Psychotherapie cognitive et comportementale

des auteurs d’agression sexuelle

Paul COSYNS*, Jan HOEREE** et Dirk De DONCKER***[1]

 

 

Introduction

 

Les premiers modèles théoriques du courant comportementaliste appliqués aux comportements d’abus sexuel étaient simplistes, linéaires et mono-causales. Le comportement d’abus sexuel y découlait d’un seul facteur, l’excitation sexuelle déviante. Le modèle théorique a évolué durant les années ‘ 80 vers une conception multifactorielle prenant en compte  les différents facteurs biologiques, psycho(patho)logiques et sociaux qui peuvent intervenir dans l’acquisition et le maintien du comportement d’abus sexuel.

L’intégration du courant cognitiviste a donné naissance au modèle thérapeutique de la ‘prévention de la récidive’ qui s’est avéré très productif et prometteur quant à l’efficacité clinique. L’objet d’étude du cognitivisme est le système conscient, intellectuel et idéïque qui englobe les perceptions de soi et des autres, les représentations et interprétations du sujet. Certaines cognitions, certaines idées qui constituent le système de croyance du sujet sont injustifiées, inappropriées et peuvent l’encourager à passer à l’acte d’abus sexuel. Ce même système de croyance lui permet ensuite d’excuser, d’expliquer et de rationaliser cet acte qu’il deviendra commun de commettre.

Nous passerons brièvement en revue ce modèle de la ‘prévention de la récidive’ pour ensuite faire un inventaire des recherches effectuées concernant l’efficacité thérapeutique de traitement cognitivo-comportemental des abuseurs sexuels. Ensuite nous tirerons les conclusions qui s’imposent en fonction des critères variables de validité des recherches discutées.

 

 

Le modele de la ‘prevention de la recidive’

 

La ‘prévention de la récidive’ n’est pas une modalité théorique qui rendrait compte de l’étiologie de la déviance sexuelle, mais une approche thérapeutique qui a d’abord trouvé son champ d’application dans le domaine des dépendances comme le tabagisme, l’alcoolisme et la toxicomanie (Georges et Marlatt, 1989). . Le modèle de base de  a été modifié et progressivement adapté au domaine des ‘actes violents’ et des abus sexuels (Laws, 1989).

La prévention de la récidive est, dans son fondement, un programme d’auto-contrôle dont le but est d’éviter que ne se déclenche à nouveau le processus qui mène un sujet à commettre un nouvel abus sexuel. Dans ce cadre, elle recherche le maintien à long terme des changements du comportement induit par une thérapie. Pour ce faire, elle intègre les théories et techniques thérapeutiques émanant des courants comportementalistes et cognitivistes qu’elle utilise pour apprendre aux sujets différentes possibilités d’anticiper et de traiter adéquatement le problème de la rechute.

La prévention de la récidive en tant que modalité thérapeutique se réfère à une série de facteurs conduisant le sujet à l’abus : c’est « la chaîne des événements qui conduisent à l’abus ». Cette chaîne des événements, en tenant compte à la fois de l’abus sexuel et de ses préambules, permet une vue d’ensemble du passage à l’acte. Elle aide à déterminer la façon dont l’abus a pris forme et les déficits auxquels il convient de remédier. Ces déficits propres au sujet et sur lesquels le travail se focalise peuvent être identifiés dans les différentes étapes de la chaîne des événements qui conduisent à l’abus.

L’abus sexuel comporte un préambule qui se situe non seulement dans le passé lointain (éducation, événements traumatisants,...), mais aussi dans le passé proche (dans les heures et jours précédant l’abus). De nombreux délinquants sexuels ne le conçoivent pas ainsi : ils se décrivent comme soudainement pris par une impulsion irrésistible dont ils n’ont plus le contrôle ou ils ne se rappellent pas la façon dont ça a pu leur arriver. Cependant, selon la chaîne des événements qui conduisent à l’abus, ce comportement sexuel ne surgit pas du néant, mais se situe dans une trajectoire qui relève d’apprentissages successifs. A chaque étape de cette trajectoire, le sujet abuseur peut être aidé à percevoir des signaux d’alarme qui sont d’ordre comportemental (ce qu’il fait), affectif (ce qu’il ressent à chaque moment) ou cognitif (ce qu’il se dit à soi-même et justifie la poursuite dans la chaîne). Par le  traitement il apprendra à reconnaître les situations à haut risque et à intervenir efficacement afin d’éviter que ne se déclenche à nouveau le processus qui le conduit au comportement d’abus sexuel. De cette manière, la responsabilité de l’acte est restituée à son auteur : il peut reconnaître le processus qui le conduit à l’abus sexuel, apprendre à repérer les signaux d’alarme et arriver à maitriser la situation.

Ce modèle de prévention de la récidive présuppose que l’abuseur choisit de modifier son comportement et échoue lorsque le sujet choisit délibérément pour l’abus sexuel. En conséquence le modèle a été re-conceptualisé d’une façon intéressante par Ward et Hudson (Laws, 2001). Nous limiterons cette discussion à une description succinte de la chaîne de l’abus telle qu’elle est utilisée dans le Centre Hospitalier Universitaire d’Anvers (fig.1).

 

Ø     Le déséquilibre du style de vie est le premier élément de la chaîne des événements qui conduisent à l’abus. La vie d’un abuseur sexuel peut, antérieurement à l’abus, être équilibrée pendant un certain temps, c’est à dire qu’il existe un équilibre entre des éléments qui favorisent son bien-être et d’autres qui l’entravent. Cependant, à un moment donné, la balance peut pencher du côté négatif aidée en ceci par des éléments qui entravent le bien-être.

 

Ø     Un événement critique (incident externe désagréable, situation conflictuelle, état émotionnel négatif) est souvent le deuxième élément observé dans la chaîne des événements et il amplifie subitement les problèmes existants.

 

Ø     L’envie de se laisser aller ou de s’offrir du bon temps apparaît chez un sujet en réaction au sentiment de ‘privation’ (en anglais, deprivation) ou à un sentiment d’incapacité. Ce sentiment s’accompagne souvent de cognitions telles que : « je ne me sens pas bien ; maintenant c’en est assez, il faut aussi que je puisse en profiter ». Le sujet part alors à la recherche de quelque chose qui puisse le soulager afin de retrouver un équilibre plus favorable et d’éliminer son sentiment de vécu négatif de privation.

 

Ø     Apparaît ensuite le besoin de satisfaction immédiate. L’abuseur, qui cherche à satisfaire ses besoins et à retrouver son équilibre,  choisit rarement une solution qui aborde le problème et le résout. Au contraire, il recherche une solution rapide ou une compensation sans aborder efficacement le problème qui se pose et reste ainsi non résolu. Il faut cependant remarquer que la solution adoptée n’est pas nécessairement un des événements qui conduiront à l’abus sexuel. Dans le cas de la délinquance sexuelle, le besoin de satisfaction immédiate peut être défini comme l’expérience d’une ‘envie sexuelle’, d’un ‘désir ardent’ (craving) et d’une tendance (impulsion - urge) à assouvir cette envie par un passage à l’acte sexuel. A mesure que le sentiment de privation augmente, l’envie sexuelle se fait plus pressante et puissante. Il est également possible que les fantasmes jouent un rôle dans ce phénomène en renforçant le besoin de satisfaction immédiate du sujet.

 

Ø     L’étape précédente de la chaîne de l’abus, le besoin de satisfaction immédiate, peut conduire à elle seule à l’abus lorsqu’on a affaire à un individu impulsif incapable apparemment de contrôler son comportement sexuel. Cependant, à partir du moment où un individu décide de résister à son comportement sexuel abusif, il est possible que la voie qui mène à l’abus soit sensiblement plus longue. En effet, le sujet éprouve l’ envie de se laisser aller à un comportement sexuel abusif, mais en même temps il tente de résister. S’il ne possède pas assez de ressources pour gérer ce conflit, il est probable qu’il planifie un abus sexuel de façon voilée (cachée = covert), sous la forme de décisions apparemment non pertinentes (insignifiantes, peu importantes). En effet, si ces décisions, basées sur des ‘distorsions cognitives’, n’ont en apparence rien à voir avec un comportement délictueux, elles augmentent toutefois la probabilité de récidive de l’individu.

 

 

Ø     Le sujet peut ensuite aboutir dans une situation à haut risque où sont réunis les trois facteurs suivants: 1/ présence effective d’une victime potentielle, 2/ l’abus est pratiquement possible dans le contexte ou la situation présente, 3/ le risque que le sujet perde le contrôle de ses actes est présent dans ce cas précis (la perte étant déterminée par un certain nombre de facteurs propre au sujet).

 

Ø     Lorsque, dans les situations à haut risque, l’individu n’arrive pas à se comporter de façon adéquate, trois conséquences sont possibles. 1/ Il faut s’attendre à ce que, chez un sujet qui se trouve dans une situation à haut risque, le besoin de satisfaction immédiate grandisse. Cela signifie que il éprouve une excitation, une envie sexuelle (désir) plus forte et que cette envie sexuelle vise vraisemblablement la victime qui se trouve présente dans cette situation à haut risque. 2/  Si le sujet n’arrive pas à se comporter de façon adéquate par rapport à cette situation à haut risque, sent qu’il commence à perdre le contrôle, il peut considérer qu’il a échoué. Par conséquent, un sentiment d’efficience personnelle diminué peut apparaître: « Je n’y arrive pas, je ne suis capable de rien faire, je n’arriverai jamais à rien dans la vie ». Comme il a été signalé plus tôt dans la chaîne des événements qui conduisent à l’abus, un sentiment de privation donne lieu à un désir de se laisser aller et de soulager immédiatement ses besoins. Se trouvant déjà dans une situation à haut risque, il est fort probable que son désir s’oriente vers un comportement de risque accru d’abus sexuel.

 

      Le sujet se trouve donc dans un cercle vicieux : son besoin de satisfaction immédiate donne lieu à un sentiment d’efficience personnelle diminué, ce qui augmente encore le besoin de satisfaction immédiate, et ainsi de suite. 3/ Enfin, il est également probable qu’une situation à haut risque intensifie les attentes positives de l’individu par rapport à un comportement d’abus sexuel. Plus spécifiquement, cela implique que l’individu ne considère plus essentiellement les conséquences négatives à long terme, mais qu’il se laisse tenter par les conséquences positives à court terme.

 

Ø     Chez les abuseurs sexuels, un faux pas (chute) est défini comme une récidive partielle, où le sujet répète un comportement d’abus sans toutefois passer réellement à l’acte. Il peut éventuellement penser commettre un abus, fantasmer sur celui-ci, penser au plaisir que lui ont procuré les abus précédents, mais, dans le cas du pédophile par exemple, il se retient de passer vraiment à l’acte en se masturbant en regardant, par exemple, des photos d’enfants. Ainsi, sans passer véritablement à l’acte, le pédophile s’adonne pourtant à des pratiques déviantes. On considère souvent un faux pas (chute) comme une récidive commise à un niveau fantasmatique.

 

Ø     L’effet de transgression ou de violation de la règle d’abstinence vient immédiatement après la chute. Ces termes renvoient à un ensemble de facteurs cognitifs et affectifs qui succèdent à la chute et qui déterminent si elle sera suivie à son tour par la récidive.

 

Ø     La chaîne des évènements qui conduisent à l’abus débouche sur la rechute c’est à dire un nouvel abus sexuel.

 

Sur cette structure de base que constitue la chaîne des évènements qui conduisent à l’abus sexuel se greffent des modules thérapeutiques comprenant des techniques d’intervention psychothérapeutiques propres aux thérapies comportementales et cognitives. Les modules spécifiques pour abuseurs sexuels sont les suivants.

Ø     Les interventions pour augmenter  la motivation des sujets soignés dans un cadre de contrainte plus ou moins forte.

 

Ø     Le traitement systématique des ‘distorsions cognitives’. On entend par distorsions cognitives, ces opinions ou affirmations du sujet à propos de la victime, à propos de l’interaction avec la victime, à propos des faits, qui ne correspondent pas à la vérité et qui servent à justifier ou rationaliser, complètement ou en partie, son comportement ou qui minimalisent sa participation.

 

 

Ø     Le module de traitement de l’excitation sexuelle comprend un volet pharmacologique et un volet psychothérapeutique.

 

Ø     Le module de l’entraînement à l’empathie part de l’hypothèse (non prouvée) qu’un accroissement des sentiments d’empathie chez l’abuseur diminue les chances de récidive sexuelle. L’empathie est difficile à définir mais se compose de plusieurs éléments : la capacité de percevoir selon la perspective de quelqu’un d’autre, la capacité de réagir émotionnellement en fonction d’autrui, la capacité d’exprimer de la compassion  et l’attachement aux autres.

 

 

Ø     Un module de psycho-éducation sexuelle.

 

            Le programme de traitement comprend également des modules thématiques non spécifiques en ce qui concerne l’abus sexuel mais inclus à la demande selon les exigences du cas particulier : l’entraînement aux habilités sociales, l’entraînement au gain d’assurance de soi, un module pour conduites toxicomaniaques, l’entraînement à la régulation de l’agressivité…

 

 

Réduction de rechute par le traitement cognitif et comportemental (TC&C)

 

Le souci de démontrer scientifiquement l’efficacité du traitement psychothérapeutique fait partie de l’idéologie même du courant cognitiviste et comportementaliste. De nombreuses recherches publiées dans la littérature tentent de répondre à cette question, mais la qualité méthodologique de ces études est fort variable. Il va de soi que le modèle idéal, à savoir une allocation aléatoire des agresseurs sexuels soit au groupe expérimental de tc&c soit au groupe contrôle de non-traitement, pose de multiples problèmes tant sur le plan méthodologique qu’éthique. L’analyse des difficultés propres à l’évaluation des interventions psychothérapeutiques dans le cas particulier des agresseurs sexuels dépasse toutefois le cadre de cette contribution – voir à ce sujet Quinsey et al . 1993). Il y a le problème du choix des groupes de contrôle adéquats, de la durée du suivi et des années à risque, de la définition de la notion de rechute (sexuelle, violence, non sexuelle), de la comptabilisation des rechutes (arrestations, condamnations ou informations informelles).

 

Nous prendrons comme point de départ deux chapitres de livres publiés récemment : Marshall, Anderson et Fernandez (1999), et Rice, Harris et Quinsey  (2001). Ces auteurs sont des autorités reconnues dans le domaine concerné et ils ont des points de vues contrastés voire opposés. Ensuite nous passerons en revue quatre intéressantes meta-analyses : Hall (1995), Hanson et Bussière (1998), Alexander (1999) et ATSA (1999).

Les critères minimaux de sélection des recherches retenues sont les suivants : 1/ traitement comportemental ou cognitif et comportemental (ambulatoire ou résidentiel pénitentiaire avec généralement un suivi), 2/ un minimum absolu de 10 patients (pas d’études de cas), 3/ un groupe contrôle non-traité acceptable, 4/ informations sur la récidive sexuelle durant la période de suivi. 

 

 

 

 

Résultats négatifs

 

Marshall et al. retient quatre recherche publiées où le taux de récidive sexuelle du groupe de tc&c n’était guère inférieur à celui du groupe contrôle non-traité (table 1).

Rice et al. (1991) ont évalué des patients d’une unité psychiatrique de haute sécurité traité par une combinaison de techniques aversives du comportement sexuel déviant avec des séances d’entraînement aux habilités sociales et des séances d’éducation sexuelle. Le groupe contrôle était constitué de patients non-traités pour raison administrative. Le résultat négatif peut s’expliquer par le programme de traitement obsolète par rapport aux pratiques actuelles et l’absence de suivi thérapeutique en fin de traitement. La même remarque de traitement obsolète s’applique à l’étude de Hanson et al. (1993) concernant l’évaluation rétrospective de 197 abuseurs d’enfants relâchés d’une prison provinciale de l’Ontario entre 1958 et 1974.

Par contre, le programme SOTEP (Sex Offender Treatment and Evaluation Project) de Marques et al. (2000) à l’Hôpital Atascadero en Californie est un grand essai comparatif randomisé. Un total de 392 abuseurs d’enfants ou violeurs ont été recrutés entre 1985 et 1994 et aléatoirement assigné à un groupe de tc&c ou un groupe de non-traitement.

 

 

Après 5 années de risque les 167 sujets ayant complété le traitement avaient un taux de rechute sexuel plus faible (10.8%) que les 225 sujets contrôles également volontaires au traitement (13.8%). Un troisième groupe de 220 contrôles non-volontaires au traitement avaient un taux de rechute de 13.2%. Cette tendance en faveur du traitement s’est confirmée au cours de l’étude mais sans atteindre le seuil de signification statistique. Ceux qui ont abandonné le traitement (‘drop-outs’) présentent le taux de rechute le plus élevé (18.9%).

L’étude rétrospective des Canadiens Quinsey et al. (1998) concerne des détenus traités entre 1976 et 1989  et relâchés avant 1992. Le groupe tc&c (n=213) présente un taux de rechute sexuelle de 33%, chiffre plus élevé que celui des groupes contrôles choisis : 9% pour le groupe de 183 détenus pour lesquels on a jugé le traitement non nécessaire, 17% de rechute pour les 52 qui ont refusé l’offre de tc&c, et 11%  pour lesquels le traitement était inadapté (non connaissance de la langue, quotient intellectuel…).

Cette recherche pose le difficile problème du choix du groupe de contrôle adéquat car Looman et al. (2000) ont repris le même groupe de 213 agresseurs sexuels de l’étude de Quinsey et al. (1998) mais en le comparant avec un groupe contrôle plus recherché et sophistiqué (‘matched pair control’). Pour chaque agresseur traité ils ont cherché un agresseur non traité du même âge, ayant commis leur agression sexuelle dans la même année et présentant un nombre semblable de condamnations antérieures.  Ils arrivent à la conclusion intéressante et inverse de Quinsey et al. ; le taux de récidive sexuelle du groupe tc&c est de 23.6% et celui des ‘matched controls’ non traités de 51.7% (table 2). L’effet positif du traitement est hautement significatif.

 

 

Résultats positifs

 

Outre la réévaluation éminemment encourageante par Looman et al. (2000) de l’étude de Quinsey et al. (1998) nous relevons 8 autres recherches rencontrant les critères méthodologiques mentionnés (table 2). Marshall reprend dans sa revue de la littérature ses deux recherches  des années ’80, l’une concernant  des abuseurs d’enfants (Marshall et al. 1988) et l’autre des exhibitionnistes (Marshall et al. 1991). Le tc&c était prodigué en ambulatoire et le groupe contrôle concernait des sujets habitant à une distance trop éloignée que pour suivre le traitement expérimental. Les auteurs ont eu accès à des documents non officiels concernant les récidives et ceux ci donnaient un taux de récidive plus du double du chiffre officiel.

Les résultats de Marshall et al. sont nettement en faveur du traitement, même si des critiques ont été formulées par le groupe de Quinsey quant à la validité de la mesure du taux de rechute sexuelle (Quinsey et al, 1993 et Rice et al. 2001). Ces auteurs sont très exigeants au point de vue méthodologique en ne retenant comme scientifiquement valable que des recherches comparatives randomisées. En plaçant la barre si haut, ils ne peuvent que retenir peu ou prou d’études et en conséquence constater que scientifiquement tout reste à prouver dans le domaine de l’efficacité du traitement des agresseurs sexuels. Cette conclusion défaitiste ne tient pas compte des problèmes éthiques soulevés par une recherche comparative randomisée dans le domaine de l’agression sexuelle.  Notons que les chercheurs des méta-analyses que nous verrons plus loin reprennent ces recherches de Marshall et al. dans leurs analyses statistiques, estimant à juste titre qu’elles présentent un niveau d’élaboration statistique satisfaisant.

Rice, Harris et Quinsey (2001) tirent toutefois des conclusions intéressantes de leur analyse critique de la littérature des programmes de traitement pénitentiaires. Les caractéristiques des programmes de traitement ‘prometteurs’ quant à la réduction du taux de récidive sont : un entraînement pratique mettant l’accent sur les aptitudes d’auto-gestion et de résolution des problèmes ; le développement d’attitudes pro-sociales et anti-criminelles ; une approche directive mais non-punitive ; mettre l’accent sur la modification des antécédents au comportement criminel ; une supervision dans la communauté afin d’évaluer ou d’enseigner les aptitudes nécessaires ; une clientèle à risque moyennement élevé.

Ces mêmes auteurs mentionnent les caractéristiques des programmes de traitement qui sont apparemment inefficaces voire contre-productifs : une attitude de confrontation sans développer les aptitudes nécessaires ; une approche non-directive ; mettre l’accent sur des facteurs sans relation avec la criminogénèse (par exemple travailler l’estime se soi sans modifier le comportement pro-criminel) ; l’utilisation de thérapies verbales sophistiquées ; une clientèle à faible risque.

Steele (1995) rapporte les résultats d’un programme de traitement pénitentiaire  du Minnesota (TSOP, Transitional Sex Offender Program) en comparant 303 agresseurs sexuels ayant complété leur programme de traitement avec un groupe contrôle de 125 (N total=428) agresseurs qui n’ont pas complété le programme (non coopération ou non respect des règles institutionnelles). Avec un suivi de 1-11 ans, le taux de récidive global des agresseurs sexuels est de 9.57% pour les traités et de 16% pour les contrôles.  Les violeurs traités ont rechutés dans 14.5% des cas, contre 27.3% pour les contrôles. Parmi les abuseurs d’enfants, les chiffres sont respectivement de 8.6% pour les traités et de 20.8% pour les autres. Le Minnesota a le taux le plus faible des EU pour l’incarcération des agresseurs sexuels et la population étudiée concerne des crimes et agressions sexuelles sévères.

McGrath et al. (1998) a examiné le taux de rechute de 111 abuseurs suivi dans la communauté.

Des 71 abuseurs ayant terminé un traitement spécialisé un seul commit une nouvelle offense durant la période de suivi de 5ans. Ceux qui refusèrent le traitement ont récidivé dans 10.5% des cas, et  ceux qui suivirent un traitement non spécialisé ont rechuté dans 15.6% des cas.

Bakker et al. (1998) ont suivi 238 abuseurs d’enfants traités durant 2 années après leur séjour en prison, en parallèle avec un groupe contrôle non traité de 283 abuseurs. Le taux de récidive était nettement plus bas pour le groupe traité (8%) que pour le groupe contrôle (21%).

Proulx et al. (1998)  ont comparé des abuseurs sexuels ayant terminé leur programme de traitement avec ceux qui ont décroché en cours de traitement. Les résultats sont édifiants tant pour le groupe d’abuseurs d’enfants que pour un second groupe de violeurs. On relève un taux de rechute de 5.7% pour les 63 abuseurs d’enfants ayant terminé le traitement contre un taux de 33.3% pour les 39 qui ont décroché en cours de traitement. Les résultats pour les violeurs vont dans le même sens : 38.5% de rechutes pour les 46 sujets traités intégralement contre 70.8% de rechutes pour les 24 violeurs qui ont décroché du traitement. Une observation intéressante concerne le moment des rechutes durant la période de suivi de 4 ans. Les abuseurs d’enfants traités ne rechutaient qu’après un délai de 2ans, tandis que les ‘décrocheurs’ du traitement récidivaient rapidement après leur retour dans la communauté. Ces derniers atteignaient leur taux maximum de rechute déjà à la fin de la première année de risque.

La recherche de Nicholaichuk et al. (2000), effectuée dans un centre psychiatrique régional du système pénitentiaire canadien, confirme l’effet positif du traitement d’un groupe (n=296) d’abuseurs sexuels traité (6.1% de rechutes sexuelles violentes) en comparaison avec un groupe de contrôle (N=283)  non traité (20.5% de rechutes sexuelles violentes). Ces résultats positifs concernent aussi bien le taux de rechute sexuelle total, 14.5% (traités) versus 33.2% (non traités) que les sous groupes d’abuseurs d’enfants (18.4% versus 61.9%) et de violeurs (14.3% versus 42%).

 

Les sujets concernés par la recherche sont considérés comme à haut risque et le groupe contrôle a été soigneusement choisi.

Les données de Worling et al. (1998) sont intéressantes car elles concernent des adolescents traités et non traités. Les 58 sujets traités montraient un taux de rechute nettement inférieur (5%) à celui des adolescents non traités (18%) et ce tant pour la délinquance sexuelle que non sexuelle.

 

 

Meta-analyses des traitements cognitifs et comportementaux (TC&C)

 

Nous avons connaissance de trois meta-analyses récentes susceptibles d’éclairer la question de l’efficacité du traitement des abuseurs sexuels : Hall (1995), Alexander (1999) et ATSA (1999). L’article de Hanson et Bussière (1998) sera également passé en revue car s’il a principalement pour objet l’analyse des facteurs prédictifs de rechutes, il prend en compte le traitement comme variable. Ces meta-analyses concernent en principe tous les traitements publiés, tant psychothérapeutiques qu’hormonaux, et pas seulement le tc&c. Ce dernier est toutefois nettement majoritaire dans ces meta-analyses et sauf mention contraire nous limiterons la discussion aux tc&c.

 

Sur un total de 92 études publiées, Hall (1995) en retient 12 (n=1313 sujets) qui satisfont aux critères suivants : au moins 10 participants, un groupe de comparaison ou de contrôle et des données explicites sur les rechutes. La moitié des études concernent des patients traités dans la communauté et l’autre moitié l’est sous forme résidentielle. Le traitement comportemental ou c&c représente 9 études sur les 12. Le taux de rechute est de 19% pour les sujets traités (tout traitement compris) et de 27% pour le groupe de comparaison. L’effet thérapeutique est le plus significatif pour le tc&c et le traitement hormonal. Les études limitées au traitement comportemental donnent des résultats moins favorables. L’effet positif du traitement est plus manifeste lorsque le durée du suivi est de 5 ans ou plus. Il est également plus prononcé  (‘medium effect size’) en cas de traitement ambulatoire (dans communauté) par rapport au traitement résidentiel (‘small effect size’).

Hanson et al. (1998) ont retenu 61 études permettant d’identifier les facteurs liés à la récidive des abuseurs sexuels. Le taux moyen de rechute était relativement faible, 13.4% pour un total de 23.393 sujets. Concernant l’effet prédictif d’un traitement psychothérapeutique leurs conclusions majeures sont les suivantes : 1/ les abuseurs sexuels qui décrochent et ne sont pas capables de terminer le traitement entrepris constituent un risque accru de rechute tant sexuelle que générale (délinquance non sexuelle), 2/ une présentation  clinique négative (déni ou manque de motivation) n’est pas prédictif de rechute sexuelle mais bien de rechute dans la délinquance générale. Il se peut donc que le traitement soit effectif, mais également que les abuseurs à haut risque présentant une personnalité antisociale abandonnent plus fréquemment le traitement entrepris. Les auteurs restent prudents dans leurs conclusions tout en affirmant ‘Les résultats de la présente revue suggèrent toutefois que les programmes de traitement peuvent contribuer à la sécurité de la communauté grâce à leur capacité de contrôler le risque’. Il est établi que les abuseurs qui coopèrent au programme de traitement rechutent moins que ceux qui rejettent l’intervention.

Alexander (1999) inclut dans sa meta-analyse un plus grand nombre de recherches que Hall et al. (1995), à savoir 79 études avec un total de 10.988 sujets. Les résultats des sujets traités selon le modèle de la ‘prévention de la récidive’ (tc&c) sont nettement supérieurs aux autres modalités de traitement en fonction des critères les plus sévères : 1/ un taux de rechute de 7.2% et donc inférieur au critère retenu de <11%, 2/ un nombre de sujets de 713 et donc supérieur au critère d’un minimum de 100 sujets, 3/ une différence d’au moins 10% entre le taux de récidive des sujets traités (7.2%) et des non traités  (17.6%). Le sous-groupe de violeurs présente un taux de rechute de 8.3% dans le groupe traité et de 23.7% dans le groupe non traité. Pour le sous-groupe des abuseurs d’enfants les chiffres sont respectivement de 8.1% (traité) et de 25.8% (non traité).

L’Association for the Treatment of Sexual Abusers (ATSA, 1999) conduit une meta-analyse de 34 recherches qui ont lieu en Amérique du Nord et dont certaines sont toujours en cours ou n’ont pas été publiées . Le tc&c représente 27 études tandis que les autres 11 sont des traitements psychothérapeutiques variés (7 d’inspiration psychodynamique, 2 systémique et 2 non spécifié). Malgré des insuffisances méthodologiques de certaines études incluses (Rice et al. 2001) des tendances et des conclusions peuvent être dégagées avec des degrés variables de certitude. Une tendance positive de réduction de la rechute sexuelle après traitement (tc&c) est présente dans 65% des études (N=15) contre 26% (N=6) pour une tendance négative ou neutre. Ces chiffres sont nettement meilleurs que ceux obtenus pour les autres modalités de psychothérapies. Les résultats présentent une grande variabilité d’une étude à l’autre, mais la supériorité du traitement cognitif et comportemental est une constante. Il apparaît également que l’inclusion dans le programme de traitement du modèle de ‘prévention de la récidive’ est essentiel au succès du traitement. Les programmes, généralement plus anciens, se limitant à des techniques comportementales ne donnent pas les mêmes résultats positifs. Contrairement à l’hypothèse de départ, il n’est pas prouvé que le refus du traitement est un facteur établi de risque de récidive sexuelle. Par contre ceux qui décrochent du programme thérapeutique en cours de route ont un mauvais prognostic de rechute et certains psychopathes (au sens de Hare) semblent présenter des taux de rechutes plus élevés après traitement. Les travaux de Harris, Rice et Cormier (1994) montrent également un taux de rechute plus élevé parmi les patients psychopathes selon la définition de Hare et ces auteurs se posent des questions sur l’opportunité des programmes thérapeutiques basés sur les techniques comportementales et cognitives chez ce type de patients.

 

 

Conclusions

 

L’efficacité du traitement cognitif et comportemental selon les critères scientifiques les plus sévères, celle d’une recherche comparative et randomisée, n’a pas été prouvée mais la question de la faisabilité d’une telle recherche du point de vue éthique reste posée. Considérant l’ensemble des recherches effectuées il nous semble intellectuellement raisonnable et justifié de retenir pour acquis les conclusions suivantes

1.     Des programmes de traitements cognitifs et comportementaux spécifiques pour abuseurs sexuels centré sur le modèle de la ‘prévention de la récidive’ ont été mis au point ces 20 dernières années dans divers centres Nord Américains et Européens. Il existe un consensus certain parmi les thérapeutes quant à la structure de base du modèle thérapeutique même si dans son application concrète sur le terrain des différences inévitables (culturelles) existent. Le modèle de base est soumis à révision dans la littérature et en constante évolution avec un souci de justification scientifique.

2.     Les abuseurs sexuels ayant complété un programme de traitement cognitif et comportemental (résidentiel ou ambulatoire) présentent, en tant que groupe, un taux de rechute sexuelle inférieur à celui d’un groupe contrôle comparable. Il convient de distinguer le rechute dans le domaine sexuel de la rechute dans la délinquance globale qui ne présente pas nécessairement la même amélioration.

3.     Les abuseurs sexuels qui décrochent d’un programme de traitement cognitif et comportemental sans le terminer constituent un risque établi de rechute dans la délinquance sexuelle.

4.     Le traitement cognitif et comportemental est de loin le plus étudié dans les recherches concernant l’efficacité du traitement et sa supériorité dans le domaine du traitement de l’abus sexuel n’a jamais été infirmée.

 

A un degré d’évidence moindre, car soit contesté dans la littérature soit nécessitant des recherches complémentaires, nous pouvons retenir avec une certaine prudence les conclusions suivantes qui doivent être confirmées voire infirmées.

1.     Le traitement résidentiel pénitentiaire de haute qualité est efficace, même avec des sujets à haut risque, mais il est probable qu’un traitement de haute qualité avec des sujets traités en ambulatoire dans la communauté est encore plus efficace avec un meilleur rapport qualité- prix.

2.     Le fait de refuser le traitement proposé (imposé) ne constitue pas scientifiquement un risque établi de rechute dans la délinquance sexuelle.

3.     Certains psychopathes (score élevé sur l’échelle de Hare) semblent rechuter plus volontiers ou efficacement après le traitement. Les résultats sont bons avec des sujets à haut risque mais avec un score de psychopathie bas. Il convient de faire des recherches sur des contre-indications éventuelles du traitement.

 

Références

 

 

Association for the Treatment of Sexual Abusers, (1999). Collaborative Database of Sex Offender Treatment Outcome. ATSA Conference, Florida.

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[1] *Prof. de psychiatrie, **psychiatre, ***psychologue : ‘Universitair Forensisch Centrum’, Université d’Anvers (Belgique)