Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir

Conférence de consensus qui s'est tenue à Paris les 6 et 7 novembre 2003 organisée par

Fédération Française de Psychiatrie
selon la méthodologie de l’ANAES
avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

Sociétés Partenaires : Sociétés Francophone de Médecine d'Urgence, INAVEM, Société Française de Pédiatrie, Collège National des Généralistes Enseignants


Comment aborder et traiter les conséquences du traumatisme associé à une maltraitance sexuelle ancienne chez l'enfant et l'adolescent


Dominique FREMY

INTRODUCTION

Le traitement médical des séquelles d'une maltraitance sexuelle ancienne chez l'enfant ou l'adolescent implique la collaboration de plusieurs professionnels :

- le médecin de famille souvent sollicité en premier pour confirmer les révélations de l'enfant et l'examiner à la recherche de séquelles objectives et physiques de l'agression sexuelle.
Il connaît bien l'enfant et pourra témoigner ultérieurement des multiples plaintes somatiques qu'il - le pédopsychiatre ou le psychologue sollicités pour soulager la souffrance psychique qui résulte de la maltraitance sexuelle tant pour la victime que pour son entourage familial.

Lorsqu'il s'agit d'une maltraitance ancienne, la prise en charge repose sur deux processus thérapeutiques qui s'enclenchent simultanément :

- l'un en urgence car il faut donner suite dans les meilleurs délais aux révélations faites par l'enfant ou l'adolescent.

Cet abord thérapeutique comporte un versant médico-légal important avec :
- la rédaction d'un signalement à l'autorité judiciaire ou administrative compétente,
- l'examen pédiatrique médico-légal de la victime à la recherche d'éventuels « marqueurs » de la maltraitance sexuelle même si elle est ancienne (anamnèse à la recherche d'antécédents de maladies vénériennes, examen somatique de la victime).

- l'autre processus s'inscrit dans le temps et consiste à évaluer la pathologie post-traumatique développée par la victime et à proposer une prise en charge psychologique adaptée.

La pratique montre que la thérapie d'un enfant qui a été maltraité sexuellement ­ souvent de façon prolongée ­ nécessite de s'inscrire au sein d'un réseau cela afin d'éviter le phénomène de victimisation secondaire : ce sont les professionnels qui, avec l'accord de l'enfant, doivent constituer autour de lui une sorte de constellation de personnes ressources et non pas l'enfant qui doit être ballotté d'un professionnel à l'autre.

Le thérapeute peut faciliter, en accord avec la victime, le contact qu'il est nécessaire d'établir auprès d'autres professionnels.

Le réseau comporte des partenaires d'appartenances différentes :

- ceux du monde médical qui se partagent entre deux modes d'exercice : libéral ou hospitalier.
L'organisation de la prise en charge des mineurs victimes de maltraitance sexuelle a donné lieu à la création de CAVASEM en milieu hospitalier (Centre d'Accueil des Victimes d'Agression Sexuelle et de Maltraitance).

- ceux de la protection de l'enfance dont les Conseils Généraux sont les principaux représentants. La mise en place de cellules de signalement départementales améliore la réponse aux situations de maltraitance.

- ceux des grandes institutions comme l'Education Nationale.

- ceux du secteur associatif qui ¦uvrent en faveur des mineurs victimes : association d'aide aux victimes, services d'administrateurs ad-hoc,

- ceux du secteur judiciaire amenés à prendre des décisions lorsqu'une procédure pénale est engagée : officiers de police judiciaire, éducateurs auprès des tribunaux, magistrats.

Il est indispensable que chaque partenaire conserve une spécificité d'action, mais qu'il intervienne en connaissance de cause des spécificités des autres partenairesŠ

Il faut éviter de juxtaposer les actions et cela implique un décloisonnement des pratiques que nous illustrerons par un exemple dans notre exposé : celui de l'assistance du mineur victime d'agression sexuelle, au cours de son audition judiciaire filmée, par un professionnel de l'enfance.

Nous insistons sur la nécessaire intervention de la justice dans les situations d'agressions sexuelles dévoilées par les mineurs. Elle est le complément indispensable et indissociable d'une approche thérapeutique efficace.

CONTEXTE D'INTERVENTION

Nous avons créé au sein d'un Intersecteur de pédopsychiatrie, une consultation de victimologie infantile, destinée aux mineurs victimes de maltraitance et d'agressions sexuelles ainsi qu'à leur famille.

Nous recevons essentiellement des mineurs qui viennent de révéler ou révèlent en cours de thérapie des faits d'agression sexuelle dont ils ont été victimes. Il peut s'agir de faits anciens, qui ont cessé, ou de faits qui se poursuivent actuellement.

Notre rôle essentiel consiste à recevoir le mineur victime et sa famille, à évaluer la situation, à prendre les dispositions pour protéger le mineur et à mettre en place une prise en charge thérapeutique adaptée.

Nous nous référons à une approche familiale et systémique que nous avons modélisée pour la rendre opérante dans le contexte des violences sexuelles.

Nous avons développé plusieurs modalités de prise en charge allant de la psychothérapie individuelle, à la thérapie de la fratrie, du couple parental ou encore à la thérapie de groupe proposée aux mineurs victimes.

L'ACCUEIL DU MINEUR VICTIME D'AGRESSION SEXUELLE

La dimension d'accueil est primordiale lorsqu'on prend en charge le public spécifique que représentent les mineurs victimes d'agression sexuelle et leur famille.

C'est la qualité de cet accueil qui va souvent conditionner l'alliance thérapeutique sur laquelle va se fonder notre travail.

Dans le contexte particulier de maltraitance sexuelle ancienne, l'urgence est motivée, non par la survenue brutale de l'événement traumatique mais par les révélations que la victime vient d'en faire.

Il s'agit pour les professionnels de contenir les réactions émotionnelles qu'engendrent ces révélations tant pour la victime elle-même, que pour les membres de sa famille.

On distingue deux temps : l'accueil de la demande ­ souvent téléphonique ­ d'une famille paniquée par la nouvelle du dévoilement.

Ce premier accueil doit être réalisé par un membre de l'équipe thérapeutique, car les premières préconisations peuvent avoir une influence déterminante sur le comportement de l'entourage de la victime.

Il s'agit d'écouter, de rassurer le ou les parents et de contenir le risque de passage à l'acte : l'un des plus fréquents étant celui qui consiste à organiser une confrontation sauvage entre l'enfant et son agresseurŠ.

Cet accueil téléphonique doit donner lieu à un entretien proche dans le temps, auquel la famille ­ couple parental ­ est conviée, avec l'enfant victime. Il peut être utile, avec l'accord de la famille, d'inviter à la première consultation le travailleur social qui l'a orientée vers notre structure.

Lorsqu'il s'agit d'un adolescent, il est parfois lui-même à l'origine du premier contact téléphonique, souvent sur les conseils d'un camarade de collège ou de lycée qui nous connaît déjà.

Il parait important de respecter l'anonymat de cet adolescent s'il le souhaite, de lui proposer une consultation sous X, en particulier s'il a avec l'auteur un lien de filiation (père - grand-père). L'adolescent peut se sentir rassuré d'être reçu en compagnie du camarade auquel il s'est confié. Là encore, le thérapeute doit être conscient de la fragilité de la demande, du risque de passage à l'acte suicidaire qui l'accompagne et doit donc faire preuve de disponibilité en étant capable de rencontrer l'adolescent, y compris dans un autre lieu que celui de son exercice habituel (infirmerie du lycée, café, etc.). Passé ce stade de mise en confiance, proposition sera faite à l'adolescent d'être reçu seul.


Les révélations, même si elles concernent des faits anciens, ont souvent été provoquées par un événement extérieur qui réactualise l'événement traumatique de l'agression et qui rompt les aménagements défensifs auquel l'adolescent était parvenu.

L'accueil téléphonique permet au thérapeute d'évaluer l'urgence de la demande, de mettre en ¦uvre une stratégie de soins : la ligne directrice sera de protéger l'enfant et de conseiller les parents dans ce sens.

Il est préférable de rencontrer la famille avant le dépôt de plainte. En effet, les parents peuvent être associés au signalement que la structure adresse et ainsi disposer de temps avant d'aller porter plainte.

Il faut éviter que le dépôt de plainte se fasse dans le passage à l'acte et lui donner valeur d'une démarche qui témoigne à l'enfant la volonté de ses parents de le croire et de le protéger de son agresseur.


L'accueil réalisé lors de la première consultation doit être rassurant et contenant. Les parents sont conviés au premier entretien avec l'enfant victime. Lorsqu'il s'agit d'un adolescent, nous lui laissons le choix de venir seul, ou accompagné d'un adulte y compris extérieur à sa famille.

Le premier entretien se déroule en deux temps. Il s'agit d'un entretien semi directif, conduit par deux thérapeutes dont celui qui a assuré l'accueil téléphonique.

Le premier temps de l'entretien est consacré à l'écoute des parents, l'enfant n'y assiste pas, il est installé dans une pièce voisine.

Nous demandons aux parents de nous relater les circonstances des révélations et leurs réactions lorsqu'ils en ont eu connaissance.
Le premier entretien est consacré à l'écoute des parents. Nous leur demandons de nous relater les circonstances des révélations et leurs réactions lorsqu'ils en ont eu connaissance.

Nous favorisons ainsi l'expression de leur angoisse et les aidons à rétablir une fonction de pare-excitation auprès de leur enfant (1).

Cette première approche va nous donner des indications sur le contexte familial et sur la capacité des parents à « métaboliser » l'événement traumatique. Il nous permet de faire un premier bilan des ressources familiales.

Lorsqu'il s'agit d'une agression sexuelle intra-familiale, l'auteur des faits peut avoir un lien étroit avec l'un des parents de la victime : les révélations vont remettre en cause de façon radicale les alliances intra-familiales.
Cela va se manifester par l'ambivalence du parent de même appartenance familiale que l'auteur : cette ambivalence peut s'exprimer par des hésitations sur la conduite à tenir, des difficultés à entendre et à croire la victime ; elle peut aller jusqu'au rejet et à l'exclusion de la victime qui devra attendre l'adolescence ou l'âge adulte pour être en mesure de faire une démarche autonome.

Dans d'autres circonstances, on assiste à des révélations en cascade : à celles de l'enfant peuvent succéder celles de l'un de ses parents, victime du même auteur, ou celles de ses frères et s¦urs.

Ces situations, qui ne sont pas rares, vont considérablement compliquer la prise en charge de la victime : l'étayage parental, mis à mal, devra être renforcé, soit par l'intervention d'une équipe de soin (ce peut être le cas lors d'une hospitalisation de jour de l'enfant en pédopsychiatrie), soit par un placement momentané de l'enfant en famille d'accueil.

On doit donc, dans l'entretien avec l'enfant, prendre en compte, non seulement les conséquences du traumatisme de la maltraitance sexuelle sur l'enfant mais aussi les conséquences des révélations différées de cette maltraitance sur l'organisation familiale.

Enfin, nous terminons l'entretien consacré aux parents en vérifiant avec eux le circuit de la demande, quelles sont leurs attentes vis à vis de nous.
Nous constatons souvent que l'enfant a déjà été reçu par plusieurs médecins, qu'il a été examiné ou questionné à de multiples reprises.
Nous informons la famille de notre position déontologique et de notre obligation de protéger l'enfant par un signalement à la justice, si cela n'a pas déjà été fait.

A l'issue de l'entretien avec les parents et dans un second temps, nous recevons l'enfant seul ; nous nous présentons à lui et lui expliquons notre rôle, il est à noter que les enfants que nous recevons sont souvent dans un état de grande confusion, généré par leurs propres parents. Ils sont amenés en consultation sans que le motif leur ait été énoncé clairement et dans un contexte dont ils perçoivent l'atmosphère dramatique sans toujours en comprendre la raison.

Nous le rassurons et faisons connaissance avec lui en prenant soin de nous adresser d'abord à lui comme à un enfant plutôt que comme à une victime.

Nous n'abordons pas l'événement traumatique dans son contenu, mais nous nous intéressons à ce que les révélations de cet événement ont suscité comme réactions : l'enfant victime est souvent plus apte à décrire les émotions des autres que les siennes propres.

Cette phase initiale permet d'établir la confiance avec l'enfant et nous donne des indications sur sa perception de la situation.

Lorsqu'il s'agit de faits anciens, l'enfant est plus soucieux de la crédibilité que ses parents vont accorder à ses dires que du préjudice qu'il a subi ; il vit parfois depuis plusieurs années avec ses blessures et la levée du secret qui accompagne les révélations marque une période de répit, un soulagement.

Si l'enfant a reçu l'assurance d'être crû, il est plus aisé d'aborder avec lui le récit de l'agression sexuelle. Afin de respecter son rythme et d'exercer une fonction contenante, nous nous contentons, lors de ce premier entretien, de lui faire relater le processus du dévoilement : contexte dans lequel il a eu lieu, personne dépositaire des révélations et contenu de ces révélations.

Lorsqu'il s'agit d'une agression sexuelle ancienne, le processus des révélations est essentiel à identifier.
Son déclenchement est souvent lié à des changements dans la vie du sujet ; l'enfant a pu être placé dans un internat et se sentir en sécurité ou il a pu acquérir une norme qu'il ignorait auparavant en discutant avec des camarades, en visionnant un film de prévention.

La personne à laquelle l'enfant va se confier joue un rôle primordial, la plupart du temps elle n'appartient pas au cercle familial mais occupe une position de conseiller ou de confident s'il s'agit d'un camarade.

Lorsque la victime est un adolescent, ce confident s'avère souvent avoir lui-même été victime d'agression sexuelle.

Au moment du dévoilement, l'enfant va vérifier l'effet de ses révélations sur la personne de son choix ; parfois il se rétractera ou imposera à son confident le secret partagé. Dans d'autres cas, l'enfant ne délivrera qu'une partie du récit des événements, testant aussi la réaction de son interlocuteur.

Ce dévoilement progressif permet à la victime de supporter l'impact traumatique de la reviviscence des abus sexuels et de se livrer à une élaboration psychique entre chaque étape du dévoilement. Il lui permet également de mesurer à l'aune des réactions de son confident, celles qu'il suscitera dans sa propre famille.

L'approche thérapeutique qui consiste à s'intéresser au processus de révélations de l'enfant, nous semble moins intrusive. Elle nous permet, lorsqu'il s'agit d'un adolescent venu nous consulter seul d'accompagner la phase ultime du dévoilement, celle qu'il fera à ses parents et d'évaluer s'il existe un danger résiduel.

Nous valorisons le courage de l'enfant à rompre un secret mortifère.

A l'issue de ce premier entretien, nous concluons par un temps parents/enfant au cours duquel nous réaffirmons en leur présence la volonté des parents de protéger leur fils ou leur fille.

Quelle que soit l'ambivalence des parents, cette affirmation est contenante car rarement remise en cause. Elle nous permettra d'en décliner des modalités de mise en ¦uvre très différentes d'une situation à l'autre : enfant confié à une famille d'accueil, intervention d'une travailleuse familiale, d'un éducateur du juge, hospitalisation d'un parent, etcŠ

Lorsqu'il s'agit d'un adolescent, les révélations de faits anciens d'agression sexuelle se font souvent dans un contexte psychopathologique plus aigu : il peut s'agir d'un épisode dépressif avec isolement, état de prostration, absentéisme scolaire, ou d'une période d'anorexie mentale alternant avec des conduites boulimiques. Le dévoilement peut s'accompagner d'un passage à l'acte tel qu'une tentative de suicide, des conduites d'automutilation avec scarifications, des comportements addictifs aigus.
Ces comportements à risque peuvent justifier une hospitalisation de l'adolescent en psychiatrie.

L'entretien avec l'adolescent doit tenir compte du risque de passage à l'acte et tenter de le contenir.

L'adolescent sera reçu seul à sa demande, mais nous aurons toujours le soin de mettre en place autour de lui d'autres acteurs : certains de son choix, d'autres parmi les professionnels avec lesquels nous travaillons en partenariat (infirmière du lycée, etcŠ). En effet, il est plus difficile pour un adolescent de faire appel à ses parents et cette démarche nécessite du temps, voire une aide thérapeutique.

Dans notre expérience, les révélations d'adolescent sont souvent motivées par des sentiments altruistes (identification à la victime) : ils découvrent par exemple que leur frère ou leur s¦ur est à son tour victime d'agression sexuelle au sein de la famille et trouvent le courage de dénoncer pour lui ce qu'ils ont supporté en silence.

Là encore, nous incitons l'adolescent à nous faire part de ses craintes, à nous décrire les interactions au sein de sa famille et nous n'abordons qu'après ce préalable le récit de sa propre agression.

Nous associons autant que possible l'adolescent à la démarche de signalement judiciaire. Nous constatons que malgré le désir de justice que peut éprouver l'adolescent, c'est souvent lui faire violence que de l'envoyer lui-même porter plainte.

C'est pourquoi nous préférons lui proposer d'adresser lui-même un courrier au Procureur, courrier que nous compléterons par des informations dont le Parquet a besoin pour prendre une décision. Nous soulignons en particulier les éléments de vulnérabilité dont nous avons connaissance et notre avis sur la capacité de l'adolescent à supporter une audition.
Comme l'autorise la loi du 17 juin 1998, nous proposons éventuellement que l'adolescent puisse bénéficier d'une assistance par un professionnel de l'enfance au cours de son audition filmée (pratique en cours depuis dix ans dans le ressort du Tribunal de Grande Instance de Besançon).

TRAITEMENT D'UNE MALTRAITANCE SEXUELLE ANCIENNE

Les modalités thérapeutiques que nous utilisons avec les enfants victimes d'agression sexuelle se réfèrent à une approche de thérapie familiale systémique.

Nous consacrons plusieurs séances de thérapie à reconstituer avec les parents l'histoire familiale : l'enfant assiste à ces séances et y participe activement en fonction de son âge.

Nous utilisons un outil spécifique qui est la rédaction d'un génogramme. (2)
Ce génogramme servira de support imagé durant toute la prise en charge, que ce soit pendant les entretiens familiaux ou lors des entretiens individuels avec l'enfant.
Il constitue dans la thérapie une sorte d'objet transitionnel ou « d'objet flottant ». (3)

Le génogramme, représentation symbolique de la famille, permet à chacun des parents d'évoquer son histoire personnelle, puis la rencontre avec son conjoint et les étapes importantes de la vie familiale.


Le génogramme est précieux pour repérer les dysfonctionnements générateurs de répétition de la maltraitance au sein d'une même famille : secrets entourant la filiation, abandon ou placement d'un membre de la famille, décès par suicide, maladie mentale.

Le génogramme est facilement abordable, y compris pour de jeunes enfants : il leur permet de visualiser les frontières générationnelles, de décrire et d'identifier les liens qui unissent les membres d'une famille recomposée.

La construction du génogramme favorise l'expression d'émotions souvent refoulées par les parents et l'enfant s'autorise des commentaires ou des interrogations qu'il avait jusque là tenus secrets.


La prise en charge s'organise ultérieurement en plusieurs axes thérapeutiques :

- des axes familiaux reposant sur un encadrement de la fonction parentale et sur une thérapie de la fratrie,
- des axes individuels avec propositions de suivi psychothérapique pour chacun des parents et pour les enfants qui le nécessitent.

Nous constatons que ce contexte de prise en compte de l'ensemble de la famille, facilite l'accès au soin pour certains parents, eux-mêmes très en souffrance, mais qui refuseraient d'aller consulter un thérapeute individuellement dans d'autres circonstances : nous mobilisons leurs ressources personnelles dans l'intérêt de leur enfant, ce qui est moins culpabilisant pour eux qu'un jugement porté sur leurs compétences parentales.

La thérapie de la fratrie va permettre à l'enfant de révéler ce qu'il a subi à ses frères et s¦urs : ce que très souvent ils ignorent. Cette première étape est essentielle car elle donne un autre éclairage au reste de la fratrie sur le comportement perturbé de l'enfant victime.

L'espace de parole mis en place pour la fratrie va permettre de confronter des ressentis différents, va favoriser l'individualisation au sein d'un groupe qui peut être fusionnel ou soudé par une loyauté à la règle du silence.
Dans certains cas, d'autres membres de la fratrie vont révéler à leur tour, avoir été victimes du même auteur.

L'enfant sera repositionné comme victime et non pas comme responsable du désordre ou de l'éclatement familial provoqué par ses révélations.

La fonction parentale a besoin d'être soutenue car lorsque l'agresseur et un membre de la famille, le parent sera tenté de privilégier d'anciennes alliances au sein de sa famille d'origine au détriment de son enfant.

L'événement traumatique révélé par l'enfant peut raviver un conflit conjugal et mettre en péril la capacité des parents à protéger leur enfant.
Il peut aussi déclencher une séparation du couple parental lorsque l'auteur est l'un des parents.

Il faut entendre l'ambivalence des parents, la laisser s'exprimer et ne pas être trop directif, de peur de rompre l'alliance thérapeutique. Par contre, des mesures devront être prises pour protéger l'enfant si cette ambivalence l'expose à des représailles ou à des pressions de la part de son agresseur.

Cette phase du travail est délicate lorsqu'elle survient avant le déclenchement de la procédure judiciaire, car la famille est tentée d'exercer sa propre loi, aggravant le risque de victimisation secondaire de l'enfant.

Le suivi individuel de l'enfant victime d'agression sexuelle est une composante indissociable de la thérapie familiale. Sa durée est variable d'une situation à l'autre et ses modalités vont de la psychothérapie individuelle à l'accompagnement thérapeutique.

Le dévoilement de faits anciens s'accompagne pour l'enfant d'un certain soulagement et peut donner lieu à des modifications spectaculaires de son comportement : enfant plus disponible, apaisé, reprenant goût aux activités, aux apprentissages.

Par contre, on assiste dans les semaines qui suivent malgré la délivrance que représentent les révélations, à une sidération persistante des affects, à la réapparition d'une symptomatologie psychosomatique, à l'expression de troubles psychoaffectifs exacerbés : dépendance accrue envers les adultes, conduites régressives liées à une peur de l'abandon.

L'enfant a du produire de multiples efforts, d'une part pour dévoiler les actes d'agression auxquels il a été soumis, d'autre part pour donner des détails sur la réalité des faits lorsqu'il a été entendu par la justice.
Cette étape est indispensable mais ne tient pas compte du vécu singulier de l'enfant.

Le travail du thérapeute va s'attacher à identifier les ressentis, les émotions du sujet, à accepter des représentations qui ne correspondent pas toujours aux siennes : il s'agit fréquemment de l'amour que l'enfant porte à son abuseur s'il appartient à sa famille.

Nous devons également nous intéresser au mécanisme d'emprise exercé par l'auteur sur sa victime (4).

C'est l'efficacité de cette emprise qui explique parfois le temps prolongé nécessaire à l'enfant pour révéler les faits.

La nature de l'emprise est très différente d'une victime à l'autre mais le processus est souvent le même : tant qu'il n'est pas désamorcé, il peut maintenir la victime à la merci de son agresseur, voire l'exposer à d'autres violences si elle rencontre des personnes utilisant le même scénario. Il s'agit donc pour nous de transformer ces enfants survivants en adultes capables de discernement pour eux-mêmes et leurs enfants à venir, de ne pas céder au fatalisme de la répétition (5).

La tâche peut être délicate lorsque les faits d'agression dévoilés par l'enfant apparaissent bénins, que leur connotation sexuelle n'est pas évidente : le traumatisme développé peut sembler disproportionné. Il s'agit de situations difficiles à gérer car l'enfant est digne de foi, mais l'événement est minimisé ; de plus lorsque la justice est saisie, elle ne dispose pas d'éléments constitutifs suffisants pour mettre l'infraction en évidence et pour donner suite au dossier.

Cette non adéquation entre l'expression clinique majeure du traumatisme et la gravité des faits qui semble minime pour la famille et la justice, peut être à l'origine de passage à l'acte suicidaire chez la victime.

Enfin, l'un des obstacles que nous rencontrons en thérapie individuelle, concerne autant l'enfant que l'adolescent : ce sont des troubles de la mémoire majeurs, invalidants qui affectent des pans complets de l'histoire personnelle de la victime et contribuent à provoquer des troubles de l'identité.
Ces amnésies lacunaires ont une fonction défensive et doivent être levées avec précaution.

Il s'agit de rétablir un lien de temporalité pour le sujet et un continuum dans son histoire personnelle. Nous nous aidons pour cela du génogramme, de photos et d'écrits demandés à la victime, sorte de journal intime rétrospectif.

Cette étape de la thérapie est délicate car la victime est soumise à une recrudescence des scènes de reviviscence liées au traumatisme, véritables flashes qui surviennent, y compris dans la journée.

Dans la thérapie individuelle des adolescents, la prise en compte du corps est essentielle : il leur inspire souvent du dégoût, le sentiment d'avoir été sali par les abus sexuels subis. L'adolescent cache son corps, le rend difforme sous l'épaisseur des vêtements ou le stigmatise par des scarifications. L'agression sexuelle a fait irruption, a rompu la continuité de l'enveloppe corporelle et la thérapie doit mettre en ¦uvre des modalités spécifiques.

Ainsi, on peut prescrire à des adolescents qui présentent des douleurs liées à une hypertonie des muscles du rachis, des séances de massage chez un kinésithérapeute.

La durée de la thérapie individuelle est fonction des ressources de l'enfant et de sa famille.

Cette thérapie peut se doubler d'un accompagnement thérapeutique dont les temps forts seront rythmés par la procédure judiciaire. Nous accompagnons régulièrement les enfants ou les adolescents au Tribunal, que ce soit au Tribunal Correctionnel ou que ce soit en Cour d'Assises.

Le procès est attendu par la victime, parfois assorti d'illusions ou de croyances quant à son dénouement. L'enfant victime éprouve le besoin d'être crû lorsqu'il révèle son agression et encore plus le besoin que son agresseur reconnaisse les faits : cette reconnaissance marque souvent un tournant décisif dans la thérapie car elle redonne à l'enfant victime un statut de sujet, elle l'autorise à penser, à se tourner vers de nouveaux intérêts.

Notre accompagnement favorise le témoignage de l'enfant lorsqu'il en est capable : il ne s'agit pas de lui faire répéter une fois de plus ce qu'il a subi mais de lui donner l'occasion de s'adresser à son agresseur ou aux jurés, avec la protection vigilante des adultes.

Cet exercice difficile est réalisable lorsqu'un partenariat existe avec les magistrats.


Parallèlement aux modalités thérapeutiques traditionnelles, individuelles ou familiales, la thérapie de groupe présente un intérêt particulier pour les victimes d'agression sexuelle

L'EXPERIENCE DU GROUPE DE JEUNES FEMMES VICTIMES D'INCESTE :
(Elodie BOREY, psychologue clinicienne)

Modalités de fonctionnement :

La naissance du groupe est directement liée à la demande d'une adolescente victime d'inceste. Alors qu'elle travaille sur son histoire personnelle depuis plusieurs mois, elle fait part à la thérapeute de son sentiment d'avoir - lors des agressions ­ « traversé le miroir » et vécu une expérience non communicable. Elle se décrit comme une extra-terrestre et imagine comme seul lieu d'échange possible une rencontre avec d'autres adolescentes « victimes tout comme elle ».

Cette réflexion remet en question le suivi individuel proposé. Ce questionnement va être modélisé par l'équipe qui développera en décembre 2000, une indication de prise en charge spécifique : le groupe.

Il s'agit d'un temps de rencontre pour cinq à sept participantes, un samedi par mois durant deux heures. Le groupe est animé par deux thérapeutes et se déroule dans une vaste salle ou les fauteuils sont disposés en cercle.

Chaque participante est invitée à prendre la parole et à faire partager son vécu. Chaque thème abordé est repris collectivement par la suite.

Le groupe couple les règles des entretiens individuels (invitations à parler de ses difficultés, confidentialité du contenu des entretiens) à des règles spécifiques (écoute et respect de la parole ou du silence de chacun notamment).


Repères et constats :

Une part importante du travail des thérapeutes est de favoriser les interactions entre participantes et l'expression des ressentis. En fin de groupe, un temps est réservé à un « retour » sur les échanges ; sorte de « sas de décompression » pour les participantes.

Les thèmes les plus fréquents sont :
Þ l'incompréhension du monde environnant concernant les victimes d'abus sexuels,
Þ le déroulement de la procédure judiciaire et son incidence dans la vie personnelle de ces jeunes femmes,
Þ la demande que « justice soit faite ».

D'autres apparaissent en filigrane au sein du groupe :
Þ l'image d'un corps sali, détruit, honteux, engendrant de grandes difficultés sexuelles au sein d'un couple,
Þ la peur d'être soi-même violent,
Þ l'ambivalence dans le lien à la famille et les difficultés d'autonomisation.

Le groupe est pour chaque participante une nouvelle expérience réactualisant une représentation du groupe primaire : la famille. Les travaux d'Anzieu nous semblent être de précieux outils dans l'élaboration du travail de groupe : « L'expérience de groupe vécue par les enfants dans la famille est une des sources inconsciente de leurs représentations groupales ultérieures ; elle leur apporte l'expérience princeps des identifications narcissiques et des projections de partie de soi dans une entité commune (6)».

Le groupe réactive une demande de reconnaissance du vécu. Pour que cette reconnaissance opère, il semble nécessaire que soit validé dans un premier temps le sentiment d'un vécu identique. Il n'est pas rare d'entendre dans les premiers temps du groupe une participante le verbaliser par une phrase du type : « je crois m'entendre ». C'est l'illusion groupale dont parle Anzieu : l'organisation d'un groupe autour d'un fantasme structurant mis en commun.

Les premières « confrontations » à l'intérieur du groupe se développeront en parallèle avec le thème de la famille. Deux vécus extrêmes s'opposeront : d'un côté l'appartenance à une famille idéale qui aurait de « tout temps » entendu la plainte et pris en compte la souffrance du sujet, de l'autre l'insuffisance d'une famille sourde à la douleur, abandonnant la jeune femme à ses angoisses.

Ces liens, marqués par le tout ou rien représentent le clivage du sujet et constituent des mécanismes de survie qui ont pour but de préserver un espace inviolable.
Le clivage est à l'image de la dissociation entre corps et pensée qui s'est mise en place lors de l'agression.

L'expression de vécus psychiques opposés permet aux participantes de se questionner mutuellement, de faire l'expérience du conflit et d'acquérir une vision plus nuancée, moins clivée, du fonctionnement de leur famille.


CONCLUSION :

Les apports du groupe nous semblent être multiples :

- permettre de poursuivre un travail personnel qui aurait pu être interrompu sans l'apport du groupe,
- favoriser chez certaines victimes la décision d'engager une procédure judiciaire dans le délai imparti par la loi de 1998 (soit jusqu'à l'âge de 28 ans). C'est d'ailleurs souvent l'approche de cette échéance qui motive la consultation de ces jeunes adultes victimes.

Le groupe remplit une double fonction de contenant : à la fois lieu de dépôt des angoisses et lieu d'élaboration. Les éléments déposés sont discutés, repris et travaillés par le groupe au fil des séances, chaque participant peut ensuite se les approprier.

Le groupe permet peu à peu l'émergence de conflits entre participantes et donne accès à une représentation des conflits internes du sujet qui n'ont jamais pu s'exprimer tant sont forts les mécanismes de clivage en jeu.


Le groupe remplit également une fonction d'individuation, de singularisation et de reconnaissance de la place de chacune. Il permet l'expression d'un vécu subjectif qui devient pensable par le sujet dès lors qu'il a pu être partagé.

Le groupe - objet de médiation - constitue ce que Winnicott définit comme étant un espace transitionnel : « un champ d'essai neutre entre les réalités externe et interne ».


BIBLIOGRAPHIE :

(2) ANCELIN-SCHÛTZENBERGER A., (1995) : Aîe, mes aïeux, Ed. EPI

ANZIEU D., MARTIN J.Y., (1968) : la dynamique des groupes restreints, Ed. refondue 1982, Ed. refondue 1990, Ed. PUF, PARIS.

ANZIEU D., (1971) : l'illusion groupale. In : Nouvelle Revue de psychanalyse, 4 : 73-93.

(6) ANZIEU D., (1981) : le groupe et l'inconscient. L'imaginaire groupal. Revue augmentée de 1975. Ed. DUNOD, PARIS.

(1) ANZIEU D., (1985) : le moi-peau, Ed. DUNOD, PARIS.

AUSLOOS G., (1995) : la compétence des familles. Ramonville Saint-Agne. Ed : ERES.

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Dernière mise à jour : vendredi 28 novembre 2003

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