Résumé
Le
présent article fait la revue des recherches empiriques sur les taux de
récidive des délinquants sexuels. On constate qu’en moyenne
10 à 15 % des délinquants sexuels commettent de nouveau une
infraction sexuelle après une période de suivi de
4 à 5 ans. Comme on peut s’y attendre, les taux
sont plus élevés dans les catégories de récidive
plus globales, soit 25 % dans le cas de la récidive avec violence
(y compris les infractions sexuelles) et 40 % dans le cas de toutes les
nouvelles infractions (sexuelles, non sexuelles, avec violence et sans
violence). Les délinquants sexuels ne présentent pas tous le
même risque de récidive. Il existe en effet une corrélation
fiable entre certaines caractéristiques et l’augmentation du
risque de récidive (infractions sexuelles antérieures, âge
plus jeune, préférences sexuelles déviantes, mode de vie
criminel, etc.). Les délinquants qui suivent un traitement psychologique
risquent moins de récidiver que les autres délinquants sexuels;
il faudra toutefois faire des recherches plus approfondies avant de pouvoir
tirer des conclusions solides sur l’efficacité des traitements.
Une fois
qu’on a fait la preuve qu’un individu a commis une infraction
sexuelle, il est important de savoir s’il risque de recommencer. Chaque
individu est unique et toute tentative visant à prévoir un
comportement libre et conscient comporte ses propres limites. Quoi qu’il
en soit, personne ne doute sérieusement qu’il existe des
différences entre les individus qui sont enclins à commettre des
agressions sexuelles. Cependant, les experts ne s’entendent pas sur les
meilleures méthodes à utiliser pour évaluer ces
différences individuelles. Un des moyens valables d’évaluer
le risque de récidive d’un délinquant consiste à
supposer que la probabilité de récidive sera égale au taux
de récidive observé dans des groupes de délinquants
similaires. Une telle estimation n’est jamais exacte, mais les évaluations
du risque fondées sur des données empiriques permettent
d’obtenir un degré d’exactitude prévisionnelle
beaucoup plus élevé que celui qu’on obtient au moyen
d’évaluations du risque fondées sur des avis professionnels
non structurés (Hanson, 1998), dont le degré d’exactitude
prévisionnelle est à peine supérieur au pur hasard (Hanson
et Bussière, 1998).
Les études
de suivi fournissent la meilleure démonstration de
l’utilité de déterminer les facteurs du risque de
récidive. Dans ces études de suivi, des groupes de
délinquants sexuels sont constitués et les chercheurs recueillent
par la suite des renseignements sur ceux qui ont récidivé. Il y a
eu beaucoup d’études de ce genre. Dans notre revue précédente,
nous avons relevé 61 études réalisées avant 1995
(Hanson et Bussière, 1998). La plupart d’entre elles portaient sur
des échantillons des États-Unis (30), mais il y en avait aussi du
Canada (16), du Royaume-Uni (10), de l’Australie (2), du Danemark (1) et
de la Norvège (1). Je n’ai toutefois jamais entendu parler
d’une étude de suivi de la récidive des délinquants
sexuels portant spécifiquement sur la France.
D’après
la moyenne des 61 études contenues dans la méta-analyse de
Hanson et Bussière (1998), le taux de récidive sexuelle
était de 13,4 % (n = 23 393), le taux de
récidive non sexuelle avec violence était de 12,2 %
(n = 7 155) et le taux de récidive pour toute nouvelle
infraction était de 36,3 % (n = 19 374). La taille
des échantillons varie parce que les études n’ont pas
toutes porté sur ces trois catégories de récidive. La
période moyenne de suivi variait de 4 à 5 ans. Les taux
moyens de la méta-analyse de Hanson et Bussière (1998) doivent
être interprétés avec prudence, car ils sont issus
d’échantillons et de critères de suivi qui ne sont pas uniformes.
Ils correspondent toutefois aux résultats d’autres études
ayant utilisé des définitions et des critères de
récidive normalisés.
Hanson et Thornton
(2000) ont examiné les taux de récidive sexuelle et de
récidive avec violence de trois échantillons :
a) l’établissement de Millbrook, b) l’Institut
Philippe-Pinel et c) le Service des prisons de Sa Majesté.
L’échantillon de l’établissement de Millbrook
était composé de 191 agresseurs d’enfants
incarcérés dans un établissement provincial de
l’Ontario, au Canada, et remis en liberté entre 1958 et 1974
(Hanson, Steffy et Gauthier, 1993). Les délinquants sexuels de
l’Institut Philippe-Pinel, un établissement psychiatrique de garde
fermée situé à Montréal, au Québec, ont
été traités de 1978 à 1993. Enfin, l’échantillon
de délinquants du Service des prisons de Sa Majesté était
composé de tous les délinquants sexuels de l’Angleterre et
du pays de Galles remis en liberté au cours de l’année
1979.
Comme le montrent
les figures 1 et 2, les taux de récidive des trois
échantillons étaient remarquablement semblables. Ces taux de
récidive sont représentés sous la forme de courbes de
survie (Allison, 1984). Ces courbes commencent dans le coin supérieur
gauche, avec l’échantillon complet des délinquants remis en
liberté (100 %). À mesure que certains d’entre eux
sont condamnés de nouveau, ils sont retirés de
l’échantillon et le reste de l’échantillon est repris
dans la période d’analyse suivante. Les taux moyens de
récidive sexuelle étaient d’environ 15 % après
5 ans (85 % de survie) et de 25 % après 15 ans. Le
taux moyen de récidive pour toutes les infractions avec violence, y
compris les infractions sexuelles, était de 25 % après
5 ans et de 35 à 40 % après 15 ans.
Les études
sur la récidive comportent toutefois des limites inhérentes. La
plus importante tient au fait que les infractions sexuelles ne sont pas
toujours signalées. Des enquêtes sur la victimisation
effectuées au Canada et aux États-Unis ont montré
qu’entre 6 % et 50 % des agressions sexuelles sont
signalées à la police (Bachman, 1994; Besserer, 1998; Greenfeld,
1997; Russell, 1983; Statistique Canada, 1993). De toutes les agressions
sexuelles signalées, pas plus de la moitié mènent à
une arrestation (Greenfeld, 1997; Statistique Canada, 1993). Par
conséquent, la proportion des infractions sexuelles établie dans
les études sur la récidive devrait être
considérée comme une fraction seulement de toutes les infractions
sexuelles commises (soit entre 1 % et 25 %, selon les
hypothèses et les études de recherche utilisées).
Il est important
de souligner aussi que le pourcentage des infractions non signalées
n’est pas égal au pourcentage des délinquants qui
n’ont pas été repérés. Même si parfois
le délinquant qui commet une infraction risque peu d’être
pris, le risque d’être appréhendé augmente à
chaque nouvelle infraction. Les délinquants sexuels qui commettent de
nombreuses infractions risquent beaucoup de se faire arrêter, mais ceux
qui ne commettent qu’un petit nombre de nouvelles infractions
n’entrent pas nécessairement dans les statistiques sur la
récidive. Les chercheurs reconnaissent en général que les
taux de récidive observés sont inférieurs au taux
réel de récidive, mais l’ampleur exacte de cette
sous-évaluation fait l’objet d’un débat constant
(voir Doren, 1998; Janus et Meehl, 1997).
Les statistiques sur la récidive
présentent aussi une autre difficulté; en effet, elles peuvent
varier d’un pays à l’autre. En Suède(Sjöstedt et
Långström, 2000), par exemple, les taux de récidive sexuelle
semblent plus bas qu’au Canada (Hanson et Thornton, 2000). Nous ne savons
pas si les différences observées sont attribuables à des
différences entre les taux de signalement des infractions ou à
des différences dans le comportement des délinquants. De plus, il
peut y avoir des différences entre les pays en ce qui concerne les
valeurs sociales rattachées à la délinquance sexuelle, les
actes des délinquants, les services de police et les systèmes de
justice pénale.
Même
s’il est difficile d’établir les taux absolus de
récidive, les études sur la récidive nous apportent des
données fiables sur les caractéristiques individuelles qui
influent à la hausse ou à la baisse sur le risque de
récidive à long terme. Hanson et Bussière (1998) ont
constaté que les taux de récidive sexuelle étaient
similaires chez les agresseurs d’enfants (12,7 %
d’après un échantillon de 7 155 sujets) et chez
les délinquants qui avaient agressé des femmes adultes
(18,9 % d’après un échantillon de
1 839 violeurs). Par contre, les violeurs risquaient beaucoup plus de
récidiver en commettant une infraction non sexuelle avec violence
(22,1 % contre 9,9 % respectivement). Les taux généraux
de récidive étaient de 46 % chez les violeurs contre
37 % chez les agresseurs d’enfants.
En règle générale, les
facteurs qui servent à prévoir la récidive non sexuelle
chez les délinquants sexuels sont très semblables à ceux
qui servent à prévoir la récidive chez les
délinquants non sexuels. Le tableau 1 présente les facteurs
de risque de récidive générale (tous les types
d’infractions) établis dans les revues méta-analytiques de
Gendreau, Little et Goggin (1996), qui ont examiné des populations de
délinquants ayant commis tous les types d’infractions, et de
Hanson et Bussière (1998), qui n’ont examiné que des
populations de délinquants sexuels. Les résultats sont
présentés sous la forme d’un coefficient de
corrélation (r), qui peut varier de 0 à 1, 0 indiquant des
degrés de hasard et 1 indiquant une prévision parfaite. Les valeurs
de r peuvent être interprétées comme la différence de
pourcentage entre les taux de récidive des délinquants qui
possèdent ou ne possèdent pas une caractéristique
particulière (Farrington et Loeber, 1989).
Dans
les deux groupes, les prédicteurs les plus fiables étaient les
antécédents criminels, la délinquance juvénile, la
personnalité antisociale, l’âge, l’appartenance
à une minorité ethnique et la toxicomanie. L’intelligence
faible et la détresse personnelle étaient des facteurs ayant peu
d’influence dans l’un et l’autre groupe. Fait
intéressant, les deux prédicteurs les plus sûrs de la
récidive en général chez les délinquants non
sexuels (les compagnons et les attitudes antisociales) ont été
très souvent négligés dans les recherches portant sur le
risque chez les délinquants sexuels.
Le
tableau 2 présente les prédicteurs les plus largement
reconnus de la récidive sexuelle, tirés de Hanson et
Bussière (1998). Tous ces facteurs ont été
confirmés dans au moins quatre études, ce qui permet de croire qu’ils
sont véritablement liés au risque de récidive. Les prédicteurs
les plus fiables de la récidive sexuelle sont ceux qui se rapportent
à la déviance sexuelle, comme les préférences
sexuelles déviantes, les infractions sexuelles antérieures ainsi
que la précocité et la diversité des infractions
sexuelles. Le prédicteur le plus fiable mis en relief par la
méta-analyse a été l’intérêt sexuel
pour les enfants mesuré au moyen d’évaluations
phallométriques. L’évaluation phallométrique est une
méthode qui consiste à mesurer directement la réaction
pénienne provoquée par l’exposition du sujet à des
images ou des récits sexuellement explicites (Launey, 1994).
Après la déviance sexuelle, les principaux prédicteurs de
la récidive sexuelle sont les facteurs se rapportant au mode de vie
criminel, comme l’existence d’infractions antérieures et le
trouble de la personnalité antisociale. Les récidivistes sexuels,
comme les autres délinquants en général, sont souvent
jeunes et sans conjoint et abandonnent les programmes de traitement avant la
fin.
Le
tableau 3 présente certaines caractéristiques qui, selon
Hanson et Bussière (1998) ne sont pas associées à la
récidive sexuelle. Certaines de leurs conclusions ont de quoi
surprendre. Les entrevues cliniques sont une méthode employée
couramment au cours des évaluations du risque, mais une bonne partie des
renseignements qui sont habituellement évalués au cours de ces
entrevues, comme le peu d’empathie pour la victime, le déni de
l’infraction et le manque de motivation pour le traitement, n’ont
pas de rapport avec la récidive sexuelle. Il peut être difficile
aussi d’évaluer la sincérité du remords, compte tenu
de la pression sociale associée au milieu médico‑légal.
Il est
intéressant d’observer aussi que les problèmes
psychologiques généraux comme l’anxiété et le
peu d’estime de soi n’étaient pas liés au risque de
récidive à long terme. Les recherches subséquentes ont
toutefois montré que la récidive est souvent
précédée d’une sorte d’abattement (Hanson et
Harris, 2000). Les délinquants qui éprouvent de la tristesse
chronique ne présentent pas un risque de récidive plus
élevé que ceux qui sont heureux, mais les délinquants
appartenant à l’un ou à l’autre de ces deux groupes
présentent un risque accru de récidive lorsqu’ils se
sentent abattus.
La plupart des
facteurs qui, selon Hanson et Bussière (1998), sont des
prédicteurs du risque de récidive, sont des facteurs statiques,
chronologiques, qui ne peuvent pas changer. Pour mesurer les changements du
niveau de risque et concevoir des interventions susceptibles de réduire
le risque de récidive, il faut donc connaître les facteurs de
risque dynamiques, c’est‑à‑dire ceux qu’on peut
changer. Pourtant, la recherche sur les facteurs de risque dynamiques chez les
délinquants sexuels est beaucoup moins avancée que la recherche
sur les facteurs de risque statiques.
Des études
de suivi récentes (Beech, Friendship, Erikson et Hanson, sous presse;
Dempster et Hart, sous presse; Hanson et Harris, 2000, 2001; Thornton, sous
presse) ont fait ressortir des facteurs de risque dynamiques qui
présentent un grand intérêt. Ces facteurs comprennent la
tolérance envers les agressions sexuelles, la proximité affective
avec les enfants, les préoccupations sexuelles, le manque
d’aptitudes pour la résolution des problèmes cognitifs,
l’hostilité et les influences sociales négatives.
Malgré les promesses que laisse entrevoir cette recherche, il faudra
faire encore d’autres travaux avant de pouvoir tirer des conclusions
solides. Il faudra notamment démontrer que les changements provoqués
dans les facteurs considérés comme dynamiques sont vraiment
associés à la réduction du risque de récidive. Des
travaux ont montré que la présence de certains facteurs
qu’on peut en principe modifier augmente bel et bien le risque de récidive
(comme la tolérance envers les agressions sexuelles), mais il se peut
aussi que ces facteurs en apparence dynamiques soient simplement des
manifestations de caractéristiques durables.
L’une des
questions de recherche les plus importantes consiste à savoir dans
quelle mesure les interventions peuvent réduire le risque de
récidive des délinquants sexuels. Au cours des
années 1970 et 1980, on doutait beaucoup que les programmes
correctionnels puissent réduire le risque de récidive chez les
criminels en général (Martinson, 1974). Plusieurs revues
méta-analytiques réalisées au cours des dernières
années ont tempéré ce scepticisme en montrant que
seulement certains types d’interventions (principalement de type
cognitivo-comportemental) étaient susceptibles de produire des effets
(p. ex. Andrews et. al., 1990; Hollin, 1999, 2001; Lipsey, 1995). En ce qui concerne
la majorité des délinquants, les recherches portent sur les
caractéristiques des traitements efficaces; en ce qui concerne les
délinquants sexuels, les chercheurs se demandent encore si les
traitements sont efficaces.
Il existe peu
d’études rigoureuses sur le traitement des délinquants
sexuels, et encore moins sur les traitements en usage actuellement. Même
si plus de 35 articles de synthèses ont été
publiés depuis 1990, ainsi qu’une revue de ces articles (United
States General Accounting Office, 1996), les chercheurs et les responsables des
politiques ne parviennent pas encore à établir si les traitements
réussissent vraiment à réduire la récidive chez les
délinquants sexuels.
Dans leur examen
narratif des premières études sur les résultats des
traitements, antérieures pour la plupart à 1980, Furby, Weinrott
et Blackshaw (1989) ont conclu que rien ne pouvait démontrer que les
traitements contribuaient à réduire le risque de récidive
chez les délinquants sexuels. Dans sa méta-analyse de
12 études sur les résultats des traitements, publiée
après la revue de Furby et al. (1989), Hall (1995) a
constaté un léger effet global (r = 0,12). Il a conclu
qu’un traitement médical et un traitement général
cognitivo-comportemental étaient tous deux efficaces et
supérieurs aux traitements axés uniquement sur le comportement.
On a toutefois
reproché à Hall (1995) d’avoir inclus dans sa
méta-analyse des études où l’on comparait des
individus ayant suivi avec succès un traitement et des individus qui
avaient abandonné le traitement. Il est difficile
d’interpréter des comparaisons de ce genre parce qu’on
pourrait penser que les individus qui abandonnent un traitement
possèdent les caractéristiques propres au risque de récidive,
comme le jeune âge, l’impulsivité et la personnalité
antisociale (Wierzbicki et Pekarik, 1993). Or, quand on supprime de la
méta-analyse de Hall (1995) les études portant sur les individus
ayant abandonné leur traitement, les effets des traitements ne sont plus
significatifs (Harris, Rice et Quinsey, 1998).
Gallagher
et al. (1999) ont effectué une méta-analyse de
25 études portant sur des traitements psychologiques ou hormonaux.
Comme Hall (1995), ils sont arrivés à la conclusion que les
traitements cognitivo-comportementaux produisaient des effets
appréciables. Contrairement à Hall (1995) toutefois, ils ont
conclu que les traitements médicaux ou hormonaux ne donnaient pas des
résultats satisfaisants. L’efficacité apparente des
traitements médicaux ou hormonaux constatée par Hall (1995b)
pourrait être attribuable à une seule étude portant sur la
castration physique (Wille et Beier, 1989).
L’examen
le plus détaillé des effets des traitements psychologiques chez
les délinquants sexuels a été réalisé par le
Collaborative Outcome Data Project Committee (Hanson et al., sous presse). Ce
comité, créé en 1997, a pour tâche d’organiser
la documentation spécialisée portant sur les résultats des
traitements pour délinquants sexuels et de faire en sorte que les
nouveaux projets d’évaluation soient réalisés
d’une manière qui contribue à améliorer les
connaissances. Dans son premier rapport, le Comité est arrivé
à la conclusion que les traitements psychologiques actuels sont
associés à une diminution de la récidive en
général et de la récidive sexuelle. Avant de tirer des
conclusions plus solides toutefois, il faudra poursuivre et améliorer
les travaux de recherche.
Dans seulement
quatre des 43 études examinées par Hanson et al. (sous presse),
les délinquants ont été répartis au hasard dans les
groupes de traitement et les groupes de comparaison. Ces études ont
donné des résultats différents. Romero et Williams (1983)
ont fait une comparaison entre 148 délinquants sexuels qui ont
participé à des séances hebdomadaires de
psychothérapie de groupe non structurée et
83 délinquants sexuels soumis à une surveillance de
probation traditionnelle. Ils n’ont observé aucune
différence sensible entre les deux groupes en ce qui concerne la
récidive sexuelle et non sexuelle.
Robinson (1995) a constaté qu’un
programme d’apprentissage cognitif des compétences avait
contribué à diminuer la récidive dans un groupe de
189 délinquants sexuels ayant suivi le traitement (n = 46
pour le groupe de comparaison). Ce programme avait pour but d’inhiber
l’impulsivité et d’améliorer la capacité
cognitive de résoudre des problèmes. D’autres programmes
similaires ont aussi contribué à diminuer la récidive chez
les délinquants en général (Robinson et Porporino, 2001).
Cependant, l’étude de Robinson (1995) n’indique pas les taux
de récidive sexuelle des délinquants sexuels.
Borduin, Schaeffer
et Heilblum (2000) ont constaté qu’un traitement
multisystémique avait produit des effets notables chez des
délinquants sexuels adolescents : le taux de récidive
sexuelle était de 13 % chez les 24 délinquants ayant
suivi le traitement, contre 42 % chez les 24 délinquants ayant
suivi d’autres formes de traitement. Le traitement multisystémique
vise à diminuer la délinquance en améliorant les
interactions des adolescents avec les divers systèmes qui exercent une
influence sur leur comportement, comme la famille, l’école, les
services sociaux et les amis qu’ils fréquentent (Henggeler,
Schoenwald, Borduin, Rowland et Cunningham, 1998). Pourtant, même si le
traitement multisystémique est couramment utilisé pour lutter
contre la délinquance en général, une seule étude a
été consacrée à ses effets sur la récidive
sexuelle (Borduin, Henggeler, Blaske et Stein, 1990; Borduin et al., 2000).
La seule
étude avec répartition des sujets au hasard consacrée
à l’examen d’un traitement destiné
spécifiquement à des délinquants sexuels adultes a
été réalisée par le California’s Sex Offender
Treatment and Evaluation Project (SOTEP; Marques, 1999; Marques, Day, Nelson et
West, 1994). Tous les sujets étaient des détenus qui avaient
accepté volontairement de suivre le traitement. Ils ont dû subir
une évaluation avant d’être répartis au hasard dans
le groupe de traitement (n = 190) et le groupe de comparaison
(n = 225). Le traitement s’appuyait sur la théorie
cognitivo-comportementale intégrée à un cadre de
prévention de la récidive (Laws, 1989). Même si les
résultats préliminaires étaient encourageants (Marques et
al.,
1994), les données de suivi les plus récentes n’ont fait
ressortir aucune différence notable entre le groupe ayant suivi le
traitement et le groupe de comparaison (Marques, 1999). Les derniers
résultats de cette étude n’ont pas encore été
publiés.
Comme il existe
peu d’études où les sujets ont été
répartis au hasard, la plupart des données sur
l’efficacité des traitements proviennent d’études de
couplage quasi expérimentales. Hanson et al. (sous presse) ont
recensé 17 études où la répartition des sujets
était « arbitraire » et où il n’y
avait a priori aucun motif valable expliquant pourquoi les délinquants
pouvaient présenter un risque plus élevé ou moins
élevé que ceux du groupe de comparaison. Les
caractéristiques des délinquants et du programme lui-même n’étaient
pas des facteurs servant à déterminer qui recevrait le traitement
et aucun autre facteur évident ne pouvait influer sur la composition des
groupes. Les études avec répartition arbitraire des sujets ont
révélé que le traitement en soi ainsi que les
différences entre les traitements produisaient un effet global. Les traitements
actuellement en usage (soit tous les traitements utilisés de nos jours
et les traitements cognitivo-comportementaux offerts depuis 1980)
étaient associés à une diminution notable de la
récidive générale et de la récidive sexuelle, mais
pas les traitements antérieurs.
En
combinant les études avec répartition au hasard et les
études avec répartition arbitraire, on a constaté que les
traitements actuels étaient associés à une
réduction de la récidive sexuelle variant de 17,3 % à
9,9 % et à une réduction de la récidive
générale variant de 51 % à 32 %. Ces taux
n’étaient pas élevés, mais ils étaient
statistiquement fiables et suffisamment importants pour avoir une signification
pratique.
Hanson
et al. (sous presse) ont constaté que les traitements plus anciens
n’étaient pas associés à une réduction de la
récidive. Parmi les anciennes formes de traitements, on compte la
psychothérapie de groupe non structurée, la thérapie du
comportement hautement spécialisée et les groupes
d’entraide.
Même si la
méta-analyse de Hanson et al. (sous presse) fait la
preuve de l’efficacité globale des traitements, elle donne peu de
renseignements sur la manière d’améliorer les pratiques
actuellement en usage. Les traitements qui se sont révélés
efficaces sont les programmes récents axés sur une forme
quelconque de traitement cognitivo-comportemental et, dans le cas des
délinquants sexuels adolescents, le traitement systémique
axé sur les différents problèmes de la vie quotidienne
(liés par exemple à la famille, à l’école et
aux fréquentations). Il faudra approfondir les recherches afin de
pouvoir faire des distinctions fiables entre les types de traitements et les
types de délinquants. On peut s’attendre en effet à ce que
les délinquants sexuels pris individuellement aient besoin de
traitements différents, comme on peut penser que tous les traitements ne
profitent pas nécessairement autant à tous les délinquants
(Marques, 1999).
Synthèse
Dans
l’ensemble, de 10 % à 15 % des délinquants
sexuels commettent une nouvelle infraction sexuelle après une
période de suivi de quatre à cinq ans. Les délinquants
sexuels ne présentent pas tous le même risque de récidive.
On possède beaucoup d’information sur les facteurs statiques,
chronologiques, associés au risque de récidive à long
terme. Certains facteurs de risque dynamiques (ceux qu’on peut changer)
sont connus, mais il faudra effectuer encore des recherches pour comprendre
leur influence particulière. Les données dont nous disposons
actuellement montrent que les traitements systémiques et les traitements
cognitivo-comportementaux contribuent à diminuer la récidive
sexuelle et la récidive en général chez les
délinquants sexuels. Il semble toutefois que les traitements ne sont pas
tous efficaces et les gens qui fournissent des traitements aux
délinquants sexuels doivent bien tenir compte de des principes et des
résultats de recherche qui sous-tendent leur méthode.
ALLISON, P. D. Event history analysis: Regression for longitudinal
event data, Beverly Hills, CA : Sage, 1984.
ANDREWS, D. A., ZINGER, I., HOGE, R. D., BONTA, J.,
GENDREAU, P. et F. T. CULLEN. Does correctional treatment work? A clinically
relevant and informed meta-analysis. Criminology, 28, 369-404, 1990.
BACHMAN, R. Violence against women. Washington, DC :
É.-U. Department of Justice, Office of Justice Programs, Bureau of
Justice Statistics, janvier 1994.
BEECH, A., FRIENDSHIP, C., ERIKSON, M. et R. K. Hanson (sous presse).
The relationship between static and dynamic risk factors and reconviction in a sample
of U.K. child abusers. Sexual Abuse: A Journal of Research and Treatment.
BESSERER, S. Victimes de la
criminalité : une perspective internationale : résultats de
l’Enquête internationale de 1996 sur les victimes de la
criminalité. Statistique Canada, numéro de catalogue 85‑002-XPF,
Vol. 18 no. 6. Ottawa : Statistique Canada, mars 1998.
BORDUIN, C. M., HENGGELER, S. W.,
BLASKE, D. M. et R. j. STEIN. Multisystemic treatment of adolescent sexual offenders. International
Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 34, 105-113, 1990.
BORDUIN, C. M., SCHAEFFER, C. M. et
N. HEILBLUM. Multi-systemic
treatment of juvenile sexual offenders: A progress report. Exposé
présenté à la 6e Conférence
internationale sur le traitement des délinquants sexuels, à
Toronto, mai 2000.
DEMPSTER, R. J. et S. D. HART. (sous presse). The relative utility
of fixed and variable risk factors in discriminating sexual recidivists and
nonrecidivists. Sexual Abuse: A Journal of Research and Treatment.
DOREN, D. M. Recidivism base rates, predictions of sex offender
recidivism, and the “sexual predator” commitment laws. Behavioral
Sciences and the Law, 16, 97-114, 1998.
FARRINGTON, D. P. et R. LOEBER. Relative improvement over chance
(RIOC) and phi as measures of predictive efficiency and strength of association
in 2 X 2 tables. Journal of Quantitative Criminology, 5, 201-213. 1989.
FURBY, L., WEINROTT, M. R. et L. BLACKSHAW. Sex offender recidivism: A
review. Psychological Bulletin, 105, 3-30, 1989.
GALLAGHER, C. A., WILSON, D. B., HIRSCHFIELD, P., COGGESHALL, M. B. et
D. L. MACKENZIE. A quantitative review of the effects of sex offender treatment
on sexual reoffending. Corrections Management Quarterly, 3, 19-29, 1999.
GENDREAU, P., LITTLE, T. et C. GOGGIN. A meta-analysis of the predictors
of adult offender recidivism: What works! Criminology, 34, 575-607,
1996.
GREENFELD, L. A. Sex offenses and offenders: An analysis of data on
rape and sexual assault. Washington, DC : É.-U. Department
of Justice, Office of Justice Programs, Bureau of Justice Statistics,
février 1997.
HALL, G. C. N. Sexual offender recidivism revisited: A meta‑analysis
of recent treatment studies. Journal of Consulting and Clinical Psychology,
63, 802-809, 1995b.
HANSON, R. K. What do we know about
sexual offender risk assessment? Psychology, Public Policy and Law, 4,
50‑72, 1998.
HANSON, R. K. Risk assessment.
Beaverton, OR: Association for the Treatment of Sexual Abusers, 2000.
HANSON,
R. K. et M. T. BUSSIÈRE. Predicting relapse: A meta‑analysis of sexual offender
recidivism studies. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 66 (2),
348‑362, 1998.
HANSON,
R. K., GORDON, A., HARRIS, A. J. R., MARQUES, J. K., MURPHY, W., QUINSEY, V. L.
et M. C. SETO (sous presse). First report of the Collaborative Outcome Data Project of the
effectiveness of psychological treatment for sex offenders. Sexual Abuse: A
Journal of Research and Treatment.
HANSON,
R. K. et A. J. R. HARRIS. Where should we intervene? Dynamic predictors of sex offense recidivism.
Criminal Justice and Behavior, 27, 6-35, 2000.
HANSON,
R. K. et A. J. R. HARRIS. A structured approach to evaluating change among sexual offenders. Sexual
Abuse: A Journal of Research and Treatment, 13 (2), 105-122, 2001.
HANSON,
R. K., STEFFY, R. A. et R. GAUTHIER. Long-term recidivism of child molesters. Journal of
Consulting and Clinical Psychology, 61, 646-652, 1993.
HANSON,
R. K. et D. THORNTON. Improving
risk assessments for sex offenders: A comparison of three actuarial scales. Law
and Human Behavior, 24(1), 119-136, 2000.
HARRIS, G. T., RICE, M. E. et V. L.
QUINSEY. Appraisal and
management of risk in sexual aggression: Implications for criminal justice
policy. Psychology, Public Policy, and Law, 4, 73-115, 1998.
HENGGELER, S. W., SCHOENWALD, S. K., BORDUIN, C. M., ROWLAND, M. D. et
P. B. CUNNINGHAM. Multisystemic treatment for antisocial behavior in youth.
New York : Guilford, 1998.
HOLLIN, C. R. Treatment programmes for offenders:
Meta-analysis, “what works”, and beyond. International Review of
Psychiatry and Law, 22, 361-372, 1999.
HOLLIN, C. R. Handbook of offender assessment and
treatment. Chichester, R.-U. : Wiley, 2001.
JANUS, E. S. et P. E. MEEHL. Assessing the legal standard for
predictions of dangerousness in sex offender commitment proceedings. Psychology,
Public Policy, and Law, 3, 33-64, 1997.
LAUNAY, G. The phallometric assessment of sex offenders: Some
professional and research issues. Criminal Behaviour and Mental Health, 4,
48-70, 1994.
LAWS, D. R. (Éd.) Relapse
prevention with sex offenders. New York: Guilford, 1989.
LIPSEY, M. W. What do we learn from 400 studies on the
effectiveness of treatment with juvenile delinquents? In J. McGuire
(Éd.), What works: Reducing reoffending – guidelines from
research and practice. Chichester, R.-U. : Wiley, 1995.
MARQUES, J.K. How to answer the question, “Does sex offender
treatment work?” Journal of Interpersonal Violence, 14(4),
437-451, 1999.
MARQUES, J.K., DAY, D.M., NELSON, C. et M. A. WEST. Effects of
cognitive-behavioral treatment on sex offenders recidivism: Preliminary results
of a longitudinal study. Criminal Justice and Behavior, 21, 28‑54.
1994.
MARTINSON, R. What works? Questions and answers about prison
reform. The Public Interest, 35, 22-54, 1974.
ROBINSON, D. L’incidence du
Programme d’apprentissage des compétences sur la récidive
après la mise en liberté chez les délinquants sous
responsabilité fédérale au Canada (no. R-41). Ottawa,
ON, Service correctionnel Canada, Division de la recherche et des
développements correctionnels, 1995.
ROBINSON, D. et F. J. PORPORINO. Programming in cognitive skills: The
reasoning and rehabilitation programme. Dans C. R. HOLLIN, (Éd.), Handbook
of offender assessment and treatment (p. 179-193). Chichester, R.‑U.:
Wiley, 2001.
ROMERO, J. J. et L. M. WILLIAMS. Group psychotherapy and intensive
probation supervision with sex offenders. Federal Probation, 47, 36-42,
1983.
RUSSELL, D. E. H. The prevalence and incidence of forcible rape and
attempted rape of females. Victimology: An International Journal, 7,
81-93, 1983.
SJÖSTEDT, G. et N. LÅNGSTRÖM. Actuarial Assessment of
risk for criminal recidivism among sex offenders released from Swedish Prisons
1993-1997. Exposé présenté à la 19th
Annual Research and Treatment Conference de l’Association for the
Treatment of Sexual Abusers, San Diego, CA, novembre 2000.
STATISTIQUE CANADA.
L’enquête sur la violence envers les femmes. Le Quotidien.
Ottawa : Statistique Canada, le 18 novembre 1993.
THORNTON, D. (sous presse). Constructing and testing a framework
for dynamic risk assessment. Sexual Abuse: A Journal of Research and
Treatment.
UNITED STATES GENERAL ACCOUNTING OFFICE. Sex offender treatment:
Research results inconclusive about what works to reduce recidivism. Washington,
DC : Auteur, 1996.
WIERZBICKI, M. et G. PEKARIK. A meta-analysis of psychotherapy
drop-out. Professional Psychology: Research and Practice, 24, 190-195,
1993.
WILLE, R. et K. M. BEIER. Castration in Germany. Annals of
Sex Research, 2, 103-133, 1989.
Tableau 1
Prédicteurs
de la récidive en général chez les délinquants
sexuels et les autres délinquants
______________________________________________________________________
Facteur de risque délinquants autres
sexuels délinquants
______________________________________________________________________
Fréquentations - 0,21
Cognitions
antisociales - 0,18
Personnalité
antisociale 0,16 0,18
Antécédents
criminels (adulte) 0,23 0,17
Délinquance
juvénile 0,28 0,16
Groupe ethnique
minoritaire 0,10 0,16
Âge (jeune) 0,16 0,11
Toxicomanie 0,11 0,10
Faible intelligence 0,01 0,07
Détresse
personnelle 0,01 0,05
______________________________________________________________________
Remarque : Les
valeurs indiquées sont des coefficients de corrélation moyens
tirés de Hanson et Bussière, 1998 (délinquants sexuels) et
de Gendreau et al., 1996 (délinquants en général).
Tableau
tiré de Hanson (2000)
Tableau 2
Prédicteurs
de la récidive sexuelle
____________________________________________________________________
Facteur de risque r n
(k)
____________________________________________________________________
Déviance sexuelle
Intérêt sexuel
phallométrique
pour les enfants 0,32
4 853 (7)
Toute préférence sexuelle
déviante 0,22
570 (5)
Infractions sexuelles antérieures 0,19 11 294(29)
Victime qui était
étrangère au sujet 0,15 465 (4)
Précocité des infractions
sexuelles 0,12 919 (4)
Victime non apparentée 0,11
6 889(21)
Victime qui est un jeune garçon 0,11 10 294(19)
Infractions sexuelles diverses 0,10
6 011 (5)
Mode de vie et
antécédents criminels
Personnalité antisociale 0,14 811 (6)
Toute infraction antérieure 0,13
8 683(20)
Facteurs
démographiques
Âge (jeune) 0,13
6 969(21)
Célibataire (jamais marié) 0,11
2 850 (8)
Antécédents
en matière de traitement
Abandon d’un traitement 0,17 806 (6)
______________________________________________________________________
Remarque : r est un
coefficient de corrélation moyen tiré de Hanson et
Bussière (1998). k est le nombre d’études et n est le
nombre total de sujets contenus dans les échantillons.
Tableau tiré de Hanson
(2000).
Tableau 3
Facteurs
non liés à la récidive sexuelle
____________________________________________________________________
Facteur de risque r n
(k)
____________________________________________________________________
Empathie pour la victime
0,03 4 670
(3)
Déni de l’infraction
sexuelle
0,02 762 (6)
Manque de motivation pour le traitement
0,01 435 (3)
Problèmes psychologiques
généraux
0,01 655 (6)
Victime d’exploitation sexuelle
durant l’enfance -0,01 5 051
(6)
Degré du contact sexuel -0,03
828 (6)
______________________________________________________________________
Remarque : r est un
coefficient de corrélation moyen tiré de Hanson et
Bussière (1998). k est le nombre d’études et n est le
nombre total de sujets contenus dans les échantillons.
[1] Recherche sur les questions correctionnelles - Ministère du Solliciteur général du Canada, 340, avenue Laurier ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P8, Canada - hansonk@sgc.gc.ca