Le sujet de l’intervention proposé faut-il
l’avouer peut laisser perplexe dans un premier temps. Existe t’il
des outils d’évaluation de risque de rechute ? Plutôt
que de répondre à cette question , et en raison de la
perplexité que suggère cette question , je
répondrai : il existe des thérapeutes qui utilisent des
méthodes qu’ils pensent ou du moins prétendent être
des outils d’évaluation des risques de rechute ; ou plus exactement
le terme utilisé est risque de récidive. Il semble plus pertinent
d’interroger cette intrication entre rechute et récidive sachant
que les études des thérapeutes jusqu’ici portent sur des
programmes de traitements de prévention de la récidive . Cette
intrication rechute- récidive ne peut se départir d’une
réflexion sur leurs cadres de référence , juridique
d’un côté , thérapeutique de l’autre , qui
sous-tend l’explicite de la réitération à savoir ,
la répétition .
I-
Recidive
et rechute .
Plusieurs difficultés inaugurent la
réponse à la question : « Existe t’il des
outils permettant d’évaluer les risques de rechute et quels
sont-ils ? » . Ces difficultés sont avant tout
d’ordre épistémologique et de méthodes heuristiques relatives à l’évaluation clinique
particulièrement dans le domaine des auteurs d’agressions sexuelles
. ( Je me permets d’ajouter le pluriel à agression sexuelle
proposée comme titre pour cette « conférence de
consensus » tant la réalité socio- juridique et
clinique montre le caractère réitératif des actes de leurs
auteurs ) . Ce côté réitératif est d’ailleurs
inscrit dans le concept de rechute .
En ce qui concerne les
difficultés épistémologiques , celles-ci se rencontrent au
détour de l’interférence des cadres sociétaux
d’investigation et d’intervention . Bien entendu pour notre étude
il s’agit essentiellement des cadres juridique et thérapeutique ,
principalement au travers des concepts juridiques de
« récidive » et thérapeutique de
« rechute » . Cela est si vrai que dans les études
les plus approfondies à ce jour provenant essentiellement des pays
anglo-saxons , particulièrement des U.S.A et du Canada , ( cf .
Blanchette , K . (1996) . Evaluation , traitement et risque de récidive
des délinquants sexuels : analyse de la documentation ) la notion
de récidive est dépendante , quant à
l’évaluation du « risque » , de celle de
rechute, elle, liée aux programmes thérapeutiques . Il faut
ajouter à cette intrication les liens des programmes
thérapeutiques aux programmes éducatifs où se côtoient
, dans une prise en charge normative , l’accompagnement social et le
coercitif .
Avant même que
d’interroger ce qui relève de la notion médicale de rechute
, il convient de remarquer les conclusions que nous offrent les études
de nos collègues nord- américains corroborées par l’étude
de l’équipe du professeur MORMONT de l’université de
Liège . ( Giovanelli ,
D ; Cornet, J.P ; MORMONT , C . Etude comparative dans les 15 pays de
l’union européenne : les méthodes et les techniques
d’évaluation de la dangérosité et du risque de
récidive des personnes présumées ou avérées
délinquants sexuels . )
Les conclusions canadiennes sont
que :« l’étude de la récidive chez les
délinquants sexuels, de ses corrélats et du pouvoir
thérapeutique du traitement constitue un défi de taille pour les
chercheurs . La détermination des causes de la récidive et des
éléments qui l’influencent dépend de facteurs
complexes , tels que la période de risque passée dans la
collectivité le degré
de surveillance et tout un tas de variables . ( Plus la période post-
carcérale est longue , plus le taux de récidive est
élevé – Et à ce jour les études
françaises ne nous donnent pas assez de recul pour une évaluation
optimale – N.D.A -- ). Les études réalisées dans ce domaine
concordent rarement sur les taux de récidive relevés , en partie
à cause du nombre de définitions données au terme
« récidive » . ( BLANCHETTE . K . Opus – cit
.) .
L’équipe du professeur MORMONT ( Op .
cit) constate identiquement parmi les études consacrées , en
Europe ,à l’évaluation de la récidive chez certaines
populations , et notamment chez les auteurs d’agressions sexuelles , une
disparité des taux obtenus . « Cette variation des
résultats s’explique en grande partie par les définitions
divergentes de la notion de récidive qui président à ces
études » .
Selon les pays , selon l’obédience
professionnelle , selon l’obédience théorico- clinique , le
même vocable va recouvrir des contenus sémantiques et des
réalités sociales différents . De ce fait l’option
méthodologique et les « outils »
d’évaluation qui y
affèrent sont largement susceptibles d’influer sur les
résultats obtenus .
Aussi notre étude ne sera pas exhaustive . (
En ce qui concerne l’exhaustivité des techniques nous renvoyons le
lecteur à l’étude très approfondie et
documentée de l’équipe du professeur MORMONT ( Op . cit)
) .
Epistémologiquement il nous paraît
fondamental de désintriquer les notions de
« réitération » ,
« récidive » , « rechute »
et celle de « sérialité » . Cela nous
amènera à interroger les cadres de
« savoir » auxquels ces notions se raccrochent
d’une part , et d’autre part à dissocier ce qui est de
l’ordre du « phénoménal » et ce qui
est de l’ordre du « processuel » . Un
processus peut se manifester sous différentes formes , et des
phénomènes apparemment identiques peuvent dépendre de
processus différents .
Une autre difficulté est
relative à l’hétérogénéité du
groupe « auteurs d’agressions sexuelles » . Autant
il est difficile de mettre d’accord les cliniciens sur la question de la
récidive , autant il y a unanimité sur
l’hétérogénéité clinique des A.A.S .
Les délinquants et les criminels sexuels différent les uns des
autres, de part leurs antécédents personnels et
judiciarisés , les circonstances qui ont précédé
les infractions commises , l’âge et le sexe de leurs
victimes , les attitudes et convictions sur lesquelles s’appuient
leurs comportements déviants , ainsi que le degré de violence
qu’ils ont fait subir à leurs victimes , et d’autre part par
les structures de personnalité différentes . Comme le font
remarquer GORDON . A et PORPORINO au Canada et tout spécialement BALIER
. C en France , cela revient à dire que les auteurs d’agressions
sexuelles forment un groupe hétérogène dont les besoins en
terme d’évaluation et de traitement sont variés . Cependant
si les cliniciens sont d’accord en ce qui concerne
l’hétérogénéité des A.A.S . leurs
obédiences théorico – cliniques et les stratégies de
soins et d’évaluation divergent . Ceci a pour conséquence
de constater que comme tout humain le clinicien diverge de ses semblables et
qu’une étude scientifique , si elle est possible à acter ,
doit tenir compte de l’hétérogénéité
de la population des sujets étudiés , mais aussi de
l’hétérogénéité de la population des
cliniciens , ceci afin d’éviter au mieux d’être ce que
Boris CYRULNIK appelle des « abuseurs
sémantiques » . ( cf . mémoire de singe et parole
d’homme . Poche pluriel . Paris ) .
L’hétérogénéité
clinique s’éprouve dans la diversité des catégories
psychopathologiques et des typologies des A.A.S . Cette
hétérogénéité clinique se retrouve dans la
non concordance des taux de récidive précédemment
évoquée et surtout dans les méthodes heuristiques
d’investigation et d’évaluation .
En ce qui concerne les A.A.S , les études
nord- américaines , bien que de loin les plus nombreuses et les plus
construites , font surtout référence à une construction
« cognitivo- comportementaliste » qu’il est
difficile à retranscrire comme telle en France où les
élaborations cliniques notamment sous l’influence
indéniable de C. BALIER s’étayent sur une conception psychodynamique
du sujet avec pour référence une psychanalyse pragmatique , qui correspond mieux à notre
art de vivre ( ou notre way of life) .
A ces considérations sur les obstacles
épistémologiques et méthodologiques s’ajoutent
l’intérêt pour les populations jusqu’ici peu
étudiées en France et qui si elles ne bouleversent pas
fondamentalement les études actuelles n’en demandent pas
néanmoins un approfondissement de la clinique des A.A.S , à
savoir les femmes et les adolescents .
En ce qui concerne les adolescents ,
l’augmentation de la judiciarisation de leur actes sexuels violents ,
sans que l’on puisse se prononcer sur l’augmentation de commissions
d’actes , nous renseignent sur la précocité de ceux-ci .
Ceci bat en brèche l’idée d’une
spécificité adulte incestueuse ou pédophilique de
l’agression sexuelle . Par contre la spécificité de la
dynamique groupale décrite depuis longtemps dans les analyses socio-
psychologiques des jeunes , se retrouve dans les agressions sexuelles telles
que ce qui est convenue d’appeler les « Tournantes »
.
La femme , elle , a longtemps été
considérée plus comme une victime qu’une personne capable
d’agression sexuelle , hormis dans une vision de complicité
passive .
Les études anglophones ou francophones ,
certes beaucoup moins nombreuses , battent en brèche cette
représentation . Ce qui , au vue des dernières données
cliniques et statistiques , vient pointer l’essentiel de la
particularité de l’agression sexuelle féminine est le cadre
domestique . Ce cadre domestique ou familial rend compte à sa
manière de la place de la femme dans la société , fut- ce
à travers des comportements morbides . L’actuelle mutation sociale
avec ses corrolaires de crise de la paternité et de la masculinité
, permet de supposer qu’à l’instar de l’implication
professionnelle et égétique des femmes ainsi que de leur plus
grande liberté d’alliance sexualisée , les comportements
féminins morbides vont se transformer en rapport avec celle-ci .
Statistiquement les données dont nous
disposons , semblent montrer un taux de récidive important chez les
adolescents hommes et faible chez les femmes adultes .
II-
Heteronomie
et homologie des cadres d’evaluation
Comme la clinique épistémologique nous
y invite , nous devons scientifiquement désintriquer le manifeste de
l’acte déjudiciarisé du processus qui le rend possible et
surtout observable .
Ainsi que le fait remarquer Gaston BACHELARD ( 1986 .
la Formation de l’esprit scientifique . VRIN . Paris) nous
n’observons que ce que nous concevons théoriquement au
préalable .
Chaque cadre de formalisation construit donc son
objet . Ceci implique la nécessité de désintriquer ce qui
apparaît comme une manifestation unitaire , à savoir la
réitération de l’acte (potentiellement judiciarisable) en
une pluralité d’objets d’évaluation .
Ainsi la notion de récidive renvoie au cadre
juridique , celle de rechute au cadre thérapeutique . A noter que la
notion psycho-dynamique de « répétition »
(énoncée par la psychanalyse) interroge l’analogie implicite et structurale , qui
s’exprime dans les diverses réitérations d’acte .
La question de la rechute suppose donc
dialectiquement être analysée en tenant compte de la
diversité et donc de la différence des cadres et de leurs objets
tout autant que de leur fonctionnement analogue . C’est cette analyse
dialectique à laquelle nous incite Pierre BOURDIEU ( in Questions de
sociologie , Paris , Les éditions de minuit , 1980 ) en ce qui concerne
les taxinomies sociologiques ; autrement dit les modes de classement ,
catégories, typologies . D’un côté les champs
sociologiques , ici juridique et thérapeutique , sont autonomes et ne
peuvent se comprendre si on ne connaît pas les règles implicites
et explicites qui les structurent séparemment . Mais il existe une
propriété plus fondamentale qui lie les champs entre eux ,
à savoir une « homologie structurale » entre chaque champ , autrement dit un
fonctionnement analogue .
Pour nous résumer chaque champ construit sa
propre cohérence interne , son autonomie , et pour autant cette hétéronomie
des champs , à prendre en
compte au risque sinon d’émettre des confusions
préjudiciables à une analyse scientifique , est à mettre
en perspective avec une homologie structurale entre ces différents
champs .
Considérons une autre problématique que
celle de l’agression sexuelle à savoir « l’alcoolisme » : les définitions ,
évaluations et modes d’interventions rendent compte de
l’autonomie du champ juridique par rapport au champ thérapeutique
. En France le champ juridique stigmatisera l’alcoolisme en fonction des
limites des « infractions » définies par la loi . La notion
de récidive concernera le fait du contrevenant par exemple à
être contrôlé plusieurs fois sous conduite avec une
alcoolémie positive .Or cette alcoolémie positive
peut-être occasionnelle sans être rattachée à une
addiction ou une toxicomanie . Ce qui définit la récidive
dès lors est le rapport à la définition de
l’infraction . Le même justiciable peut-être
châtié juridiquement pour conduite en état alcoolique
( C.E.A) et parallèlement
pour infraction à la loi sur les stupéfiants (I.L.S) sans
qu’il soit considéré en état de récidive
légale. Cela est encore plus prégnant entre les délits
aussi différents que l’agression sexuelle et le vol commis par un
même individu .
Pour le champ thérapeutique la question de la
répétition sous manifeste addictif ou toxicomaniaque analysera la
problématique de l’alcoolisme non plus en fonction d’une
infraction mais de comportements répétitifs , fussent-ils
plurimodaux , liés à une structure de personnalité
dépendante . La notion de rechute dans le cas de l’alcoolisme ne
se confond pas avec celle de récidive . D’autre part comme le
montre le Professeur L.M . VILLERBU . dans la problématique des A.A.S le
vol peut-être un passage à l’acte exutoire d’une
potentialité sérielle mise en acte par ailleurs dans le viol (
Recherche A.P.P.A.G.S . Accompagnement psycho-pénal des agresseurs
sexuels – Rennes C.E.R.E.C.C. Fév . 2000 – Non
édité ) .
La problématique de l’agression sexuelle
pose un problème particulier du fait , qu’hormis se faire prendre ou non dans les
rêts de la justice , que la possession sexuelle de l’autre sans son
consentement , ou profitant d’une vulnérabilité , inclut de
fait une victime et est judiciarisable . De ce fait les prises en charge
thérapeutiques et juridiques seront liées peu ou prou et se
confronteront dans des visées contradictoires de confusion des genres ou
/ et de conflits de distinction et de discrétion liés à
l’autonomie de chaque champ . Nous entendons par distinction
l’autonomie renvoyant chaque champs socio- professionnel à sa
déontologie et ses territoirs et par discrétion ce qui se
réfère à l’éthique de son exercice , ici tout
particulièrement le secret (professionnel) médical .
L’homologie structurale entre le juridique et
le thérapeutique se dénote en ce que le comportement acté
réitératif n’est reconnu que s’il est défini
par le cadre de référence . Ainsi analogiquement au «
nullum crimen sine lege » de la justice , qui fait qu’une
infraction et par extension la récidive n’existe que si elle a
été préalablement définie légalement .
La rechute n’existe que si un comportement s’inscrit dans la
nomenclature médicale , autrement dit pas de récidive ou rechute
sans prise en charge préalable . D’autre part cette homologie
structurale rend compte d’une inscription sociétale analogue ,
où comme le font remarquer Jean GAGNEPAIN ( Du vouloir dire .
Traité d’épistémologie des sciences humaines .
Volume II : De la personne . De la norme , Paris , Livres et communication
1991 ) sous le concept de situation curatelle (au sens étymologique de « cura
sui » , ou
Michel FOUCAULT sous celui d’Epimélie (melein : s’occuper de) (
l’Herméneutique du sujet – cours au collège de France . 1981- 1982 . Gallimard –
Seuil – mars 2001 ) , la personne prise en charge est dans une situation
de procuration et de dépendance à l’institution.
Au
juridique et au thérapeutique s’ajoute dans cette unité
sociétale le didactique (ou pédagogique) .
Tableau
récapitulatif :
Homologie
structurale des champs sociétaux d’intervention :- situation
de curatelle
- épimélie .
Champ
sociétal |
Objet
d’investigation |
Sujet
d’évaluation |
Prescriptivité |
CADRE INSTITUTIONNEL |
REITERATION |
PERSONNE |
PRISE EN CHARGE |
Didactique
Redoublement
élève
Enseignement
Pédagogique
Informatif
Ecole
Formatif
Thérapeutique
Rechute
malade
Soin
Médical
Préventif
Hôpital
Curatif
.
Juridique
Récidive
délinquant
Peine
Pénal
Prévention
Prison
Sanction
Analyse psychopathologique
Processus de répétition et mise en acte sérielle .
Ce
qu’évoque Michel FOUCAULT de la relation
maître-élève se retrouve dans la relation
thérapeute- patient tel qu’en parle Claude BALIER ou la relation
Magistrat- justiciable évoquée par Denis SALAS et Xavier LAMEYRE
.
Il y a une influence respective des attitudes des
thérapeutes et de la réceptivité des délinquants
sur l’efficacité des soins par rapport aux actes violents
sexualisés . Les thérapeutes qui traitent leurs patients avec
respect mais sans connivence leur proposent des défis tout en
étayant dans leur démarche , et font preuve d’empathie
à leur égard ont été , de l’avis , même
, de thérapeutes cognitivistes , à l’origine de
modifications plus importantes de comportements que les thérapeutes plus
autoritaires , qui confrontent leurs patients et ne leur témoigne aucune
empathie .
Est-il
audacieux de poser un constat identique en ce qui concerne le didactique et le
juridique ? Et de postuler que l’appropriation , qu’elle soit
de l’enseignement , de la peine ou du soin , est une démarche
prioritaire et fondamentale ?
III-
Rechute
– repetition – serialite
La question relative aux outils permettant
d’évaluer les risques de rechute , une fois émis
l’analyse sur l’homologie structurale et
l’interférence des questions liées à la rechute et
à la récidive , nous invite à nous recentrer sur le cadre
thérapeutique .
Le mérite de la démarche
psychanalytique est de proposer un essai de compréhension d’un
phénomène et de chercher le processus qui le sous-tend, quand
beaucoup se bornent à constater le manifeste . L’obédience
cognitivo- comportementaliste se penche sur le problème de la rechute
mais sans la dissocier de la récidive en ne lui attribuant que la
portée du résultat d’un cumul
d’évènements identifiés sans s’interroger sur
son identifiabilité .
L’intérêt de l’analyse de
cliniciens comme C.BALIER ou S. BARON- LAFORET est de dégager de
l’explicite de la rechute , l’implicite de la répétition
en ce qu’elle revêt
pour le sujet un caractère contraignant : « Le
caractère contraignant d’une force émanant de
l’inconscient nous fait basculer dans le champ de la
répétition , même s ‘il s’agit d’une
« impulsion » en apparence unique , mais dont
l’incompréhensibilité autant que
l’irrésistibilité témoignent du risque à
recommencer » .Faisant référence à Thanatos ,
la pulsion de mort introduite par FREUD
dans « Au-delà du principe de plaisir » (
1920) C. BALIER ( 1996) rend compte du caractère répétitif
de l’acte lié à un « retournement »
de l’acte comme « lutte contre l’angoisse
d’anéantissement » (l’acte vient permettre la
survie psychique ) . A. CIAVALDINI ( 1999) dans une analyse proche propose
l’hypothèse selon laquelle le passage à l’acte vise
à apaiser le sujet de l’excitation dû à une tension
interne . Mais cet apaisement est ponctuel. Et cette ponctualité peut
dans certains cas expliquer que le sujet progresse dans la recherche de
l’intensité de l’apaisement . Ce qui se traduit alors par une progression de la
gravité des atteintes à l’autre . Cette progression dans la
gravité des infractions est souvent constatée chez les
récidivistes .
La question de la
répétition est pour nous fondamentale dans
l’évaluation des risques de réitération
d’actes qui peuvent très bien ne pas être
judiciarisés voir même judiciarisables tout en démontrant
la potentialité d’une vulnérabilité psychique d’un
agresseur . Ceci est d’autant plus remarquable que la
vulnérabilité psychique de l’agresseur rencontre le plus
souvent la vulnérabilité psychique d’une victime .
L’évaluation des risques de rechute
suppose une clinique thérapeutique du passage à l’acte, non
pas pour réduire la personne à son acte délinquant ou
criminel , mais pour analyser quelle signification il prend dans
l’histoire du sujet et son fonctionnement psychique.
Si l’on tient compte de la dynamique implicite
ou inconsciente on s’aperçoit que la répétition ne
se manifeste pas que dans les actes judiciarisés .
A
travers ou à partir de questionnement et recensement de manières
d’être , tels que le questionnaire d’investigation
clinique pour auteurs d’agressions sexuelles
( A. CIAVALDINI –
19996 Psychopathologie des agresseurs sexuels – Paris : Masson
–P. GENUIT le Q.I.C.P.A.A.S. Journées de réflexion 1998
publ . ARTAAS) nous le permet , on voit que la répétition se
manifeste en d’autres lieux que ceux de l’infraction . Cela
relève fort souvent un potentiel de sérialité morbide dans
laquelle l’acte judiciarisable n’est qu’une des
modalités de mise en acte . Une telle démarche permet de poser
des hypothèses cliniques à mettre en vérification-
réfutation ( cf . K. POPPER , conjectures et réfutations –
La croissance du savoir scientifique , Payot , Paris , 1985 )par d’autres
outils cliniques .
D’autres
outils cliniques , tel que le Make .A. Picture .Story (M.A.P.S ) (P. GENUIT Le
MAPS comme média d’évaluation et d’accompagnement
thérapeutique dans la clinique des auteurs d’agressions sexuelles
. Journées de réflexion 1998 . ARTAAS) , cherchent à
déterminer des facteurs déclenchant ( lieu ,
évènements, rencontres) des vascillements induisant des mises en
acte révélant la crainte d’effondrement sous-jacente .
Développant ce que C.OLIEVENSTEIN énonce en ce qui concerne la
toxicomanie : la rencontre de 3 variables le produit , la structure de
personnalité , l’environnement . L’évaluation des
risques de rechute doit prendre en
compte la vulnérabilité intra- psychique , autrement dit :
le vascillement potentiel , la vulnérabilité inter- psychique et
la détermination de facteurs déclenchants . Cela suppose chercher
à déterminer un potentiel implicite de sérialité
morbide et des conditions explicites de mise en acte de cette dernière .
Il convient ici de signaler que la
répétition et le potentiel implicite de sérialité
n’est pas le monopole des auteurs d’agressions sexuelles , ni ne
sont en soi pathologiques .
Ce n’est donc pas la répétition en soi qui doit être
interrogée mais la morbidité qui s’y attache .
IV-
Il n’y a
pas d’ outils sans ouvriers
.
Au stade actuel de notre réflexion , il nous
paraît important avant que d’évoquer la proposition des
outils d’évaluation du risque de rechute de reprendre certains
constats cliniques fussent-ils dans l’indistinction de la récidive
et de la rechute ne serait-ce que par l’intérêt que nous
leur portons et les pistes qu’ils nous suggèrent . En fait les
taux de récidive varient non seulement selon les auteurs , les pays etc …
mais aussi en fonction des typologies des délinquants et criminels .
Les typologies tiennent compte de l’intra ou de
l’extra- familial , de l’âge , du sexe de la victime .
D’un
côté cela nous oblige à une grande réserve , du fait
de l’évolution de nos cliniques . Le cas des
« pères incestueux » en est un exemple . Ceux-ci
sont dans la majorité des études statistiques
considérés comme moins récidivistes . La clinique
« incisive » promulguée par C.BALIER et les
études notamment de S. BARON-LAFORET viennent porter quelques coups de
boutoirs à cette analyse . D’une part parce que la typologie des
pères incestueux est à revoir , en ce sens ou nombre de ceux-ci
nous ont révélé être parallèlement des
pédophiles extra-familiaux . D’autre part s’il semble vrai
qu’ils ne récidivent pas une fois punis juridiquement , il
n’en reste pas moins que les faits de la sanction liés au suivi
thérapeutique ne gomment pas la potentialité implicite de
sérialité morbide précédemment actée.
Les
études canadiennes semblent montrer l’intérêt
à affiner les catégories cliniques afin de pouvoir proposer des
stratégies thérapeutiques efficientes . Ainsi ( cf BLANCHETTE . K . 1996) « les études
ont montré que les délinquants les plus dangeureux ou qui
montrent le plus grand risque profitent d’avantage des programmes longs
et intensifs, tandis que les délinquants à risques moins
élevés réagissent à des programmes moins
intensifs »
( FISCHER 1995 – NICHOLAICHUK 1996 ) .La recherche effectuée
permet également de croire que les programmes qui réduisent la
récidive chez les agresseurs d’enfants ont peu d’effet sur
les violeurs et les exhibitionnistes . ( MARSCHALL et BARBARREE 1990) .
Cependant d’autres paradigmes ont donné des meilleurs
résultats pour les violeurs que les agresseurs d’enfants (MARQUES
, DAY , NELSON et WEST 1994). A noter aussi que les jeunes détenus qui
en sont à leur première peine d’emprisonnement de ressort
fédéral présentent généralement plus de
risques de récidive . Ces informations corroborent les analyses
françaises ( cf . R . COUTANCEAU ) qui semblent montrer
l’importance de la précosité de l’arrêt de la
réitération des actes et la mise en place d’un
accompagnement thérapeutique conjugué à un contrôle
juridique .
Nous ne pouvons honnêtement
proposer des outils fiables d’évaluation des risques de rechute
analogiquement aux outils de la médecine somatique tels que les examens
corporels , sanguins , scanner , I.R.M etc … Il nous paraît
autrement plus efficient de profiter de l’expérience des
thérapeutes et de valoriser les échanges entre eux . Dans la
perspective des travaux de l’ A.R.T.A.A.S. nous suggérons
d’optimaliser les études cliniques de façon
transdisciplinaire . Cela aussi suppose d’interroger nos acquis qui
restent humbles , confronter les spécificités et les analyses.
D’ailleurs
même les tenants du cognitivo- comportementalisme n’agissent pas
autrement lorsqu’ils se déparent de la fétichisation des
tests et joignent des méthodes aussi différentes que les tests
psychologiques , les tests physiologiques , l’étude de dossiers ,
les entrevues cliniques individuelles et groupales , la consultation de tiers .
Il convient semble -t’il de personnaliser
l’évaluation et de se détacher du manifeste afin de
réfléchir sur la subjectivité du fonctionnement psychique
qui nous oblige à adapter nos méthodes d’investigation en
fonction du cadre temporo- spatial- environnemental et de l’inter-
subjectivité de la relation . Ainsi pour une conception uniforme de
conscience déformée ou distorsion cognitive , faut-il
s’interroger sur les questions de reconnaissance des actes , du
vécu de la victime , de la différence entre conscience , empathie
, et convictions (autrement dit reconnaissance logique , reconnaissance sociale
et reconnaissance morale) , qui ne
rendent pas compte quand elles défaillent des mêmes structures psychopathologiques
, même si l’on doit là aussi se poser la question de
l’homologie structurale .
Autrement dit dans la relation clinique , fut-elle en
son rôle évaluatif , l’important est le clinicien qui
définira ses outils au mieux et en lien avec d’autres cliniciens.
La définition des outils du clinicien est bien
entendu corrélée à son cadre d’intervention et
à son obédience praxique, autrement dit théorico-pratique.
Quelques soient les différentes conceptions et approches du
phénomène de l’agression sexuelle, le contexte
prédominant pour l’évaluation du risque de rechute est la
reconnaissance des faits judiciarisés et la culpabilité ressentie
ou non par la personne (homme ou femme) dénommée juridiquement
agresseur ou violeur.
Le
questionnaire d’investigation clinique pour auteurs d’agressions
sexuelles (Q.I.C.P.A.A.S.) établi dans un objectif de relation
thérapeutique n’en est pas moins un outil
d’évaluation clinique révélant par défaut, c’est
à dire par le non accès à la démarche
d’appropriation du soin, les risques de rechute. L’appropriation du
soin corrèle une dimension empathique où la reconnaissance de
l’altérité extirpe l’impétrant de la relation
d’emprise et par là induit la reconnaissance de sa position de
domination sur l’autre, ce qui entraîne une reconnaissance de ce
dernier en tant que victime.
La clinique nous amène à
différencier la reconnaissance des faits et la reconnaissance de
l’acte. Ceci interroge la
dénomination de déni partiel ou total des faits
incriminés. La reconnaissance des faits renvoie à l’imputabilité
(par exemple: la reconnaissance
d’attouchements, de caresses et de pénétrations). La
reconnaissance des actes suppose que le sujet se sente acteur des faits, autrement dit responsable. La reconnaissance de l’imputabilité n’implique
pas automatiquement celle de la responsabilité, pas plus que la responsabilité n’implique la culpabilité. Ceci interpelle une fois de plus
l’hétéronomie des cadres juridiques et
thérapeutiques énoncées plus haut en ce qui concerne la
récidive et la rechute.
La
culpabilité juridique renvoie à une imputabilité
liée à la définition légale de l’infraction.
La culpabilité visée par le thérapeutique renvoie à
ce que la psychanalyse a énoncé comme sentiment de
culpabilité. De même,
la responsabilité pénale référencée par
l’article 122.1 du code de procédure pénale, même si
elle rencontre la question de la pathologie psychiatrique, n’est pas du
même ordre que la responsabilité en son versus anthropologique
comme l’évoque Loïck VILLERBU dans la dialectique du don
et de la dette (Conférence au
Congrès International Francophone - Québec - Février
2001).
Le Q.I.C.P.A.A.S est un outil thérapeutique
qui permet de mettre en exergue ces questionnements sur
l’imputabilité, la responsabilité et la culpabilité
sachant que la non-reconnaissance ou le déni de ces dernières,
par ce qui renvoie à la question de l’altérité,
incite le clinicien à
être vigilant sur le risque de rechute.
L’entretien
clinique se base sur le récit du patient qui implique que celui-ci
s’inscrive dans une histoire où s’énonce
explicitement celle des faits judiciarisés. Comme nous l’avons
précédemment asserté, d’autres faits
différemment judiciarisés ou non peuvent inciter le clinicien
à investiguer des données implicites éclairant la
personnalité du patient sous l’angle du risque de la mise en
acte. Le M.A.P.S. (Make A Picture
Story) permet de rendre compte,
à partir de mises en scènes déplacées,
d’hypothétiser sur des potentialités de vacillements
violents dans certains contextes circonscrits. La question de la reconnaissance
de part celle des faits et des actes et la désintrication logique,
sociale et morale des
reconnaissances amènent à proposer des outils cliniques
spécifiques aux dissonances ou distorsions selon ces trois
capacités et à confronter ces différentes analyses.
Ainsi
nous paraît-il opportun de proposer plusieurs temps et
aménagements cliniques selon les personnes. Reste que la mise en oeuvre
de programmes adaptés
enjoint les cliniciens à en débattre de façon
consensuelle pour que celle-ci soient le plus efficiente possible.
L’assertion
de l’indispensable analyse heuristique induit de concevoir ce que la psychanalyse appelle mentalisation si elle se réfère à
l’orthodoxie freudienne, concaténation signifiante lacanienne, ou abord unifié des dissonances
cognitives, en une rationalité
diffractée. Cette
rationalisation diffractée se dénote patho- analytiquement, de
façon analogique à l’analyse conjoncturale des champs
hétéronomes conceptualisés par Pierre BOURDIEU en une analyse
dialectique et anthropo- biologique.
La
clinique anthropo-biologique éclairée par la patho- analyse
amène hypothético-déductivement à énoncer que la
rationalité propre à l’humain est dialectique et
diffractée. Diffractée ou
hétéronome en ce que par exemple les
phénomènes de paroles s’autonomisent en langage ou locution en sa référence logique,
en langue ou interlocution
en sa référence sociologique, le discours ou interdiction en sa
référence axiologique. Autrement formulé, ceci montre que
les pathologies de l’énonciation (aphasies) révèlent
un principe de causalité, les pathologies de la communication
(perversions / psychoses) révèlent le principe de
responsabilité et les pathologies de l’expression (névroses / psychopathies)
révèlent le principe de culpabilité.
Bien que diffractée, la rationalité se
dévoile dans une homologie structurale dialectique où la
perception s’acculture en
conception pour ce qui ressort de l’énonciation,
l’incorporation en appropriation en ce qui concerne la communication, la
pulsion en auto-contrainte en ce qui concerne l’expression.
La
clinique anthropologique induit à construire des outils
d’évaluation des risques de rechute en tenant compte d’une
rationalité dialectique diffractée qui permettra peut-être
(soyons utopistes) de lever en partie les discordances des études sur la
rechute en ce qui concerne les
auteurs d’agressions sexuelles tout en s’appuyant sur les acquis
des études précédemment élaborées sur ce
sujet.
En l’état actuel des sciences humaines
et tout particulièrement de la psychiatrie et de la psychologie , nous
ne pouvons proposer des outils , scientifiquement irréfutables , pour
l’évaluation des risques . Et paradoxalement cela est heureux ,
car le risque de croire qu’ils puissent exister serait de tendre vers un
néo- eugénisme . Il nous paraît plus opportun avant de
tester , de continuer à œuvrer de concert , de confronter nos
analyses et interroger leur validité. C’est pourquoi en
désintriquant les concepts de récidive , rechute ,
réitération , répétition ,
sérialité nous avons
tenter de montrer l’intérêt d’une clinique
épistémologique , analogiquement au biologiste qui cherche à
déterminer H²O plutôt que s’exclamer comme Mac
Mahon : « Que d’eau , que d’eau ! »
.
Il
nous paraît en premier lieu important de dégager les autonomies et
homologies structurales dans un mouvement réflexif , analysant
simultanément le sujet et le cadre d’évaluation .
Aujourd’hui le cadre d’évaluation
ne rencontre pas de clinique avérée permettant avec certitude une
analyse prédictive de la rechute qui correspond le plus souvent à
un passage à l’acte hétéroagressif
judiciarisé . Cette correspondance elle même se manifeste
judiciairement dans la récidive . Ces correspondances posent la
nécessité de l’articulation réfléchie , de la
santé et de la justice , et doit être respectueuse des
déontologie et éthique afférentes à chaque
institution ou champ sociétal .
[1] Psychologue S.M.P.R. Rennes ( Centre hospitalier Guillaume Régnier) . - A.R.T.A.A.S. ( Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles sous main de justice)