans

³ 18 ans

< 13 ans

14-15 ans

16-17 ans

³ 18 ans

Ont des idées suicidaires

16

17

22

25

(p<0,001)

16

29

33

36

(p<0,001)

Ont fait une TS

6

5

4

5

(ns)

4

8

9

12

(p<0,001)

Rapport Idées suicidaires/TS

2,7

3,4

5,5

5,0

4,0

3,6

3,7

3,0

II.3 L’évolution après TS

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Les TS doivent focaliser sur elles une grande partie du travail de prévention du suicide (prévention tertiaire). En effet, le taux de récidives après TS varie entre 10 et 40 % (2, 12, 13, 15, 17, 19-22). Les récidives surviennent dans 50 à 66 % des cas dans l’année qui suit la TS, d’autant plus fréquemment lorsque le suicidant est plus jeune (5), avec un risque maximal dans les six premiers mois (5, 23-24) et souvent avec une escalade dans les moyens employés.

Le risque de décès par mort violente est également très élevé. Un suivi de cohorte d’adolescents suicidants sur cinq ans a montré que le taux annuel de décès par mort violente ou suicide était multiplié par 20 par rapport à une population de non suicidants du même âge (23, 24). Dans une cohorte française de 265 suicidants (19), âgés de 12 à 22 ans, le devenir de 127 a pu être évalué après en moyenne 11,5 ans. Parmi eux, 15 étaient décédés, dont 5 de suicide et 9 d’autres causes de mort violente. La répétition des gestes suicidaires est souvent associée à une mauvaise adaptation psychosociale ultérieure (19, 20, 25).

Après une TS, la fréquence des récidives et des décès par suicide ou par d’autres formes de mort violente doivent amener à considérer qu’un acte suicidaire chez un adolescent n’est jamais une conduite anodine, à banaliser et à mettre sur le compte d’une " crise d’adolescence ".


III. FACTEURS FAVORISANT LES TENTATIVES DE SUICIDE CHEZ L'ADOLESCENT

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III. 1 Spécificités du geste suicidaire à l’adolescence

L’adolescence est une période charnière faite de nombreux processus de maturation et de mutation, tant physiques que psychiques, qui s’accompagnent nécessairement de remaniements dans les relations sociales et familiales du sujet et dans ses investissements. Cet âge de transition peut être particulièrement propice chez certains à l’éclosion de difficultés psychologiques, voire de pathologies mentales. On observe fréquemment une imprévisibilité ou une impulsivité des conduites, une tendance préférentielle à l’agir et à utiliser le corps comme moyen d’expression des difficultés, au travers des comportements à risque, des plaintes somatiques ou par une attaque du corps lui-même.

Le comportement suicidaire n’est pas forcément rattaché à une pathologie sous-jacente. Il soumet l’adolescent à un risque vital, d’autant plus intolérable qu’il ne traduit pas souvent un désir affirmé de mort. Il résulte le plus souvent d’une souffrance psychologique, qu’il faut reconnaître et prendre en charge pour en prévenir la récidive et les répercussions affectives, familiales, scolaires ou professionnelles, qui peuvent être graves.

III.2 Comment expliquer la fréquence des tentatives de suicide à l’adolescence ?

III.2.1 Le contexte de l’adolescence

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Des traits généraux, personnels ou socio-familiaux sont observés chez de nombreux adolescents en difficulté (6, 12, 26, 27). Il peut s’agir, selon les cas :

  • d’éléments familiaux. Beaucoup d’adolescents sont dans une situation de dépendance prolongée à leur famille, ce qui tend à favoriser de façon concomitante une lutte active contre cette dépendance. Ainsi, certaines conduites peuvent être perçues comme des recours ultimes du sujet pour affirmer son individualité, lorsque d’autres tentatives d’implication et d’alerte auprès de l’entourage ont été vaines ;
  • de facteurs sociaux, tels la confrontation aux incertitudes sociales et professionnelles, source de frustrations et de réactions à ces dernières ;
  • de modes de réaction aux conflits propres à l’adolescence, avec tendance à l’agir et prédominance d’une expression à travers le corps plutôt que la mentalisation et la résolution des problèmes rencontrés. En témoigne indirectement la fréquence des préoccupations des jeunes par rapport à leur corps et des plaintes somatiques, en particulier chez les filles, qui peuvent être de véritables signes d’alarme (2). Certaines tendances impulsives et violentes, notamment chez les garçons, peuvent s’exprimer dans des passages à l’acte agressif, des ivresses, un attrait pour des activités et comportements dangereux, certaines de ces conduites ayant parfois valeur " d’équivalent suicidaire ". L’adolescence, période de maturation de la personnalité, ne saurait être marquée d’un sceau pathologique à la vue des éléments précédents, lesquels ne concernent d’ailleurs qu’une partie des adolescents. Pour autant, on ne peut pas les négliger.
  •  

    III.2.2 Les facteurs favorisant l’acte suicidaire

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    Des études réalisées sur des séries d’adolescents suicidés (par la technique dite des " autopsies psychologiques ") ou suicidants hospitalisés mettent en évidence des caractéristiques sociales, biographiques, comportementales ou pathologiques, et des facteurs de risque. Cependant, aucun des facteurs identifiés ne peut être suffisant à lui seul pour expliquer une TS (6). On relève entre autres :

  • des événements et des situations entraînant la rupture de liens familiaux ou sociaux (rupture sentimentale, familiale, scolaire) (2 ) ;
  • des troubles du comportement et une impulsivité fréquente, en particulier des conduites violentes et à risque (2, 12, 28) ;
  • une dépression, volontiers masquée et/ou niée à cet âge, se manifestant entre autres par un désinvestissement relationnel ou scolaire et une humeur morose. Les troubles thymiques étaient présents chez 50 à 75 % des adolescents ayant accompli un suicide (12, 14, 29). Les études réalisées chez des suicidants rapportent l’existence d’une humeur dépressive dans 25 à 60 % des cas (15, 20, 21, 26). La dépression a en outre tendance à aggraver le mauvais fonctionnement social à long terme (20) ;
  • des troubles psychotiques dans environ 10 % des cas, de type épisodes délirants aigus ou formes débutantes de schizophrénie (19)
  • des abus de drogues, de tabac, d’alcool, de médicaments psychotropes (2, 14, 16, 30)
  • des troubles du comportement alimentaire, fréquemment à type de boulimie, mais aussi d’anorexie mentale (6)
  • des pathologies somatiques chroniques concomitantes, telles que l’asthme, le diabète, l’obésité, l’épilepsie (28, 31)
  • des difficultés scolaires, un absentéisme ou une déscolarisation (2, 14)
  • des perturbations affectives réactionnelles à la situation familiale : rigidification de la communication dans la famille, dissociation parentale, nombreuse fratrie, placement en foyer (2, 13, 15, 26, 27, 32). Ces facteurs sont d’autant plus fréquents chez les sujets récidivistes. Les adolescents suicidants ont plus fréquemment une perception négative de la famille et un sentiment de solitude (2, 13)
  • des antécédents de maltraitance ou d’abus sexuels, fréquemment retrouvés chez les adolescents faisant des TS répétées (2, 13, 16, 27, 28, 33, 34). Ainsi, dans une étude sur 321 suicidants, âgés de 14 à 25 ans, hospitalisés à Bordeaux dans une unité médico-psychologique pour adolescent, Pommereau (34) a retrouvé des antécédents de violences sexuelles chez 30 % des filles et 7,5 % des garçons. Ces chiffres sont concordants avec ceux cités par De Wilde (27)
  • des antécédents personnels ou familiaux de TS ou de suicide, observés chez 10 à 43 % des suicidants (12, 15, 16), notamment lorsque les moyens employés étaient potentiellement mortels (32)
  • des antécédents familiaux d’affections psychiatriques, d’alcoolisme, retrouvés dans environ 20 % des cas. (14, 27)
  • IV. LA PRISE EN CHARGE HOSPITALIERE DES ADOLESCENTS SUICIDANTS

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    IV.1 Pourquoi recourir à l’hôpital ?

    Les données résultant du suivi de populations d’adolescents suicidants, en particulier le risque clairement établi de récidive, conduisent à considérer qu’une TS ne doit jamais être banalisée, si minime soit-elle dans ses conséquences somatiques apparentes.

    Il n’y a pas de parallélisme entre la gravité psychologique d’un geste suicidaire et les moyens utilisés (6). Ainsi, de nombreuses intoxications médicamenteuses ou phlébotomies aux conséquences somatiques bénignes sont sous-tendues par une vraie détermination suicidaire qui peut perdurer et favoriser l’usage de moyens plus dangereux pouvant aboutir au suicide (23). A l’inverse, des TS provoquées par une situation de crise mineure peuvent avoir été réalisées avec des médicaments exposant à un risque vital immédiat ou différé sans rapport avec un désir avéré de mort.

    Dans tous les cas de TS, il est nécessaire que soit effectuée sans délai une triple évaluation somatique, psychologique et sociale. Cette triple évaluation demande des compétences, du temps et des moyens adéquats, qui rendent nécessaire une admission dans un premier temps au service des urgences d’un hôpital.

    Pommereau rapporte que, parmi les suicidants hospitalisés dans une unité médico-psychologique pour adolescents à Bordeaux, 75 % de ceux qui avaient récidivé dans les trois mois n’avaient pas fait l’objet d’une hospitalisation lors de leur précédente TS (5).

    Ce recours à l’hôpital ne devrait pas être différé dans le temps, au risque de décalage entre le moment de la crise et la réponse qui y est apportée, d’aggravation de l’état somatique en cas de sous-estimation des risques encourus, et de récidive à court terme. Le risque de récidive suicidaire est le principal motif d’hospitalisation invoqué par les médecins généralistes appelés en urgence au domicile d’un suicidant tout âge confondu (35).

    En l’absence d’étude, il n’est pas possible de définir pourquoi une majorité de TS n’est pas adressée aux urgences hospitalières (ce qui représente 80 % des adolescents suicidants en France dans l’enquête réalisée par M. Choquet (2) en 1994). Le refus du patient serait une cause relativement peu fréquente, comptant pour 15 % des cas dans une enquête française récente réalisée chez des suicidants de tout âge (35). Il n’existe pas d’étude sur le devenir immédiat et à long terme des suicidants non adressés à l’hôpital comparé à celui des suicidants adressés à l’hôpital. En particulier, il n’est pas possible de savoir si les premiers représentent un sous-groupe à plus faible risque, qui pourrait justifier une évaluation et une prise en charge différentes des autres suicidants.

    Des alternatives aux urgences hospitalières (centres de crise ambulatoires spécialisés, par exemple) sont possibles (36), mais on ne dispose pas, sur le thème de la prise en charge des suicidants, d’étude comparant le recours à l’hôpital et la prise en charge d’emblée dans un centre de crise ambulatoire. L’intérêt du centre de crise a été mis en évidence en cas de dépression (37).

    Il existe un accord professionnel pour recommander d’adresser systématiquement les suicidants aux urgences hospitalières pour mettre en route de la triple évaluation somatique, psychologique et sociale, et le début des soins (sauf cas particulier, et en pratique rare, où il existe un réseau d’intervenants extrahospitaliers préexistant, bien identifié, structuré, immédiatement mobilisable, habitué à prendre en charge des adolescents et capable d’assurer la prise en charge et l’évaluation).

    IV. 2 Les objectifs de la prise en charge

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    Il existe un accord professionnel pour considérer que la prise en charge hospitalière doit permettre :

  • d’écarter tout risque vital ou fonctionnel dû au geste suicidaire ;
  • d’assurer la sécurité du patient et de prévenir le risque de récidive à court terme ;
  • de créer un climat de confiance et d’adhésion au traitement, ce qui peut demander du temps ;
  • d’évaluer les ressources psychologiques du sujet ;
  • de trouver sans précipitation les conditions nécessaires à la résolution de la crise dont les aspects positifs pour l’individu doivent être découverts ;
  • de rechercher la décompensation d’une éventuelle affection psychiatrique connue ou sous-jacente, nécessitant une prise en charge et des soins spécifiques ;
  • de rechercher d’éventuelles comorbidités somatiques ;
  • de rencontrer les parents et l’entourage, pour appréhender progressivement les difficultés qu’ils rencontrent, de leur apporter l’aide dont ils peuvent avoir besoin ;
  • de joindre les différents professionnels susceptibles d’aider à la compréhension et à la résolution de la crise ;
  • de préparer le projet de suivi ultérieur.
  • A ces différents temps, il est nécessaire d’établir des contacts souples et modulables avec l’adolescent et sa famille. Le patient doit pouvoir trouver des lieux de soins assurant la confidentialité, lui permettant d’aborder ses problèmes de façon concrète en tête-à-tête avec des intervenants disponibles et formés dans ce domaine.

    IV.3 Les modalités de la prise en charge hospitalière

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    IV.3.1 Où sont actuellement hospitalisés les adolescents ?

    Les possibilités de prise en charge et de soins sont le plus souvent tributaires de contraintes organisationnelles : diversité des structures hospitalières susceptibles de prendre en charge les patients (CHU, CHG, CHS, établissements de soins) et des services d’urgence (pédiatriques et pour adultes ; générales ou psychiatriques), éloignement ou parfois inadaptation des structures (38). Tout cela est de nature à induire une hétérogénéité dans la prise en charge des adolescents suicidants en France.

    Les modalités d’hospitalisation des adolescents en France ont récemment fait l’objet de deux rapports, mettant en évidence la nécessité mais aussi la rareté de lieux adaptés, voire spécifiques à cette tranche d’âge (38, 39). Il n’existe à ce jour en France que très peu d’unités hospitalières spécifiques pour adolescents, et encore moins pour adolescents suicidants. Seulement 10 % des services de pédiatrie disposent de lits spécifiques pour adolescents. Ailleurs, ce sont des services de psychiatrie infanto-juvénile, d’urgences psychiatriques et de crise, qui gèrent ces problèmes et ont proposé des aménagements pour l’accueil des adolescents. Dans certains sites, la spécificité de la prise en charge est apportée par une équipe multidisciplinaire mobile qui assure la continuité des soins à défaut de structure dédiée. La répartition sur le territoire de ces derniers dispositifs est connue de façon imparfaite.

    Plusieurs auteurs (31, 40-42) pensent que l’admission des adolescents suicidants dans des services de psychiatrie non spécialisés dans la prise en charge de ces conduites devrait être réservée uniquement à ceux présentant des décompensations psychiatriques patentes, dépressives ou psychotiques, ce qui représente une faible proportion de l’ensemble des sujets (environ 10 %). Cet avis doit être nuancé par le fait que certaines structures psychiatriques ont créé des unités plus particulièrement adaptées à la prise en charge des adolescents, et fonctionnent parfois sur un mode intersectoriel.

    Il n’y a pas à ce jour d’étude disponible comparant le devenir des adolescents suicidants en fonction du type de l’unité dans laquelle ils ont été pris en charge.

    IV.3.2 Les intervenants

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    Il y a un accord professionnel pour considérer que la prise en charge des adolescents suicidants doit reposer autant que possible sur des principes fondamentaux de cadre thérapeutique, de travail en équipe, de recherche de continuité des soins et d’adaptation individuelle de la prise en charge. Elle devrait être au mieux assurée par une équipe pluridisciplinaire (médecins somaticiens, psychiatres, psychologues, infirmières, assistantes sociales, etc.) particulièrement sensibilisée, formée et motivée pour les soins aux jeunes suicidants.

    De nombreux programmes de formation des soignants hospitaliers incluent désormais des modules axés sur les urgences psychiatriques et le suicide. L’impact de programmes d'entraînement du personnel à un meilleur accueil des adolescents suicidants, conjointement à une action de sensibilisation de l’entourage, peut améliorer l’adhésion ultérieure des patients au suivi proposé (43).

    Un climat d’empathie, de proximité relationnelle, de confidentialité est à favoriser et doit être ressenti par l’adolescent. Les infirmières, en raison de leur proximité permanente des patients, jouent souvent un rôle important dans l’alliance thérapeutique avec le suicidant.

    L’équipe hospitalière doit être clairement identifiée dans les établissements et être connue des praticiens de ville pour cette compétence. Les équipes concernées, soumises à un travail qui peut être éprouvant et qui doit faire l’objet d’évaluations, doivent pouvoir bénéficier d’un soutien qui peut s’organiser autour de réunions institutionnelles, d’aide extérieure éventuelle à la gestion des crises internes, de réunions de synthèse.

    IV.3.3 Cas particulier de l’hospitalisation sans consentement

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    En cas de nécessité d’hospitalisation sans consentement pour un mineur, ce sont les parents ou le tuteur légal qui ont autorité, sauf dans les cas où le Procureur de la République a prononcé une ordonnance de placement provisoire (OPP). Dans les cas où le médecin est confronté à une situation particulièrement à risque, et en particulier lorsque les parents ou le tuteur de l’adolescent s’opposent aux soins proposés, il peut contacter le Procureur de la République pour l’informer de ses craintes et solliciter son concours. Celui-ci peut alors prononcer une OPP. Après l’âge de la majorité civile, ce sont les règles de l’hospitalisation à la demande d’un tiers ou d’office qui s’appliquent dans les cas où le sujet n’est pas en mesure de consentir aux soins, avec une prise en charge obligatoire par un service de psychiatrie.

    IV.4 Les différents temps et domaines de la prise en charge

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    Plusieurs étapes dans les soins peuvent être individualisées, certaines d’entre elles pouvant se chevaucher dans le temps.

    IV.4.1 L’admission aux urgences hospitalières

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    L’admission aux urgences hospitalières doit être perçue comme le point de départ d’une réponse globale à la souffrance de l’adolescent. Elle se fera aux urgences pédiatriques ou générales selon l’âge du patient. L’objectif de cette admission est d’abord d’évaluer la gravité somatique immédiate et différée du geste suicidaire et de la traiter (40, 44, 45). Mais le travail réalisé aux urgences ne peut pas se limiter à cet aspect de réparation immédiate. L’expérience montre qu’il est important que le cadre de l’hospitalisation et les soins ultérieurs qui vont être réalisés soient présentés au patient dès la phase précoce de la prise en charge, dès que son état somatique et sa vigilance le permettent.

    IV.4.2 L’examen somatique

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    Il permet d’évaluer les conséquences du geste suicidaire et a par ailleurs une valeur symbolique. Il donne sa dimension au geste suicidaire et démontre son caractère non anodin. Il permet d’approcher indirectement les difficultés psychologiques, car c’est par leur corps que les suicidants ont exprimé leur mal-être, et il ne peut donc pas se résumer à un examen clinique succinct et standardisé. Il est souhaitable que le premier examen soit effectué par un médecin formé à la prise en charge de cette situation. Cet examen doit porter sur les conséquences physiques immédiates et prévisibles en rapport avec le moyen de suicide reconnu ou suspecté, mais aussi sur l’état général du sujet et les comorbidités existantes. Il est souvent utile que l’examen somatique soit renouvelé et complété ultérieurement, pour mesurer d’autres paramètres de santé (encadré 1).

    Encadré 1. - Indicateurs de santé à repérer par l’examen somatique et les entretiens

    - Impact du moyen suicidaire sur l’équilibre ou l’intégrité physique

    - Etat général, nutritionnel, staturo-pondéral, développement pubertaire et image perçue du corps

    - Hygiène de vie : sommeil, alimentation, prise de médicaments, investissement physique (sport)

    - Prise de toxiques : alcool, drogues, abus de tabac

    - Développement pubertaire et vie sexuelle, contraception, prévention des maladies sexuellement transmissibles

    - Tout élément de préoccupation pour le patient

    Il ne faut pas hésiter à mettre à profit cette évaluation pour proposer le cas échéant un test de grossesse ou un dépistage de maladies sexuellement transmissibles. Ainsi, les données de la littérature (40, 42, 45) et le groupe de travail insistent sur l’intérêt d’une approche somatique qui dépasse la seule enquête toxicologique ou la suture d’une phlébotomie. Il est démontré que les adolescents suicidants ont un nombre plus élevé de pathologies somatiques chroniques comparativement aux non suicidants du même âge. Elles peuvent passer inaperçues si elles ne sont pas recherchées systématiquement (28, 30).

    IV.5 L’évaluation psychologique

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    IV.5.1 Où la débuter ?

    Elle doit être la plus précoce possible, en général dans les 24 heures qui suivent l’admission, sous réserve d’un état de vigilance compatible avec l’entretien. La pratique montre aussi que certains suicidants, notamment après intoxication médicamenteuse, peuvent présenter à leur réveil une brève période d’euphorie ou de sérénité apparente qui peut fausser les résultats de l’évaluation initiale et qui rend nécessaire sa répétition.

    Des enquêtes (22, 44, 46, 47) ont montré qu’environ 20 % des jeunes suicidants quittaient l’hôpital à partir des urgences sans avoir rencontré un psychiatre ou un psychologue et sans aucun projet de suivi. Cette situation doit être absolument évitée.

    IV.5.2 Qui doit la réaliser ?

    L’évaluation psychologique requiert l’intervention d’un psychiatre. Une étude réalisée à Oxford (13) a montré un taux de récidive dans l’année suivant la TS significativement plus élevé chez les adolescents suicidants qui n'avaient pas été évalués par une équipe de psychiatrie lors de leur passage aux urgences comparativement à ceux qui l’avaient été
    (13,6 % contre 8,3 %, p<0,05). Brent a observé dans une population d’adolescents suicidés que les deux tiers d’entre eux n’avaient bénéficié d’aucune prise en charge psychologique lors de leurs précédentes TS (14).

    Le psychiatre doit expliquer au suicidant l’objet des soins qui vont suivre et leurs conditions de réalisation. Il parait utile, dans la mesure du possible, que ce premier intervenant ait une fonction de " référent " ou en désigne un. On qualifie généralement de " référent " un membre de l’équipe qui, pour un patient donné, est un interlocuteur privilégié, facilement accessible, recueillant le maximum d’informations le concernant et s’assurant de la bonne diffusion de ces dernières, jouant ainsi un rôle de coordination des soins. A cet effet, certains services d’urgence ont dans leur effectif une infirmière ayant une bonne expérience en psychiatrie qui peut faciliter la prise en charge psychologique, améliorer les liaisons, et éventuellement avoir un rôle de " référent ".

    IV.5.3 Que chercher chez le suicidant ?

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    L’entretien initial qu’il mène vise à une prise de contact avec le suicidant, un recueil des premières plaintes psychiques, la recherche du contexte et des facteurs en présence dans la crise actuelle. Il est généralement impossible de recueillir tous les éléments lors de l’entretien initial, parce que les suicidants vus aux urgences verbalisent souvent peu ou minimisent l’importance de leurs problèmes ; ils peuvent être sous l’effet de médicaments sédatifs ou sont réticents à répondre à des questions qu’ils peuvent juger trop intrusives. En fonction de l’état du suicidant, il faut recueillir progressivement au minimum un certain nombre de données concernant le geste et le risque suicidaire, les fondements de la crise actuelle, l’état psychologique du patient, les relations avec l’entourage (Encadré 2). Cela nécessite fréquemment plusieurs entretiens, aux urgences et ultérieurement.

    Encadré 2. - Éléments à rechercher chez l’adolescent suicidant

    Conditions de réalisation de la TS

    - modalités de la TS : moyen employé et connaissance supposée de sa dangerosité, désir d’être découvert ou non, annonce préalable à l’entourage.

    - but du geste suicidaire : désir de mort, d’alerte, de fuite, de pression sur l’entourage, etc.

    - facteurs précipitants : facteurs de stress durables et aigus, conflits interpersonnels

    - degré de préméditation ou d’impulsivité

    - idées suicidaires passées et actuelles

    Santé mentale

    - prise de drogues, abus d’alcool, abus de tabac

    - états dépressifs, troubles des conduites, troubles psychotiques

    - antécédents personnels et familiaux de prise en charge psychiatrique, adhésion aux suivis proposés, prise de médicaments psychotropes

    - antécédents de TS : modalités et facteurs déclenchants, prises en charge antérieures

    - TS dans la famille, l’entourage, annonce de TS dans les médias

    Mode de vie et insertion sociale

    - situation familiale et scolaire

    - étayage possible dans l’entourage en cas de crise

    - prises de risque : activités ou sports dangereux, relations sexuelles non protégées, comportements violents

    - projets scolaires, professionnels, relationnels

    - degré et désir d’autonomie et de liberté

    Éléments biographiques

    - Ruptures affectives

    - Antécédents de fugues

    - Antécédents de violences physiques ou sexuelles subies

    - Grossesse, IVG

    Tout particulièrement, il faut rechercher les facteurs de risque de récidive à court terme retrouvés par les études épidémiologiques, en particulier :

  • intentionnalité suicidaire : préméditation et dissimulation du geste suicidaire, persistance d’idées suicidaires, moyen violent utilisé et encore disponible ;
  • antécédents de TS, en particulier dans le jeune âge, antécédents de TS dans l’entourage ;
  • absence de facteur déclenchant explicite ;
  • pathologie psychiatrique, en premier lieu les états dépressifs, particulièrement polymorphes à cet âge (cf. symptômes évocateurs dans l’encadré 3) ;
  • abus sexuels, maltraitance ;
  • conduites violentes et comportements à risque, prise de drogues, abus régulier d’alcool ;
  • entourage violent ou n’offrant pas d’étayage.
  • Encadré 3. - Signes évocateurs de dépression chez l’adolescent

    - état de morosité, questionnements fréquents sur le sens de l’existence ;

    - humeur particulièrement variable, déstabilisée par des événements mineurs ;

    - ennui global avec attitude de désintérêt pour la plupart des activités et des contacts sociaux, attitude passive ;

    - perte d’espoir, découragement ;

    - faible capacité à éprouver du plaisir avec les autres ;

    - mécontentement ou dépit en réponse aux aides proposées ;

    - sentiment d’être rejeté et mal-aimé ;

    - perte de l’estime de soi, sentiment d’inutilité.

     

    Des échelles d’évaluation du risque sont utilisées en recherche épidémiologique, mais leur apport à la pratique clinique est sujet à controverse en raison de nombreux défauts relevés : absence fréquente de validation française, non-adaptation de certaines échelles à l’adolescent, hétérogénéité des paramètres mesurés (48). Cependant, on pourra s’aider pour l’interrogatoire de l’échelle d’intentionnalité suicidaire de Beck (49) reproduite dans l’annexe 1.

    IV.5.4 Évaluation de la famille et de l’entourage

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    Il est nécessaire de rencontrer la famille et/ou l’entourage proche, afin de recueillir dans un climat de neutralité leur vision de la situation de crise, leurs plaintes et leurs difficultés. Si possible, et dans le respect des désirs de chacun, l’adolescent et sa famille seront vus ensemble dans un deuxième temps afin que leurs interactions et leurs souhaits communs soient réévalués sans ambiguïté. Cette évaluation donne souvent l’occasion de préparer le travail de liaison qui devra s’établir dans les jours suivants, mais aussi d’apporter un début de soutien à des familles généralement en état de stress psychologique.

    IV.5.5 Évaluation sociale

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    De nombreux éléments sur la situation sociale, familiale, scolaire ou professionnelle du sujet sont déjà recueillis lors de l’évaluation psychologique. Des difficultés d’insertion ou de relation dans l’entourage, le milieu social, scolaire ou professionnel sont fréquemment observées au cours des conduites suicidaires. Il est nécessaire de s’enquérir si un suivi social est déjà en cours. Le plus souvent, les intervenants impliqués (assistante sociale, éducateur) doivent être prévenus et leurs impressions recueillies. Ils peuvent fournir des indications utiles et objectives sur l’environnement immédiat de l’adolescent, sur d’éventuelles mesures judiciaires passées, telles qu’une assistance éducative, un placement en foyer. La situation scolaire ou professionnelle du patient doit être connue, ainsi que son niveau d’adaptation et d’implication sociale.

    L’important travail de liaison qu’il faut souvent réaliser peut prendre du temps, en particulier pour identifier et contacter les différents intervenants. Les informations recueillies devront être regroupées, analysées et synthétisées pour prendre des mesures adaptées. L’assistant(e) social(e) en charge du patient joue un rôle majeur de coordination dans la réunion de tous ces éléments et dans la construction du projet de sortie.

    V. LA PRISE EN CHARGE APRES LES URGENCES HOSPITALIERES

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    Lorsque tout risque somatique vital ou fonctionnel a été définitivement écarté, l’évaluation psychologique, familiale et sociale doit être poursuivie. Deux modalités de soins sont envisageables:

  • la poursuite de l’hospitalisation ;
  • un suivi immédiat et intensif par un réseau ambulatoire.
  • V.1 La poursuite de l’hospitalisation

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    V.1.1 Quand faut-il hospitaliser ?

     

    L’hospitalisation doit être la règle, tout particulièrement en cas de :

  • risque de récidive immédiate, en particulier si une forte intentionnalité suicidaire a été perçue dans la TS, afin d’assurer la sécurité du patient. On pourra s’aider d’échelles pour apprécier ce risque, telle que l’échelle d’intentionnalité suicidaire de Beck (49), reproduite dans l’annexe 1.
  • de pathologie psychiatrique non stabilisée, patente ou suspectée, dans le but de préciser le diagnostic et d’instaurer un traitement adapté au trouble identifié ;
  • d’environnement extérieur jugé comme particulièrement défavorable, voire délétère (maltraitance, abus sexuels), dont il convient de protéger le patient ;
  • si l’adolescent le désire ;
  • s’il n’est pas possible de mettre en place rapidement un suivi suffisamment structuré par un réseau ambulatoire.
  • Ces quelques critères, qui font l’objet d’un accord professionnel, sont reconnus comme déterminants dans les décisions d’hospitalisation (33), mais ne résument pas toutes les raisons qui peuvent conduire à la poursuivre.

    V.1.2. Quel est le bénéfice de l’hospitalisation ?

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    L’intérêt de l’hospitalisation après le passage aux urgences a été mis en évidence par quelques études prospectives ou rétrospectives, observant un plus faible taux de récidives et une meilleure adaptation sociale chez des sujets qui ont été hospitalisés, notamment chez ceux qui avaient des troubles psychiatriques (13, 34, 46). Mais, il n’a pas été retrouvé dans d’autres études (50, 51).

    Dans une étude, le suivi d’adolescents suicidants hospitalisés ou non après les urgences a montré que le taux de récidive suicidaire était identique dans les deux groupes, alors que les sujets hospitalisés avaient beaucoup plus de facteurs de risque de récidive (22). Par contre, Waterhouse (50) n’a pas retrouvé de bénéfice sur le taux de récidive chez des suicidants maintenus en hospitalisation. Mais, dans son étude, l’hospitalisation se limitait à un simple hébergement, sans autres formes de soins spécifiques. Hawton et Fagg à Oxford (13) ont rapporté les résultats du suivi prospectif d’une cohorte de 2 282 adolescents âgés de 10 à
    19 ans adressés à l’hôpital pour TS. Dans cette étude, le taux de récidive dans la première année après TS était significativement plus élevé chez les patients qui n’avaient pas été hospitalisés après la phase d’admission aux urgences (13,5 % en l’absence d’hospitalisation contre 8,1 % dans le cas contraire, p<0,01).

    Concernant les modalités d’hospitalisation, on dispose d’une étude française de Pommereau (34). Il a comparé le devenir des suicidants hospitalisés entre le 15 novembre 1992 et
    le 1er janvier 1996 dans une unité médico-psychologique spécialisée pour adolescents (groupe 1), à celui d’adolescents suicidants admis aux urgences du CHU de Bordeaux entre le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1990, sans passage en unité médico-psychologique spécialisée (groupe 2). Il a noté moins de perdus de vue (5,4 % dans le groupe 1 contre 17,7 % dans le groupe 2), moins de récidives de TS (20 % contre 29 %) et moins de suicides
    (0,8 % contre 1,3 %).

    La rareté des études comparatives, les différences dans les types de soins prodigués, la méthodologie imparfaite peuvent probablement expliquer les résultats contradictoires et l’absence de réponse uniforme à la question de l’hospitalisation après le passage aux urgences hospitalières.

    V.1.3 Quelles sont les modalités de l’hospitalisation ?

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    Il est souhaitable que ce séjour hospitalier se déroule dans un espace de soins répondant aux critères cités précédemment, notamment en terme de compétence spécifique. Qu’il s’agisse d’une unité de psychiatrie, de psychiatrie infanto-juvénile, de médecine ou de pédiatrie, il est préférable qu’elle soit située à proximité des urgences, par exemple dans un même établissement, ce qui a pour avantage de faciliter les échanges des informations et l’accessibilité aux soins. Il apparaît que trop souvent les suicidants qui requièrent une prise en charge subissent plusieurs transferts dans des unités de soins trop distantes entre elles, ce qui est source de ruptures multiples dans les soins. Lorsque la période d’observation aux urgences est terminée, le passage du patient dans cette unité de soins doit être rapide.

    Les locaux dans lesquels l’adolescent va alors être pris en charge, de l’avis du groupe de travail et des rapports publiés sur cet aspect (38), doivent être adaptés à cette tranche d’âge et au travail de crise qui est nécessaire. Ils doivent être à la fois lieu de soins et lieu de vie, permettant au jeune de trouver la sécurité et le support psychique dont il a besoin, mais aussi une intimité, un espace psychique personnel, un lieu d’accueil et d’échanges. Beaucoup de services hospitaliers ne répondent pas à ces critères et sont organisées presque exclusivement autour des soins, d’où la nécessité d’un effort important d’adaptation.

    Le cadre thérapeutique doit nécessairement fixer des repères et des limites aux sujets qui y sont admis, formalisés dans un règlement de fonctionnement présenté dès l’admission. C’est un élément important pour la stabilité et la crédibilité du cadre de soins (accord professionnel).

    Un temps minimal réservé à cette période doit être prévu et un accord professionnel existe pour une durée moyenne d’au moins trois jours (5, 52, 53). En fait, il n’y a pas de règle standardisée pour la durée totale optimale de séjour. Celle-ci dépend de l’amélioration des divers paramètres psychologiques et de la résolution des problèmes avec l’environnement socio-familial, même si l’expérience montre qu’une durée moyenne d’une semaine est souvent nécessaire. Le modèle de l’intervention de crise, qui requiert des durées de séjour similaires, s’applique bien à ce contexte (54) . La durée prévisible de l’hospitalisation doit être annoncée dès le service des urgences au jeune et à sa famille. Elle doit être nuancée et réajustée en fonction de l’évolution de la crise et des possibilités de suivi extérieur. Au total, la durée de la prise en charge ne saurait être sous l’unique dépendance de contraintes administratives ou de règles dogmatiques.

    Une hospitalisation qui viserait seulement à mettre temporairement l’adolescent à l’écart de ses difficultés extérieures, sans autre forme de soins ne peut suffire et ne parait pas être supérieure en efficacité à un suivi ambulatoire. Rappelons ici l’étude de Waterhouse (50), qui a mesuré comparativement sur 77 adolescents suicidants l’impact d’un simple hébergement hospitalier sur le taux de récidive suicidaire : il n’a pas observé de différence par rapport aux adolescents qui avaient quitté l’hôpital immédiatement après le passage au service des urgences. Il est donc essentiel que soient développés simultanément, et dès le début du séjour hospitalier, des soins somatiques et psychiques. L’examen somatique dont les paramètres ont été précisés plus haut sera poursuivi, le cas échéant étayé par des examens complémentaires, en complémentarité étroite avec les autres volets de la prise en charge.

    L’adolescent et sa famille doivent être vus en entretien de façon régulière, afin de compléter l’évaluation de la situation, de favoriser les interactions, et surtout de préparer les modalités de sortie et de suivi post-hospitalier. Ce suivi requiert l’établissement de liaisons souvent multiples avec les autres professionnels impliqués. Ces différents aspects du soin forment un tout et sont interactifs.

    V.2 Le suivi ambulatoire intensif

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    En l’absence d’indication d’hospitalisation, le relais sous forme d’une prise en charge ambulatoire intensive par un réseau d’intervenants pluridisciplinaires peut se faire dans certains cas. Cette modalité est à réserver aux cas où il existe effectivement un réseau structuré, performant, clairement identifié et mobilisable pour ce type de prises en charge, en l’absence de critères de dangerosité immédiate ou d’environnement extérieur défavorable, et avec l’accord de l’adolescent. Ce réseau fait le plus souvent intervenir les centres médico-psychologiques sectoriels ou intersectoriels, de psychiatrie d’adultes ou d’adolescents, mais aussi des centres de crise ou des praticiens libéraux généralistes ou psychiatres, voire certains hôpitaux de jour spécialisés. La désignation d’un " référent " doit être la règle, comme en cas d’hospitalisation.

    V. 3 Les liaisons à établir

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    Quelle que soit l’option qui a été retenue à l’issue de la période d’accueil aux urgences, il est important de développer des liaisons entre les différents intervenants impliqués, à défaut desquelles la prise en charge et le suivi ne peuvent pas être structurés.

    Le nombre des intervenants impliqués est variable selon chaque situation individuelle. La multiplicité du nombre des intervenants qui peuvent être nécessaires rend d’autant plus indispensable une coordination par un " référent " faisant généralement partie de l’équipe hospitalière ou ambulatoire, afin d’éviter une dispersion des moyens, une perte de l’information, voire des actions antagonistes.

    Il n’est pas souhaitable que les liaisons avec les intervenants extérieurs s’effectuent à l’insu des adolescents concernés, même si certaines décisions peuvent être prises sans leur assentiment, notamment les mesures de justice ou d'assistance éducative. Certains d’entre eux peuvent vouloir sauvegarder leur intimité aux yeux de certains intervenants potentiels, et le sentiment qu’ils pourraient garder d’avoir été trahis par l’équipe soignante est généralement préjudiciable à la bonne poursuite des soins.

    V.3.1 La famille et l’entourage

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    Les liaisons à établir concernent en priorité la famille et les autres intervenants du cadre de vie de l’adolescent (par exemple éducateurs du foyer, famille d’accueil), qu’il faut rencontrer rapidement, le plus souvent sur les lieux de l’hospitalisation, mais dans certains cas aussi à l’extérieur. Les travailleurs sociaux et le médecin traitant peuvent jouer un rôle précieux dans ces échanges, en raison de leur connaissance de l’entourage. Lorsqu’un soutien thérapeutique plus important est nécessaire pour certains membres de l’entourage, des liaisons avec une équipe de psychiatrie d’adultes ou de thérapie familiale peuvent être nécessaires.

    La participation et l’accord de la famille aux soins sont souhaitables, mais on doit s’efforcer de sauvegarder une indépendance suffisante de l’adolescent et des soignants à leur égard. L’hôpital doit, dans de nombreux cas où une pathologie familiale est suspectée, garder sa valeur de refuge et de lieu neutre.

    Il est bien démontré que des actions d’information, de guidance ou de soins psychologiques à l’égard de la famille ont généralement une action positive sur l’adhésion au suivi ultérieur, mais aussi sur la communication intra-familiale ou le vécu par rapport à la TS (43, 55, 56). King (55) a confirmé que les adolescents vivant dans une famille où la communication et le fonctionnement sont perturbés adhèrent moins au suivi proposé. Des thérapies familiales associées à un suivi individuel structuré du patient augmentent significativement l’adhésion au suivi, en particulier chez les jeunes femmes, et chez les patients ayant un comportement suicidaire plus marqué, une moindre estime de soi ou une famille jugée comme peu soudée (43).

    V.3.2 Les intervenants du domaine médical

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    Les intervenants du domaine médical (selon les cas, pédiatre, psychiatre, psychologue, médecin généraliste, gynécologue, médecin et infirmière scolaires) sont à solliciter en fonction de chaque cas et constituent le réseau sur lequel va reposer le suivi. Il est par conséquent souhaitable qu’ils interviennent précocement et prennent une part active à l’élaboration de ce suivi. En ce qui concerne le milieu scolaire, c’est généralement le médecin scolaire qui, garant du secret professionnel, peut jouer un rôle de médiation pour la reprise de la scolarisation et le soutien après la reprise des cours.

    V.3.3 Les autres intervenants

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    Les intervenants sociaux, judiciaires, de police sont impliqués en fonction des situations individuelles.

    VI. LE SUIVI ULTERIEUR

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    VI.1 La préparation de la sortie de l’hôpital et des liaisons à l'extérieur

    La sortie de l’hôpital n’est pas un événement anodin et systématiquement positif. Elle peut confronter l’adolescent à des difficultés anciennes non résolues ou à de nouvelles nécessités d’adaptation (par exemple, changement de domicile, placement, etc.). Il y a nécessité de préparer soigneusement la sortie et d'organiser un soutien immédiat en relais.

    Il apparaît, d’après plusieurs études comparatives, que les suivis structurés, planifiés, reposant éventuellement sur des programmes psychothérapiques préparés permettent de diminuer le nombre de récidives suicidaires et d'améliorer l'adaptation sociale, en augmentant notamment l’adhésion du suicidant aux soins (41, 43, 46, 57-59, 60, 61), qui. reste un problème clé. En effet, selon les études, 40 à 77 % des suicidants ne respectent pas le suivi proposé. Ce sont plus particulièrement les suicidants de sexe masculin et les récidivistes qui ont la plus mauvaise adhésion aux soins (19, 57, 62). Plusieurs mesures ont été proposées pour améliorer l’adhésion des patients au suivi qui leur était proposé.

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    VI.1.1 Le choix des intervenants

    A la sortie de l’hôpital, l’orientation du patient vers des intervenants qu’il ne connaît pas, sans établissement de liens étroits entre les deux équipes, est dans la quasi-totalité des cas vouée à l’échec.

    Certaines équipes proposent que le patient soit suivi après sa sortie par l’équipe qui l’a pris en charge initialement aux urgences, avec éventuellement relais à une autre équipe sur un mode souple après une phase de transition. Möller, dans une étude portant sur 226 adultes suicidants admis à l’hôpital, a montré que 72 % des patients suivis par l’intervenant initial venaient aux rendez-vous, alors que ce chiffre n’était que de 40 % chez les patients qui avaient été orientés vers d’autres intervenants (41). La pratique clinique suggère que cette façon de faire est également préférée par les familles des suicidants.

    VI.1.2 L’organisation des rendez-vous de consultation

    L’organisation dans le temps de rendez-vous de consultation avec des intervenants bien identifiés améliore l’adhésion des patients d’environ 20 % (41, 57, 61).

    VI.1.3 La possibilité d’une nouvelle prise en charge immédiate

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    Il est utile que tout suicidant se sentant dans une situation de crise qu’il ne parvient pas à surmonter puisse consulter un professionnel ou une équipe médico-psychologique, voire être hospitalisé sans délai s’il le souhaite. La remise au patient d’une information écrite comportant les coordonnées d’un centre ou d’une équipe qui peut l’accueillir sans délai a permis de diminuer de moitié la récidive suicidaire à un an dans deux études comparatives (32, 63), même si cette conclusion n’a pas été validée dans une méta-analyse récente, qui ne concerne pas spécifiquement les adolescents suicidants (64). Les équipes qui préconisent cette mesure en informent généralement le médecin de famille, avec l’accord du patient.

    Un contrat verbal peut être établi entre l’équipe soignante et le patient suicidant, lui demandant de ne pas réaliser à court terme une nouvelle TS mais de joindre immédiatement le centre de soins dont on lui a fourni les coordonnées, en lui donnant l’assurance qu’il sera pris en charge sans condition. L’efficacité de ce contrat n’a pas été mesurée, mais il paraît dans certains cas de nature à renforcer la confiance du patient envers l’équipe soignante et le lien qu’il établit avec elle.

    VI.1.4 La sensibilisation des équipes hospitalières

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    La sensibilisation des équipes hospitalières à l’approche des suicidants et à l’information des familles, parallèlement à une prise en charge psychothérapique familiale brève, pourrait augmenter l’adhésion des patients au suivi d’environ 20 % (43).

    L’absence de preuve définitive apportée par les études sur l’efficacité des différentes préparations au suivi peut être imputable à l’hétérogénéité des groupes de patients étudiés, à leur faible effectif, au taux de récidive suicidaire dans la population étudiée (65). Plusieurs modalités de suivi sont souvent associées dans les études publiées, ce qui ne permet pas de déterminer l’efficacité de chacune prise isolément. Il existe un accord professionnel pour penser que l’augmentation de l’adhésion aux soins améliore l’évolution des suicidants, en diminuant probablement le nombre de récidives, mais aussi en permettant une meilleure adaptation sociale et familiale ainsi qu’une meilleure qualité de vie.

    Quel que soit le mode de fonctionnement des intervenants qui poursuivront les soins (médecins libéraux, équipes de secteurs psychiatriques ou de structures intersectorielles, médecins ou infirmières scolaires), il parait important que de bonnes liaisons préalables et continues s’établissent entre ces derniers et l’équipe hospitalière.

    VI.2 Modalités pratiques

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    VI.2.1 Nombre et rythme des consultations

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    Il n’existe pas d’étude et pas de consensus sur le rythme des consultations à prévoir. Il doit s’adapter à chaque situation. Il est généralement souhaitable que l’adolescent suicidant soit revu rapidement (entre deux et sept jours) après sa sortie de l’hôpital. Le lien thérapeutique avec l'adolescent doit être maintenu aussi longtemps que nécessaire, sur un mode et un rythme souples et adaptés à chaque cas.

    VI.2.2 Le rappel des rendez-vous.

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    Il paraît utile de rappeler les rendez-vous de consultation aux patients lorsqu’ils ne s’y rendent pas, par téléphone, par lettre, voire à l’occasion de visites à domicile réalisées par l’équipe de secteur lorsque cela est possible (28, 63). Une étude réalisée sur 560 suicidants de plus de 15 ans a démontré que le fait de solliciter les patients sur leur lieu de vie pour qu’ils s’inscrivent dans le suivi proposé permettait d’augmenter l’adhésion aux soins et de diminuer le taux de récidive suicidaire sur un an (60). Il n’y a pas à ce jour d’étude ayant porté spécifiquement sur l’efficacité de ces mesures chez des adolescents suicidants.

    VI.2.3 Les interventions psychosociales.

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    Dans les cas où de nombreux indices de détresse persistent, il est utile de favoriser des actions sur le lieu de vie, par exemple par des visites à domicile, des réunions de synthèse avec les éducateurs de foyer, des contacts auprès de la famille (60). Dans certains endroits, diverses structures associatives d’aide aux suicidants peuvent être sollicitées. Les différents intervenants de l'équipe qui assure la prise en charge doivent communiquer entre eux de façon réciproque et répétée, afin d'harmoniser leurs pratiques.

    VI.2.4 Les interventions psychothérapiques.

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    Les actions portant sur le patient et sa famille, sous forme de psychothérapie de soutien, de thérapies cognitivo-comportementales, de thérapies familiales brèves ont démontré leur utilité dans l'amélioration de l’adhésion aux soins, du climat relationnel intra-familial ou de l'adaptation psychosociale des adolescents concernés (55, 57, 58, 68).

  • Un travail psychothérapique dit " de soutien " est très fréquemment réalisé par les psychiatres qui sont amenés à assurer le suivi des adolescents suicidants. Il permet, par une élaboration continue de la problématique de chaque adolescent, d’améliorer la qualité du suivi et de renforcer les liens thérapeutiques. L’intérêt de ce type de suivi fait l’objet d’un accord professionnel.
  • Les thérapies brèves centrées sur la famille visent à diminuer le stress intra-familial et les difficultés de communication, et à améliorer les aptitudes à résoudre les problèmes de chaque membre (66). Ces objectifs sont visés par des interventions sur quelques séances (environ quatre) planifiées hebdomadairement (67). L’efficacité de ces mesures sur le taux de récidive suicidaire n’est pas encore connue.
  • Les interventions psychothérapiques brèves d’inspiration analytique visent à élaborer des hypothèses dynamiques sur le sens de la crise suicidaire, en vue de leur prise de conscience par le patient avant d’éventuelles prises en charge plus élaborées (68).
  • Les techniques cognitivo-comportementales ont fait l’objet d’utilisations adaptées à la résolution des situations de crise et à la prévention des récidives de passages à l’acte. Les objectifs primaires de ces techniques sont d’améliorer les capacités d’adaptation (coping) et de résolution de problèmes, et de diminuer les cognitions négatives que les sujets nourrissent sur leur situation actuelle et future. Dans une récente méta-analyse (59), ces techniques apparaissent comme les seules significativement efficaces, pouvant réduire jusqu’à 50 % le taux de récidives.
  • VI.2.5 Les traitements médicamenteux.

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    L’efficacité de ces traitements sur le risque de récidive suicidaire a été peu mesurée et aucune étude n’a porté spécifiquement sur les adolescents suicidants. De rares études avec des antidépresseurs ont conclu à leur inefficacité sur la récidive (69, 70). De plus, il est reconnu que l’instauration d’un traitement antidépresseur peut parfois réactiver des idées suicidaires dans les premiers jours du traitement, en raison d’une possible désinhibition. En l’absence de preuve suffisante, et par prudence, leur prescription doit être très mesurée.

    Par contre, le diagnostic d’un état dépressif caractérisé justifie la prescription d’un traitement antidépresseur, en raison du risque important de récidive dans cette pathologie et du risque de dépression chronique et résistante (40, 71). En cas de risque suicidaire avéré ou suspecté, des précautions doivent être prises : choix de produits à faible toxicité en cas d’absorption massive, premières prescriptions pour des durées limitées, association à un anxiolytique dans les premiers jours, consultations rapprochées.

    Dans sa méta-analyse des différents types de suivis des suicidants, Hawton (64) a conclu qu’il n’existait pas d’orientation thérapeutique ayant formellement démontré son efficacité pour diminuer le taux des récidives suicidaires. Il faut souligner que le seul critère d’efficacité pris en compte était la récidive suicidaire, critère qui, bien que prioritaire, ne doit pas éluder les autres variables psychologiques et sociales qu’il faut améliorer.

    VII Conclusion

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    La prise en charge des adolescents suicidants doit reposer sur des principes fondamentaux de travail en équipe pluridisciplinaire, de stabilité et de disponibilité de l’équipe et du cadre thérapeutique, de continuité des soins, de souplesse et d’adaptation individuelle de la prise en charge. Les disparités existant en France dans les moyens concernant les soins aux adolescents suicidants imposent une réflexion et l’élaboration de stratégies adaptées tant au niveau national qu’au niveau local, non pas pour viser à une uniformité des lieux et des équipes de soins, mais pour permettre à chaque adolescent en détresse de trouver effectivement des réponses reposant sur des principes fondamentaux de qualité et de spécificité des soins.

    Une bonne identification préalable des équipes et des acteurs, dans les établissements de soins comme en ville, est indispensable pour permettre une prise en charge et une évaluation systématiques des adolescents suicidants.

    Des actions de formation et des moyens supplémentaires au niveau des équipes susceptibles d’accueillir des adolescents suicidants ; notamment dans les services d’urgence, doivent être déployés pour permettre une mise en œuvre satisfaisante des présentes recommandations.

     

    Annexe 1 : Parametres reperes par l’echelle d’intentionalite suicidaire de Beck

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      Circonstances objectives de la TS

    1. Isolement

    Une personne était-elle présente, ou a-t-elle été jointe par téléphone par le suicidant ? 

    2. Gestion du temps

    La TS a-t-elle été planifiée de manière à ce que le patient ne puisse pas être découvert ?

    3. Précautions prises pour ne pas être découvert

    Par exemple, TS dans une pièce fermée à clé

    4. Dissimulation de la TS aux personnes présentes

    Le sujet a-t-il évoqué sa tentative lorsqu’il a été sollicité ?

    5. Actes réalisés en prévision de la mort

    Par exemple, changements de projets, cadeaux inhabituels

    6. Préparation de la TS

    Un scénario suicidaire a-t-il été réalisé ?

    7. Intention écrite de TS

    Le patient a-t-il laissé des messages écrits au préalable ?

    8. Communication verbale de l’intention suicidaire

    Le patient en a-t-il parlé ouvertement au préalable ?

    9. But de la tentative

    Y avait-il une intention de disparaître ?

    Propos rapportés par le patient

    10. Attentes par rapport à la létalité du geste

    Le patient pensait-il qu’il allait mourir ?

    11. Appréciation de la létalité de la méthode employée

    Le patient a-t-il utilisé un moyen plus dangereux que ce qu’il croyait être ?

    12. Gravité perçue du geste suicidaire

    Le patient pensait-il que ce geste suicidaire était suffisant pour mourir ?

    13. Attitude ambivalente par rapport à la vie

    Le patient souhaitait-il réellement mourir ? Ou seulement fuir, ne plus penser ?

    14. Perception de l’irréversibilité de l’acte

    Le patient était-il persuadé de mourir malgré d’éventuels soins médicaux ?

    15. Degré de préméditation

    Le geste a-t-il été impulsif ou a-t-il succédé à plusieurs heures de réflexion à son sujet ?

    16. Réaction à l’issue de la prise en charge

    Le patient regrette-t-il d’être en vie ?

    17. Représentation de la mort

    La mort est-elle représentée de façon positive ?

    18. Nombre de TS antérieures

    Y a-t-il eu dans le passé plusieurs TS ? Ont t-elles été rapprochées ?



    Dernière mise à jour : lundi 21 juin 1999 14:14:57

                                             

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