Existe-t-il des caractéristiques cliniques et psychopathologiques des auteurs d’exhibitionnisme et d’autres conduites d’agression sexuelle que pédophilie et viol ?

 

Dr Ph. Carrière* , Dr Y. Tyrode**

 

Introduction

Qu’elles soient incluses dans les « Troubles de la préférence sexuelle » (CIM-10) ou dans les « Paraphilies » (DSM-IV), les conduites d’agression sexuelle autres que la pédophilie et le viol sont effectivement repérées par les cliniciens comme des « Troubles comportementaux » ayant leur place dans la démarche diagnostique médicale, compte non tenu de la législation sociale en vigueur dans le lieu d’accomplissement des actes désignés.

 

            En ce qui concerne l’exhibitionnisme, la CIM-10 (et le DSM-IV qui en est très proche) le définit comme la tendance récurrente ou persistante à exposer ses organes génitaux à des étrangers (en général du sexe opposé), dans des endroits publics, sans désirer ou solliciter un contact plus étroit. Il y a, le plus souvent une excitation sexuelle au moment de l'exhibition, qui est, en général, suivie d'une masturbation.

            Une telle définition ne pose pas de problème d’école particulier. Il s’agit d’une définition descriptive, comme pour les autres paraphilies mentionnées (fétichisme, voyeurisme, masochisme et sadisme sexuel), qui est suffisamment généraliste pour permettre un langage commun (contenu sémantique) des spécialistes au niveau international, dégagé des considérations pénales locales. Toutefois, nous verrons que la réalité clinique est diverse.

            Quoiqu’il en soit, cet acte choque par ses conséquences dolosives morales sur les victimes, inquiète par la répétition et la fréquence de la transgression, interpelle les thérapeutes face au manque de moyens thérapeutiques appropriés et étonne par son caractère pérenne quasi inexorable ou bien sa propension à s’effacer inexplicablement après quelques entretiens.

 

           Les autres agresseurs sexuels non pédophiles et non violeurs déclinent parfois avec un certain folklore (sauf pour les victimes, bien sûr) ce qui était classiquement dénommé les petites perversions sexuelles (les voyeurs, les coupeurs de natte, les piqueurs, les frotteurs, les claqueurs, les caresseurs,...). Il convient d’y adjoindre divers agissements, souvent sournois ou larvés, à type d’agression sexuelle ou à connotation sexuelle repérable (les sadiques, les masochistes, les violents, les fétichistes, les manipulateurs, les séducteurs, les profiteurs).

 

            Nous ne traiterons pas des agresseurs sexuels agissant dans le cadre d’une tentative avortée de viol ou d’acte de pédophilie qui sont à considérer, en fait, comme ayant globalement le profil des auteurs effectifs de ces même actes.

 

Caractéristiques cliniques

Les exhibitionnistes

L’exhibitionnisme "classique"

            Le terme est du à Lasègue dans "L’union médicale" en mai 1877 ([1]), avant les observations cliniques rédigées par Krafft-Ebing entre 1886 et 1923 ([2]).Lasègue décrit "une impulsion irrésistible à exhiber en public ses organes génitaux, à distance, sans manoeuvre lubrique, l'impulsion ayant tendance à se reproduire de façon stéréotypée, aux mêmes heures et aux mêmes lieux, et ne s'accompagnant d'aucune manifestation génitale". Le scénario est désarmant de répétition et de pauvreté : le sujet reproduit quasi rituellement les mêmes agissements auprès de la même victime ou de la même catégorie de victimes. L'acte vient soulager un état anxieux et succède à une période de lutte contre le besoin de se montrer ; il peut s'ensuivre un sentiment de culpabilité.

            C’est ainsi qu’il publie le cas de cet employé supérieur d’une administration âgé de 60 ans qui se postait tous les matins devant sa même fenêtre à la même heure pour exposer ses organes à la vue d’une jeune voisine de 10 ans.

            Citons aussi le cas, repris régulièrement dans la littérature avec quelques déformations (parfois jubilatoires…), de cet homme de 30 ans qui, à la tombée de la nuit, se présentait subitement devant une victime en prière dans une église et qui fut finalement arrêté, suite aux cris poussés par une vieille religieuse. Examiné, il sera conclu par Lasègue à un homme « distingué d’esprit et de formes ».

            Enfin, citons le cas de cet officier supérieur en retraite qui se plaçait tous les deux jours sous les fenêtres de la maison où résidaient des jeunes filles : il se déboutonnait, présentait ses attributs, se reboutonnait et continuait sa promenade. Lasègue note, avec un sens aigu du détail clinique, « il déposait toujours sa canne au même endroit avant de se mettre en posture ».

 

            Krafft-Ebing rappelle que "dans le commerce sexuel normal", l'exhibition ou la contemplation des organes génitaux servent à l'excitation des partenaires ; ici, la satisfaction sexuelle semble résider dans l'exhibition elle-même et non pas dans un acte qui succéderait à l'état d'excitation. Il précise que le plus souvent cependant, à la différence des cas de Lasègue qui restent rares, les exhibitionnistes semblent espèrer une satisfaction sexuelle par le coït, mais l'obtiennent surtout par une masturbation, en présence de la victime ou après sa fuite.

 

            Ainsi, Garnier (1900) distingue le cas des exhibitionnistes à la verge flaccide. Le sujet apparaît indifférent à l’état de sa verge qui demeure au repos, sans que l’intéressé ne pratique de manœuvres masturbatoires associées ; au contraire, le sujet paraît se satisfaire d’une telle présentation.

            (ce qui n’est pas sans rappeler la présentation par certains eunuques en Inde de leur castration dans un agi malfaisant de jeteur de sort ; cf. [3]).

 

            Certains exhibitionnistes, au contraire, sont de véritables masturbateurs publics. Ils fonctionnent sans aucune retenue, après avoir choisi, en embuscade, un lieu propice ; fréquents, ces masturbateurs frénétiques vont traquer leurs victimes dans les allées ombragées des parcours de santé, dans les parcs qui leur permettront de surgir d’un feuillu. Parfois, les lieux seront moins buccoliques (rue déserte, cage d’escalier, ascenseur, lieu public où ils surprendront une ou plusieurs victimes interloquées).

            Tyrode et Bourcet ([4])ont publié le cas d’un masturbateur exhibitionniste qui affirmait que cette pratique lui permettait "un épanouissement physique et mental quotidien" dont il crût bon de faire la démonstration face au substitut de garde, jeune femme compréhensive qui s’adressa immédiatement au spécialiste, plutôt que de l’incarcérer sans espoir que sa pratique cesse pour autant.

L’exhibitionnisme corporel

            "Il existe des gens qui ont le besoin de montrer à d'autres, non pas leurs parties génitales, mais tout leur corps nu" ou "d'autres parties du corps" (Krafft-Ebing).

            Lasègue publia le cas princeps d’une exhibition corporelle qu’il présente en début de son article de 1877 comme une vignette clinique fondatrice du concept même d’exhibition.

            Le sujet, un homme jeune et bien inséré, se postait devant une jeune fille sans jamais lui parler ni agir d’une quelque autre façon ni prendre des renseignements ou écrire à sa victime qui devra supporter avec résignation sa présence corporelle durant des mois, en quelque lieu qu’elle se rende. Cette ombre de sa victime fera craquer les parents de celle-ci après plus d’un an de cette présence silencieuse. On parlerait aujourd'hui de harcèlement plus que d'exhibitionnisme.

            Plus précisément, dans le cadre de notre étude, nous retiendrons les sujets qui s’exhibent de leur fenêtre de salle de bains face aux travailleuses entassées dans les rames du métro aérien. Mentionnons aussi quelques cas de "photoexhibitionnisme": le sujet se regarde être vu par la victime sur la photo qu'il lui présente.

            Citons aussi, exemple que nous avons connu comme usager de l’autoroute, cet athlète, très visiblement culturiste, qui s’était posté en tenue d’Adam sur la passerelle surplombant les voies de l’autoroute. Afin d’être du plus bel effet, il avait placé sa voiture rouge en fond coloré, traduisant ainsi une réelle recherche de mise en scène pour les milliers d’automobilistes sollicités.

L'exhibitionnisme "psychique"

            On a pu classer dans cette catégorie les individus qui prennent plaisir à choquer leurs interlocuteurs en racontant des obscénités ; c'est notamment le cas des appels téléphoniques anonymes à des femmes, tout en pratiquant une masturbation.

L’exhibitionnisme satyrique

            La présentation hyper sexualisée du satyre est volontairement cultivée afin de pratiquer une invitation à la sexualité physique auprès des partenaires visées.

            Il convient de distinguer clairement :

            - les appels sexualisés qui cumulent les agressions verbales salaces, les pelotages et ambiguïtés diverses de situation, voire la présentation des fesses ou des organes sexuels (contexte estudiantin, internat ancien régime, bizutage, troisième mi-temps, mouvements peace and love ou communautaire, sectes ou ambiance new age).

            - les actes manifestement agressifs dans le cadre de la sexualité agie, dès le début de la relation avec une victime choisie intentionnellement comme telle : dénudation avec le sexe en érection, actes de masturbation associés, langage ordurier avec agitation psychomotrice et passages à l’acte sans ambiguïté, voire esquisse de viol avec, parfois, réalisation si les circonstances le permettent, dans un registre de bestialité (actes contre nature, multiplicité de l’assouvissement sexuel, etc.).

L’exhibitionnisme relationnel

            Enfin, on peut ranger ici les personnes qui prennent une jouissance élective dans la réalisation d'actes sexuels en publics. Ainsi en est-il des échangismes, mélangismes et autres triolismes ...

 

            On arrive rapidement, à la fin de ce tableau, à la frontière des pathologies individuelles et des expressions tolérées de l'échange social du corps. L'exhibitionnisme "culturel" (les strip-tease, les "go-go dancers", les films X, les webcams, les "clubs libertins", etc) ne fera bientôt plus scandale , dans la mesure où l'échange sexuel s'intègre progressivement à l'économie marchande mondialisée... si l'on partage la thèse prophètique de Michel Houellebecq par exemple ([5]).

 

            C'est le plus souvent dans ce cadre culturel que s'épanouit l'exhibitionnisme féminin. Que dire des exhibitions toujours appréciées, donc jamais sanctionnées, de stars en mal de présentation et de représentation ? Toutefois, il conviendra de savoir se méfier d’une exhibition inattendue, toujours gênante, voire risquée, selon les circonstances. Le piège sexuel est parfois, face au développement du harcèlement sexuel, la réponse de la bergère au berger.

 

Enfin, il convient de distinguer :

L’exhibitionnisme utilitariste

            Il s’agit de sujets qui vont se dénuder dans un contexte de besoin physiologique ou du fait de la chaleur, par exemple. Il est parfois difficile de faire la part des choses entre les conséquences d’une prostate défaillante, un début de démence égrillarde et désinhibitrice et une volonté consciente et dissimulée de pratiquer un acte d’exhibition, avec ou sans masturbation.

            Apanage d’hommes âgés, souvent isolés sociaux et peu cultivés, cette forme d’exhibition reste relativement tolérée lorsqu’elle ne concerne pas des victimes jeunes ou désignées. Elle est sans conséquence sociale notable en établissement pour personnes âgées en raison de l’encadrement attentif des équipes chargées de la prise en charge.

L’exhibitionnisme génésique

Il est le fait de sujets régressés (autismes, séquelles de psychose ancienne, épilepsies évolutives) ou porteurs d’une atteinte neurologique centrale ancienne ou évolutive (encéphalopathie congénitale ou acquise, tumeur ou séquelles d’AVC, démences, dysfonctionnement métabolique, état confusionnel ou délirant, intoxication aiguè ou chronique [dont l’usage des stupéfiants ou des psychotropes]).

Les autres agresseurs sexuels non pédophiles et non violeurs

Les frotteurs

            Dans le métro ou avec les vêtements de l’être cher, partout où ils peuvent se frotter à l’objet de convoitise, les frotteurs frottent au mépris du danger et de leurs victimes potentielles. Krafft-Ebing les rapprochent des exhibitionnistes lorsque leur comportement est dicté par le désir de solliciter autrui par l'acte. Dans d'autres cas, il ne s'agit que de se procurer un peu de plaisir "à bon compte".

 

            Tous les ans, plusieurs médecins sont condamnés par les juridictions ordinales, voire pénales, pour avoir frotté (et au-delà…) leurs patientes qui étaient en confiance auprès de leur praticien. L’une d’entre elles, évoquant son médecin qui boitait manifestement de longue date, nous dira « pendant l’examen, il se penchait en respirant fortement dans mon dos ; j’ai senti quelque chose de dur. J’ai cru tout d’abord qu’il s’appuyait sur moi avec sa prothèse de hanche… ».

Les voyeurs

           Ils forent des trous partout : placards, portes de toilettes, de salles de bains ou chambres d’hôtel. Ils se cachent partout où ils peuvent surprendre la nudité ou la sexualité, voire l’exonération liquide ou solide. Ils agressent ainsi leur victime en possédant son image et son intimité. Celle-ci se sent trahie et humiliée lorsqu’elle réalise (parfois bien tard) avoir été un spectacle involontaire érotique pour son agresseur ([6]).

           Il est évident qu'une dimension voyeuriste coexiste intimement avec les autres paraphilies dans lesquels le regard est essentiel : sadisme et masochisme, pédophilie, triolisme, échangisme ... Certains auteurs relèvent aussi la fréquence des liens avec d'autres délits, non sexuels (vols).

           Enfin, le contexte culturel, déjà mentionné pour l'exhibitionnisme, est essentiel ; la charge érotique de certaines scènes ou de certaines images varie considérablement selon les lieux, les périodes, et...l'âge du spectateur ; saura-t-on mesurer le lien entre voyeurisme passif et voyeurisme actif dans le développement psychosexuel ?

Les fétichistes

            Le fétiche en lui-même n’est pas constitutif d’une agression sexuelle (il est toutefois une spoliation pour son propriétaire lorsqu’il est subtilisé, comme dans ce cas où le vol de plusieurs centaines de petites culottes féminines séchant sur les étendages extérieurs avait semé l’émoi dans une campagne, jusque là paisible). Par contre, il est souvent associé à des pratiques notablement plus préoccupantes : par exemple, notre violeur manipulateur de cheveux possédait une collection de chouchous (élastiques de maintien de chevelure) subtilisés (dont un à sa victime). Certains serial killers et serial violeurs conservent ainsi un souvenir constitutif de leurs victimes.

Les sadiques

            Les manifestations au quotidien sont l’apanage des pères et substituts paternels incestueux et agresseurs sexuels (refus de nourriture, obligations diverses dont la nourriture, interdictions de fréquentations ou de mode de vie, impératifs éducatifs ou relationnels, brimades diverses, propos salaces, dépréciateurs, injurieux, menaces subtiles, terrorisme intellectuel, etc.) ([7])

Les masochistes

            L’activité sexuelle est sollicitée dans l’ambiguïté de la relation d’allégeance (physique ou psychologique, tentatives de suicide, stratégies de manipulation ou de sadisme associées).

 

Enfin, citons d'autres manifestations assez diverses, et de frequence inégale :

Les coupeurs de natte

Il n’y a plus de petites filles à qui leur maman tresse deux couettes tentatrices. Il n’y a donc plus de coupeurs de natte. Par contre, la manipulation sexuelle des cheveux des victimes reste une activité usitée ainsi qu’en témoigne un récent dossier de violeur (jugé) qui avait coupé les cheveux longs de sa malheureuse victime décédée sous ses coups. Il en avait introduit une partie dans le sexe du cadavre et s’était masturbé avec le reste qu’il avait ramené comme un macabre trophée à son domicile.

Les piqueurs

Ils sévissent moins qu’avant dans les transports en commun. La mode n’est plus à l’épingle à nourrice agrafée au revers du veston et déployée dans la cohue pour piquer anonymement les postérieurs des voyageuses. Au début du siècle, un cache-postérieur métallique était commercialisé ainsi qu’une pommade apte à soulager les souffrances victimelles. Un chansonnier évoquait les "adeptes d'Epicure", favorisant involontairement donc la mode pour cet agissement sexualisé.

Les claqueurs

Il existe toujours des amateurs de petites (ou plus appuyées) claques sur les fesses. Que dire de ce préfet, au demeurant fort bel homme, qui ne pût s’empêcher, lors d’une inauguration d’une structure de soins, d’administrer une petite claque furtive sur le postérieur d’un agent de service (de sexe féminin) qui donnait avec zèle un petit coup de balai en l’honneur de cette visite ? Il se reconnaîtra peut-être et apprendra qu’il fallut convaincre cette mère de famille de ne pas donner suite.

Les caresseurs

Ils pelotent, chatouillent, tripotent, gratouillent, voire ils pincent ou picotent. Ils sont sûrement d’une familiarité excessive ; ils en rajoutent encore quand ils famille et leur entourage professionnel. Ils agressent l’intimité de leur victime qui souffre souvent en silence ; eux, par contre, ont souvent le verbe haut et le geste impérieux. Il faut qu’ils sachent qu’ils prennent le risque d’être poursuivis pour harcèlement sexuel ou agression sexuelle.

Les violents

Ils se comportent avec une présence physique pesante et menaçante, voire directement agressive, vis à vis de leur victime sexuelle, potentielle ou actuelle. Le plus souvent, en dehors des violences manifestes qui sont à reprendre dans le cadre des agressions sexuelles majeures, il s’agit de prémisses et d’une atmosphère visant à aménager un ascendant sur une victime terrorisée au quotidien, propre à sombrer dans un syndrome de Stockholm (allégeance affective pour l’agresseur).

Les manipulateurs

Nous sommes dans le royaume des gourous, thérapeutes et psychoguérisseurs de toutes obédiences.

Nous en avons connu qui priaient, se droguaient, mangeaient végétarien ou buvaient du lait. Certains jouaient de la cithare thérapeutique, d’autres guérissaient par les ondes ou les massages.

Mais, l’argent et le pouvoir sont toujours au rendez-vous ainsi que l’exploitation sexuelle, souvent transgénérationnelle si la mère et la fille fréquentent le même manipulateur.

Les séducteurs

Ils utilisent leur ascendant pour endormir les défenses de leur victime qui sera exploitée par surprise, trahie dans sa bonne foi et sa confiance : il en est ainsi du prêtre ou du médecin, professions actuellement en passe d’être sur-représentées dans les procédures engagées pour agression sexuelle.

Et que dire de ceux qui empruntent faussement les habits de la respectabilité ? Citons cette malheureuse victime violée dans son lit d’hôpital par un agresseur qui avait emprunté une blouse dans un vestiaire. Elle déclarera : « je n’ai rien osé dire car il m’avait chuchoté qu’il était le médecin de garde ».

Les profiteurs

Ils sont les adeptes du tourisme sexuel et de toutes les bonnes occasions pour exploiter sexuellement leur prochain.

Ces agresseurs apparaissent sincèrement étonnés, voire désolés, lorsqu’on leur explique que le trafic d’images pédophiles pornographiques ou de sévices et mutilations sadiques a nécessité un tournage avec des victimes en souffrance. De même, ils sont souvent ignorants (apparemment) d’un éventuel état de vulnérabilité de leur victime (débile majeur en CAT, infirme moteur cérébral suivi en MAS, adulte classé invalide par la COTOREP, incapable majeur sous tutelle ou curatelle, démence en cours d’évolutivité, maladie en phase terminale ou incurable, patient en état alcoolique ou sous toxique ou psychotrope). Que penser de cet agresseur qui préparait lui-même le cocktail de psychotropes de sa victime ou de cet anesthésiste sans foi ni loi abusant de ses patientes endormies ?

Caractéristiques psychopathologiques

Les exhibitionnistes

L’exhibitionnisme classique

      Le passage à l'acte succède à une lutte anxieuse que l'exhibitionniste ne parvient pas à maîtriser. Il se bat mentalement sans succès contre sa pulsion qui prend ici la forme d’une compulsion de répétition.

      Il apparaît inamendable et récidiviste et, pourtant, parfois, le simple fait de s’intéresser à lui (un ou quelques entretiens, spécialisés ou généralistes) suffisent pour débloquer une situation qui paraissait enkystée. De plus, il peut exister souvent une vie sexuelle normale pendant des "intervalles libres" parfois très prolongés entre deux périodes d'exhibitionnisme. Le taux de récidive apparaît faible après la première sanction judiciaire ; il est plus élevé après la seconde.

      Habituellement les cliniciens relèvent une personnalité marquée par le manque d'assurance, la timidité, l'introspection et par l'attitude passive dans les relations sociales interpersonnelles. Cependant, la revue de la littérature publiée par Levin et Stava ([8]) ne montre pas de profil particulier au MMPI.

      Certains auteurs évoquent aussi un trouble obsessionnel-compulsif, mais cela reste très controversé ; il manque souvent l'aspect égo-dystonique du TOC. La composante dépressive est moins discutée, justifiant pour certains un traitement par les sérotoninergiques.

L’exhibitionnisme masturbatoire

      On relève la spécificité de l’excitation sexuelle secondaire à l’acte d’exhibition, avec une activité sexuelle secondaire d’onanisme. On a pu évoquer un renforcement de l'exhibitionnisme par la satisfaction obtenue par la masturbation. La lutte anxieuse n'est pas présente ; l'appoint ethylique n'est pas négligeable. Les traits antisociaux ou psychopathiques sont ici plus fréquents.

L’exhibitionnisme corporel

La place du narcissisme et de l’image du corps est, dans ce cas, au premier plan, motivant le sujet dans une activité jubilatoire dont la composante sexuelle est parfois secondaire.

L’exhibitionnisme satyrique

      Il s’agit d’une inflation de l’activité génésique dans un contexte d’exaltation de l’humeur. Les limites, psychiques mais surtout physiques, doivent être immédiatement imposées, avec usage de la force si nécessaire.

En effet, l’individu agit sans limites intériorisées, dans un contexte de monothématisme pulsionnel sexuel ([9]).

L’exhibitionnisme au féminin

      Les approches exhibitionnistes revêtent souvent le conventionnalisme des modes, de l’effet sociologique du groupe et de l’emprise médiatique. Si, en général, personne ne se plaint vraiment, le poids de la pression médiatique doit, toutefois être pris au sérieux, en particulier dans le contexte éducatif des mineurs.

Les attitudes spontanées ou réactionnelles à connotation sexuelle doivent être envisagées comme des réactions comportementales caractérielles aux conséquences parfois préoccupantes. Il faut savoir intervenir avec la présence d'une tierce personne et limiter les colloques singuliers avec porte fermée aux seuls actes à visée thérapeutiques, le personnel soignant ne devant pas être géré dans un tel contexte d’intimité.

L’exhibitionnisme utilitariste

      Il s’agit de situations individuelles qui justifient une étude médicale et psychiatrique soigneuse car les causes sont souvent intriquées et confuses. De plus, la fragilité d’un sujet âgé et malade ne permet pas d’envisager tout type de sanction (par exemple, contre indication médicale possible à l’incarcération) ainsi que tout type de prise en charge médicale ou psychothérapique.

L’exhibitionnisme génésique

      Il doit faire l’objet d’une évaluation propre à la pathologie présentée avec la mise en place des garanties nécessaires institutionnelles et éducatives. L’attitude à prévoir doit rester pragmatique sans moraliser, ce qui est bien souvent hors de propos ici.

Bien sûr, les traitements devront être adaptés à l’évolutivité de la pathologie, en restant proche de l’entourage par un monitoring familial.

      Mentionnons ici l'étude de G. Simpson ([10]): sur un groupe 477 patients ayant subi un traumatisme crânien, il enregistre en cinq ans 128 agressions sexuelles commises par 29 hommes, dont 83 actes de frotteurisme et 29 exhibitionnismes.

Les autres agresseurs sexuels non pédophiles et non violeurs

            Il apparaît nécessaire de reprendre avec chaque patient les axes thérapeutiques envisageables. Ceux-ci seront fonction du niveau de prise de conscience, donc du niveau de souffrance du sujet ([11]).

            Or, cette appréciation marquera, en fait, le niveau d’instrumentalisation de la victime par son agresseur. Cette évaluation, précisément psychodynamique, de l’interrelation du couple agresseur/agressé justifierait, pour certains auteurs, que le travail expertal sur la victime et son agresseur soit confié au même expert : il ne s'agit absolument pas, en effet, d'un contexte de thérapie ; celui-ci interdirait, bien évidemment, que le même thérapeute prenne en charge, à la fois, les deux acteurs de l’action.

Association de plusieurs paraphilies : les diagnostics croisés

            Il était classiquement admis que les personnes atteintes de "paraphilies" récidivaient dans la même catégorie de trouble. Or, de récentes études montrent que des évolutions diverses sont possibles ; ainsi, parmi les personnes impliquées dans des actes "touchant" leurs victimes (frottage, viol, pédophilie), 30,6% avaient été impliquées auparavant ou simultanément dans des actes "sans toucher" (voyeurisme ou exhibitionnisme) ; inversement, parmi ceux qui "ne touchent pas", 64% avaient commis des actes avec "toucher" des victimes.

            Abel et Osborn (in [12]) montrent ainsi, dans une population de 859 auteurs d'agression sexuelle, les croisements entre le diagnostic primaire (principale paraphilie) et le diagnostic secondaire (conduite pathologique antérieure ou associée).

            En ce qui concerne l'exhibitionnisme, les résultats sont les suivants :

                        - lorsque le diagnostic primaire est "exhibitionnisme", les diagnostics secondaires sont :

                        voyeurisme :                           27 %

                        frottage :                                              17

                        viol :                                        14

                        pedophilie non incest. (fille) : 13

                        pedophilie incestueuse (fille) :            12

                        masturbation publique                        10

                        pedophilie non incest. (garçon)   8

 

                        - lorsque l'exhibitionnisme est le diagnostic secondaire, le diagnostic primaire était :

                        29 %                masturbation en public

                        26                    voyeurisme

                        18                    pédophile non incest (fille)

                        17                    frottage

                        15                    masochisme

                        13                    appels telephoniques obscenes

                        12                    pedophilie non incest. (garçon)

                        11                    viol

                        10                    pedophilie incestueuse (fille)

                         9                     sadisme

                         8                     fetichisme

           

Conclusion

            On admet habituellement que l’implication du sujet dans son traitement sera inversement proportionnelle au niveau de perversion présent à la date du bilan ([13]). C’est pour cela que l’expertise représente le premier temps, indispensable et ensuite précieux, de l’évaluation et de la mise en place des stratégies thérapeutiques ([14]).

            Cependant, l’approche psychodynamique doit rester prudente, tant en raison des conditions de l’examen que de la nature complexe et intriquée des motivations des actes posés par l’agresseur.

            C’est pourquoi le travail diagnostique et pronostique se poursuivra tout au long de la (ou des) prise en charge, soit sur plusieurs années. La psychodynamique ne pourra être qu’une découverte progressive du sujet par lui-même, avec l’aide de son (ou ses) thérapeutes. La place d’équipes formées ,et volontaires, pour se consacrer à la prise en charge des agresseurs sexuels sera un atout supplémentaire.



* Psychiatre des hôpitaux, chef de service, St-Brieuc

 

** Psychiatre des hôpitaux, chef de service, Avignon

 

[1] Lasègue C. "Ecrits psychiatriques", Privat, Toulouse, 1971

 

[2] Krafft-Ebing"Psychopathia sexualis", Climats & Th. Garnier, 1990

 

[3] Albernhe T., Tyrode Y., Skurnik N. "Exhibitionnisme" Forensic, 1992, 1, 38-40

 

[4] Tyrode Y., Bourcet S., "Révision accélérée en psychiatrie médico-légale", Ellipses,             Paris, 1999

 

[5] Varrod P. : Plateforme pour l'échange des misères mondiales, Esprit, novembre 2001

 

[6] Bonnet G., "Voir, être vu", tome I, Puf, Paris, 1981

 

[7]  Tyrode Y., Bourcet S., "Les transgressions", EMC, Paris, 1999

 

[8]  Levin SM, Stava L. ; Personnality characteristics of sex offenders : a review ; Arch             Sex Behav, 1987 ; 16 : 57-79

 

[9] Ey H., "Exhibitionnisme", in : "Etudes psychiatriques", n°12, Desclée de Brouwer,             Paris, 1950

 

[10] Simpson G. et coll. ; Sex offending as a psychosocial sequela of traumatic brain injury             ; J Head Trauma Rehabil 1999 ; 14(6) : 567-580

 

[11] Balier C. "Psychanalyse des comportements sexuels violents", Puf, Paris, 1996

 

[12]  Dangerous Sex Offenders, Task force report of the APA, Washington, 1999

 

[13] Barande I. & R., "De la perversion", Clé, Lyon, 1987

 

[14] Tyrode Y., Bourcet S., Senon J. L., Olié J. P., "Le suivi socio-judiciaire", EMC,             Paris, 2000