Pour
exprimer notre point de vue au sujet
des psychothérapies de groupes des auteurs d’agressions
sexuelles, nous nous appuierons sur une expérience d’animation de
groupe poursuivie sur 3 ans avec des auteurs d’agressions sexuelles dans
le quartier détention de la maison d’arrêt de Varces (38),
ceci dans une position de co-thérapeute, celle de thérapeute
principal étant occupée par la psychologue de notre service.
Nous
nous intéressons ici exclusivement, avec pour enjeux principal la
modification de la problématique des sujets inculpés ou
condamnés pour agression sexuelle, aux techniques de travail de groupe
d’inspiration analytique.
Le regroupement d’auteurs
présumés (puisque pour certains d’entre eux ils ne sont pas
encore jugés) d’agressions sexuelles se conçoit du fait de
leurs conditions de détention où ils sont déjà
séparés du reste de la population pénale. Ainsi ce
pourquoi ils peuvent faire groupe est déjà inscrit dans leurs
conditions de vie au quotidien dans le cadre du fonctionnement pénitentiaire.
Les
techniques de groupes sont diverses : groupe de parole d’orientation
psychanalytique, psychodrame . Les dispositifs peuvent eux aussi être
variés.
Il peut s’agir de groupes
« ouverts », les participants y arrivent et en partent en
fonction de leur évolution ou de leur parcours pénitentiaire. Le
groupe assure une continuité. La dynamique autour de la
séparation, du souvenir, peut s’y déployer et s’y
travailler.
Les départs non annoncés, traumatiques
peuvent susciter une parole sur la rupture, la coupure, la difficulté du
travail de deuil. Les arrivées de « nouveaux »
dans le groupe remettront au travail la dynamique fraternelle
d’acceptation de l’étranger.
Les groupes peuvent au contraire être
« fermés ».
La composition du groupe ne change pas et celui-ci
fonctionne sous forme de session définie par une durée de temps
ou un nombre fini de séances. Sera alors mobilisée la dimension
de cohésion du groupe, la sécurité y sera plus grande, la
confiance pourra s’y déployer de manière plus intense mais
le spectre de « la fin du groupe » devra être
apprivoisé et non dénié afin de permettre que la
pensée de la séparation puisse s’y déployer. La
perte devra être anticipée afin de la rendre supportable. Il
s’agira donc de passer de la rupture, de la coupure, de l’abandon
à la séparation qui nécessite obligatoirement un travail
de deuil.
Dans notre expérience il s’est agit
d’un groupe semi-ouvert de 6 patients. En 3 ans (143 séances), sur
les 16 détenus adressés par les psychiatres : 12 ont
participé au groupe de façon inégale dans la durée,
de la plus courte (4 séances) à la plus longue (104
séances).
Quelque soit la technique utilisée ou le
dispositif mis en place, nous insistons sur l’importance fondamentale
d’un cadre rigoureux. Le cadre est constitué des
références théorico-cliniques des thérapeutes et de
leur expression dans la réalité du dispositif
thérapeutique. Ce dispositif doit donc être en cohérence
avec ces références quelles qu’elles soient.
Plus les thérapeutes seront sûrs et
à l’aise avec leur référence théoriques et
cliniques, plus ils pourront supporter ce que le groupe met en jeu chez les
participants et en eux-mêmes. Le cadre doit assurer des fonctions de
contenance (« ici tout peut se dire »), de
continuité (les séances se tiendront régulièrement
chaque semaine, le même jour, la même heure), de fiabilité,
de délimitation, de stabilité et de maintien de la vie psychique.
« Les séances se poursuivront quelque soit les
attaques dont elles seront l’objet.
Nous continuerons à penser et à parler
ensemble ».
Ce qui sous-entend que les thérapeutes resteront
contre vents et marées garants de ce cadre. Dans notre expérience
nous avons dû, tout au long de la première année, lutter
contre les attaques à notre cadre de la part du fonctionnement
pénitentiaire (salle occupée, arrivée des détenus
en retard aux séances, irruption intempestive d’un surveillant au
milieu de la séance, convocation d’un participant au groupe
à un autre rendez-vous : avocat, procureur, expert etc).
Le cadre thérapeutique, grâce à
ses qualités de permanence et d’indestructibilité, permet
au sujet de faire l’expérience que penser ne le détruit pas
et que parler ne détruit pas les autres. Un cadre solide mais suffisamment souple, vivant, aura des
effets structurants pour les patients, il sera le garant de la
sécurité de chaque membre du groupe et du groupe en tant
qu’objet d’investissement. Cette sécurité de base
assurée permettra qu’advienne une parole adressée à
l’autre, reconnu dans sa qualité d’altérité.
L’interlocuteur sera perçu comme moins dangereux pour la vie
psychique du sujet. L’échange sera possible. Le sujet trouvera ou
retrouvera alors sa qualité de sujet psychique.
Dans le groupe le mécanisme de transfert se
trouve diffracté sur l’ensemble des participants et non
centré sur le seul thérapeute. Cette diffraction permet de rendre
le transfert supportable, non submergeant pour la psyché du sujet. Il
pourra peu à peu ressentir, éprouver et penser ce qu’il vit
dans le groupe. Le travail de contre transfert et de l’inter transfert
est fondamental. Il est donc indispensable de travailler dans des dispositifs
en co-thérapie. La mise en commun des éprouvés, des
ressentis, des pensées des différents thérapeutes, leur
confrontation permet au vivant de prendre le pas sur l’emprise mortifère.
Le travail en co-thérapie
s’il est une garantie pour le travail psychothérapeutique,
il est aussi une garantie pour le thérapeute afin qu’il puisse
vivre ce que le sujet place en lui par identification projective sans en
être détruit. Si le cadre doit être indestructible, il va de
soi que celui qui en est le garant doit posséder la même
qualité. La mise en groupe doit permettre au sujet d’aborder de
manière tolérable la rencontre duelle à l’autre. Ces
deux approches ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de
l’autre. Pour certains sujets, elles pourront être menées de
front, pour d’autres ce n’est qu’après un travail
préalable en groupe que la rencontre duelle pourra être
envisagée.
II
– Indications …
Dans notre expérience 16 AAS nous avaient
été adressés par les trois psychiatres du service intervenant
sur le quartier détention. Nous avons pris le temps de les recevoir
individuellement sur plusieurs entretiens (2 à 3 entretiens). Nous avons
confirmé l’indication pour douze d’entre eux et avons demandé
à ceux-ci un engagement écrit pour favoriser une participation
très régulière aux séances. Les conditions de
détention rendaient trop difficile la participation de trois
d’entre eux et un quatrième recherchait avant tout un
bénéfice judiciaire de sa participation sans que nous ressentions
plus de motivation de sa part.
·
Du côté
de la technique : le travail de groupe et/ou le suivi individuel.
Quand nous posons la question de
l’indication vers un travail de groupe ou non pour un détenu AAS
nous nous la posons le plus souvent en la comparant au bénéfice
attendu de celui d’un travail individuel. Il est donc important de
revenir sur la problématique dans laquelle sont enfermés le plus
souvent les AAS rencontrés en prison.
Ils sont en fait en grande souffrance
du fait même de toute activité psychique et c’est bien pour
cela qu’à l’extérieur l’acte ou plus exactement
le recours à l’acte vient résoudre les tensions
suscitées par une activité psychique insupportable. Penser est
source de danger, toute attention sur le vécu intérieur est
perçue comme une intrusion car elle vient attaquer les
aménagements défensifs mis en place. Dans les deux cas,
c’est la place de l’autre qui est en question : l’autre
comme sujet et/ou l’autre comme thérapeute. Le risque c’est
bien qu’au fil des entretiens en face à face la parole se
« dévitalise », le discours
« ronronne » comme s’il venait
s’échouer sur le thérapeute sans rebondissement possible.
C’est là que le travail de groupe, sans annuler forcément
le suivi individuel peut pallier à ces difficultés. En effet, le
groupe, par son fondement même, constitue un tiers entre l’individu
et l’autre quelque soit celui-ci (soignant ou soigné), il est donc
en soi une médiation à la relation. Il permet ainsi de surseoir à la relation directe à
l’autre en s’instituant comme tiers : tiers comme protecteur
du risque de fusion à l’autre d’une part et tiers comme
favorisant un lien à l’autre d’autre part.
La relation duelle suscite des difficultés particulières
qui se traduisent soit par une inhibition massive, soit par un envahissement
par la parole qui semble alors tourner à vide. Le groupe rend possible
la parole mais aussi le silence qui, dilué dans celui-ci devient plus
supportable que dans une relation duelle. Dans celle-ci la dynamique
transférentielle se situe souvent dans la dimension du transfert
passionnel (Roussillon, 1990). Le thérapeute soumis corps et âme
au sujet éprouvera la plus grande difficulté à trouver une
distance suffisamment symboligène. Il pourra se sentir comme
« vampirisé » par le patient. Le mécanisme
d’identification projective massivement employé par ces sujets
vise à assurer l’emprise sur la psyché du thérapeute
et ainsi lui dénier sa qualité d’autre semblable et
pourtant différent. C’est ainsi que les prises en charge
individuelles peuvent se solder par des passages à l’acte du
patient ou du thérapeute. Le patient ne souhaitera plus participer
à ces entretiens car il aura « tout dit », le
thérapeute ne lui parle pas suffisamment, ne l’aide pas
suffisamment, ne le comprend pas et de toute façon comme le
comprendrait-il lui qui n’a pas connu la même vie, qui n’a
jamais été maltraité etc. Du côté du
thérapeute, la violence contre le sujet ne cède la place
qu’au désespoir de ne pouvoir exister auprès de son patient
sans se sentir happé, vampirisé, ou dénié dans sa
qualité de soignant et même dans sa qualité d’humain.
·
Du côté
du choix des participants.
Compte tenu des
spécificités du travail de groupe décrit ci-dessus par
rapport au suivi individuel chacun comprend aisément que celui-là
peut-être adapté à de nombreux AAS, volontaires aux soins,
que ce soit en complément de celui-ci ou à sa place. Cependant,
il est fondamental que le sujet reste référencié
individuellement à un thérapeute près duquel il pourra
déposer et reprendre ce qu’il vit dans le groupe. S’il est
important de bien apprécier la pertinence d’une indication au
travail de groupe pour tel sujet, y compris en passant au préalable par
une succession d’entretiens préliminaires il ne faut pas perdre de
vue que le style et le profil du groupe peuvent aussi s’adapter aux
caractéristiques de tels groupes de sujets. Les
« exigences » à l’entrée comme les
« objectifs » à la sortie peuvent différer selon les
groupes. Ainsi entre le groupe de parole de soutien ne reconnaissant pas ou
minimisant largement les faits qui leur sont reprochés et un groupe de
parole « fermé » ou
« semi-fermé » exigeant de la part des
participants un minimum de reconnaissance de leur responsabilité, le
processus psychothérapeutique risque de ne pas être de même
ampleur. De manière générale nous pouvons reprendre les
cinq indicateurs significatifs de bonne réponse à une prise en
charge de type psychothérapique repérés dans le rapport de
recherche sur les AAS de
C. Balier, A. Ciavaldini, M. Girard-khayat (novembre
96) comme des indications favorables à une implication réelle
dans un travail de groupe des sujets concernés même si c’est
à leur propre rythme (ce que le groupe permet). Ces indicateurs sont les
suivants :
-
le fait que le sujet
reconnaisse totalement le délit ou le crime qui lui est reproché,
-
le fait de se sentir
« anormal » au moment de l’acte,
-
le présence de
la reconnaissance spontanée qu’une impulsion puisse être
à l’origine de leur acte,
-
lorsque
l’arrestation est verbalisée comme soulageant le sujet,
-
la reconnaissance
qu’il y a eu exercice d’une contrainte pendant l’acte.
Les échanges dans le groupe peuvent favoriser
l’émergence du sujet qui peut alors devenir acteur de son
histoire. Le processus groupal repose nécessairement la question de la
place de soi en tant qu’objet et en tant que sujet et peut ainsi favoriser
une prise de conscience de l’acte.
La
problématique du dedans/dehors est centrale chez la plupart des AAS.
L’intra psychique se confond avec l’inter subjectif sans
qu’il y ait possibilité d’établir des
frontières sûres et rassurantes. Le groupe durant son existence se
constitue comme une entité à part entière : il marque
des limites entre le dedans et le dehors, il impose le secret sur ce qui
s’y vit et produit un effet protecteur. Il permet la
différenciation entre l’intériorité et
l’extériorité.
Le
groupe offre un espace d’étayages multiples sur des objets
externes solides et permanents. Pour les AAS cet étayage est
indispensable. Les objets primaires, par leur manque de permanence et leur
fragilité les rendant destructibles, n’ont pu être
introjectés et constituer un ensemble d’objets internes fiables et
structurants. Le groupe permettra que, malgré les attaques destructrices
, les objets externes (autres membres du groupe, thérapeutes, le groupe
lui-même dans son ensemble) puissent être peu à peu
introjectés. Les liens unissant ces différents objets seront
également introjectés constituant ainsi un espace de jeux intériorisé
constitutif de tout fonctionnement psychique. Une vie psychique pourra enfin
naître et se développer.
Notre
travail de soignant c’est de faire des liens y compris pour
soi-même. Par là, c’est la reconstitution d’existence
qui s’oppose à l’effondrement narcissique. Si on ne fait pas
d’interprétations dans le groupe, on contient, on fait des liens
par les associations : c’est le fonctionnement du
préconscient, c’est ce qui fait défaut à ces
patients et qui pourra leur être introjecté dans le travail de
groupe à travers les processus d'identification.
La
mise en groupe des sujets AAS en proposant un ensemble d’objets externes
d’étayage qui sont reconnus dans leur extériorité
comme tolérables et donc introjectables permet également aux
participants d’introjecter les liens symboliques qui les unissent ains que
leur jeu dialectique. Se constitue ainsi une groupalité interne garante
du fonctionnement psychique du sujet. Le sujet ne sera plus jamais seul face
à l’irruption de la pulsion destructrice. Il pourra grâce au
jeu de ses objets internes dans le fonctionnement préconscient la mettre
en représentations, en affects et ainsi éviter le passage
à l’acte, dernier recours contre l’effondrement psychique.
IV – Difficultés, limites …
Dans notre expérience sur trois ans nous avons
constaté vu la trop grande mobilité de la population
pénale notre incapacité parfois à anticiper des
départs impromptus (libération provisoire, transfert etc.)
phénomène dommageable pour un travail psychologique approfondi.
Sur trois ans (143 séances) la participation des
détenus-patients a varié de 4 à 104 séances. Pour
certains l’expérience fut de trop courte durée pour
qu’elle laisse des traces durables.
Autre difficulté : la trop
grande fréquence des positions de proclamation d’innocence et/ou
de dénie chez les personnes prévenues voir condamnées rend
le plus souvent inadapté leur intégration dans un travail de
groupe où, pour que les sujets s’impliquent il leur faut
reconnaître à minima les faits qui leurs sont reprochés.
Autre limite : la participation
à un travail de groupe ne saurait suffire en elle-même comme
thérapie. Il importe que le patient participant puisse disposer
d’un lieu de parole individuel avec un soignant référent
autre que ceux qu’il côtoie dans le groupe. Dans notre expérience
les psychiatres sont restés les référents des patients et
ont constitué une aide précieuse dans les moments où
certains pouvaient être en difficulté dans le groupe en faisant
retravailler les effets de cette prise en charge.
Autre limite : quel suivi du soin,
voir du processus psychothérapique après une expérience de
groupe dont nous savons que nous ne pourrons mesurer les effets que dans la
durée ? Quel suivi
individuel ou de groupe proposer dans le cadre d’une obligation de soin
ou de suivi socio-judiciaire qui permette une poursuite de ce travail afin que
les effets ne se perdent pas dans le temps ou au détour d’une
prise en charge sporadique ?
Quel retour pouvons-nous obtenir pour les détenus ayant de
longues peines, de la part de soignant ayant pris éventuellement un
relais des soins pour mieux juger des effets de ce travail dans le long terme?
B.
Savin – Utilisation du groupe dans le traitement
psychothérapeutique des auteurs d’agressions sexuelles.
In :
André Ciavaldini, C. Balier. Agressions sexuelles : Pathologies, suivis
thérapeutiques et cadre judiciaire. Masson, col. Pratiques en
psychothérapie. Paris 2000 page 173-180.
M.
Noailly, P.Y.Emeraud – Une expérience de groupe de parole pour les
auteurs d’agressions sexuelles. In : Rapport annuel
d’activité 2000 SMPR de Varces.