Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir

Conférence de consensus qui s'est tenue à Paris les 6 et 7 novembre 2003 organisée par

Fédération Française de Psychiatrie
selon la méthodologie de l’ANAES
avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

Sociétés Partenaires : Sociétés Francophone de Médecine d'Urgence, INAVEM, Société Française de Pédiatrie, Collège National des Généralistes Enseignants


Comment reconnaître une maltraitance sexuelle récente chez l'enfant de 0 à 3ans ?

Georges Picherot*, Laurence Dufilhol-Dréno*, Martine Balençon**, Nathalie Vabres**

* Urgence et clinique médicale pédiatrique CHU Nantes 44093
** CASED et service de Pédiatrie CHU Rennes 35056 Rennes

georges.picherot@chu-nantes.fr

Le diagnostic d'agressions sexuelles est évoqué plus facilement et fréquemment chez le grand enfant et l'adolescent. Notre expérience clinique et les études épidémiologiques nous montrent qu'elles existent aussi chez le petit enfant de moins de trois ans. Mais comment évoquer le diagnostic à cette âge ? Comment comprendre leurs histoires souvent sans parole ? Pour approcher ce diagnostic nous aborderons successivement trois aspects : les circonstances habituelles de révélation ou d'évocation de ce diagnostic, la parole et les troubles du comportements secondaires, l'examen clinique et ses difficultés.

Dans quelles circonstances ?
Les enfants de moins de trois ans sont amenés le plus souvent par leurs parents ,plus rarement sur demande d'un travailleur social ou plus pour une expertise juridique . Leur langage a pu révéler ou inquiéter l'entourage parfois le changement de leur comportement.[1]
Le diagnostic peut se faire dans un contexte environnemental d'agressions sexuelles : révélation d'un frère ou d'un plus grand. C'est parfois aussi l'enquête autour d'un abuseur ou du comportement anormal des parents.[1-2- 3-4]
L'évocation à cet âge tourne souvent autour du mode de garde : doute sur le comportement ou sur des anomalies cliniques au retour d'une garde au domicile d'une nourrice ou plus fréquemment situation-type de suspicion du conjoint dans le cadre des séparations parentales. [5-6]
Le diagnostic peut être évoqué dans des circonstances d'anomalies cliniques : découverte par les parents ou par le médecin de lésions périnéales suspectes ou de conséquences de l'agression sexuelle à type de maladie sexuellement transmissible malgré l'âge.[ 4]
L'examen de l'enfant peut être comme à tout âge sur ou hors réquisition judiciaire

La parole et histoires sans paroles.
Elle est parfois informative malgré l'âge en fonction du développement cognitives et langagières. « Un jeune enfant de deux ans peut rapporter un abus sexuel directement et clairement » [6] .Les mots sont simples corrélées aux possibilités de l'enfant . Ils désignent parfois l'acte d'agression, parfois la douleur et l'angoisse secondaire . Ils sont dits souvent dans des circonstances particulières : bains , change , parfois lors d'un examen clinique l'enfant montrant la région agressée.
Souvent c'est une histoire sans parole et ce sont les conséquences indirectes sur le comportement de l'enfant qui pourront évoquer le diagnostic. La perception subjective de la mère évoquera le changement récent . Beaucoup de signes ont été décrits comme de véritables indices [5 ]. Ils traduisent souvent les conséquences du traumatisme récent. [7]:
- la peur : agitation , irritabilité , troubles du sommeil , cauchemars ,hurlement en face de situation similaires, sensation d'insécurité
- la signes régressifs : refus de séparation des parents , perte d'acquisitions de développement Š.
- rappels douloureux : refus de change , refus d'examen
- expressions somatiques : douleurs abdominales, anorexie , gêne à la déglutition
- expressions indirecte du traumatisme génital et périnéal : régression de propreté , constipation ou apparition d'encoprésie , troubles mictionnels révélés parfois par des infections urinaires allant jusqu'au syndrome d'Hinman ou dysfonctionnements vésicaux graves décrits chez l'enfant plus grand mais sûrement méconnu à cet âge [8]
- les maladies sexuellement transmissibles malgré l'âge seront évoquées au chapitre de l'examen clinique
- hémorragie génitale
- comportement sexualisé : masturbations compulsives , jeux sexuels précoces ou gestes sexualisés de l'enfant sur l'adulte ou un autre enfant
- comportement d'agressivité inhabituel à cet âge même avec des personnes proches.
Que l'enfant parle ou que l'histoire soit révélée par ses conséquences comportementales , une méthode rigoureuse s'impose dans l'accueil de l'enfant et dans l'interprétation de ses expressions.[ 1-9-6]
L'adulte premier confident doit pouvoir trouver un professionnel expérimenté dans les 2-3 jours qui suivent la révélation. L'écoute de l'adulte et de l'enfant doivent se faire en des temps séparés même à cet âge.[6]
En aucun cas le médecin ne doit mettre en présence l'enfant et l'adulte suspecté même pour observer les réactions de l'enfant.
Le recueil de la parole de l'enfant se fait dans les conditions les plus neutres possibles donc les moins suggestives comme à tout âge . La valeur prédictive de la parole de l'enfant n'est pas liée à l'âge [ 10].
L'interprétation de la parole de l'enfant se fait en fonction de son développement affectif et cognitif. La mémoire des détails est instable . La perception du temps est plus événementielle que chronologique. Beaucoup d'expressions temporelles n'ont pas de signification à cet âge [9 ].Les facteurs affectifs sont également importants . La peur de l'enfant par rapport aux situations vécues mais aussi les conditions d'accueil non adaptée à l'âge peuvent inhiber toute expression .
Les comportements sexualisés précoces de l'enfant ne sont pas à eux seuls une preuve d'agression .Avant trois ans il peut exister des « périodes d'intense masturbation »sans passé d'agression sexuelle . La curiosité sexuelle des petits enfants est très développée[4].
Les stratégies d'évaluation de la validité des déclarations décrites par Yuille ne sont pas applicables à cet âge.[11]
La répétition des questions et des situations d'interrogatoire ou d'investigations expose encore plus à cet âge aux erreurs d'interprétation . C'est un argument important pour les défenseurs des stratégies d'auditions filmées[4]. Aucun des signes décrit comme une conséquence du traumatisme n'est à priori spécifique de l'agression sexuelle et c'est leur association au contexte qui évoquera le diagnostic.
Les circonstances de l'abus amènent à un discernement différent des troubles du comportement de l'enfant par sa famille . Les abus extrafamiliaux entraînent une prise de conscience plus précoce des changements de l'enfant.
Les situations d'allégation d'agressions sexuelles dans le cadre de séparations parentales sont de plus en plus fréquentes et difficiles. L'interprétation anxieuse du comportement au retour le dimanche soir ou la confusion avec soin intime nécessaires et agressions peuvent amener à des investigations répétées et traumatisantes .Il existe aussi dans les mêmes situations des réelles agressions sexuelles . [4-6]
Il n'existe pas de moyen d'aide instrumentale à l'évaluation de l'enfant de moins de trois ans .Aucun texte projectif ne permet d'affirmation de l'agression sexuelle [12]. L'utilisation de poupées sexuées est très controversée : à déconseiller dans l'évaluation pour Yuille [11] , utilisables avec beaucoup de précautions d'interprétation et par des experts pour August[13].
Plus encore que pour les enfants plus grands il est rare avant trois ans d'obtenir une parole directe ou un signe comportemental spécifique mais « cet enfant donne à voir et à entendre quelque chose de grave qui le préoccupe »[15] et on doit évoquer la possibilité d'une agression sexuelle.

Les anomalies cliniques
L'examen clinique de l'enfant dans les circonstances d'abus sexuel est quelque soit l'âge difficile pour l'enfant . Son interprétation demande une expertise ce qui évitera d'intolérables répétitions [15].Les fausses interprétations sont fréquentes particulièrement chez le petit enfant.
Cet examen aboutit rarement à des constats d'anomalies. Il est très attendu par les services sociaux ou juridiques pour apporter une preuve objective de l'agression sexuelle. Le travail de Heger analyse avec une méthodologie rigoureuse 2384 dossiers d'enfant et montre que des anomalies cliniques ne sont retrouvées que dans 4% des cas [16].
La consultation s'inscrit dans le cadre d'un examen pédiatrique complet et doit ressembler le plus possible aux consultations habituelles. Elle a plusieurs buts : médico-légal mais aussi de dépister une maladie sexuellement transmissible et de rassurer l'enfant et sa famille sur la normalité du corps ce qui participe au processus de réparation [1].
L'examen peut être vécu par l'enfant comme une deuxième agression s'il n'est pas fait dans des conditions satisfaisantes . Les explications sont nécessaires même à cet âge .On doit utiliser un vocabulaire adapté à l'âge de l'enfant et s'enquérir auprès des parents des mots utilisés pour désigner les parties génitales [5].
L'examen est effectué à cet âge en présence d'un parent non suspecté et d'un autre intervenant . Dans notre expérience le médecin ne doit jamais examiner l'enfant seul. Ceci rejoint les conditions générales d'accueil sur lesquelles nous reviendrons.
L'aide instrumentale à l'examen génital a été discutée : aide d'un colposcope pédiatrique pour améliorer les performances de l'examen ou examen simple Špour certains utilisation systématique d'un vidéo colposcope permettant la discussion des lésions retrouvées .L'aide instrumentale nécessite une expertise[16 ­18]
A cet âge l'examen est plus souvent accepté comme un complément de l'examen pédiatrique global et ne nécessite pas de sédation.
L'urgence de l'examen fait toujours l'objet de discussion .Elle est indiscutable si l'abus date de moins de 48 heures .Entre trois et 15 jours l'examen doit être rapide . Au delà de 15 jours l'examen peut être différé .[ 5]
L'examen physique ne peut être séparé de l'histoire de l'enfant .Les réactions verbales ou les attitudes de l'enfant pendant l'examen seront attentivement notées. Les enfants donnent parfois des informations additionnelles lors de l'examen des organes génitaux [1].

Les constats cliniques peuvent être de trois types
- anomalies cliniques générales
- anomalies périnéales génitales ou anales
- maladies sexuellement transmissibles malgré l'âge ou vulvite suspecte

Les anomalies cliniques générales recherchées par l'examen clinique complet sont des signes traumatiques hors zones génitales traduisant l'association de maltraitance physique associée ou la contention pendant l'agression sexuelle
( hématome des épaules, trace de contention sur les membres, etc..) ou lésion muqueuse buccale.

Les anomalies génitales se recherchent chez la fillette de cet âge en position de décubitus dorsal dans l'attitude dite de la grenouille [5-17].L'enfant de moins de trois ans peut être examiné également assis ou couché sur les genoux d'un accompagnant [5].On observe sans toucher et sans douleur. Des notions précises sur les caractères normaux et les variations anatomiques doivent être connues de l'examinateur.[5-19].Avant trois ans par exemple l'hymen est souvent denticulé avec rebords renflés et épais [5]. Deux man¦uvres simples de séparation traction permettent de bien visualiser l'hymen et la vulve[20]. Les anomalies permettant d'évoquer une agression sexuelle sont semblables aux enfants prépubères[5].
Les organes génitaux des garçons sont examinés par simple inpection.

Les anomalies anales sont recherchées par examen en décubitus dorsal chez le nourrisson ou en procubitus de 18 mois à 2 ans [20].On distinguera par l'examen simple les fissures anales suspectes d'agression des fissures liées aux constipations fréquentes à cet âge et toujours sagittales. L'interprétation des dilatations anales est difficile . La pratiques d'un toucher rectal ,d'une anuscopie voire d'une échographie sont parfois conseillées [17] . Ce ne sont pas des examens anodins dans ce contexte et leurs indications doivent être discutées .

Les maladies sexuellement transmissibles et les vulvites sont parfois des éléments révélateurs des abus sexuels .
Les vulvites sont fréquentes et souvent banales chez la petite fille. Elles sont suspectes par leur répétition , s'il existe un contexte particulier ou si l'on isole un germe de transmission sexuelle. [3-5]
L'analyse des maladies sexuellement transmissibles se fait en fonction de l'âge. La transmission de certains germes est parfois maternofoetale.
On doit suspecter une transmission sexuelle devant
- une gonorrhée après un an
- de trichomonas après 1 an
- d'herpès de type II en dehors de la période néonatale
La présence de Chlamydia , de condylomes à papillomavirus est possible dans cette tranche d'âge par transmission maternofoetale . L'interprétation des sérologies HIV , d'hépatite B , d'hépatite C doit se faire en fonction des sérologies maternelles.[3-5-20-21]
Des prélèvements vaginaux et sanguins sont souvent nécessaires. Ils se font dans les mêmes conditions qu'aux autre âges de la vie. La encore la préparation de l'enfant est nécessaire .L'utilisation d'une analgésie locale pour les prélèvements sanguins est indispensable.

Les conditions de l'accueil de l'enfant de moins de trois ans victime d'agression sexuelle sont primordiales [22]. Elle sont adaptées à l'âge dans tout le parcours que subira cet enfant . L'entretien et l'examen ne doivent pas répéter le traumatisme et la présence permanente d'un tiers adulte neutre ou aidant est indispensable. La répétition des examens est inacceptable [4]. L'examen ne peut se limiter à une expertise technique .L'enfant n'est pas qu'un « abus ».L'équipe pédiatrique d'accueil doit être compétente pour recueillir l'histoire , examiner l'enfant ,faire le diagnostic différentiel avec d'autres causes de troubles du comportement ou des particularités cliniques , demander parfois des examens complémentaires , transmettre les certificats adaptés et s'assurer des suites de la prise en charge de l'enfant[1]. L'évaluation de l'enfant est synchronique et diachronique .Elle intègre l'histoire de l'enfant et de sa famille [23].

Références
1- Guidelines for the evaluation of sexual abuse of children : subject review. Pediatrics 1999;103:186-192
2- Heger A, Ticson L, Velasquez O, Bernier R. Children referred for possible sexual abuse : medical finding in 2384 children. Child abuse & neglect 2002;26:645-649
3- Nathanson M., Muller MH., Belasco C., Dieu-Osika S.,Camard O. Gaudelus J. Les enfants et adolescents victimes d'abus sexuels .Diagnostic et prise en charge.Arch Pédiatr ;5 :84-89
4- Van Gisenghem H ­ L'enfant mis à nu :L'allégation d'abus sexuel :la recherche de la vérité .Montréal Ed 199
5- Frappier JY., Haley N., Allard-Dansereau Cl. Abus sexuels Ed Les presses de l'université. Montréal 1990
6- De Becker E, Hayez JY .L'enfant en dessous de 3 ans maltraité
sexuellement : comment les tout petits parlent d'un abus et comment y faire
face ? Neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescence . 2003 ; 51:105-110
7- Hermouet L .Les abus sexuels :interrogations et positionnement des soignants. Thèse de médecine Nantes 04/2003
8- Garignon C.,Mure PY, Parapel P,Chiche D, Mouriquand P.
Dysfonctionnement vésicaux graves chez l'enfant victime de maltraitance :
Le syndrome d'Hinman Press Med 2001
9-Roussey M, Balençon M La valeur de la parole de l'enfant dans les situations d'abus sexuels. Rev Int Ped 1999 ;9-14
10- Ceci Sj ,Ross DF , Toglia MP .Age differences in suggestibility ; psychological implications. J Exp Psychol Gen 1987 ; 117 :38-49
11- YuilleJC L'entrevue de l'enfant dans un contexte d'investigation
et l'évaluation systématique de sa déclaration in L'enfant mis à nu Ed Méridien Psychologie Montréal1996
12- Jodoin Cl. L'expert et ses outils in Us et abus de la mise en mots en matière d'abus sexuel Van Gijsegehm H ed Méridien Psychologie Montréal 1999
13- August RL , Forman BD A comparison of sexually abused and non sexually abused children 's behavioural responses to anatomically correct dolls .Child Psychiatry and Human Dev ;20: 39-47
14-Hayez JY .Les abus sexuels sur des mineurs d'âge :inceste et abus sexuel extra-familial .Psychiatrie de l'enfant .1992;35:213-215
15-Makoroff K, Brauley J, Brandner A , Myers P, Shapiro R. Genitral examinations for alleged sexual abuse of prepubertal girls : finding by pediatric emergency medicine physicians compared with child abuse trained physicians. Child abuse & neglect 2002 ;26:1235-1242
16-Heger A, Ticson L, Velasquez O, Bernier R. Chilkdren referred for possible sexual abuse : medical findings in 2384 children . Child Abuse & Neglect 2002 ;26: 645-669.
17- Balençon M, Roussey M. Examen et conduite à tenir chez le jeune enfant victime d'abus sexuels. J Pédiatr Puericulture 2000;13:36-42
18- Palusci VJ,Cyrus TA.Reaction to videocolposcopy in the assesment of child sexual abuse. Child Abuse & Neglect 2001;25:1535-1546
19- Mc Cann J,Wells R, Voris S,Voris J .Genital finding in prepubertal girls selected for non abuse: a descriptive study. Pediatrics 1990; 86:428-440
20-Rey C, Chariot P, Alvin P, Werson P. L'examen de l'enfant et de l'adolescent victime d'agression sexuelle . Arch Pédiatr 1998;5:1378-1382
21- Thomas A, Forster G, Robinson A, Rogstad K. National Guideline for the management of sexually transmitted infections in children and young people .Adolescent sexual health .Archives of disease in chidhood.2003;88:303-311
22-- Le praticien face aux violences sexuelles Ed Ministère de la santé Paris 2000
23- Collin-Vezina D, Cyr M . La transmission de la violence sexuelle : description du phénomène et pistes de compréhension. Child Abuse & Neglect 2003 ; 27:489-507

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Dernière mise à jour : vendredi 28 novembre 2003

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