Telle est la question à laquelle il nous faut
tenter de répondre.
Il importe d’abord
d’apporter des précisions sur chacun des termes utilisés
dans cette question : le traitement, les auteurs d ‘agression
sexuelle, la judiciarisation et enfin le cadre légal.
Le traitement, c’est la façon de se
comporter à l’égard d ‘une personne et de mettre
en œuvre une opération. Dans un sens large la poursuite
pénale et la sanction pénale de l’auteur d’une
infraction pourraient être considérés comme un traitement.
La réinsertion sociale ou la resocialisation sont d’ailleurs
l’une des finalités de la peine, une forme de traitement social.
Mais le thème de la conférence de consensus est le traitement
médical ou medico-social, c’est à dire celui qui vient
suppléer, se coordonner ou plus souvent s‘ajouter
à la sanction
pénale. C’est dire d’emblèe que le renforcement et l’extension de la
répression des infractions sexuelles qui marque indiscutablement notre
époque n’ont pas
à être développés ici . Ils ne nous
intéressent que dans la mesure où ils élargissent le champ
d’application du traitement médical des auteurs
d’infractions de ce type
Les auteurs d’agressions sexuelles
nécessitent aussi quelques éclaircissements. D’abord les
victimes d’agressions sexuelles sur lesquelles le législateur
moderne et les acteurs sociaux portent une attention soutenue sont
aujourd’hui à écarter du débat. Quant aux auteurs,
il ne convient pas de les limiter aux agressions sexuelles car le nouveau code
pénal applicable depuis le 1er mars I994 distingue clairement
quatre types d’infractions sexuelles :Les agressions sexuelles
proprement dites qui englobent le viol et qui impliquent la violence, les
atteintes sexuelles sur mineurs de I5 ans ou de 18 ans qui ne
nécessitent ni violence, ni contrainte, ni surprise et qui correspondent
à ce qu’on appelle communément des faits de
pédophilie, les exhibitions sexuelles qui s’apparentent à
ce qu’on appelait jadis les outrages publics à la pudeur et enfin
les infractions nouvelles d’harcèlement sexuel. Il est curieux de
constater en passant que le mot sexe ne figurait pas dans le code pénal
précédent si ce n’est sous la forme d’homosexualité
aujourd’hui disparue et de discrimination sexiste. On
préférait alors utiliser les termes de mœurs (outrages) et
surtout de pudeur (attentats avec ou sans violence, outrage public). Quoi
qu’il en soit ce sont bien
les quatre nouvelles catégories d’infractions sexuelles qui sont
ici concernées, même si, il est vrai, le harcèlement sexuel
peut apparaître marginal dans la mesure où le suivi
sociojudiciaire dont nous parlerons plus loin ne lui est pas applicable.
Le terme judiciarisation est plus délicat
à définir. Il s’agit de la phase procédurale impliquant
la présence d’un juge. En matière pénale, notre
époque est marquée par un double mouvement de
déjudiciarisation à l’égard des petits litiges qui
sont soumis à des modes alternatifs de règlement ne faisant pas
appel au juge de jugement et de renforcement de la judiciarisation, comme par
exemple dans le domaine de l’exécution des peines où le
juge de l’exécution des peines vient d’acquérir une
fonction véritablement juridictionnelle. Si l’on se place durant
la judiciarisation, on analyse le traitement du délinquant sexuel au
cours du procès pénal (phases de l’enquête, de
l’instruction et du jugement) et l’on sait qu’il est toujours
souhaitable de prendre en charge la personne le plus tôt possible. Si
l’on se situe en dehors de la judiciarisation, on s’intéresse
alors au sort du condamné pendant l’exécution de sa peine
et même au delà. Nous verrons en effet que le condamné
à une infraction sexuelle peut être en plus l’objet
d’un suivi socio judiciaire qui ne prendra effet (sauf lorsqu’il
s’agit d’une peine principale) qu’à l’expiration
de la peine privative de liberté. Cette phase post-pénale tend
elle-même, il est vrai, à se judiciariser entre les mains du juge
de l’application des peines. Il n’en reste pas moins qu’on
est alors en dehors de la phase judiciaire classique de jugement..
Enfin
qu’entendre par cadre légal ? Il s’agit plutôt du
cadre juridique, c’est à dire de l’ensemble des lois et
décrets – pour la plupart récents – qui
s’appliquent aux traitements des auteurs d’infractions sexuelles.
Il faut y ajouter le cadre judiciaire, c’est à dire les conditions
dans lesquelles les juges ,les juges d’instruction, les Cours
d’Assises ,les tribunaux correctionnels et les juges de
l’application des peines mettent en œuvre l’arsenal
législatif et réglementaire. C’est un cadre qui ne doit pas
être renfermé sur lui-même puisqu’il doit
s’interférer avec les cadres sociaux et médicaux. En tous
cas le législateur l’a voulu ainsi. Il appartiendra à la
conférence de consensus de dire si en pratique le vœu du
législateur est exaucé
On s’en tiendra à la présentation
des textes législatifs les plus récents et à leur contenu
avant de distinguer les conditions légales d’intervention du monde
médical, c’est à dire des véritables maîtres
du traitement des délinquants sexuels
Une vision haute nous permet de constater
que trois codes sont concernés : Le code pénal qui
prévoit les diverses incriminations en la matière et leurs
sanctions , le Code de procédure pénale qui indique les
dispositions procédurales applicables devant les juridictions
pénales, enfin le code de la santé publique qui contient les
dispositions essentielles au traitement.
Si l’on met de coté la loi du
23 décembre I98O qui a donné pour la première fois une
définition précise du viol, c’est bien le code pénal
de I994 qui a initié une véritable politique pénale en
matière d’infractions sexuelles en prévoyant les
incriminations et les sanctions aux articles 222-22 à 222-33 et 227-25
à 227-27. Mais au Ier mars I994 fut en même temps applicable une
loi du Ier février I994 qui a créé ce qu’on appelle
la peine incompressible (sorte de perpétuité réelle)
infligée éventuellement aux auteurs de meurtres ou assassinats de
mineurs de I5 ans accompagnés de viols ou de tortures , tout au moins si
la réclusion criminelle à perpétuité est
prononcée. Cette période de sûreté
perpétuelle qui n’a d’ailleurs jamais été
encore décidée
n’est en réalité pas totalement incompressible
puisque, selon l’article 72O-4 du code de procédure pénale,
à l’expiration d’une période de 3O ans et
après avis d’un collège de trois experts médicaux,
une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation
pourra mettre fin à cette décision exceptionnelle de la Cour
d’assises. Cette loi a aussi indiqué d’une part que les
délinquants sexuels ne pourraient bénéficier
d’aucune mesure de faveur au cours de leur détention sans une
expertise psychiatrique préalable et d’autre part qu’ils
doivent exécuter leur peine dans des établissements
pénitentiaires permettant d’assurer un suivi médical et
psychologique adapté (sur ce point le décret d’application
n’a fourni aucune donnée utile)
C’est dans cette lignée
répressive que s’inscrit la loi du I7 juin I998 relative à
la prévention et à la répression des infractions sexuelles
ainsi qu’à la protection des mineurs. Cette loi renforce la
répression de ce type d’infractions en augmentant les peines des
atteintes sexuelles sur mineurs de I5 ans, en créant l’infraction
de bizutage, en élargissant les conditions de saisine du tourisme sexuel
et en créant de nouvelles circonstances aggravantes. Mais c’est
bien sûr la création du suivi sociojudiciaire qui doit retenir
notre attention.
Il est frappant de constater que cette
loi qui accentue le particularisme
des infractions sexuelles contient dans son titre Ier consacré au suivi
sociojudiciaire trois chapitres consacrés respectivement à des
dispositions modifiant le Code pénal, puis à des dispositions
modifiant le code de procédure pénale, enfin à des
dispositions modifiant le code de la santé publique. Le premier chapitre
définit le contenu de cette peine complémentaire
spécifique aux infractions sexuelles (et c’est la première
fois qu’une peine est créée pour un type d’infractions
particulières), le second chapitre décrit les conditions de
déroulement du suivi et le troisième porte sur la mise en
œuvre de l’injonction de soins. L’article I31-36-1 du code
pénal indique clairement la finalité de ce
« suivi » : Il s’agit de mesures de
surveillance et d’assistance imposées pendant une durée déterminée
par la juridiction (Cour d’assises ou tribunal correctionnel) et
destinées à prévenir la récidive, mesures qui
exceptionnellement peuvent s’appliquer d’emblée si cette
peine est principale et unique mais qui en général ne seront en
vigueur qu’à la sortie de la prison, c’est à dire
après exécution de la peine principale privative de
liberté. Ce suivi est donc une suite à l’exécution
d’une peine. Comme on l’a dit, non sans poésie, c’est
une extension de l’ombrelle pénale. C’est donc pour le
condamné à la fois une peine de plus et une peine pour plus tard.
Mais l’addition peut être lourde puisque ce suivi peut durer dix
ans en cas de condamnation pour délit sexuel et vingt ans en cas de
condamnation pour crime sexuel.
Il existe en réalité deux
types de suivi sociojudiciaire : Le premier que l’on peut qualifier,
faute de mieux, de suivi ordinaire consiste en un certain nombre
d’obligations restrictives de liberté imposées par la
juridiction et choisies sur une liste analogue à celle des sursis avec
mise à l’épreuve à laquelle il faut rajouter trois autres. Le second type,
qui nous retient seul ici, est le suivi sociojudiciaire
« comprenant » (sous entendu en plus) une injonction de soins. Cette
injonction de soins, qui n’est donc pas indispensable au suivi mais en
est un complément possible, transforme fondamentalement la sanction
puisque le traitement médical devient alors
l’élément moteur de prévention de la
récidive. C’est seulement s’il est établi par
expertise médicale que la personne est susceptible de faire l'objet
d’un traitement que ce type de suivi peut être prononcé et
il sera mis en œuvre selon la procédure insérée dans
le code de la santé publique et qui sera décrite par d’autres
intervenants plus compétents. .
Le législateur de I998 parle ici
d’injonction de soins. Que faut-il entendre exactement par cette
expression ? Répondre à cette question c’est
évoquer les différentes formes d’intervention du corps
médical et les approches auxquelles le législateur nous invite..
A - En dehors des circonstances de soins
librement sollicités, le premier cadre possible est donc celui de
l’injonction de soins venant se combiner avec un suivi sociojudiciaire,
disons un suivi sociojudiciaire et médical tout à la fois. Attachons
nous un instant à cette première catégorie. On sait que la
juridiction de jugement a par hypothèse prononcé en plus de la
peine principale un suivi sociojudiciaire assorti d’une injonction de
soins et ce pour une durée portée dans la décision (il est
aussi possible au juge de l’application des peines de décider de
cette injonction de soins complémentaire à un suivi ordinaire
originellement prononcé par
la juridiction) Il y a injonction dans la mesure où le condamné
doit se soumettre au traitement sous peine d’effectuer une peine
privative de liberté. En effet la juridiction de jugement qui prononce
un suivi sociojudiciaire doit aussi indiquer dans sa décision originaire
la durée de l’emprisonnement que devra subir au maximum le
condamné s’il ne respecte pas les conditions imposées et il
appartiendra ensuite au juge de l’application des peines
d’apprécier le quantum de cet emprisonnement dans les limites
fixées par la juridiction. Le condamné sait seulement le maximum
qu’il encoure.
Ce qu’on appelle ici une injonction
n’est pas pour autant une obligation comme l’aurait
été le suivi medico-social (impliquant nécessairement un
volet médical)qui était prévu à l’origine
dans le projet de loi Toubon qui a précédé la loi du I7
juin I998, le non respect des obligations constituant alors une infraction
pénale pouvant conduire le condamné à une nouvelle
condamnation. A vrai dire le terme d’injonction reste tout de même
ambigu et est le fruit d’un compromis entre médecins et
juristes Certes
l’intéressé qui ne se soumet pas aux soins ne commet pas de
nouvelle infraction et n’encourt aucun nouveau jugement mais il lui
faudra subir en tout ou en partie la peine éventuelle prononcée
à cette fin à l’avance. La nuance est subtile. Il est
certain en tous cas que dans le cadre de l’injonction (dont rappelons-le
le régime est soigneusement décrit depuis la loi de I998 dans le
code de la santé publique), cette mesure ne peut être
ordonnée qu’après expertise médicale concluant
à ce que la personne peut faire l’objet d’un traitement et
surtout que la nouvelle loi fait du consentement du délinquant une
condition sine qua non du traitement puisque le Président de la
juridiction ou le juge de l’application des peines qui prononce cette
injonction doit avertir le condamné qu’aucun traitement ne pourra
être entrepris sans son consentement. Cette disposition a sans doute
apaisé le corps médical, mais s’agit-il d’un
consentement libre ? On peut fortement en douter. Et la nature juridique
de la mesure de suivi avec injonction de soins reste équivoque :
Peine sans doute, mais aussi mesure de traitement. Et la conciliation
n’est pas aisée
B - Un
deuxième cadre possible des soins serait celui de l’obligation. On
sait qu’il n’est pas retenu dans le cas du suivi sociojudiciaire et
l’on verra qu’il ne l’est pas non plus à
l’intérieur de l’établissement pénitentiaire
durant l’exécution de la peine privative de liberté. Mais
il convient de ne pas l’exclure totalement au cas d’infractions
sexuelles même si le législateur semble l’avoir ici
écarté . En effet le droit pénal connaît des
hypothèses d’obligations aux soins. On peut même distinguer
des obligations de soins de type général, comme dans le
contrôle judiciaire( pour un mis en examen) ou dans le sursis avec mise
à l’épreuve ( pour un condamné à
l’emprisonnement assorti d’un sursis de cette nature) ou encore
dans la libération conditionnelle,
et des obligations de soins de type spécial comme en matière
d’alcoolisme et de toxicomanie . Dans le premier cas, l’individu
risque la détention provisoire ,la révocation du sursis ou le
retour à la prison, dans le second il encourt une nouvelle peine. Si un
délinquant sexuel entre dans l’une de ces catégories, en
théorie tout au moins, il peut être soumis à une obligation
de soins .
C
- Le troisième cadre est celui de l’incitation aux soins.
C’est celui qui correspond le mieux à le déontologie
médicale. Et c’est celui qui est retenu pour les
délinquants sexuels qui effectuent leur peine dans un établissement
pénitentiaire .On sait qu’ils doivent effectuer cette peine dans
des établissements appropriés mais que cette disposition reste
théorique même si l’on tend tout de même à les
regrouper dans certains établissements. Le législateur de I998 a
pris conscience qu’il était difficile d’enjoindre des soins
à la sortie de la prison si rien n’était fait auparavant
à l’intérieur. Dorénavant, l’article I3I-36-4
al 2 du code de procédure pénale prévoit que le
président de la juridiction qui prononce à la fois un suivi
sociojudiciaire et une peine privative de liberté doit informer le
condamné qu’il a la possibilité de commencer un traitement
pendant son séjour en prison. Et cette information doit être
immédiatement renouvelée par le juge de l’application des
peines et même, en l’absence du consentement de l’intéressé,
doit lui être rappelée au moins tous les six mois. On le voit,
l’incitation est forte mais ici il n’y a aucune
ambiguïté : il n’y a pas d’obligation. Le
condamné risque seulement de perdre des avantages s’il refuse le
traitement puisqu’il n’est plus considéré comme
manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale (art.
721-1 du code de procédure pénale). Il ne
bénéficiera pas par exemple de réductions de peines
supplémentaires. Les psychiatres qui ont fait valoir qu’ils ne
pouvaient prendre en charge à l’intérieur de la prison des
délinquants sexuels sans leur consentement ont donc été
entendus. On pourrait donc dire sous forme de boutade que le détenu
sexuel enfermé est plus libre quant aux soins que le détenu
libéré puisque c’est seulement à sa sortie
qu’il sera soumis à une véritable injonction.
Par ailleurs le législateur a
prévu une autre étape d’incitation : Lorsqu’un
suivi avec injonction arrive à terme, selon l’article 355-33 du
code de la santé publique, le médecin coordinateur doit informer
l’intéressé de la possibilité qu’il a de
poursuivre son traitement en lui indiquant les modalités et la
durée. On pourrait alors parler d’invitation plus que
d’incitation.
Quel que soit le cadre légal retenu, la
prévention de la récidive qui est l’une des
finalités essentielles des traitements médicaux ne peut se
réaliser en la
matière qu’en accord total entre médecins et juges, chacun
conservant pleinement son domaine de compétence tout en collaborant.
R.Cario et JC Heraut (dir.)
- Les abuseurs sexuels : Quel(s) traitement (s) ? I998
L’Harmattan
J.Castaignéde - Le
suivi sociojudiciaire applicable aux délinquants sexuels ou la
dialectique sanction-traitement
Dalloz I999 Chron. 23
P.Couvrat - Le suivi sociojudiciaire, une peine
pas comme les autres RSC I999.376
et Obligation de soins ou
simple incitation : A propos de la loi du I7 juin I998 Mélanges JH
Soutoul Les études hospitalières 2OOO.95
P.Darbeda -
L’expertise de prélibération de l’article 722 du CPP
et le processus d’évaluation et de soins des auteurs
d’infractions à caractére sexuel RSC I996 921
G Du Mesnil du Buisson -
Entre le juge et le thérapeute, quelle place pour le transgresseur
sexuel ? RSC I996.637
X Lameyre - La criminalité
sexuelle Dominos Flammarion 2OOO
et Pour une éthique
des soins pénalement obligés RSC 2OO1.521
B.Lavielle -
Délinquance sexuelle et application des peines Gaz Pal. I997 Doct IO34
et Surveiller et soigner
les agresseurs sexuels : Un des défis posés par la loi du I7
juin I998 RSC I999. 35
P.Poncela - Droit de la
peine PUF 2OO1
Ph Salvage - Les soins
obligatoires en matière pénale JCP I997.I.n°4O62