Si dans certains cas de figures la contrainte
sexuelle imposée par un agresseur à sa victime - cette
dernière étant en situation de vulnérabilité- peut
être aisément assimilée à un viol, par
n’importe quel observateur, qu’il y ait eu
pénétration sexuelle ou pas, dans d’autres situations, les
choses apparaissent autrement complexes. Notamment lorsqu’il y a eu un
début de consentement, ou
carrément un consentement explicite, largement conditionné
par l’effet d’un toxique (licite ou pas) altérant le champ
de conscience de la « victime ». Le code pénal ,
dans son besoin de légiférer de façon aussi claire que
possible, définit le viol comme tout acte de pénétration
sexuelle non consentie par un sujet en position passive ou réceptrice.
Autrement dit, certains actes à type de contrainte sexuelle
génitale, dans un contexte de violence ou d’abus
caractérisé ne sont pas considérés comme des viols.
Par exemple le cas de figure où on contraint un sujet à se
soumettre à une fellation, la situation où par des pressions plus
ou moins impérieuses, une personne est contrainte de
pénétrer sexuellement le promoteur de l’acte sexuel abusif
dans un contexte de violence psychique caractérisée.
L’évaluation du contexte, le minutage des faits et la dynamique
relationnelle entre l’agresseur et l’agressé
apparaîtront, toujours fondamentales. Dynamique relationnelle qui doit
être saisie – autant que faire se peut – de façon
large. L’agresseur connaissait-il la victime ? Quelles
étaient leurs relations ? Comment l’agir violent sexuel
s’est-il concrétisé ? Comment s’est
positionné l’agresseur après avoir commis l’acte en
question ? Quelle attitude et quel discours adopte-t-il dans
l’après-coup vis-à-vis de sa ou ses victimes ?
Il est vrai que dans une grande majorité de
cas, il s’agit d’un homme ayant contraint une femme à subir
sa volonté sexuelle. Volonté ayant donné lieu en
règle générale à une pénétration génitale,
à un acte de sodomie, à une fellation ou à tout autre acte
de pénétration sexuelle de la victime par différents
instruments plus ou moins adaptés.
Le contexte apparaît, encore une fois
essentiel . En dehors d’une situation facilitant ou favorisant la
réalisation de l’agir violent à type de viol, ce dernier
devient impossible. Il a souvent été souligné la position
victimologique de certains sujets ayant été violés
à de multiples reprises dans des contextes plus ou moins similaires.
Contextes et situations qu’ils semblaient ne point chercher à éviter,
voire qu’ils recherchaient de façon plus ou moins inconsciente.
L’agresseur est toujours en position de force,
dominant, par rapport à une victime en position de faiblesse,
particulièrement vulnérable, ou incapable de se défendre.
Il est important de souligner qu’un nombre non
négligeable de violeurs d’adultes (nous nous
référons bien entendu à l’âge chronologique)
sont des mineurs … (ainsi ce mineur de 14 ans ½ qui avait commis
quatre tentatives de viol et était parvenu à pénétrer
génitalement une femme singulièrement vulnérable).
Les viols dans un contexte de groupe ( viols du
samedi soir, ou faisant suite à des fêtes, entre autres) sont
particulièrement fréquents. Très souvent il s’agit
d’une femme, éventuellement très jeune, connue au moins
d’un des protagonistes du groupe et étant présentée
comme une proie facile voire comme une fille particulièrement
complaisante (« une salope qui aime ça … »).
La notion de perversion sexuelle - sans être
pour autant fausse – a contribué ou tendu à caricaturer
tous les individus ayant commis un acte sexuel sous contrainte. Acte pouvant
être aisément étiqueté de pervers. Bien que ce soit une évidence,
il convient de rappeler que la perversion correspond à la fixation
d’un schème comportemental
« transgressif »,de la répétition
obsédante d’un comportement stéréotypé pour
arriver à la satisfaction sexuelle (génitale ou pas).
Rappelons la fréquence des agirs violents
à type de viols dans certains contextes sociaux. Ainsi en situation de
guerre, des hommes parfaitement sociabilisés dans un autre cadre et un
autre contexte peuvent s’avérer être ou devenir de
redoutables prédateurs. Une fois retournés dans leur contexte
socio-familial d’origine, la dangerosité criminologique , le
risque de récidive de même type s’avèrera être
très faible. Souvenons-nous des viols collectifs perpétrés
sur des femmes accessibles par des groupes de soldats totalement isolés
au plan psycho-affectif et sexuel. Femmes d’autant plus
« accessibles » et « violables »
qu’elles sont les « suppôts » de
l’ennemi. Viols de groupe qui peuvent prendre le caractère
d’une campagne systématisée telle que nous l’avons
connue récemment dans l’ex-Yougoslavie en décomposition, en
proie aux haines ethniques les plus folles.
Le cas de figure où un homme s’en prend
à plusieurs femmes pour les violer de façon successive, dans un
temps limité apparaît plutôt rare. En général
il s’agit d’un sujet particulièrement agressif, soucieux de
manifester sa domination et sa capacité à humilier des victimes,
en règle générale plutôt fragiles. Nous avons
déjà évoqué l’éventualité
où un groupe de sujets - ayant souvent consommé des substances
psycho-stimulantes – s’en prend à une femme aisément
accessible. Sans doute faut-il parler des cas où le groupe des
agresseurs s’en prend à un homme, généralement connu
pour son homosexualité, son travestisme, ou sa transexualité.
Dans ces situations, les actes de pénétration sexuelle
s’assortissent fréquemment d’une volonté
d’humilier, de rabaisser, et de tirer profit (vols dans
l’appartement « d’une tantouse ») d’un
sujet ayant volontairement aguiché un des membres de la bande (souvent
bande de « voyous » avec un idéal de
virilité exacerbé témoin de leur fragilité
identitaire au plan sexuel …).
Nous avons évalué des cas cliniques
où un couple ou un groupe d’hommes s’en prend à un
groupe de femmes en situation de vulnérabilité. Le contexte
survient de façon plus ou moins fortuite. Les agresseurs, souvent
menés par un leader tout particulièrement agressif abusent successivement de la plupart des
femmes. Dans certains cas de figures, le viol collectif s’assortit
d’un assassinat collectif. Massacre visant à faire disparaître
la preuve de leur conduite criminelle. Ce, chez des individus ayant
déjà un passé pénal en rapport avec ce type de
comportements et fonctionnant dans un registre pervers narcissique particulier.
Il existe dans certaines ethnies, notamment en milieu
mélanésien traditionnel (contexte tribal en Nouvelle
Calédonie) des coutumes non codifiées, mais connues de longue
date par la tradition et tolérées, telle celle qu’on
appelle « la Chaîne » : un groupe
d’adolescents ou de jeunes adultes (en général non mariés)
entraînent contre sa volonté et pénètrent
sexuellement à tour de rôle une femme ou une jeune fille –
encore une fois réputée particulièrement facile –
après l’avoir emmenée dans un lieu isolé à
l’écart de la tribu. En règle générale, la ou
les victimes, malgré leur vécu traumatique et leur sentiment
d’avoir été souillées, ne dénonceront pas les
faits de crainte des rétorsions.
Ce même cas de figure se retrouve de façon non
négligeable, sous nos latitudes, dans des contextes sub-urbains
(banlieues …) ou pas. L’absorption d’alcool apparaît
souvent associée à ce type de conduites de groupe.
Pour qu’une contrainte puisse se
concrétiser dans les faits, il est évident que le contexte doit
s’y prêter. La diversité des cas de figure que nous avons
rencontrés lors de nos évaluations expertales ou lors de suivis
d’individus condamnés en milieu carcéral, nous incite
à toujours essayer de situer l’éprouvé
affectif ainsi que le lien pré-existant entre l’agresseur et
l’agressé. Le viol brutal et particulièrement violent
correspond plus souvent à la rencontre d’un sujet
singulièrement violent avec un victime inconnue de lui. Les viols de
femmes connues ou proches correspondent davantage à une relation
d’abus relatif où la position plus ou moins ambivalente de la
victime mérite d’être interrogée . Cependant
dans certaines circonstances un contexte d’hostilité
exacerbée entre conjoints ou concubins peut donner lieu à des
agirs où la dimension de violences physiques se couple à une
contrainte sexuelle où la volonté d’humiliation
apparaît prévalente. L’appoint alcoolique peut jouer dans ce
type de contexte un rôle non négligeable en tant que
détonateur de la séquence de violences.
Il est essentiel d’avoir bien
présent à l’esprit qu’il n’y a pas viol au plan
social ou pénal si la victime ne se plaint pas. Dans le cas d’un
ou d’une adulte considéré autonome et sain d’esprit,
personne ne peut porter plainte sans l’ accord explicite de cette
dernière. Ainsi, certaines femmes s’étant vécues
comme étant violées ne porteront jamais plainte. Il est vrai
aussi que la relation sexuelle, génitale, s’est accomplie dans une
ambiance d’accord et de participation apparents pouvant induire
« en erreur » le demandeur
(« abuseur ») des relations sexuelles en question.
Il a souvent été évoqué dans le vécu
post-traumatique des victimes de violences sexuelles, le sentiment
d’avoir été souillées. Nous avons retrouvé
cet éprouvé subjectif chez un nombre non négligeable de
femmes ayant accepté un commerce sexuel de façon plus ou moins
durable avec un partenaire dont elles ne se sentaient pas, ou plus, amoureuses.
Ainsi de tels propos nous ont été tenus par des femmes qui se
sentaient « violées » par leur mari ou leur amant
qui ne prenait pas , ou plus, soin d’elles tel qu’elles
l’auraient souhaité …A contrario, des femmes subissant
à l’évidence une agression sexuelle
caractérisée, ont pu dans un second temps considérer
qu’elles n’avaient pas été violées au vu de
l’effet vivifiant produit sur elles par ce qui se présentait au
début de l’agir comme un viol caractérisé…
Pour la plupart, les femmes
violées insistent sur le caractère menaçant, intimidant,
de leur agresseur . L’aspect de ces séquences de violences
sexuelles où les insultes tiennent lieu de dialogue
« amoureux », voire les dimensions d’une
scène sans paroles où l’agir violent est ponctué de
quelques injonctions menaçantes, apparaissent comme des grands
classiques.
Rappelons pour mémoire que
nous avons rencontré un nombre non négligeable de femmes portant
plainte pour des faits de viol, dans un contexte d’angoisse manifeste,
qui retiraient leurs accusations après avoir été confondues
par le minutage des faits et devant la négation inébranlable du
supposé agresseur. L’évaluation expertale de la victime
s’est avérée, dans ces cas de figure aussi,
singulièrement importante. La volonté de nuire était dans
certains cas clairement établie puis avouée par la
prétendue victime. Dans un nombre non négligeable de cas, la
référence au viol était un moyen de se justifier, de se
dédouaner d’un comportement sexuel que son conjoint
régulier dénonçait comme un adultère. Parfois aussi
une façon magique de mettre à distance un légitime
sentiment de culpabilité découlant de sa conduite
adultérine.
En règle
générale, l’agresseur sexuel apparaît indemne de
pathologie mentale caractérisée. Nous avons rencontré
quelques délirants, plutôt dans le registre de la
schizophrénie paranoïde ayant commis un viol sur un adulte parmi
leurs proches, voire sur un membre de leur famille. Ainsi le cas de ce jeune
délirant ayant violé sa mère après une nuit de harcèlement
et de demande ( il avait précédemment étranglé sa
femme parce qu’il était convaincu qu’elle le trompait avec
tous les voisins, mais aussi avec les gros chiens qui passaient dans la
rue ! ).
Des états
d’ébriété pathologiques avec excitation
psychomotrice et émergence d’idées délirantes ont
été répertoriés dans nos cas cliniques de sujets
violeurs.
Des personnalités
psychopathiques aux confins de l’état psychotique franc ont aussi
été répertoriées, bien qu’en nombre
limité. En revanche, les sujets présentant un aménagement
psychopathique « simple » de personnalité
apparaissent particulièrement fréquents.
8.
Les profils de
personnalité les plus fréquemment rencontrés
En fait, la majorité des
sujets ayant commis des actes de viol, que nous avons rencontrés
à l’occasion d’évaluations expertales ou de suivis
psycho-thérapeutiques, se situe dans le registre d’une certaine
normalité psychique. Il est vrai que nous retrouvons parmi eux une
cohorte importante de sujets se situant dans ce que nous appelons volontiers un
niveau d’efficience intellectuelle de type moyen-faible, parfois aux
confins de la déficience intellectuelle légère. Chez eux
l’effet désinhibant de l’alcool est souvent mis en avant.
L’aménagement de personnalité de type psychopathique, avec
ses multiples variantes, est souvent retrouvé. Il est vrai que
l’impulsivité, l’agressivité,
l’intolérance à la frustration, et la fragilité des capacités de mentalisation
correspondent à un type d’économie psychique susceptible de
connaître de multiples dérapages anti-sociaux parmi lesquels les
violences physiques ou sexuelles apparaissent comme des
éventualités aisément actualisables en fonction du
contexte. Dans la mesure où l’agencement psychique du sujet se
situera davantage du côté de l’axe plus
névrotique, la
possibilité de remise en question et par conséquent de prise en
charge à dimension psycho-thérapeutique, apparaîtront plus
plausibles.
Nous rencontrons un certain nombre
de sujets se situant dans un registre narcissique marqué par leur
perversité relationnelle. Il s’agit là d’une
catégorie d’individus que les Américains incluent parmi
leurs psychopathes. En France, nous parlons plus volontiers d’individus
enclins à une perversité relationnelle marquée par sa
dimension sexuelle et génitale. C’est parmi eux que se
dégage un petit nombre d’individus connaissant des dérives
à type de perversions sexuelles répétitives, pouvant
adopter une attitude de prédateur et se rendant coupable d’une
grande quantité de viols caractérisés. Viols caractérisés
qui ont pu être précédés d’autres conduites
sexuelles perverses tel l’exhibitionnisme sexuel.
La tendance première des
individus interpellés par les services de police, après
dénonciation pour viol, est de nier, banaliser, ou minorer les faits en
question. La reconnaissance explicite d’emblée de tels agirs,
apparaît comme l’exception à la règle. Ce n’est
qu’après enquête minutieuse qu’un grand nombre de
sujets sera confondu et finira par avouer, même à contre
cœur, lorsqu’il sera confronté à la ou les victimes de
son acte. Parfois les preuves objectives sont tout à fait absentes. Dans
ces cas de figure, le sujet niera catégoriquement les faits ou les
reconnaîtra de façon partielle. Son positionnement vis à
vis de la victime nous permettra d’évaluer l’économie
psychique plus ou moins névrotique ou perverse de l’agresseur en
question. Sa capacité d’insight, d’introspection, de remise
en question authentique… ou son absence de telles capacités, nous permettra d’évaluer a
priori la possibilité, la pertinence d’une prise en charge
à dimension psycho-thérapeutique prévalente
adaptée. En tout état de cause, l’évaluation des
faits dénoncés par
le ou les victimes, nous apportera des éléments précieux
pour l’évaluation du sujet agresseur. Sa capacité
d’empathie à l’égard de la victime et sa
reconnaissance ou pas de la violence infligée (et de ses
retombées à moyen ou à long terme) apparaissent aussi
comme des éléments essentiels dans l’évaluation de
l’agresseur.
Si la violence infligée par
un sujet dominant à un sujet dominé et vulnérable
présente certaines caractéristiques
phénoménologiques, nous ne pouvons pas en dire de même pour
ce qui concerne le fonctionnement mental des individus ayant commis un ou
quelques viols. La dimension conjoncturelle, situationnelle, apparaît
toujours fondamentale.
Nous avons rencontré des
individus ayant investi de façon toute particulière un
scénario particulier où une femme doit être
« capturée », maîtrisée et
violentée sexuelement. Il s’agit d’individus ayant
complètement clivé une vie officielle bien rangée
d’une vie parallèle où la perversité devient la règle
dans leur rapport de violence aux femmes. Dans certains cas de figure, cette
activité prédative peut se poursuivre durant des mois. Ce,
à condition que le champ d’action des sujets prédateurs
soit suffisamment étendu. En effet de tels agirs sont pratiquement
toujours dénoncés par les victimes et donnent lieu à une
traque policière rapidement efficace (nous avons rencontré au
plan expertal deux jeunes hommes ayant violé en duo – grands amis
dans leur vie officielle – plusieurs dizaines de femmes à
l’occasion de leurs « sorties en boîte de
week-end », et ayant commis plusieurs centaines de tentatives de
viol. Ils ont été finalement arrêtés après le
viol et le meurtre d’une femme qui avait été pendant un
temps la maîtresse de l’un des deux. Tous deux avaient une compagne
et un foyer officiel !). De fait, ce genre de violeurs prédateurs
nous apparaît comme une éventualité relativement rare parmi
le grand nombre de sujets commettant un ou des viols. Leur fréquence
peut être estimée de façon approximative comme
inférieure à 10, voire à 5% des cas de figure qui sont
déférés en justice. Soulignons que c’est uniquement
dans un contexte de poursuite judiciaire et/ou de sanction pénale que
nous avons l’occasion de rencontrer de tels individus. D’où
une cécité presque totale concernant ces individus et ces situations
de la part des cliniciens – même les plus rompus – ne
pratiquant pas une activité à caractère
médico-légal. Cécité s’assortissant dans un
second temps d’une stigmatisation réductrice à
caractère dogmatique.
Insistons s’il en est encore besoin sur le
caractère polymorphe des individus accomplissant ou ayant accompli un ou
des actes à type de viol sur adultes. Nous avons eu l’occasion de
voir et d’examiner à plusieurs reprises un homme ayant commis de
multiples viols avec violences caractérisées de femmes adultes
mais qui a violé aussi des mineurs dans une sorte
d’hyperactivité non hypomaniaque sous tendue par sa haine des
femmes et notamment de celles qui avaient occupé la place laissée
vacante par sa mère (décédée lorsqu’il
était jeune enfant). Cet homme, encore relativement jeune, avait une
existence officielle et apparemment bien rangée avec une jeune concubine
… qui aurait été violée étant enfant au sein
de sa famille ( viol inceste non judiciarisé) et qui
s’était découvert une sexualité homosexuelle au
cours de leur union. Ce cas apparaît relativement rare dans la cohorte
d’agresseurs sexuels que nous avons eu l’occasion d’examiner
et qui correspond à plus de 300 individus.
L’existence d’individus ayant
commencé leur « carrière »
d’agresseur sexuel en tant qu’exhibitionniste et étant
passés dans un second temps à des agirs à type de viols
sur des femmes adultes, doit être soulignée.
Pour la plupart la dimension du
clivage et de la dénégation des faits criminels , avec une capacité
adaptative au plan social et familial apparemment satisfaisante, nous
interpelle. En effet, certains individus apparaissent capables de
réifier un objet sexuel dans une relation d’emprise totalement
utilitaire et instrumentale, dans un contexte donné, tout en
reconnaissant et en respectant par ailleurs l’altérité
ainsi que l’identité de leurs proches familiers (leur femme
légitime notamment).
La notion de perversion, au sens psychanalytique,
sous tendue par le concept de : déni de la castration, bien
qu’intéressante sur le plan de la réflexion
psycho-dynamique et métapsychologique, ne nous apparaît pas
fondamentale pour situer et repérer le fonctionnement mental d’une
majorité d’individus ayant commis un ou des actes à type de
viol sur adulte.
De fait, il semble essentiel de rester au plus proche
de l’observation clinique. En effet, de multiples tentatives ont
été faites, notamment de la part d’auteurs
nord-américains pour classer des individus largement stigmatisés
dans leur dimension perverse. Ces stigmatisations se sont pratiquement toujours
soutenues de l’utilisation de concepts et de notions largement
utilisés dans le microcosme psychanalytique. Il est vrai qu’un grand
nombre de conceptions psychanalytiques nous apparaissent incontournables afin
de mieux cerner le psychisme humain que ce soit dans ses dimensions normales ou
pathologiques, notamment pour ce qui concerne la description de
l’économie psychique d’un individu pour autant que nous pouvons
y accéder. Cependant, l’abus d’utilisation de concepts et
d’imagerie d’origine psychanalytique pour décrire de tels
cas, risque d’aboutir à ce qui, il y a déjà un temps
certain, fut dénoncé comme correspondant à une sorte de
scolastique freudienne. Ce, d’autant plus qu’il s’agit de
cliniciens ayant eu l’occasion d’observer un très petit
nombre de cas cliniques.
Les
quelques sujets fonctionnant –au plan de l’agir concret- sur un
mode clairement pervers pendant une durée de temps pratiquement toujours
limitée (violeurs pervers), ne correspondent qu’à une toute
petite minorité des très importantes cohortes de sujets ayant
commis un ou plusieurs viols que nous avons pu examiner à l’occasion
d’expertises pénales ou dans le cadre d’un travail
thérapeutique en milieu carcéral.
La fréquence de sujets présentant une
pathologie mentale psychiatrique caractérisée apparaît
aussi très faible.
Les agressions sexuelles de la part d’un groupe
d’hommes jeunes à l’endroit d’une ou de plusieurs
femmes facilement accessibles et vulnérables doivent être
considérées dans leur dynamique groupale, avec un partage des
responsabilités qui met souvent en exergue des attitudes largement
diversifiées.
Le viol d’adultes concerne aussi, bien
qu’à un degré moins fréquent des hommes victimes. Il
s’agit très souvent d’homosexuels, parfois
d’authentiques transsexuels. Dans un contexte groupal de
collectivité, des sujets hétérosexuels sont aussi
susceptibles d’être la victime du groupe. Dans certaines collectivités,
telle la prison, les viols d’hommes de la part de codétenus
particulièrement dominateurs et agressifs apparaissent comme une
éventualité non rare.
Pour évaluer la personnalité et la
dynamique mentale de l’agresseur sexuel, nous ne pouvons faire
l’économie du facteur situationnel, du contexte, et de la relation
psychoaffective entre les différents protagonistes de l’acte
transgressif. De même, pour l’évaluation psychologique
d’un transgresseur sexuel multirécidiviste, au delà de son
discours (qui doit toujours être entendu avec prudence et circonspection)
et de ses actes présents, il nous appartient de faire une
anamnèse criminologique visant à mieux situer la dynamique
mentale du sujet dans son rapport aux faits.
Au delà d’une certaine dimension
« sadique » de la part de l’individu protagonisant,
un viol assorti ou pas de ce qu’on appelle en termes juridiques
« actes de barbarie », ou coups et blessures volontaires sur un mode cruel, le viol ne
correspond pas en règle générale à un type de
personnalité spécifique.
Ce, même si nous rencontrons une
majorité de sujets se situant dans le spectre du
déséquilibre psychopathique, avec une efficience intellectuelle
plus ou moins restreinte.
Les toxiques, et tout particulièrement
l’alcool, par leur effet désinhibiteur, sont de grands
facilitateurs de tout type de comportement sexuel pervers et notamment du viol.
Comportement qui dans une grande majorité de cas demeurera un acte
unique dans la vie d’un sujet relativement bien sociabilisé.
14 – Concernant la littérature
internationale :
Il n’existe pas de classification
systématisée des agresseurs sexuels, de type
« violeurs » dans la littérature française.
Nous avons établi avec Roland Coutanceau une classification simplifiée
en vue d’un repérage des cas cliniques suivis, que nous utilisons
volontiers au sein de
l’Antenne de psychiatrie et psychologie légales de la Garenne
Colombes. Elle correspond à peu près au tableau suivant (reproduit par Roland Coutanceau dans
un article de L’Evolution Psychiatrique de 1996 ).
|
Névrotique |
Immaturo-pervers |
Pervers |
Contrainte lors de l’acte |
reconnue |
Reconnaissance indirecte,
négation banalisante |
déni |
Vécu surmoïque de
l’acte |
culpabilité |
honte |
Ni anxiété ni honte apparente |
Ressentiment possible pour la
victime |
reconnu |
banalisé minimisé |
nié |
Position face à la Loi
(légalité) |
Reconnue comme structurante |
Acceptée avec
difficultés |
défiée |
Les classifications américaines dont nous
avons une claire connaissance, en autre par le biais de nos amis canadiens
(Jocelyn Aubut, André Mckibben et coll.) ne sont en aucune façon
satisfaisantes pour englober
l’ensemble des agresseurs sexuels ayant commis des agirs de viols sur
adulte(s), de façon prévalente (au plan de leur vie sexuelle
transgressive).
En résumé, il n’existe pas de
typologie cohérente, ou satisfaisante au plan théorico-clinique.
Il apparaît simpliste et réducteur de classifier -de façon
définitive- les agresseurs sexuels en référence à
un ou à quelques items comportementaux ou de discours (tel que cela a
été fait par nos collègues nord-américains). Ni la
rage, ni le sadisme, ni la recherche de pouvoir ne nous permettent de situer de
façon un tant soit peu satisfaisante la majorité des agresseurs
sexuels – que nous avons personnellement examinés – ayant
commis un ou des actes de viol sur des adultes.
André McKibben a établi la Synthèse des typologies des
violeurs (in Les Agresseurs
sexuels-Théorie, évaluation et traitements de Jocelyn Aubut et
coll., Ed. de la Chenelière,Montréal,.Maloine Paris1993)
ci-dessous
|
Guttmacher
et Weihofen (1952) |
Gebhard
(1965) |
McCaldon
(1967) |
Cohen
(1969, 1971) |
Groth (1977, 1979) |
Rada (1978) |
Recherche
de pouvoir |
|
|
|
Violeur
recherchant la confirma –tion de sa virilité |
Violeur recherchant le pouvoir |
|
Recherche
de pouvoir et rage |
|
|
Violeur défensif |
|
|
Violeur présentant un conflit quant à son
identité |
Rage |
|
Violeur
caractérisé par la violence de ses assauts |
|
Violeur déplaçant ses pulsions agressives |
Violeur animé par la rage |
|
Sadisme |
Violeur sadique |
|
|
Violeur
fusionnant ses pulsions agressives et sexuelles |
Violeur sadique |
Violeur sadique |
Comportement antisocial |
Violeur antisocial |
Violeur amoral |
Violeur sociopathe |
Violeur impulsif |
|
Violeur
sociopathe |
Divers |
|
-Violeur ayant une image clivée
de la femme -Violeur
explosif - Violeur ivrogne |
Violeur malchanceux |
|
|
.Violeur circons-tanciel .Violeur psychotique |
Le même André McKibben reproduit le Modèle
de classification des violeurs de Knight et Prentky (1990).
Opportunisme |
Rage indifférenciée |
Motivation sexuelle |
Motivation vindicative |
|||||
Forte compétence sociale |
Faible compétence sociale |
Aucun sous-type |
Sadique |
Non
sadique |
Faible compétence sociale |
Compétence sociale moyenne |
||
Manifeste |
Différé à
forte compétence sociale |
Forte compétence sociale |
Faible compétence sociale |
|||||
Bibliographie :
1.Abel,G.G. , Barlow ,D.H.,
Blanchard,E.G et Guild,D.(1977).The components of rapists sexual arousal.
Archives of General Psychiatry, 34, 395-403.
2.Aubut, J et McKibben A. (mars
1985). La prise en charge des délinquants sexuels
incarcérés dans les établissements du Service
Correctionnel Canadien (scc), région Quebec : L’analyse du
problème, l’ordre des priorités. Rapport remis au ministère
du Solliciteur général du Canada.
3.Aubut J.et al., Les Agresseurs
sexuels. Théorie, évaluation et traitement, Montréal,
Ed.de la Chénalière, Paris, Maloine,1993.
4.Balier C., Psychanalyse des
comportements sexuels violents, Paris,Presses Universitaires de France, 1996,
coll. « Le fil Rouge ».
5. Coutanceau R. et Martorell
A. , Clinique de détenus condamnés à de longues
peines –A propos des délinquants sexuels- L’Evolution
Psychiatrique,58,1,1993, pages 57-70.
6. Coutanceau R. , Martorell
A.et Bornstein S. , Violences sexuelles-Cliniques, in : SENON J.L et
al.,Thérapeutique psychiatrique, Paris, Ed.Hermann, 1995, pp757-765.
7. Coutanceau R.., Agirs sexuels
pervers : emprise et déni d’altérité,
L’Evolution psychiatrique, janvier 1996, T.61, n°1, pp.113-124.
8.Groth, A.N et Birnbaum, H.J..
(1979). Men who rape : the psychology of the offender. New York et
Londres : Plenum Press.
9.Knight, R.A et Prentky , R.A.
(1990). Classifying Sexual Offenders : The Development and Corrolation of
Taxonomic Models.Dans W.L. Marshall, D.R Laws et H.E .Barbaree éditeurs,
Handbook of Sexual Assault : Issues, Theories and treatment of the Offender, 23-52. New York et
Londres : Plenum Press.
10.Knight, R.A. ,Rosenberg, R
.et Schneider, B.(1985). Classification of sexual offenders : Perpectives,
methods and validation. Dans A.Burgess éditeur, Rape and Sexual
Assault : A research handbook, 222-341. New York : Garland
Publishing.
11.Langevin, R. (1985). Erotic
preference, gender identification, and aggression in men : New research
studies.Londres : Lawrence Erlbaum Associates.
12.Malamuth, N.M. (1984).Agression
against women : cultural and individual causes. Dans N.M Malamuth et
E.Donnerstein éditeurs, Pornography and sexual agression, 19-52.San
Diego : Academic Press.
13.Quinsey, V.L. (1984).Sexual
Aggression : Studies of Offenders Against women.Dans D.Weisstub
éditeur, Law and Mental Health : International
Perspectives,1,84-121.New York : Pergamon Press.
14.Rada, R.T (1978). Clinical
aspects of the rapists. New York : Grune et Stratton.
15. Rosenberg, R. et Knight, R.A.
(1988). Determining male sexual offender subtypes using cluster analysis.
Journal of Quantitative Crimilology, 4, 383-410.
16.Van Gijseghem, H.La
Personnalité de l’abuseur sexuel-Typologie à partir de
l’optique psychodynamique.Ed Meridien Psychologie-1988.
17.Wile,I.S. (1941).Sex offenders
and sex offenses.Journal of
Criminal Psychopathology, 3,
pp 11-31.
Expert pres la cour d’Appel de Versailles
Co fondateur de l’Antenne de Psychiatrie et
Psychologie légales (de la Garenne Colombes-92).
Psychiatre consultant à la
Maison Centrale de Château-Thierry (condamnés à de longues peines présentant des
troubles psychiatriques)de 1985 à 1995.
Psychiatre consultant au Centre
National des Prisons de Fresnes (C.N.O ) de 1988 à 1998.
Co fondateur de la Revue de
Psychiatrie légale : FORENSIC.Membre du comité de
rédaction.
Rédacteur en chef adjoint de
la Revue : L’EVOLUTION PSYCHIATRIQUE.
Secrétaire général de la Société Française de Psychiatrie et de Psychologie légales.