Position du problème
Les
déviations sexuelles ont fait l’objet, de tout temps, de
réactions affectives violentes qui occultent un essai de
compréhension du phénomène. A la condamnation à
être brûlés vifs des sodomites, a succédé au
cours des âges l’emprisonnement du marquis de Sade et bien plus
généralement, jusque dans les années récentes, un
déni de la fréquence de tels actes, viols, incestes,
pédophilie, exhibitionnisme… Du temps même de Freud parlant
de l’enfant « pervers polymorphe », il était
bien plus question du « pervers instinctif » de
Dupré (1911), coupant court à toute analyse pathologique.
La célèbre
réflexion de Freud : « la névrose est le
négatif de la perversion », a pu laissé entendre que
celle-ci était caractérisée par un comportement
figé au niveau d’une régression à une pulsion
partielle, inaccessible à une analyse. Or si le refoulement est
effectivement absent, Freud a montré, avec le fétichisme (14) que
d’autres systèmes défensifs étaient en cause, tel le
déni de réalité et le clivage du Moi.
Au reste, le terme d’agression
sexuelle dépasse largement celui de perversion. Et c’est ici que
s’est instaurée une confusion qui a gêné le travail
d’analyse clinique, en séparant ce qui était de
l’ordre de la criminologie et de la psychiatrie.
J’ai souligné (Balier
1996) (4) à maintes reprises le fait que les classifications
internationales des maladies mentales (DSM IV et CIM 10) ne
considéraient le viol comme un trouble d’ordre psychiatrique que
s’il était accompagné de sadisme, soit dans 10 % des cas.
Le viol est pourtant l’exemple même de l’agression sexuelle,
et le considérer simplement comme un dépassement des limites
permises de l’acte sexuel est une aberration. Récemment un livre
conçu au Quebec (21), contenant des chapitres de grande valeur
écrits par des auteurs de diverses nationalités, avec comme
objectif l’étude clinique et psychodynamique du passage à
l’acte, a pris le parti d’éliminer les actes ayant pour
support essentiel un « pôle délinquant »,
dans le souci de bien demeurer dans le fait psychiatrique. C’est donc
renoncer à une étude globale de la personnalité pour
comprendre la violence et séparer arbitrairement en deux
l’individu en fonction de l’identité des intervenants,
criminologues ou psychiatres. Tout se passe comme s’il n’y avait
rien à comprendre dans ce « pôle
délinquant », hormis l’impact des faits sociaux. Or
précisément le renouveau de l’intérêt pour la
compréhension psychologique des auteurs d’agressions sexuelles
vient de la prise de conscience d’une augmentation significative des
incarcérations de ces auteurs au cours des années 1989 à
1992 (5).
Données historiques
K. Abraham (1925) (1) avec la
publication d’un traitement analytique d’un escroc ; M. Klein
(1927) (16) en abordant les tendances criminelles des enfants et la tentative
de traitement effective de l’un d’eux auteur d’actes
délinquants ; M. Bonaparte (6), en 1927 également, en
analysant les faits qui ont conduit une femme à tuer sans raison
apparente sa belle-fille ; J. Lacan (17) avec « le cas
Aimée » (1931), puis le crime des sœurs Papin (1933),
sont les premiers auteurs à appliquer la compréhension
psychanalytique à des faits délinquants réels.
S. Lebovici, P. Mâle, F.
Pasche (19) avec un rapport au congrès de psychanalyse de Rome en 1950,
sur « Psychanalyse et criminologie » ; J. Hesnard
(15), « psychologie du crime » (1962) ; D. Lagache
(18), « le psychologue et le criminel » (1979) ;
contribuaient à faire tomber la barrière entre criminologie et
psychanalyse.
Dans le domaine des perversions
sexuelles, on peut noter surtout les noms de R.J. Stoller (1975) (26) et de J.
Mac Dougall (1978) (20) pour renouveler les voies ouvertes par S. Freud.
Dans les années 80, G. Bonnet
(8) a entrepris une psychanalyse avec un sujet meurtrier, interné
à l’hôpital psychiatrique depuis 10 ans. Il en rendra compte
dans un livre paru en 2000. Le meurtre, commis à l’âge de 17
ans, paraît inexplicable. Il avait été
précédé de deux actings passés inaperçus, ce
dont l’auteur à mon avis tient peu compte : une tentative de
viol d’une jeune-fille et un essai de séduction de sa sœur.
Par ailleurs il avait égorgé des animaux dans son enfance,
antécédent que j’ai retrouvé à plusieurs
reprises chez les agresseurs sexuels, ce qui a été
objectivé dans une recherche ocnduite par A. Ciavaldini (11).
Avec un recul de plusieurs
années la psychanalyse de cet homme apparaît comme une
réussite.
Il faut noter qu’au vu de
nombreuses expertises contradictoires il a été reconnu
irresponsable et donc adressé à un hôpital psychiatrique.
Il y a fort à parier que si les faits s’étaient produit
quelques années plus tard, il eut été
incarcéré, ce qui révèle l’incertitude des
limites entre criminologie et psychiatrie.
G. Bonnet, aussi bien dans ce texte
que dans le compte-rendu critique qu’il fait de mon second livre (7),
considère que mes travaux se trouvent être dans la
continuité des auteurs dont il fait une revue historique. Dans un
chapitre intitulé : « La prison ou
l’hôpital ? », il écrit, en parlant de ces
travaux : « … ils ont renforcé mon souhait de
publier cette analyse. Car comme M. Bonaparte, C. Balier s’appuie sur des
thérapies menées avec des délinquants reconnus coupables,
dans un contexte carcéral, et avec le concours de l’équipe soignante.
Alors que dans le cas présent, il s’agit d’une cure
analytique au sens classique du terme, menée en solitaire et surtout
avec un délinquant grave hospitalisé parce qu’il a
été reconnu non responsable au moment des faits. Elle pose donc
au préalable un problème différent, spécifique, et
qu’il faudra bien que j’évoque à un moment ou l’autre
de cette analyse : celui du bien fondé de l’hospitalisation.
Que des sujets agissent dans un état second, où ils ne sont plus
maîtres d’eux-mêmes, c’est un fait. Il n’en reste
pas moins qu’on est en droit de se demander si l’hôpital est
l’unique solution ».
Analyse psychopathologique
Dans un livre intitulé
« criminologie et psychiatrie » (2), auquel ont
participés pas moins de 125 auteurs, le directeur de la publication,
Thierry Albernhe, réalise donc une unité d’approche
à l’opposé du livre cité plus haut, « le
passage à l’acte », qui tend à éliminer
un « pôle délinquant ». Il y est question
avant tout du « sujet », les auteurs des
différentes préfaces le soulignent, en-deçà des
classifications. Dans une approche préliminaire D. Wildlöcher montre
que la psychopathologie n’est pas un mode de classification des maladies
mentales. C’est une démarche de compréhension des
mouvements internes d’un sujet en relation avec un environnement, moins
pour expliquer que pour observer un fait, par exemple le fait criminel,
constituant une anomalie par rapport aux conduites habituelles d’une
société donnée. La démarche psychopathologique va
même jusqu’à explorer le domaine des comportements
collectifs : prenons comme exemple les sectes, ou une organisation
délibérement mise en place par un collectif de pervers.
La démarche analytique, plus
que tout autre a pour objectif d’inviter le sujet à se
découvrir comme tel et par cela même à situer
l’autre. Elle s’adresse aussi bien au criminel jugé
responsable de ses actes qu’à celui considéré comme
malade, sachant que la plupart du temps les limites sont floues et varient
d’ailleurs en fonction de l’époque et des circonstances.
Afin d’adopter une conduite
d’intervention visant à l’établissement d’un
cadre, qu’il soit judiciaire ou psychiatrique, et à une approche
thérapeutique satisfaisante, il faut établir quelques
repères tenant compte des processus psychopathologiques sous-jacents en
cause plutôt que des symptômes.
C’est pourquoi j’ai
proposé le tableau suivant, légèrement modifié,
dans le livre « criminologie et psychiatrie ».
On verra qu’une
première distinction est faite entre :
-
les
cas où l’agression sexuelle est un acte
« contingent » par rapport à une pathologie qui
occupe le devant de la scène. Il est alors occasionnel, symptôme
parmi d’autres symptômes.
-
Ceux
où l’agression sexuelle est « prévalente »,
constituant le moyen de défense essentiel par rapport à
l’angoisse. C’est alors soulever le problème de la
perversion sexuelle. J’y reviendrai plus loin à propos de la
thérapeutique. La position que j’ai adoptée est celle de J.
Chazaud (10) : au lieu de parler de « structure »,
qui ferme le problème une fois pour toutes, cet auteur propose
d’envisager la perversion sexuelle comme une
«organisation », un « champ pervers »,
dont les manifestations défensives sont variées.
Pour
ma part, dans ce contexte, j’ai proposé de distinguer :
-
les
perversions répondant à un passage à l’acte de
représentations psychiques inconscientes. Cela correspondrait au
« scénario pervers » de J. Mac Dougall, (20) qui
agirait comme une addiction.
-
La
perversité sexuelle, comme recours à l’acte, sans
représentations sous-jacentes et dont la seule dynamique se tient dans
l’opposition entre anéantissement – toute puissance.
Tableau p. 716
Agressions sexuelles
|
Référence
psychiatrique |
Référence
metapsychologique |
Processus en cause |
Actes
préférentiels |
Hors approche psychiatrique |
Influence environnementale majeure Non reconnaissance des faits imputés |
|
|
|
Contingentes |
Névrose – psychose Psychopathie –
débilité – Etats limites |
L’acte est secondaire par
rapport à l’organisation psychique |
Manque de contrôle de la
pulsion Intolérance à la
frustration |
Du meurtre du psychotique ou de
l’attentat à la pudeur du psychopathe au dérapage du
névrotique – viols |
Défensives
prévalentes |
Perversions Perversité Recours à l’acte Absence de représentations |
-
Persistance
d’un « Soi » -
Scénarios
ludiques -
Fantasmes -
Violence
au service de l’érotisation -
Le
« Soi » est dilué dans les processus -
Pulsions
sexuelles au service de la violence -
De la
non-existence à la toute-puissance -
Clivage
du Moi |
Fusion Séduction Double Toute-puissance Fétichisation |
Pédophilie avec de grands
enfants Violence avec sadisme Inceste avec séduction Viols compulsifs Pédophilie avec de Jeunes enfants Meurtre à caractères
sexuels Inceste dictarorial Exhibitionnisme |
Valeur régressive |
Pathologie de l’adolescence Echec de la vie adulte |
- fragile MOI
- faible |
Support groupal |
Viols en groupe Attentats à la pudeur Inceste régressif |
La position psychanalytique
Pour
parler des auteurs d’agressions sexuelles j’ai
délibérément porté ma réflexion en premier
lieu sur la partie agression et les rapports qu’elle implique entre
psychanalyse et criminologie. Les nouveaux facteurs fournis par
l’augmentation considérable des incarcérations pour
agressions sexuelles au cours des années 90, la promulgation d’une
loi de prévention, ont changé en effet les données du
problème.
Jusqu’alors la visée de
la psychanalyse était de traiter, en restant dans son champ, les
perversions. Le viol en tant que tel, n’en faisait d’ailleurs pas
partie. Et la perversion ne comporte pas forcément une violation du
consentement de l’autre. Tel le terrible récit rapporté par
M. de M’Uzan (22) où un couple masochiste s’est livré
délibérement aux souffrances répétées infligées
par des tortionnaires au point que la femme a fini par en mourir. Par ailleurs
le travestisme et le fétichisme quand il s’agit d’un objet
ne sont pas particulièrement des comportements agressifs.
Du point de vue psychodynamique la
perversion a été définie par Freud comme une fixation
à un aspect partiel de la pulsion sexuelle avant qu’elle
n’arrive à maturité. C’est ainsi qu’il y a des
pulsions d’objet, dont l’inceste et la pédophilie sont les
représentants les plus fréquents, et des pulsions de but :
exhibitionnisme, sado-masochisme, sodomie lorsqu’il s’agit
d’une forme de jouissance exclusive.
Si le terme de fixation est
probablement cause de la réticence de nombreux psychanalystes à
prendre en traitement des pervers, avec la répétition des actes
qui se substitue à l’effort de pensée, la
problématique dynamique ne fait pas de doute avec l’étude
de la fétichisation par Freud conçue comme une défense par
rapport à l’angoisse de castration. Il s’avère en
fait qu’il s’agit bien souvent d’une angoisse plus radicale,
de mort, d’où l’aspect rédhibitoire de la fixation
aux moyens de défense. Cependant l’origine traumatique d’une
telle pathologie est avérée, traumatisme de nature sexuelle pour
30 à 40 % des cas. De toutes façons il s’agit d’une
hyperexcitation qui dépasse les moyens d’intégration du
sujet, créant une menace d’effondrement, suivie d’une
recherche répétitive de la même situation,
génératrice d’angoisse, qui appelle un passage à
l’acte capable de créer un sentiment de toute-puissance
réparateur. Ainsi, selon le schéma rencontré bien souvent,
l'enfant abusé devient un jour pédophile, si d’autres
moyens de défense ou une construction psychique n’a pu être
mise en place.
J. Mac Dougall est certainement
celle qui a pu le mieux, avec R. Stoller, faire évoluer la conception de
la perversion et briser les réticences habituelles de thérapeutes
à intervenir dans ce champ. Elle évite d’ailleurs
d’employer le terme de perversion en parlant de « néo-besoins »
et de « solutions addictives » pour comprendre la
répétition des actes. Mais elle a affaire à des patients
venus demander eux-mêmes un traitement.. Tel n’est pas le cas de la
plupart des agresseurs, que l’on rencontre d’ailleurs dans un cadre
judiciaire.
Ce qui modifie sensiblement la
technique de soins, le divan de la psychanalyse classique étant
exceptionnellement utilisé. Cependant l’aménagement
métapsychologique qui constitue les repères essentiels et que je
viens de décrire sont bien les mêmes.
La psychothérapie
psychanalytique
Il est pratiquement impossible
d’effectuer une psychanalyse répondant aux critères
habituels : usage du divan, nombre et régularité des
séances, durée de la cure, en milieu carcéral, pour des
raisons pratiques. De plus la nature de la pathologie, aussi bien en milieu
extra-carcéral lorsque les conditions la rendraient possible, ne
s’y prête pas. La demande spontanée est rare ;
l’influence interessée d’un désir de sortir
d’un cadre judiciaire toujours contraignant doit être
décodée ; le fonctionnement psychique, souvent proche de
l’état-limite, handicapé par des systèmes de
défense stérilisants et rigides ne permet pas de satisfaire
à la règle de l’association libre. On a vu plus haut
combien l’acte se substituait à la pensée. Une analyse sans
aménagement risque, en réactivant l’angoisse, de
précipiter passage ou recours à l’acte.
Depuis de nombreuses années,
les psychanalystes ont adaptés diverses techniques afin
d’intervenir pour des pathologies se situant bien loin de la
névrose : thérapies en face à face,
psychothérapie de groupe, familiale, psychodrame, relaxation
psychanalytique…
Que reste-t-il
d’authentiquement psychanalytique dans ces formules ? En 1997, un
colloque de la SPP (25) a eu pour but de faire le point sur ces pratiques,
jusque là considérées d’un œil prudent, sinon
critique.
G. Diatkine, dans
l’avant-propos et les conclusions du colloque précise bien les
problèmes posés :
Les psychothérapies que
l’on peut qualifier de « médicale » ou de
« psychologique » s’adressent au sujet conscient en
intervenant directement sur le symptôme et l’organisation de la
vie.
La psychothérapie
psychanalytique évite de proposer des solutions et invite le sujet
à faire retour sur lui-même, donnant vie ainsi au processus de
mentalisation. Tel est le but de l’interprétation qui demeure
l’axe majeur de la thérapie, même si des aménagements
importants ont été réalisés pour la rendre possible
pour des patients particulièrement fragiles, établissant mal la
différence entre ce qui est interne et l’externe, et dont les
associations sont pauvres.
Psychothérapie
psychanalytique dans un cadre pénal
Une psychothérapie
psychanalytique d’un agresseur sexuel faisant l’objet d’une
injonction thérapeutique prononcée par un juge apparaît une
gageure par rapport aux exigences de ce type de thérapie : ne pas
intervenir par autorité et agir sur les processus conduisant à la
mentalisation.
Or il n’en est rien : la
recherche menée par A. Ciavaldini et M. Khayat (11) auprès de 176
agresseurs en milieu carcéral est démonstratives. En
établissant un questionnaire qui engage l’intervenant à
partager les affects de celui qui n’est alors qu’un
délinquant (partage réalisé également avec les
patients psycho-somatiques selon les conseil de C. Parat (23), dont la carence
de mentalisation est identique à celle des agresseurs), les auteurs ont
montré qu’ils réalisaient ce que A. Ciavaldini a
appellé une « pragmatique de la mentalisation ».
Au lieu de 5 à 10 % que l’on dit habituellement demandeurs
d’une thérapeutique, 50 % des agresseurs ont demandé
à bénéficier immédiatement d’une
psychothérapie. Qu’il y ait demandé ou pas, 62 % ont
jugé positive l’expérience d’investigation.
Par la suite il s’agit de mettre en place un cadre thérapeutique
rigoureux. Pour ma part, dans ma pratique, il me paraissait fondamental, en
milieu carcéral, de faire participer toute l’équipe
thérapeutique avec des formules de soins complémentaires :
réunions de groupe, relaxation, psychodrame, psychothérapie
familiale. La psychothérapie elle-même s’établissait
entre trois promoteurs : un médecin ou un psychologue, un infirmier
et une infirmière.
Autres pratiques
I – En fonction du cadre, la
pratique de la psychothérapie psychanalytique doit subir quelques infléchissements en milieu
extra-carcéral : une grande prudence à ne pas mobiliser
l’angoisse de façon trop importante, qui risquerait de
déclencher un nouveau recours à l’acte. Une liaison plus ou
moins étroite avec le Comité de probation s’impose.
II – Les positions
inspirées par les travaux lacaniens :
1 - G. Bonnet, président de
l’Association Psychanalytique Française mentionne le fait que
j’ai repris, dans mon livre, la distinction utilisée par J. Lacan
et surtout par P. Aulagnier entre le Moi et le Je. A ces notions il ajoute
l’importance de tenir compte de la distinction que font ces auteurs entre
le plaisir et la jouissance, celle-ci se jouant dans l’horreur et la
sidération. « Il joue l’apparition / disparition de soi
ou de l’autre, pour tenter de mettre en place ce qui le fait exister
comme je « écrit-il en parlant de l’agresseur. C’est
dire qu’en toute occurrence l’auteur considère qu’il y
a un « je », qu’il faut postuler et même,
ajoute t-il une « libido du sujet » (7 p. 572).
Ceci justifie une écoute plus
exclusive du sujet, à l’écart de toute autre
considération. Ainsi G. Bonnet ne communique pas avec les autres
intervenants du cadre thérapeutique et a fortiori judiciaire. Une telle
attitude, partagée par P.P. Costantini dont on va lire le compte-rendu
de sa pratique, ne va pas sans soulever des questions à trois niveaux me
semble t-il.
Ø dans le cas de personnalité
fragile, la nécessité de soutenir les fonctions du Moi.
Ø en cas de menace imminente de
récidive la question de faire intervenir un tiers ; ou encore le
problème posé par l’obligation de signalement à la
justice si on a connaissance d’un fait récent.
Ø enfin la nécessité
morale d’avertir l’équipe thérapeutique
lorsqu’on pressent la menace d’un nouveau recours à
l’agir.
2 - Les errances de la
psychanalyse : l’extrémisme de J. Bourillon (9).
A suivre au pied de la lettre les
écrits de J. Lacan, Bourillon nous fait revenir aux positions du
début du siècle relatives au « pervers
instinctif », incurable.
« Lacan pense que le moi est une illusion que la
psychanalyse doit dissiper, afin que soit reconnu le je du discours » (E. 304)
cité par G. Diatkine (13 p.21). De fait Bourillon fustige tous ceux qui
dont intervenir le Moi : Balier n’est pas un psychanalyste
répète t-il, c’est un psychothérapeute. Il se
comporte en maître et fait en sorte que le patient lui ressemble. Alors
il sera considéré comme guéri.
Quant à lui il est
essentiellement à l’écoute de l’inconscient, à
l’écart de tous ces « maîtres » que
sont les psychiatres, psychologues, juges et personnel pénitentiaire. Il
n’entend du criminel que l’impossibilité de supporter la
séparation qui ferait naître le désir et le ferait sujet,
la répétition de la jouissance qui fait totalité.
Ce qui permet à
l’auteur de conclure en parlant des « criminels
sexuels » : « Le tableau présenté dans
ce livre peut sembler désespérant et sans issue pour 95 % des
sujets en détention. C’est eux que la question concerne. Il
n’est pas de mon ressort de décider du destin des criminels
sexuels. Je peux simplement dire que la psychanalyse est devenue impossible en
institution carcérale alors qu’elle offrait des
possibilités à environ cinq pour cent des sujets criminels
sexuels, d’éviter de récidiver (9 p.292).
3 – La position de P.P.
Costantini (SMPR de Metz)
La difficulté majeure pour travailler avec les
auteurs de délits à caractère sexuel est l’inconstance
de leur demande. En effet, leur demande d’aide ne semble pas
s’enraciner dans un véritable désir de comprendre ce qui
les a poussé à s’enliser dans de tels actes.
Confrontés à la suite de la plainte et dans la confrontation avec
le magistrat, à l’horreur de l’acte, se dévoile
devant eux un réel insoutenable. C’est l’affrontement
à ce réel qui donne ce caractère particulier à leur
demande, car reconnaître les faits c’est s’affronter à
l’obscurité de ce qui est hors sens.
Argumentant tout d’abord que ce n’est
qu’à leur insu qu’ils ont été l’objet de
pulsions, ils s’en dédouanent en affirmant qu’ils
n’ont pu y résister.
Telle est la réalité à laquelle la
clinique nous confronte. C’est à ce point de rencontre que la
psychanalyse nous permet de soutenir une position originale en nouant la
dissymétrie remarquable de l’acte et du discours. Il s’agit
ici de faire résistance aux propos de ces patients afin de permettre aux
sujets d’entendre que les fantasmes qui les habitent, et dont ils se
servent comme excuse, ne sont qu’une résistance à leurs
propres dérives imaginaires.
Quand les sujets évoquent ces scènes et les
mobiles conscients qui ont participé à leur acte, ils se
représentent absent, « ce n’était pas
moi… Je ne comprends pas… J’aurai jamais pu penser faire
ça ». Comme si une force inconsciente les avait poussé à la
réalisation d’un acte qui se présente comme horrible et
comme s’ils ne pouvaient se reconnaître dans l’acte
qu’ils ont pourtant commis.
Les premiers temps de parole livrent un, « c’est
moi » et
« ce ne peut être moi ». Ces premiers temps de parole
laissent apparaître un questionnement qui témoigne de
l’ambiguïté dans laquelle les sujets se trouvent.
Apparaît alors ce «c’est moi » et ce ne peut être
moi »,
la figure angoissante d’un autre auquel ils n’avaient jamais
pensé. Cet auteur du délit, est recouvert par les figures
plurielles.
Le thérapeute se voit investi comme celui qui peut
résoudre l’énigme de cette force inconsciente. Cependant il
s’agit de ne pas laisser s’installer cette croyance qui aurait pour
vertu d’absoudre ces sujets de toute responsabilité.
Réduisant la démarche thérapeutique à une logique expiatoire qui aurait pour
fonction de rejeter cet autre démoniaque, accordant en somme à la
pratique psychologique une vertu conjuratoire. Or il s’agit de faire
résistance au destin d’un tel projet, pour restituer au sujet que
cet autre énigmatique qui l’habite le constitue néanmoins.
Dès lors c’est à la valeur symbolique de
l’acte et à l’espace signifiant qu’il ouvre
qu’il faut porter attention afin que le sujet puisse résoudre dans
un travail psychique la dualité imaginaire qu’il projetait dans
cet autre énigmatique. C’est ici que le travail
psychothérapeutique proposé aux sujets a toute son importance car
il s’agit pour le thérapeute, par les résistances
qu’il rencontre dans ces premières tentatives de mise en sens, et
dont la fonction est d’éviter l’angoisse, de faire
apparaître dans cet autre étranger le familier que le sujet ne pouvait
entrevoir. La psychanalyse nous permet d’ouvrir cet espace Autre en
articulant les coordonnées fantasmatiques des sujets au réel de
leur acte.
L’objectif du travail thérapeutique est donc de
permettre aux sujets de ne pas se déresponsabiliser de leur acte et de
se réapproprier cette figure angoissante d’eux-mêmes. Encore
faut-il que le clinicien ne recule pas devant l’affrontement des pulsions
et qu’il permette, après avoir ouvert cette boite de Pandore,
d’ouvrir un point de conflit, de produire l’angoisse que suscite la
question sur le désir. Question toujours évincée dans le
« ce ne peut-être moi ».
III – On ne saurait terminer cette revue sans
évoquer les travaux des canadiens, notamment à l’Institut
Pinel à Québec, mais aussi dans diverses équipes
travaillant en extra-hospitalier.
S’ils font largement la jonction avec les positions
cognitives, la pratique psychothérapique psychanalytique semble surtout
inspirée par les références classiques de la psychanalyse,
en étant notamment plus proche des travaux français que ceux des
Etats-Unis.
Conclusion
L’application
de la théorie psychanalytique au traitement des auteurs
d’agressions sexuelles est encore récente, hors les conditions
habituelles de l’utilisation de la psychanalyse.
Il est impossible de fournir des
données sérieuses et quantifiées de résultats. Mais
à l’écoute des praticiens, nul doute que cette technique
soit capable de mobiliser l’organisation psychique des patients. Sauf cas
tout à fait particuliers, elle ne saurait être utilisée de
façon exclusive.
1 - ABRAHAM, K., (1925) L’histoire d’un
chevalier d’industrie à la lumière de la psychanalyse, in
Œuvres complètes, trad. I. Baranne, Paris, Payot, 1966, t
2, p. 158 – 172
2 – ALBERNHE, T. (ss. La dir. De) (1997). Criminologie et
psychiatrie. Paris, Ellipses.
3 – BALIER, C. (1988) Psychanalyse des comportements
violents. Paris. PUF, le fil rouge.
Psychothérapies analytiques. In Thérapeutique
psychiatrique. Ss la dir. J.L. Senon, D. Sechter, D. Richard. Hermann. Ed p. 768 –771.
4 – BALIER, C. (1996) Psychanalyse des comportements
sexuels violents. Paris. PUF. Le fil rouge.
5 – BALIER, C., P. PARAYRE,C. PARPILLON, C.
(1995) : Traitement et suivi médical des auteurs de délits
et crimes sexuels. Rapport au Ministère du travail et des affaires
sociales.
6 – BONAPARTE, M. (1927) Revue française de
psychanalyse N°1 p.
7 – BONNET, G. : A propos de
« psychanalyse des comportements sexuels violents » de
Claude Balier. L’évolution Psychiatrique. 1997 N° 3. p. 565
– 573.
8 – BONNET, G. (2000) : Le remords. Psychanalyse
d’un meurtrier. Paris. PUF, psychanalyses.
9 – BOURILLON, J. (1999) : Les criminels sexuels.
Paris, l’Harmattan.
10 – CHAZAUD, J. (1973) : Les perversions
sexuelles. Toulouse, Privat.
11 – CIAVALDINI, A. (1999), avec la coll. De M.
GIRARD-KHAYAT : Psychopathologie des agresseurs sexuels. Paris, Masson.
12 – CIAVALDINI,A., BALIER,C. (ss la dir de )
(2000) : Agressions sexuelles : pathologies, suivis
thérapeutiques et cadre judiciaire. Paris, Masson.
13 – DIATKINE , G.(1997) : Jacques LACAN. PUF.
Psychanalystes d’aujourd’hui.
14 – FREUD, S. (1927). Le fétichisme. Trad D.
Berger, in La vie sexuelle. Paris. 1969, p. 133-138
15 – HESNARD, A. (1962) Psychologie du crime, Paris,
Payot.
16 – KLEIN, M. (1927) Les tendances criminelles chez
les enfants normaux. In Essais de psychanalyse, trad. M. Derrida, Paris, Payot,
1967, p. 211 – 228
17 – LACAN, J. (1975) De la psychose paranoiaque dans
ses rapports avec la personnalité. Ed. Le Seuil.
18 – LAGACHE, D. (1979) Le psychologue et le criminel,
Paris, PUF.
19 – LEBOVICI, S. MALE, P., PASCHE, F. (1951) :
Psychanalyse et criminologie. Revue française de psychanalyse. N° 1.
P. 30-61
20 – MAC DOUGALL ; J. (1978) Scène
primitive et scénario pervers, in Plaidoyer pour une certaine
anormalité, Paris, Gallimard ? p. 35 – 62.
21 – MILLAUD, F (ss la dir) 1998. Le passage à
l’acte. Aspects cliniques et psychodynamiques. Paris. Masson.
22 – M’UZAN, M. de (1972) Un cas de masochisme
pervers. Esquisse d’une théorie, in De l’art à la
mort, Paris, Gallimard, 1977, p. 125 – 150.
23 – PARAT, C. (1995) L’affect partagé.
Paris, PUF.
24 – PENOT ; B. (1989) Figure du déni. En
deça du négatif. Paris, Dunod.
25 – SCHAEFFER, J.
DIATKINE, G. (ss. La
dir) (1998) Psychothérapies psychanalytiques. Paris, PUF
26 – STOLLER R.J. (1975) : La perversion, forme
érotique de la haine, trad. H. Couturier, Paris. Payot.
[1] Psychiatre-psychanalyste – chef de service, du service Médico-Psychologique Régional en maison d’arrêt pendant une quinzaine d’années