Différentes modalités de soin et d'accompagnement après sevrage à court moyen et long terme, aux niveaux médical, psychologique et social

Dr Xavier LAQUEILLE

Services Hospitalo-Universitaires de Santé Mentale et de Thérapeutique SHU-SM21
Prs LÔO et OLIE. Centre Hospitalier Ste Anne, 75014 Paris-Université Paris V


Introduction

Le thème de cette intervention reflète la difficulté de la prise en charge des toxicomanes : un suivi au long cours pour des sujets alexithymiques méconnaissant les aspects psychologiques de leur dépendance. Sevrés, retrouvant une virginité par rapport aux toxiques, repris par l'illusion d'une possible gestion de leur toxicomanie, ambivalents face à l'abstinence, les drogués ne peuvent pas ne pas rechuter. Seuls les accidents répétés renforcent une motivation aux soins au début ambiguë, ténue, circonstancielle et incertaine, plutôt liée aux contingences de la réalité qu'au sentiment d'aliénation par les toxiques. Le problème du thérapeute sera donc la gestion de cette temporalité, inscrire un immédiat dans une trajectoire et favoriser au maximum l'adhésion au soin par une souplesse, un pragmatisme et un projet médical clair. Les cures à la méthadone sont un modèle de compréhension particulièrement éclairant.

I - Les bases des Traitements de Substitution

Aspects historiques

De tous temps, l'idée d'une délivrance contrôlée de stupéfiants aux drogués existe. Ce concept a trouvé son développement grâce à la méthadone. Synthétisée au cours de la dernière guerre, proposée comme traitement de sevrage opiacé avec de nombreuses rechutes au décours des cures, elle fut utilisée par DOLE et NYSWANDER non pour le sevrage mais à visée substitutive au long cours. Tous deux prescrivent dans un premier temps de l'héroïne avec alors des "sujets anxieux d'horaires d'injection rapprochés, de posologies de plus en plus élevées ; à la phase méthadone de leur étude les patients furent apaisés, purent sortir ; nombreux essayèrent l'héroïne sans y trouver grand intérêt ; beaucoup sont encore sous ce traitement". Les différents termes des cures à la méthadone étaient situés : un produit spécifique, une prise en charge au long cours, un projet thérapeutique. Ce traitement se développa largement aux USA, avec des succès incontestables avant les déconvenues de la fin des années 70 : trafic de méthadone, premier décès à la méthadone en 1978, alcoolisation des drogués, passage à la cocaïne et aux amphétamines, abandon des psychothérapies, violence dans les institutions, chronicisation de la toxicomanie. De nombreux travaux essayèrent alors de mettre en évidence les facteurs du succès des cures. Ceux-ci portent essentiellement sur les posologie et le cadre de soins.

Aspects Pharmacologiques

La méthadone s'est imposée du fait de son originalité. Il s'agit authentiquement d'un opiacé. En prise unique elle a les effets euphorisants de la morphine, en prise régulière elle entraîne un état de dépendance avec syndrome de sevrage à l'arrêt. Ses effets sont bloqués par la Naloxone et potentialisés par les dépresseurs du système nerveux central. La dose léthale (DL50) est de 1 à 1,5 mg chez l'animal, posologie par ailleurs efficace chez le toxicomane. Mais prise de manière régulière, à posologie constante, elle perd ses effets euphorisants et ne perturbe pas la vigilance, tout cela grâce à une demi-vie longue de l'ordre de vingt quatre heures.

Les effets de la méthadone chez le toxicomane

La méthadone à posologie adaptée soigne le syndrome de sevrage opiacé, traite les états dysphoriques anxieux ou dépressifs du sujet dépendant et agit sur l'appétence toxicomaniaque ou craving. De même elle réduit ou annule les effets des opiacés pris secondairement. Le toxicomane sous méthadone est donc apaisé, se présente comme sevré, sans le besoin compulsif de se droguer. Mais une fois sur deux, il continuera à prendre des toxiques. Si la méthadone agit sur les aspects les plus biologiques et comportementaux de la pharmacodépendance opiacée, elle révèle paradoxalement la dimension psychopathologique de cette dépendance. L'intérêt du traitement est d'inclure ce sujet dans un cadre thérapeutique, avec suivi médico psychologique et sous éducatif, d'où l'importance de la rétention dans les programmes de soins dans l'ensemble des études.

II - Les traitements par la Méthadone : une prise en charge globale

1) Le déroulement de la cure

Les posologies sont adaptées selon le confort du patient, apprécié par l'état clinique et les prises opiacées retrouvées dans les urines. Les doses usuelles sont de 80mg + 20mg/j, des posologies supérieures sont possibles. Ce contrôle de délivrance du traitement est dans un premier temps quotidien puis peut s'espacer selon l'évolution clinique et sociale. Les contrôles urinaires sont essentiels au traitement et ont une valeur prédictive face aux rechutes. Les prises de toxiques sont considérées comme nécessaires et ne peuvent être vécues dans un non-dit qui favorise les processus de clivages psychologiques. L'étude de Mac LELLAN est particulièrement démonstrative. 150 toxicomanes ont été pris en charge dans 6 centres de soins spécialisés en toxicomanie, traités par 60mg de méthadone, à travers trois programmes de soin : une délivrance de méthadone sans contrôle urinaire, une délivrance de méthadone avec contrôle urinaire et une délivrance de méthadone avec contrôle urinaire et suivi médico-psychologique. La répartition des sujets se faisait de manière aléatoire entre ces trois programmes de soin. Le taux de réussite était le taux de rétention dans l'étude à 6 mois. celui-ci était respectivement de 20%, 60% et 80%. Cela montre de manière indiscutable qu'un même sujet a une chance sur cinq, ou quatre chances sur cinq de bien évoluer selon la qualité du cadre de soin. Là est toute l'ambiguïté de ce traitement avec la nécessité de soins médico-psychologiques et socio-éducatifs associés qui permettent une authentique évolution du sujet toxicomane. A l'inverse, il ne s'agirait que d'un traitement qui pérenniserait la toxicomanie à travers une espèce de parachute. La compréhension de l'ambiguïté de ce traitement et de son inefficacité en dehors d'un cadre de soin minimum est importante dans une période où la toxicomanie a, en terme de santé publique, un coût. Cette prise en charge nécessite une adhésion du sujet à un projet de soins dans lequel l'abstinence est recherchée. Ce cadre, parfois lourd, doit associer souplesse et fermeté et ne jamais donner lieu à une surenchère qui réveillerait des oppositions massives violentes et justifiées. Le sujet se retrouve en effet en position de dépendance thérapeutique et devra apprendre à se situer dans cette relation sans s'en sentir infantilisé. Les toxicomanes ont rarement l'habitude d'accepter ces situations qu'ils ne peuvent contrôler. Ce paradoxe thérapeutique est le moteur de la prise en charge.

Le suivi psychologique et social

L'évolution psychologique est recherchée. Les traitements de substitution peuvent figer, voire aggraver l'état d'un sujet comme lui permettre une évolution indispensable qui lui permettra une sortie de la toxicomanie. La prise de drogue et le plaisir toxique solitaire sont indispensables au fonctionnement psychologique du drogué. La dépendance et la passivité sont sous tendues d'un vécu de dévalorisation, d'agressivité et de revendication, un sentiment de toute puissance, une méfiance et un besoin de contrôle. Les relations affectives avec l'entourage et l'équipe sont sous le sceau de cette immaturité et seront difficiles. Toutes les insatisfactions relationnelles et la violence sous jacente doivent être exprimées et verbalisées. A défaut notre patient reste dans sa problématique toxicomaniaque. Les prises en charge psychothérapiques structurées sont souhaitables mais rares. La cure type ne peut se mettre en place que progressivement. Parfois seul un soutien psychothérapique individuel sera possible. L'environnement institutionnel doit être thérapeutique et va permettre à ce sujet de se situer face à la loi. Les approches familiales sont souvent nécessaires. Le suivi social et professionnel lui aussi est nécessaire. L'attitude doit être responsabilisante malgré le fantasme de toute puissance thérapeutique créé par le toxicomane. Les évolutions sont longues et expliquent la durée des cures à la méthadone. Cela nécessite des équipes de soins soudées aux intervenants divers, médecins, infirmiers, psychologues, éducateurs et assistants sociaux. Les conflits institutionnels seront sources de rupture de soins et de sclérose évolutive. Chacun doit être totalement à sa place, respecter celle de l'autre, sans jamais le disqualifier. Les attitudes de séduction ou rigides sont contre-productives. Le projet de soins est la rétention dans le programme de soins.

Le Traitement avec complications

Les complications des traitements sont classiques : passage à la cocaïne ou aux amphétamines, toxicomanies médicamenteuses, benzodiazepiniques, alcoolisation. Ces co-dépendances sont liées à une sensibilisation neuro-biologique spécifique des récepteurs qui favorise le passage d'un produit à l'autre, aux problèmes de personnalité et à la recherche de sensation et à l'environnement social. Elles doivent aussi faire évoquer une décompensation dépressive. La dépression est au coeur de la toxicomanie et les drogues, ne l'oublions pas, sont euphorisantes et prohédoniques. Cette dépression peut être la position dépressive du border-line et renvoie aux psychopathologies de l'adolescence. On sait que les troubles dépressifs de l'enfant et de l'adolescent évoluent préférentiellement chez les garçons sur un mode caractériel qui fait le lit de la toxicomanie. La dépression est aussi la conséquence de toute toxicomanie et de la confrontation d'un vécu de toute puissance à la réalité. Il s'agit alors d'un élément essentiel de la demande de soins. Tant que le sujet toxicomane vit dans l'euphorie de la drogue, la demande d'aide n'est que formelle et superficielle. La souffrance dépressive est quasi nécessaire. De même, le sujet abstinent de drogue, comme d'alcool, sevré ou en traitement de substitution d'ailleurs, a un risque sur deux de se déprimer dans l'année. Les troubles dépressifs sous méthadone ont une sémiologie spécifique marquée par le retrait, l'aboulie, l'évitement, l'angoisse, moins par l'irritabilité habituelle des pharmacodépendants. Un symptôme majeur est le réveil de l'appétence toxicomaniaque avec des risques de rechutes. Les chimiothérapies antidépressives sont indispensables, mais acceptées avec réticence et mauvaise compliance. Certains antidépresseurs tricycliques et serotoninergiques ont prouvé leur efficacité dans le craving cocaïnique. Le lithium peut s'avérer utile, l'acamprosate aussi pour l'alcool.

Les pathologies psychotiques

Les troubles de la série schizophréniques sont fréquents mais sous-estimés chez les toxicomanes (10%). Les tableaux cliniques sont remaniés par la pharmacodépendance. Les formes sont essentiellement pseudo-psychopathiques. La mise sous méthadone, qui n'a pas les effets euphorisants de l'héroïne, va réactiver les angoisses dissociatives, exacerber les phénomènes paranoïdes et surtout aggraver l'anhédonie et les symptômes déficitaires masqués par le comportement de recherche des drogues. De ce fait certains auteurs considèrent cette association comorbide comme une contre indication à un traitement de substitution. D'autres pensent que les prises en charge mixtes des deux troubles, souvent en liaison avec des équipes de secteur mental, sont possibles. Dans ce contexte la méthadone peut être d'un apport tout à fait remarquable dans la prise en charge de ses patients. La qualité de la relation thérapeutique et la compliance aux soins sont meilleurs. Les chimiothérapies neuroleptiques sont plus facilement acceptées, la continuité des soins est renforcée.

III - Les alternatives à la cure par la méthadone

1) La buprénorphine

La buprénorphine haute dose (Subutex® ) est un opiacé agoniste partiel partiellement antagoniste au potentiel de dépendance et à la dangerosité moindres que la méthadone. L'historique des traitements de substitution en France, la nécessité d'une utilisation large de ces produits, les nécessités économiques et des raisons syndicales ont amené un cadre d'utilisation très souple de ce produit. Elle peut être prescrite par tout médecin de ville, de préférence affilié à un réseau de soins aux toxicomanes. Comme la méthadone, utilisée dans un projet d'abstinence, elle est fort utile, à l'inverse, elle peut pérenniser la dépendance. Le problème est son utilisation détournée avec usage intraveineux et des associations aux benzodiazepines léthales. Les toxicomanies au Subutexâ sont de plus en plus fréquentes. Si la buprénorphine en sublinguale apparaît comme un traitement de substitution, elle est en intraveineux une drogue de substitution. Cette situation dommageable à un composé utile, s'explique par les pharmaco cinétiques différentes de la buprénorphine en intraveineux et en sublinguale et est liée à cadre d'utilisation trop souple et à des malpratiques médicales.

Pharmacocinétiques comparées de la buprénorphine par voies sublinguale et intraveineuse

Buprénorphine Voie sublinguale Voie intraveineuse
Tmax (Heure)0,7 0,04
Cmax Ng/ml 3,4 37

2) Le L Alpha Acetyl Méthadol

Le L Alpha Acetyl Méthadol (LAAM) est un dérivé a demi-vie longue de la méthadone qui autorise 3 prises par semaine à 80 mg, pour 60 mg de méthadone pro die. Il permet chez certains sujets dit méthabolisateurs rapides, une meilleure imprégnation opiacée sans les effets de pic qui entretiennent l'appétence toxicomaniaque. Ce produit au maniement difficile demande à être utilisé en seconde intention, lors des échecs de la méthadone exclusivement.

3) La Naltrexone

La Naltrexone (Nalorex® ) est le troisième produit préventif des rechutes opiacées. Antagoniste morphinique pur, dérivé à demi-longue de la Naloxone. Elle bloque pendant plus de vingt-quatre heures les effets des opiacés pris secondairement. Elle n'engendre pas de dépendance, mais déclenche chez le sujet pharmacodépendant un syndrome de sevrage. Elle doit être prescrite au décours du sevrage avec une information précise. Elle annule les effets des prises impulsives de drogues, sources de rechutes. Elle devrait être proposée en alternative de toute demande de traitement de substitution et permet de ce fait de réintégrer les cures de substitution dans un projet thérapeutique d'abstinence.

4) Les bus méthadone

Les bus méthadone existent en France, à Paris et Marseille, et sont issus des pratiques néerlandaises. Ils sont réservés aux toxicomanes ne pouvant ou ne voulant accéder aux cures de substitution. Le niveau d'exigence est faible. Le projet est celui de la réduction des risques. De ce fait, les posologies sont celles du traitement du syndrome de sevrage (40mg) et non celles des traitements à visée substitutive. Ce traitement est délivré sans contrôles urinaires. L'émergence d'une demande de soins devrait entraîner une orientation vers un centre de soins spécialisé.

5) Les post-cures

Les post-cures représentent naturellement un autre projet de soins, comparable en fait à la cure à la méthadone dans les aspects institutionnels et socio-psychologiques.

6) Les autres morphiniques

Les programmes d'héroïne sont d'une toute autre philosophie. Les toxicomanes y accédant semblent satisfaits, de même que les soignants. Ils renvoient à l'utilisation contrôlée de morphine aux USA dans l'entre deux guerres. Le but n'en est pas l'abstinence, mais la gestion d'une toxicomanie en évitant les complications sanitaires et sociales. Ce type de programme représente évidemment le souhait de tout sujet toxicomane qu'il enferme dans une pratique. Il semble exister toutefois quelques indications. Il en est de même pour les traitements par Morphine retard (Moscontin et Skeman® ) utilisés en France avant le développement de la méthadone et de la buprénorphine. Euphorisants, utilisables par voie injectable, transformables en héroïne, ils doivent être utilisés comme le prévoit la réglementation, lors des échecs à la méthadone chez les sujets antérieurement équilibrés par ce traitement. Les autres opiacés demi-vie brève, au profil pharmacocinétique de l'héroïne, ne sont pas des traitements de substitution et sont l'objet d'abus.

Conclusion

Les cures à la méthadone sont un modèle particulièrement intéressant dans la compréhension et le soin des toxicomanes. Elles renvoient à une pathologie au long cours aux aspects multiples, biologiques, psychologiques et sociaux. Elles nous obligent à nous situer dans un projet de soins face à des sujets dépendants ambivalents face à l'abstinence. Selon la qualité des prises en charge et les moyens proposés, les évolutions seront radicalement différentes. Exigence thérapeutique et qualité des soins vont de pair. Le danger actuel d'une politique de réduction des risques imprécise est de se faire au détriment du traitement des toxicomanies.

Bibliographie succinte

1 - AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION "Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, DSM IV" APA, 4° Ed, 1994,

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3 - GEISMAR-WIEVIORKA S. "Les toxicomanes ne sont pas tous incurables" Paris, Le Seuil, 1998,

4 - JASINSKI D. et al. "Human pharmacology and abuse potentiel of the analgesic buprenorphine : a potential agent for treating narcotic addiction" Arch. Gen. Psychiatry 1978,35 : 501-16

5 - LOO H. , LAQUEILLE X. , REMI P., BAYLE F. , OLIE J.P. "Le traitement de substitution des héroïnomanes par la méthadone : intérêts, limites et pratiques en France" Bull. Acad. Nat. de Med. 1993, 177,8 : 1331-35

6 - LOWINSON J.H., RUIZ P. , MILLMAN R.B. , LANGROD J.G. "Substance abuse, a comprehensive book" Williams and Wilkins Ed., New-York, 1997, 2nd Ed, 956 p.

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8 - MILLER N.S. and al. "Recent advances in Addictives Disorders" The Psychiatric Clinics of North America, 1993, 16,1 , 215 p. 9 - OLIE J.P., KECSKEMETI S., POIRIER M.F., LAQUEILLE X. , PERRON J.L., LOO H. "Héroïnomanes traités par méthadone : expériences sur 50 malades'. Press. Med. 1991, 20,27 : 1253-57

10 - PARRINO M.W ans al. "State Méthdone Treatment guide lines" Ed Française VIGOT, Paris, 1994, 320p.