Existe-t-il une psychopatologie des auteurs

d’agressions sexuelles à type de viol sur adultes ?

Dr Arnaud MARTORELL[1]

 

  1. Tentative de repérage de l’agir à type de viol :

 

Si dans certains cas de figures la contrainte sexuelle imposée par un agresseur à sa victime - cette dernière étant en situation de vulnérabilité- peut être aisément assimilée à un viol, par n’importe quel observateur, qu’il y ait eu pénétration sexuelle ou pas, dans d’autres situations, les choses apparaissent autrement complexes. Notamment lorsqu’il y a eu un début de consentement, ou  carrément un consentement explicite, largement conditionné par l’effet d’un toxique (licite ou pas) altérant le champ de conscience de la « victime ». Le code pénal , dans son besoin de légiférer de façon aussi claire que possible, définit le viol comme tout acte de pénétration sexuelle non consentie par un sujet en position passive ou réceptrice. Autrement dit, certains actes à type de contrainte sexuelle génitale, dans un contexte de violence ou d’abus caractérisé ne sont pas considérés comme des viols. Par exemple le cas de figure où on contraint un sujet à se soumettre à une fellation, la situation où par des pressions plus ou moins impérieuses, une personne est contrainte de pénétrer sexuellement le promoteur de l’acte sexuel abusif dans un contexte de violence psychique caractérisée. L’évaluation du contexte, le minutage des faits et la dynamique relationnelle entre l’agresseur et l’agressé apparaîtront, toujours fondamentales. Dynamique relationnelle qui doit être saisie – autant que faire se peut – de façon large. L’agresseur connaissait-il la victime ? Quelles étaient leurs relations ? Comment l’agir violent sexuel s’est-il concrétisé ? Comment s’est positionné l’agresseur après avoir commis l’acte en question ? Quelle attitude et quel discours adopte-t-il dans l’après-coup vis-à-vis de sa ou ses victimes ?

 

 

  1. Un agir où il y a toujours, au moins, 2 protagonistes : un agresseur et un agressé ( dans la plupart des cas, une agressée)

 

Il est vrai que dans une grande majorité de cas, il s’agit d’un homme ayant contraint une femme à subir sa volonté sexuelle. Volonté ayant donné lieu en règle générale à une pénétration génitale, à un acte de sodomie, à une fellation ou à tout autre acte de pénétration sexuelle de la victime par différents instruments plus ou moins adaptés.

Le contexte apparaît, encore une fois essentiel . En dehors d’une situation facilitant ou favorisant la réalisation de l’agir violent à type de viol, ce dernier devient impossible. Il a souvent été souligné la position victimologique de certains sujets ayant été violés à de multiples reprises dans des contextes plus ou moins similaires. Contextes et situations qu’ils semblaient ne point chercher à éviter, voire qu’ils recherchaient de façon plus ou moins inconsciente.

L’agresseur est toujours en position de force, dominant, par rapport à une victime en position de faiblesse, particulièrement vulnérable, ou incapable de se défendre.

Il est important de souligner qu’un nombre non négligeable de violeurs d’adultes (nous nous référons bien entendu à l’âge chronologique) sont des mineurs … (ainsi ce mineur de 14 ans ½ qui avait commis quatre tentatives de viol et était parvenu à pénétrer génitalement une femme singulièrement vulnérable).

Les viols dans un contexte de groupe ( viols du samedi soir, ou faisant suite à des fêtes, entre autres) sont particulièrement fréquents. Très souvent il s’agit d’une femme, éventuellement très jeune, connue au moins d’un des protagonistes du groupe et étant présentée comme une proie facile voire comme une fille particulièrement complaisante (« une salope qui aime ça … »).

 

 

  1. De la nécessité d’une évaluation psycho-criminologique intégrant l’acte, le contexte, les protagonistes

 

La notion de perversion sexuelle - sans être pour autant fausse – a contribué ou tendu à caricaturer tous les individus ayant commis un acte sexuel sous contrainte. Acte pouvant être aisément étiqueté de pervers.  Bien que ce soit une évidence, il convient de rappeler que la perversion correspond à la fixation d’un schème comportemental « transgressif »,de la répétition obsédante d’un comportement stéréotypé pour arriver à la satisfaction sexuelle (génitale ou pas).

Rappelons la fréquence des agirs violents à type de viols dans certains contextes sociaux. Ainsi en situation de guerre, des hommes parfaitement sociabilisés dans un autre cadre et un autre contexte peuvent s’avérer être ou devenir de redoutables prédateurs. Une fois retournés dans leur contexte socio-familial d’origine, la dangerosité criminologique , le risque de récidive de même type s’avèrera être très faible. Souvenons-nous des viols collectifs perpétrés sur des femmes accessibles par des groupes de soldats totalement isolés au plan psycho-affectif et sexuel. Femmes d’autant plus « accessibles » et « violables » qu’elles sont les « suppôts » de l’ennemi. Viols de groupe qui peuvent prendre le caractère d’une campagne systématisée telle que nous l’avons connue récemment dans l’ex-Yougoslavie en décomposition, en proie aux haines ethniques les plus folles.

 

 

  1. Agirs où plusieurs agresseurs s’attaquent à une ou à plusieurs victimes.

 

Le cas de figure où un homme s’en prend à plusieurs femmes pour les violer de façon successive, dans un temps limité apparaît plutôt rare. En général il s’agit d’un sujet particulièrement agressif, soucieux de manifester sa domination et sa capacité à humilier des victimes, en règle générale plutôt fragiles. Nous avons déjà évoqué l’éventualité où un groupe de sujets - ayant souvent consommé des substances psycho-stimulantes – s’en prend à une femme aisément accessible. Sans doute faut-il parler des cas où le groupe des agresseurs s’en prend à un homme, généralement connu pour son homosexualité, son travestisme, ou sa transexualité. Dans ces situations, les actes de pénétration sexuelle s’assortissent fréquemment d’une volonté d’humilier, de rabaisser, et de tirer profit (vols dans l’appartement « d’une tantouse ») d’un sujet ayant volontairement aguiché un des membres de la bande (souvent bande de « voyous » avec un idéal de virilité exacerbé témoin de leur fragilité identitaire au plan sexuel …).

Nous avons évalué des cas cliniques où un couple ou un groupe d’hommes s’en prend à un groupe de femmes en situation de vulnérabilité. Le contexte survient de façon plus ou moins fortuite. Les agresseurs, souvent menés par un leader tout particulièrement agressif abusent  successivement de la plupart des femmes. Dans certains cas de figures, le viol collectif s’assortit d’un assassinat collectif. Massacre visant à faire disparaître la preuve de leur conduite criminelle. Ce, chez des individus ayant déjà un passé pénal en rapport avec ce type de comportements et fonctionnant dans un registre pervers narcissique particulier.

Il existe dans certaines ethnies, notamment en milieu mélanésien traditionnel (contexte tribal en Nouvelle Calédonie) des coutumes non codifiées, mais connues de longue date par la tradition et tolérées, telle celle qu’on appelle  «  la Chaîne » : un groupe d’adolescents ou de jeunes adultes (en général non mariés) entraînent contre sa volonté et pénètrent sexuellement à tour de rôle une femme ou une jeune fille – encore une fois réputée particulièrement facile – après l’avoir emmenée dans un lieu isolé à l’écart de la tribu. En règle générale, la ou les victimes, malgré leur vécu traumatique et leur sentiment d’avoir été souillées, ne dénonceront pas les faits de crainte des rétorsions.  Ce même cas de figure se retrouve de façon non négligeable, sous nos latitudes, dans des contextes sub-urbains (banlieues …) ou pas. L’absorption d’alcool apparaît souvent associée à ce type de conduites de groupe.

 

 

  1. Un élément essentiel : le contexte réel et affectif

 

Pour qu’une contrainte puisse se concrétiser dans les faits, il est évident que le contexte doit s’y prêter. La diversité des cas de figure que nous avons rencontrés lors de nos évaluations expertales ou lors de suivis d’individus condamnés en milieu carcéral, nous incite à toujours essayer de situer l’éprouvé affectif ainsi que le lien pré-existant entre l’agresseur et l’agressé. Le viol brutal et particulièrement violent correspond plus souvent à la rencontre d’un sujet singulièrement violent avec un victime inconnue de lui. Les viols de femmes connues ou proches correspondent davantage à une relation d’abus relatif où la position plus ou moins ambivalente de la victime mérite d’être interrogée . Cependant dans certaines circonstances un contexte d’hostilité exacerbée entre conjoints ou concubins peut donner lieu à des agirs où la dimension de violences physiques se couple à une contrainte sexuelle où la volonté d’humiliation apparaît prévalente. L’appoint alcoolique peut jouer dans ce type de contexte un rôle non négligeable en tant que détonateur de la séquence de violences.

 

 

  1. Une dimension fondamentale : l’éprouvé subjectif de la victime

 

Il est essentiel d’avoir bien présent à l’esprit qu’il n’y a pas viol au plan social ou pénal si la victime ne se plaint pas. Dans le cas d’un ou d’une adulte considéré autonome et sain d’esprit, personne ne peut porter plainte sans l’ accord explicite de cette dernière. Ainsi, certaines femmes s’étant vécues comme étant violées ne porteront jamais plainte. Il est vrai aussi que la relation sexuelle, génitale, s’est accomplie dans une ambiance d’accord et de participation apparents pouvant induire « en erreur » le demandeur («  abuseur ») des relations sexuelles en question. Il a souvent été évoqué dans le vécu post-traumatique des victimes de violences sexuelles, le sentiment d’avoir été souillées. Nous avons retrouvé cet éprouvé subjectif chez un nombre non négligeable de femmes ayant accepté un commerce sexuel de façon plus ou moins durable avec un partenaire dont elles ne se sentaient pas, ou plus, amoureuses. Ainsi de tels propos nous ont été tenus par des femmes qui se sentaient « violées » par leur mari ou leur amant qui ne prenait pas , ou plus, soin d’elles tel qu’elles l’auraient souhaité …A contrario, des femmes subissant à l’évidence une agression sexuelle caractérisée, ont pu dans un second temps considérer qu’elles n’avaient pas été violées au vu de l’effet vivifiant produit sur elles par ce qui se présentait au début de l’agir comme un viol caractérisé…

Pour la plupart, les femmes violées insistent sur le caractère menaçant, intimidant, de leur agresseur . L’aspect de ces séquences de violences sexuelles où les insultes tiennent lieu de dialogue « amoureux », voire les dimensions d’une scène sans paroles où l’agir violent est ponctué de quelques injonctions menaçantes, apparaissent comme des grands classiques.

Rappelons pour mémoire que nous avons rencontré un nombre non négligeable de femmes portant plainte pour des faits de viol, dans un contexte d’angoisse manifeste, qui retiraient leurs accusations après avoir été confondues par le minutage des faits et devant la négation inébranlable du supposé agresseur. L’évaluation expertale de la victime s’est avérée, dans ces cas de figure aussi, singulièrement importante. La volonté de nuire était dans certains cas clairement établie puis avouée par la prétendue victime. Dans un nombre non négligeable de cas, la référence au viol était un moyen de se justifier, de se dédouaner d’un comportement sexuel que son conjoint régulier dénonçait comme un adultère. Parfois aussi une façon magique de mettre à distance un légitime sentiment de culpabilité découlant de sa conduite adultérine.

 

 

  1. L’état mental – au plan psychiatrique – de l’agresseur

 

En règle générale, l’agresseur sexuel apparaît indemne de pathologie mentale caractérisée. Nous avons rencontré quelques délirants, plutôt dans le registre de la schizophrénie paranoïde ayant commis un viol sur un adulte parmi leurs proches, voire sur un membre de leur famille. Ainsi le cas de ce jeune délirant ayant violé sa mère après une nuit de harcèlement et de demande ( il avait précédemment étranglé sa femme parce qu’il était convaincu qu’elle le trompait avec tous les voisins, mais aussi avec les gros chiens qui passaient dans la rue ! ).

Des états d’ébriété pathologiques avec excitation psychomotrice et émergence d’idées délirantes ont été répertoriés dans nos cas cliniques de sujets violeurs.

Des personnalités psychopathiques aux confins de l’état psychotique franc ont aussi été répertoriées, bien qu’en nombre limité. En revanche, les sujets présentant un aménagement psychopathique « simple » de personnalité apparaissent particulièrement fréquents.

 

 

8.   Les profils de personnalité les plus fréquemment rencontrés

 

En fait, la majorité des sujets ayant commis des actes de viol, que nous avons rencontrés à l’occasion d’évaluations expertales ou de suivis psycho-thérapeutiques, se situe dans le registre d’une certaine normalité psychique. Il est vrai que nous retrouvons parmi eux une cohorte importante de sujets se situant dans ce que nous appelons volontiers un niveau d’efficience intellectuelle de type moyen-faible, parfois aux confins de la déficience intellectuelle légère. Chez eux l’effet désinhibant de l’alcool est souvent mis en avant. L’aménagement de personnalité de type psychopathique, avec ses multiples variantes, est souvent retrouvé. Il est vrai que l’impulsivité, l’agressivité, l’intolérance à la frustration, et la fragilité  des capacités de mentalisation correspondent à un type d’économie psychique susceptible de connaître de multiples dérapages anti-sociaux parmi lesquels les violences physiques ou sexuelles apparaissent comme des éventualités aisément actualisables en fonction du contexte. Dans la mesure où l’agencement psychique du sujet se situera davantage du côté de l’axe plus névrotique,  la possibilité de remise en question et par conséquent de prise en charge à dimension psycho-thérapeutique, apparaîtront plus plausibles.

Nous rencontrons un certain nombre de sujets se situant dans un registre narcissique marqué par leur perversité relationnelle. Il s’agit là d’une catégorie d’individus que les Américains incluent parmi leurs psychopathes. En France, nous parlons plus volontiers d’individus enclins à une perversité relationnelle marquée par sa dimension sexuelle et génitale. C’est parmi eux que se dégage un petit nombre d’individus connaissant des dérives à type de perversions sexuelles répétitives, pouvant adopter une attitude de prédateur et se rendant coupable d’une grande quantité de viols caractérisés. Viols caractérisés qui ont pu être précédés d’autres conduites sexuelles perverses tel l’exhibitionnisme sexuel.

 

 

 

 

 

 

  1. Les sujets dans leur rapport aux faits

 

La tendance première des individus interpellés par les services de police, après dénonciation pour viol, est de nier, banaliser, ou minorer les faits en question. La reconnaissance explicite d’emblée de tels agirs, apparaît comme l’exception à la règle. Ce n’est qu’après enquête minutieuse qu’un grand nombre de sujets sera confondu et finira par avouer, même à contre cœur, lorsqu’il sera confronté à la ou les victimes de son acte. Parfois les preuves objectives sont tout à fait absentes. Dans ces cas de figure, le sujet niera catégoriquement les faits ou les reconnaîtra de façon partielle. Son positionnement vis à vis de la victime nous permettra d’évaluer l’économie psychique plus ou moins névrotique ou perverse de l’agresseur en question. Sa capacité d’insight, d’introspection, de remise en question authentique… ou son absence de telles capacités,  nous permettra d’évaluer a priori la possibilité, la pertinence d’une prise en charge à dimension psycho-thérapeutique prévalente adaptée. En tout état de cause, l’évaluation des faits dénoncés  par le ou les victimes, nous apportera des éléments précieux pour l’évaluation du sujet agresseur. Sa capacité d’empathie à l’égard de la victime et sa reconnaissance ou pas de la violence infligée (et de ses retombées à moyen ou à long terme) apparaissent aussi comme des éléments essentiels dans l’évaluation de l’agresseur.

 

 

  1. Est-il pertinent d’isoler une catégorie d’agresseurs sexuels s’adonnant exclusivement au viol ?

 

Si la violence infligée par un sujet dominant à un sujet dominé et vulnérable présente certaines caractéristiques phénoménologiques, nous ne pouvons pas en dire de même pour ce qui concerne le fonctionnement mental des individus ayant commis un ou quelques viols. La dimension conjoncturelle, situationnelle, apparaît toujours fondamentale.

Nous avons rencontré des individus ayant investi de façon toute particulière un scénario particulier où une femme doit être « capturée », maîtrisée et violentée sexuelement. Il s’agit d’individus ayant complètement clivé une vie officielle bien rangée d’une vie parallèle où la perversité devient la règle dans leur rapport de violence aux femmes. Dans certains cas de figure, cette activité prédative peut se poursuivre durant des mois. Ce, à condition que le champ d’action des sujets prédateurs soit suffisamment étendu. En effet de tels agirs sont pratiquement toujours dénoncés par les victimes et donnent lieu à une traque policière rapidement efficace (nous avons rencontré au plan expertal deux jeunes hommes ayant violé en duo – grands amis dans leur vie officielle – plusieurs dizaines de femmes à l’occasion de leurs « sorties en boîte de week-end », et ayant commis plusieurs centaines de tentatives de viol. Ils ont été finalement arrêtés après le viol et le meurtre d’une femme qui avait été pendant un temps la maîtresse de l’un des deux. Tous deux avaient une compagne et un foyer officiel !). De fait, ce genre de violeurs prédateurs nous apparaît comme une éventualité relativement rare parmi le grand nombre de sujets commettant un ou des viols. Leur fréquence peut être estimée de façon approximative comme inférieure à 10, voire à 5% des cas de figure qui sont déférés en justice. Soulignons que c’est uniquement dans un contexte de poursuite judiciaire et/ou de sanction pénale que nous avons l’occasion de rencontrer de tels individus. D’où une cécité presque totale concernant ces individus et ces situations de la part des cliniciens – même les plus rompus – ne pratiquant pas une activité à caractère médico-légal. Cécité s’assortissant dans un second temps d’une stigmatisation réductrice à caractère dogmatique.

 

 

 

 

 

  1. Cas d’individus aux conduites perverses sexuelles multiples

 

Insistons s’il en est encore besoin sur le caractère polymorphe des individus accomplissant ou ayant accompli un ou des actes à type de viol sur adultes. Nous avons eu l’occasion de voir et d’examiner à plusieurs reprises un homme ayant commis de multiples viols avec violences caractérisées de femmes adultes mais qui a violé aussi des mineurs dans une sorte d’hyperactivité non hypomaniaque sous tendue par sa haine des femmes et notamment de celles qui avaient occupé la place laissée vacante par sa mère (décédée lorsqu’il était jeune enfant). Cet homme, encore relativement jeune, avait une existence officielle et apparemment bien rangée avec une jeune concubine … qui aurait été violée étant enfant au sein de sa famille ( viol inceste non judiciarisé) et qui s’était découvert une sexualité homosexuelle au cours de leur union. Ce cas apparaît relativement rare dans la cohorte d’agresseurs sexuels que nous avons eu l’occasion d’examiner et qui correspond à plus de 300 individus.

L’existence d’individus ayant commencé leur « carrière » d’agresseur sexuel en tant qu’exhibitionniste et étant passés dans un second temps à des agirs à type de viols sur des femmes adultes, doit être soulignée.

Pour la plupart la dimension du clivage et de la dénégation des faits criminels , avec une capacité adaptative au plan social et familial apparemment satisfaisante, nous interpelle. En effet, certains individus apparaissent capables de réifier un objet sexuel dans une relation d’emprise totalement utilitaire et instrumentale, dans un contexte donné, tout en reconnaissant et en respectant par ailleurs l’altérité ainsi que l’identité de leurs proches familiers (leur femme légitime notamment).

 

 

  1. La notion de perversion nous apparaît-elle opérante ?

 

La notion de perversion, au sens psychanalytique, sous tendue par le concept de : déni de la castration, bien qu’intéressante sur le plan de la réflexion psycho-dynamique et métapsychologique, ne nous apparaît pas fondamentale pour situer et repérer le fonctionnement mental d’une majorité d’individus ayant commis un ou des actes à type de viol sur adulte.

De fait, il semble essentiel de rester au plus proche de l’observation clinique. En effet, de multiples tentatives ont été faites, notamment de la part d’auteurs nord-américains pour classer des individus largement stigmatisés dans leur dimension perverse. Ces stigmatisations se sont pratiquement toujours soutenues de l’utilisation de concepts et de notions largement utilisés dans le microcosme psychanalytique. Il est vrai qu’un grand nombre de conceptions psychanalytiques nous apparaissent incontournables afin de mieux cerner le psychisme humain que ce soit dans ses dimensions normales ou pathologiques, notamment pour ce qui concerne la description de l’économie psychique d’un individu pour autant que nous pouvons y accéder. Cependant, l’abus d’utilisation de concepts et d’imagerie d’origine psychanalytique pour décrire de tels cas, risque d’aboutir à ce qui, il y a déjà un temps certain, fut dénoncé comme correspondant à une sorte de scolastique freudienne. Ce, d’autant plus qu’il s’agit de cliniciens ayant eu l’occasion d’observer un très petit nombre de cas cliniques.

 

 

  1. En guise de conclusion :

 

Les quelques sujets fonctionnant –au plan de l’agir concret- sur un mode clairement pervers pendant une durée de temps pratiquement toujours limitée (violeurs pervers), ne correspondent qu’à une toute petite minorité des très importantes cohortes de sujets ayant commis un ou plusieurs viols que nous avons pu examiner à l’occasion d’expertises pénales ou dans le cadre d’un travail thérapeutique en milieu carcéral.

La fréquence de sujets présentant une pathologie mentale psychiatrique caractérisée apparaît aussi très faible.

Les agressions sexuelles de la part d’un groupe d’hommes jeunes à l’endroit d’une ou de plusieurs femmes facilement accessibles et vulnérables doivent être considérées dans leur dynamique groupale, avec un partage des responsabilités qui met souvent en exergue des attitudes largement diversifiées.

Le viol d’adultes concerne aussi, bien qu’à un degré moins fréquent des hommes victimes. Il s’agit très souvent d’homosexuels, parfois d’authentiques transsexuels. Dans un contexte groupal de collectivité, des sujets hétérosexuels sont aussi susceptibles d’être la victime du groupe. Dans certaines collectivités, telle la prison, les viols d’hommes de la part de codétenus particulièrement dominateurs et agressifs apparaissent comme une éventualité non rare.

Pour évaluer la personnalité et la dynamique mentale de l’agresseur sexuel, nous ne pouvons faire l’économie du facteur situationnel, du contexte, et de la relation psychoaffective entre les différents protagonistes de l’acte transgressif. De même, pour l’évaluation psychologique d’un transgresseur sexuel multirécidiviste, au delà de son discours (qui doit toujours être entendu avec prudence et circonspection) et de ses actes présents, il nous appartient de faire une anamnèse criminologique visant à mieux situer la dynamique mentale du sujet dans son rapport aux faits.

Au delà d’une certaine dimension « sadique » de la part de l’individu protagonisant, un viol assorti ou pas de ce qu’on appelle en termes juridiques « actes de barbarie », ou  coups et blessures volontaires sur un mode cruel, le viol ne correspond pas en règle générale à un type de personnalité spécifique.

Ce, même si nous rencontrons une majorité de sujets se situant dans le spectre du déséquilibre psychopathique, avec une efficience intellectuelle plus ou moins restreinte.

Les toxiques, et tout particulièrement l’alcool, par leur effet désinhibiteur, sont de grands facilitateurs de tout type de comportement sexuel pervers et notamment du viol. Comportement qui dans une grande majorité de cas demeurera un acte unique dans la vie d’un sujet relativement bien sociabilisé.

 

 

14 – Concernant la littérature internationale :

 

Il n’existe pas de classification systématisée des agresseurs sexuels, de type « violeurs » dans la littérature française. Nous avons établi avec Roland Coutanceau une classification simplifiée en vue d’un repérage des cas cliniques suivis, que nous utilisons volontiers au sein  de l’Antenne de psychiatrie et psychologie légales de la Garenne Colombes. Elle correspond à peu près au tableau suivant  (reproduit par Roland Coutanceau dans un article de L’Evolution Psychiatrique de 1996 ).

 

 

Névrotique

Immaturo-pervers

Pervers

Contrainte lors de l’acte

reconnue

Reconnaissance indirecte, négation banalisante

déni

Vécu surmoïque de l’acte

culpabilité

honte

Ni anxiété ni honte apparente

Ressentiment possible pour la victime

reconnu

banalisé

minimisé

nié

Position face à la Loi (légalité)

Reconnue comme structurante

Acceptée avec difficultés

défiée

 

 

Les classifications américaines dont nous avons une claire connaissance, en autre par le biais de nos amis canadiens (Jocelyn Aubut, André Mckibben et coll.) ne sont en aucune façon satisfaisantes  pour englober l’ensemble des agresseurs sexuels ayant commis des agirs de viols sur adulte(s), de façon prévalente (au plan de leur vie sexuelle transgressive).

En résumé, il n’existe pas de typologie cohérente, ou satisfaisante au plan théorico-clinique. Il apparaît simpliste et réducteur de classifier -de façon définitive- les agresseurs sexuels en référence à un ou à quelques items comportementaux ou de discours (tel que cela a été fait par nos collègues nord-américains). Ni la rage, ni le sadisme, ni la recherche de pouvoir ne nous permettent de situer de façon un tant soit peu satisfaisante la majorité des agresseurs sexuels – que nous avons personnellement examinés – ayant commis un ou des actes de viol sur des adultes.

André McKibben  a établi la Synthèse des typologies des violeurs (in Les Agresseurs sexuels-Théorie, évaluation et traitements de Jocelyn Aubut et coll., Ed. de la Chenelière,Montréal,.Maloine Paris1993) ci-dessous

 

 

 

Guttmacher et Weihofen (1952)

Gebhard (1965)

McCaldon (1967)

Cohen (1969,

1971)

Groth (1977,

1979)

Rada

 (1978)

 

Recherche de pouvoir      

 

 

 

Violeur recherchant la confirma –tion de sa virilité

Violeur recherchant le pouvoir

 

Recherche de pouvoir et rage

 

 

Violeur défensif

 

 

Violeur présentant un conflit quant à son identité

 

 

Rage

 

Violeur caractérisé par la violence de ses assauts

 

Violeur déplaçant ses pulsions agressives

Violeur animé par la rage

 

 

 

Sadisme

Violeur sadique

 

 

Violeur fusionnant ses pulsions agressives et sexuelles

Violeur sadique

Violeur sadique

Comportement antisocial

Violeur antisocial

Violeur amoral

Violeur sociopathe

Violeur impulsif

 

Violeur sociopathe

 

 

 

Divers

 

 -Violeur ayant une image clivée de la femme

-Violeur explosif

- Violeur ivrogne

Violeur malchanceux

 

 

.Violeur circons-tanciel

.Violeur psychotique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le même André McKibben reproduit le Modèle de classification des violeurs de Knight et Prentky (1990).

 

Opportunisme

 

 

 

 

 

 

Rage indifférenciée

      

             

                Motivation sexuelle

 

   

       Motivation

        vindicative

Forte compétence sociale

Faible compétence sociale

Aucun sous-type

           Sadique

Non                         sadique

Faible compétence sociale

Compétence sociale moyenne

 

Manifeste

 

Différé à forte compétence sociale

Forte compétence sociale

Faible compétence sociale

 

 

Bibliographie :

 

1.Abel,G.G. , Barlow ,D.H., Blanchard,E.G et Guild,D.(1977).The components of rapists sexual arousal. Archives of General Psychiatry, 34, 395-403.

 

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3.Aubut J.et al., Les Agresseurs sexuels. Théorie, évaluation et traitement, Montréal, Ed.de la Chénalière, Paris, Maloine,1993.

 

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[1]  * Psychiatre des hôpitaux

Expert pres la cour d’Appel de Versailles

Co fondateur de l’Antenne de Psychiatrie et Psychologie légales (de la Garenne Colombes-92).

Psychiatre consultant à la Maison Centrale de Château-Thierry (condamnés à de  longues peines présentant des troubles psychiatriques)de 1985 à 1995.

Psychiatre consultant au Centre National des Prisons de Fresnes (C.N.O ) de 1988 à 1998.

Co fondateur de la Revue de Psychiatrie légale : FORENSIC.Membre du comité de rédaction.

Rédacteur en chef adjoint de la Revue : L’EVOLUTION PSYCHIATRIQUE.

Secrétaire général de la Société Française de Psychiatrie et de Psychologie légales.