Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir

Conférence de consensus qui s'est tenue à Paris les 6 et 7 novembre 2003 organisée par

Fédération Française de Psychiatrie
selon la méthodologie de l’ANAES
avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

Sociétés Partenaires : Sociétés Francophone de Médecine d'Urgence, INAVEM, Société Française de Pédiatrie, Collège National des Généralistes Enseignants


Comment aborder et traiter une maltraitance ancienne chez l'adulte ?

Gérard LOPEZ


Cette intervention est directement fondée sur des travaux récemment publiés (Lopez, 2003a et 2003b). Elle porte sur l'échec de la prévention : rappelons que 2 % seulement des signalements d'enfants en danger proviennent des médecins. Pourtant, il est probable que les états dits limites ou borderline des nomenclatures internationales athéoriques ou que les pathologies dites narcissiques dans d'autres référentiels, se structurent sur une maltraitance infantile (dont l'inceste) passée inaperçue (Johnson, 1999), mais aussi sur la violence psychologique caractéristique de la clinique de l'emprise. Westen (1990b) a constaté que > 50 % des adolescentes présentant une personnalité borderline avaient été victimes d'agressions sexuelles (associées à de la maltraitance physique dans plus de 70 % des cas) ; ou avaient été victimes de maltraitance physique dans 50 % des cas. Westen (1990b) et James (1997) ont mis en évidence le rôle des carences affectives surtout lorsqu'elles sont de type maternel. Le rôle de la maltraitance psychologique et de l'emprise psychologique est beaucoup moins étudié. Westen (1990a et 1990c) a montré que les adolescents maltraités présentaient un QI, surtout verbal, plus bas que les autres. Dourniol (2003) rapporte que Westen (1990c) souligne l'importance des données développementales pour briser le lien entre les troubles limites de l'adolescent et les troubles limites de l'adulte.
Du point de vue psychologique, les événements traumatiques répétés entraînent les phénomènes hyper mnésiques caractéristiques de l'Etat de stress post traumatique (ESPT) mais surtout des effractions narcissiques entraînant des zones cryptiques clivées de plus en plus étendues, dissociées du reste de la psyché, et des attaques identitaires. Actuellement, certains auteurs anglo-saxons décrivent un état de stress post-traumatique complexe (Herman, 1992) (Pelcovitz, 1997) dont les symptômes sont très proches de ceux qui sont décrits dans la catégorie diagnostique borderline.
Quoi qu'il en soit : troubles psychotraumatiques spécifiques, troubles narcissiques et démolition identitaire constituent une constellation traumatique, variable selon la nature et le nombre des événements traumatiques. La façon d'aborder et de traiter une maltraitance ancienne chez l'adulte dépend de l'importance de la déstructuration de sa personnalité, si toutefois on parvient à faire le lien entre les troubles comorbides observés et le passé traumatique, car il est rare qu'un patient fasse des révélations spontanées.
D'une façon générale, la recherche est consacrée à la prise en charge de l'Etat de stress post-traumatique, très peu à la prise en charge des révélations tardives ou des maltraitances anciennes qui, objet d'un déni persistant, posent des problèmes de prise en charge plus complexes comme le reconnaît Shalev (2000) dans le « guideline » de l'International Society for Traumatic Stress Studies (ISTSS).
Mais au-delà des résultats de la recherche empirique ou clinique, une réflexion éthique sur les pratiques en psychotraumatologie fondée sur les représentations victimaires culturelles (religieuses, philosophiques, idéologiques) qui surdéterminent les conflits économiques, théoriques, politico-judiciaires permettrait de lever le déni et de limiter la maltraitance sociale qui traumatise secondairement les victimes :


Le texte distingue : 1) l'abord de la maltraitance ancienne chez l'adulte, et 2) son traitement.

LA REVELATION

La fréquence des troubles psychotraumatiques est telle que l'on parle d'épidémie cachée.
La recherche d'antécédents traumatiques devrait par conséquent faire partie de tout bilan clinique initial au même titre que la recherche d'antécédents médicaux, chirurgicaux, psychiatriques, addictifs. Poser systématiquement la question concernant d'éventuels antécédents traumatiques permettrait d'obtenir des réponses :

Cependant, rares sont les professionnels qui adoptent cette pratique, parce qu'ils n'y pensent pas, n'y croient pas, ou craignent une réponseŠ fréquemment positive, laquelle les embarrasserait faute d'expérience. En pratique humanitaire de l'exclusion sociale, dans le domaine de la prostitution, la réponse est quasiment toujours positive. En criminologie clinique, c'est bien souvent l'expert qui le premier pointe le passé traumatique des délinquants étiquetés borderline, antisociaux ou « psychopathes », ce qui ne les déresponsabilise en aucun cas, mais leur offre un point d'accroche pour un éventuel questionnement psychothérapeutique.
Lorsqu'un patient révèle avoir été victime de maltraitance, spontanément ou sous l'incitation du médecin, une nouvelle chance de reconnaissance, préalable obligé à toute possibilité de reconstruction, lui est offerte, car bien souvent les révélations antérieures, explicites ou implicites, avaient été négligées voire purement et simplement niées. Il faut alors que le médecin signifie clairement qu'il croit la victime, lui dise qu'il sait combien il est difficile de faire une telle révélation et enfin qu'en référence au Code pénal, il qualifie les faits comme crime ou grave délit puni d'une peine de prison, et non par un euphémisme comme : abus, passage à l'acte, faits, tournanteŠ maltraitance sexuelle. Il doit expliquer qu'il considère que la victime n'est pas coupable (qu'elle ait ou non pris du plaisir) et l'aider à faire le lien entre ses souffrances actuelles et la maltraitance. Il doit poser la question d'un dépôt de plainte, indiquer les délais de prescription des faits, analyser les résistances, mais ne jamais faire pression et ne pas en faire une condition nécessaire à la prise en charge.
Les victimes de maltraitance ancienne étant souvent abandonniques, il faut leur expliquer l'importance d'une prise en charge en réseau sans qu'ils l'interprètent comme un rejet susceptible de compromettre la prise en charge.
Mais avant toute orientation, il lui faut faire un bilan des conséquences personnelles, familiales, sociales et professionnelles de la maltraitance ancienne.

EVALUATION DES CONSEQUENCES

Chaque professionnel adopte un protocole adapté à sa pratique ou à son référentiel théorique, mais il s'agit d'un examen clinique complet. Au terme de cet entretien, une thérapie pourra s'engager avec une victime traumatisée mais bien accompagnée du point de vue social et judiciaire :

Evaluation des conséquences psychologiques

Il est habituel de commencer l'entretien par le motif de la consultation en faisant préciser la nature et la durée des actes de maltraitance : sévices physiques, psychologiques, sexuels, ou des négligences : s'attendre à ce que l'évocation des faits s'accompagne de phénomènes de reviviscence anxieuse. Il est souvent possible de pointer le début des actes de maltraitance ou des agressions sexuelles en repérant une rupture biographique significative, en faisant préciser :
- le cursus scolaire et universitaire,
- le cursus professionnel,
- le déroulement, souvent chaotique, de la vie sentimentale et affective,
- l'existence d'antécédents judiciaires,
- l'existence d'antécédents médico-chirurgicaux, traumatiques antérieurs, exotoxiques ou psychiatriques.
Il convient de rechercher les symptômes de l'ESPT [F43.1] en précisant ses caractéristiques cliniques :
- syndrome intrusif dominant,
- syndrome d'évitement dominant,
- troubles neurovégétatifs dominants.
Rechercher ensuite les symptômes caractéristiques de la personnalité borderline [F60.31 (301.83)] :
- efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou supposés,
- mode de relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par l'alternance entre des positions extrêmes d'idéalisation excessive et de dévalorisation,
- perturbation de l'identité : instabilité marquée et persistante de l'image de ou de la notion de soi,
- impulsivité dans au moins deux domaines dommageables (par exemple : dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie),
- répétition de conduites auto agressives (TS, automutilations),
- instabilité affective due à une réactivité marquée de l'humeur,
- sentiment chronique de vide,
- colères intenses, inappropriées et incontrôlables,
- idéation persécutoire ou symptômes dissociatifs sévères dans les situations de stress,
- épisodes de décompensation psychotique aiguë.
Rechercher des conduites de revictimation qui constituent des manifestations de « répétition littérale » des situations traumatiques (par identification à l'agresseur et/ou identification projective) :
- violences conjugales,
- agressions ou viols répétés,
- situations de harcèlement répétées,
- entrée dans des sectes totalitaires,
- atteintes sexuelles ou viols par les thérapeutes,
- prostitution,
- conduites hétéro agressives ou antécédents judiciaires répétés ;
- etc.
Rechercher les troubles comorbides :
- troubles dépressifs,
- troubles anxieux,
- troubles somatoformes (et psychosomatiques),
- troubles addictifs exotoxiques : toxicomanie ou alcoolisme,
- rechercher un éventuel trouble dissociatif post traumatique : la Dissociative Experience Scale constitue une aide précieuse.
Idéalement, l'évaluation d'un ESPT s'effectue par le biais de multiples mesures portant sur des variables cognitives, comportementales et affectives au moyen d'entretiens structurés ou semi-structurés, d'outils psychométriques et par des examens psychophysiologiques. Dans le cas d'une évaluation préliminaire, l'utilisation d'outils psychométriques tels que Impact of Event Scale (Horowitz, 1979) est suffisante. Constituée de 15 questions, l'IES a l'avantage d'être rapide et facile à administrer (environ 10 minutes). En dépit de son bon niveau de fiabilité statistique, l'IES a le défaut de porter uniquement sur les symptômes d'intrusion et d'évitement ce contre quoi pallie IES-Révisé (Weiss, 1997). Le Clinician-Administrated PTSD Scale (Blake, 1990) est un entretien structuré concernant tous les symptômes d'ESPT ainsi que les symptômes associés avec un bon niveau de fiabilité statistique, mais il a l'inconvénient d'être plus long à administrer que l'IES (environ 60 minutes).
Il existe deux approches pour diagnostiquer la personnalité borderline (Dourniol, 2003) : l'approche catégorielle qui a permis la construction d'un entretien semi structuré le Diagnostic Interview for Borderline (Gunderson, 1981) et l'approche dimensionnelle issue des travaux de Kernberg.

Evaluation des conséquences familiales et sociales

Cette évaluation est fondamentale pour mettre en place un accompagnement adéquate ; il convient donc d'évaluer :
- le fonctionnement familial,
- les difficultés professionnelles,
- les éventuelles antécédents judiciaires (infraction à la législation des stupéfiants, violences diversesŠ) comme auteur ou victime.
Cette évaluation peut être confiée à une association avec qui le professionnel travaille en réseau : association d'entraide aux femmes, relais efficace vers des foyers d'accueil d'urgence, indispensables lorsqu'il convient de protéger une femme ou une famille en danger ; ou service d'aide aux victimes adhérant à l'INAVEM.

Evaluation des conséquences judiciaires

Il est nécessaire d'accompagner la victime si une procédure judiciaire est engagée, tant au pénal qu'au civil, en orientant le patient dans le réseau (Cf. infra : Réhabilitation et soutien social).

ROLE DE LA LOI POSITIVE : LE DEPOT DE PLAINTE ET LA PROCEDURE JUDICIAIRE

L'immense majorité des thérapeutes reconnaît l'importance de la « Loi » symbolique dans la reconstruction des victimes, mais la nécessité de recourir à la loi positive constitue un sujet de discorde entre les associations, les magistrats et les professionnels de la santé, car certains s'accrochent à des référentiels théoriques ou idéologiques qu'ils estiment supérieures à la loi. Pourtant, une procédure judiciaire reste le meilleur (voire l'essentiel) moyen de réinscription symbolique des victimes comme sujet dans le groupe social, en particulier de celles qui n'ont jamais pu conquérir une place dans la famille, l'école, la société, etc. S'agissant de crimes devant être désignés comme tels, le cadre de l'intervention est nécessairement le Code pénal et non pas un autre cadre théorique qui lui serait en quelque sorte supérieur. Il s'agit bien ici de déconstruire un système de domination / soumission, et toute soumission théorique constitue une nouvelle forme de violenceŠ infligée une fois de plus à la victime.
La médiation pénale est rejetée par les associations d'entraide aux femmes en cas de violence familiale (maltraitance, agressions sexuelles, violences conjugales) car elle ruinerait les espérances des victimes de maltraitance ancienne qui sont parvenues à faire confiance à la justice et à vaincre leur réticence à porter plainte. Cario (2001) pense qu'elle est parfois un recours possible pour un couple confronté à la neutralité d'un tiers ; il développe l'idée que par l'aménagement des procédures et des sanctions pénales traditionnelles, il est possible d'améliorer notablement la réparation de la victime, la resocialisation de l'infracteur et, finalement, le rétablissement de la paix sociale : cette justice restaurative offre en effet aux parties la possibilité de décider en commun, sous le contrôle bienveillant d'un tiers représentant l'autorité judiciaire, de la manière de réagir aux conséquences de l'infraction ainsi qu'à ses répercussions futures : « [.] par une meilleure considération de la victime et, à travers elle, de la société tout entière, le sens de la sanction serait mieux compris. Dès lors qu'elle permet d'apaiser l'émotion suscitée par le crime, la sanction restaurative ouvre au pardon, seule susceptible d'ouvrir à la réconciliation, sinon individuelle avec le délinquant, au moins collective avec le système de justice pénale », écrit-il. Cependant, la médiation pénale n'est pas adaptée quand il s'agit d'une infraction d'une gravité certaine qu'il faut sanctionner et ne pas disqualifier comme simple litige ou « différend familial »; de plus elle pourrait permettre que l'agresseur manipule le système à son profit.
Mais quoi qu'il en soit, la procédure judiciaire est toujours une rude épreuve où rien n'est gagné d'avance. C'est parfois la parole de l'un contre la parole de l'autre et l'agresseur est en général mieux armé que la victime pour se défendre. Les choses sont pires encore pour les victimes de traumatismes répétés : une prostituée, qui répète sa vie durant ce qu'elle a connu dans sa famille avec ses « clients » et son souteneur, perd parfois sa crédibilité auprès de certains professionnels qui, s'alliant curieusement avec l'auteur, ignorent le mécanisme de revictimation. En matière d'expertise judiciaire, ceci constitue le piège le plus redoutable et souligne la responsabilité des magistrats et des experts qu'ils commettent.
Malgré ces difficultés, le thérapeute doit constamment se référer à la loi et proposer une procédure judiciaire, sans minimiser les réelles difficultés que cela représente. La décision appartient à la victime sur qui il ne faut jamais faire pression pour éviter de reproduire une relation d'empriseŠ bien souvent responsable des troubles ; si elle est désireuse de se lancer dans cette périlleuse « aventure », il faudra lui offrir un accompagnement judiciaire performant, en règle assuré par un avocat et une association spécialisée :

PRINCIPES GENERAUX DE PRISE EN CHARGE D'UNE MALTRAITANCE SEXUELLE ANCIENNE CHEZ L'ADULTE

Généralités

L'expérience clinique enseigne qu'il faut se prémunir contre l'idée que les soins sont plus importants que le soutien social ou l'accompagnement judiciaire. Il faudrait, au contraire intégrer sa pratique dans un « réseau » de correspondants spécialisés dans l'accompagnement social et judiciaire pour lequel le mouvement associatif est particulièrement indiqué :

Quelle que soit la technique utilisée, le traitement d'une personne traumatisée psychique serait très difficile si la thérapie était perturbée par toutes les embûches qui émaillent son difficile parcours. Rappelons que la survictimation ou victimation secondaire est consécutive à la maltraitance sociale qui aggrave l'état, en particulier psychologique, des sujets traumatisés, lorsqu'ils sont confrontés à l'incompréhension de leurs proches et à l'incompétence des autorités répressives, des instances professionnelles, sociales et autres.
Les victimes se plaignent souvent de thérapeutes qui veulent les entraîner dans des thérapies où l'événement subi est occulté. Le thérapeute ne semble s'intéresser qu'à leur enfance, leurs parents, etc. Ceci tient à une grande difficulté héritée de certains courants analytiques qui postulent que les troubles psychotraumatiques actuels sont liés, dans « l'après coup », aux avatars de la structuration ¦dipienne de la personne : ceci expliquant cela. Mais depuis une quinzaine d'années, des techniques psychothérapeutiques ont été adaptées au psychotraumatisme. Mais pour utiles qu'elles soient, ces techniques ne remplacent pas une longue fréquentation de la problématique des victimes et en particulier des victimes d'agressions sexuelles et des processus de domination sexiste. Cette prise de conscience de l'existence d'un « système agresseur » est le fondement des groupes de paroles mis en place par les associations féministes qui accueillent les victimes de violences sexistes. En fait, l'expérience du traitement du psychotraumatisme est plus importante que le savoir-faire technique du thérapeute.

Aménagements techniques

Les sujets victimes de maltraitance ancienne perdent progressivement confiance en toutes formes d'aide possible. Un enfant maltraité ou victime de viols répétés ne peut espérer une aide quelconque puisque les personnes chargées de son éducation ont été complètement défaillantes ; s'il entamait une psychothérapie, il serait difficile de gagner sa confiance pour parvenir à mettre en place un cadre adapté où les limites librement acceptées ne seraient pas constamment négociables, comme elles le furent dans leur rapports familiaux : de là dépend une bonne compliance thérapeutique. Le groupe de travail réuni à la Délégation régionale aux droits des femmes d'Ile de France (Morbois, 2002) critique la neutralité bienveillante qualifiée en l'occurrence de malveillante et insiste sur le rôle de témoin solidaire (Alice Miller) que devrait adopter le thérapeute ; pour le groupe de travail le traitement est une sorte de contre attaque aux attaques subies : il ne s'agit pas d'analyser une personne simplement blessée, mais d'analyser le « système agresseur » qui a permis que de tels crimes se produisent dans la loi du silence.
D'une façon générale, ces sujets consultent rarement pour les conséquences cliniques d'événements traumatiques anciens qu'il ne relient pas à leurs difficultés actuelles ; le plus souvent ils présentent un trouble comorbide comme un état dépressif après une rupture vécue comme un intolérable abandon, un trouble anxieux ou somatique. Bien souvent, ils détestent la psychiatrie et la psychologie conventionnelle : la clairvoyance de ceux qui sont « supposés savoir » leur est intolérable. Ils apprécient, au contraire, les médecines alternatives ou parallèles qui, selon Euclide, ne risquent pas de rencontrer la science officielle enseignée dans les universités, mais sont marginales, transgressives, holistiques, ésotériques, etc. C'est ainsi qu'ils sont les victimes désignées de thérapeutes tyranniques, indélicats ou incompétents, qui leur permettent de remettre littéralement en actes, à leur insu, les scénarii traumatiques familiaux ; ils sont les candidats désignés des sectes qui promettent des guérisons miraculeusesŠ et diabolisent les « psy ».
Lors des premiers entretiens, les risques d'idéalisation du thérapeute sont à la hauteur des désillusions survenant à la moindre frustration. De plus, certains sujets s'ingénient à reproduire littéralement avec leurs thérapeutes les situations abandonniques vécues dans l'enfance, courant le risque de passage à l'acte suicidaire impulsif. Les risques de répétition littérale se manifestent dans tous leurs comportements y compris dans le transfert traumatique. Chacun sait que, par identification projective, les femmes victimes de violences conjugales répétées génèrent souvent des sentiments complexes d'incompréhension irritée de la part des professionnels : elles sont rapidement rejetées par les policiers qui estiment « qu'elles aiment ça », par les assistantes sociales qui se heurtent à ce qu'elles considèrent être de la passivité, par les médecins qui ne les comprennent pas, par les parquets qui classent sans suite leurs plaintes ou demandent des médiations pénales ; cet exemple est emblématique, mais le sort des borderline étiquetés « psychopathes », de certaines prostituées, des femmes qui s'exposent à être violées plusieurs fois dans leur vie, ou des victimes d'inceste violées par leur thérapeute, n'est pas différent.
Le thérapeute doit faire preuve d'une grande tolérance largement étayée sur une solide expérience de ce type de patients pour ne pas se sentir remis personnellement en cause et éviter de s'identifier à l'agresseur que le patient pense trouver en tout être humain.
Quelle que soit la technique utilisée, il convient d'aménager le cadre thérapeutique :
Les aménagements techniques proposés sont les suivants :
- Poser clairement et simplement des questions sur le passé traumatique de tous les patients, dès la première consultation, en étant préparé à gérer les réponses par une bonne connaissance du réseau de prise en charge médico-socio-judiciaire.
- Surveiller le vocabulaire utilisé par le patient mais aussi par le thérapeute pour désigner les crimes commis ; éviter les mots : abus, faits, dérapages, tournante, fugues, maltraitanceŠ pour éviter de banaliser les actes subis en se référant systématiquement au Code pénal, se rappeler à ce sujet que l'intégration judiciaire des mots « viol, agression sexuelle, harcèlement sexuel », sont l'aboutissement d'un âpre combat politique et que le mot inceste ne figure pas dans le Code pénal français.
- Surveiller le vocabulaire utilisé par le patient mais aussi par le thérapeute pour désigner l'agresseur, ne pas utiliser « votre maman », « votre papa », s'ils sont l'auteur de crimes.
- Prendre clairement parti pour la victime pour ne pas se faire le complice (involontaire) du déni caractéristique du « système agresseur » qui a tout intérêt à maintenir la confusion.
- Se référer constamment à la loi qui est le seul cadre de référence qui s'impose à tous : « Ce que vous avez subi est une infraction, un crime sanctionné par la loi ».
- Ne jamais imposer un dépôt de plainte comme préalable indispensable au travail thérapeutique, mais rappeler les dates de prescription judiciaire.
- Etablir une relation de confiance, extrêmement difficile avec ces sujets qui ont toujours été trahis par les personnes qui étaient chargées de les protéger, mais indispensable pour obtenir une bonne compliance thérapeutique.
- Faire preuve d'empathie en tentant d'identifier les émotions ressenties par le patient, mais en gardant la bonne distance indispensable au maintien du cadre thérapeutique dans les limites préalablement définies. Il ne s'agit pas de sympathie, laquelle consisterait à s'identifier totalement à la personne souffrante et à lui manifester sa compassion, attitude incompatible avec une thérapie.
- Se référer constamment aux limites négociées, car ces sujets ont appris à leur dépens que les limites étaient négociables, floues ou imposées par les plus forts. Un cadre trop rigide risquerait de répéter « littéralement » un cadre vécu comme une relation d'emprise : ne pas imposer un rythme de séances trop rigoureux et les règles éprouvées pour le traitement des névrosés.
- Eviter le silence qui rappellerait la « loi du silence » caractéristique de l'emprise perverse ou de toutes les situations victimogénétiques.
- Ne pas allonger une victime de maltraitance ou de viol par inceste.
- Se centrer sur les événements traumatiques et sur le système « agresseur » qui, déniant la violence, la tolère, la justifie parfois et protège les auteurs.
- Repérer la littéralité caractéristique du transfert traumatique et contrôler les mécanismes d'identification projective pour ne pas se mettre inconsciemment en position d'agresseur ; veiller à avertir les thérapeutes du risque d'atteinte sexuelle envers son patient ; le thérapeute doit s'interroger s'il a tendance à se comporter de façon agressive.
- Ne pas tenter d'intégrer l'inintégrable dans l'histoire de la victime (des sévices graves, des actes incestueux, un abandon précoce, etc.) mais critiquer le système qui a protégé l'agresseur, aveuglé les proches, les institutions et les professionnels de la santé : les groupes de parole mis en place par les associations sont particulièrement efficaces.
- Ne pas hésiter à recourir à une prise en charge multimodale (Lopez, 1998) : voir infra.
Il faut également savoir repérer les troubles dissociatifs psychotraumatiques qui peuvent se reproduire de façon fâcheuse lorsqu'une victime se trouve confrontée à une pensée, une image, une situation lui rappelant les situations traumatiques antérieurement vécues. L'état de conscience modifié la protège de l'angoisse psychique et physique qui accompagne la reviviscence de la scène traumatique, mais il pérennise le trouble dissociatif :

Malgré ces énormes difficultés et la patience qu'il convient de manifester à ces victimes déstructurées, il faudra parvenir, vaille que vaille, à créer un cadre sécurisant où nul abandon, nulle violence, nul risque de répétition littérale, ne pourront jamais survenir. C'est ainsi que les borderline parviennent à se reconstruire, surtout s'ils sont parvenus à obtenir une reconnaissance judiciaire.

PREVENTION DU BURN OUT

Le travail auprès de victimes demande une implication et une disponibilité particulière. Il n'est pas rare qu'à force de côtoyer ce type de pathologies les convictions des professionnels impliqués se trouvent altérées, comme contaminées par le vécu des patients, et qu'ils vivent par exemple dans un monde devenu hostile.
Les troubles, assimilables à certains états dépressifs, se manifestent par : des difficultés de concentration et de communication ; la fatigue ; l'irritabilité ; l'instabilité émotionnelle ; la baisse de la motivation au travail ; l'envahissement par un sentiment d'impuissance, d'échec, de culpabilité, de solitude voire de persécution avec perte des repères structurants. Le « burn out » peut induire des tendances, voire des passages à l'acte suicidaires. Toutes sortes de troubles somatiques lui sont attribués : ulcères et troubles gastro-intestinaux, décompensation d'affections médicales telles que diabète, hypertension, asthme, rachialgies, syndrome prémenstruel, accidents et blessures, conduites addictives, etc.
D'une façon générale, les professionnels doivent apprendre à se protéger en prenant garde : à contrôler leurs émotions face au récit du patient ; à maintenir une distance aussi bien professionnelle que personnelle face au patient ; à alterner le travail professionnel avec des activités personnelles.
Il leur est important de savoir reconnaître leurs limites et d'accepter une aide : ils peuvent s'assurer le soutien de collègues et /ou d'un superviseur. Des réunions d'information des personnels au rythme d'une séance hebdomadaire seraient utiles :

METHODES THERAPEUTIQUES

On ne dispose pas d'études évaluatives dans le champ des maltraitances anciennes, mais d'études dans le cadre de l'ESPT évaluées selon les normes de the Agency of Health Care Policy and Research (AHCPR) : ce sont pour l'essentiel la chimiothérapie, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et l'EMDR (Eye Movement for Desensitization and Reprocessing), mais d'autres techniques présentent un intérêt clinique évident.

Les psychotropes

Principes théoriques et évaluation

Les anxiolytiques, les plus prescrits, apaisent l'angoisse et permettent l'induction du sommeil. Les benzodiazépines sont très appréciées par les médecins et les malades ; il convient pourtant de les utiliser avec modération et pendant de courtes périodes car elles risquent d'aggraver le ralentissement ainsi que les troubles de la mémoire et de la concentration, conséquences psychotraumatiques habituelles ; de plus, elles sont responsables d'un phénomène d'accoutumance qui risque d'entraîner des problèmes de sevrages difficiles.
Les antidépresseurs sont plus intéressants : deux d'entre eux ont obtenu l'équivalent de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l'indication ESPT aux Etats-Unis. Ils luttent contre les éléments dépressifs extrêmement fréquents après les traumatismes et possèdent de plus des propriétés sédatives très utiles pour juguler l'anxiété. Ils favorisent également le sommeil. Ils ne provoquent aucune accoutumance. Les antidépresseurs tricycliques ne sont pas exempts d'effets secondaires plus désagréables que graves. Les effets bénéfiques sur l'humeur et le tonus psychique ne se manifestent généralement qu'après trois semaines de prescription. Ils donnent parfois l'énergie psychique qui permet à la victime de trouver la force de dépasser l'agression. Les antidépresseurs de nouvelles générations ont beaucoup moins d'effets indésirables. La recherche indique qu'ils ont une utilité pour traiter les troubles psychotraumatiques.

Principales études contrôlées en double aveugle évaluant l'efficacité des antidépresseurs
(d'après Allain, 2003)

Référence Nbre de patients Traitement
posologie ou Cion plasmatique Durée (semaines) Résultats
Kosten et al (1991) 61 Imipramine : Cp > 150 mg / ml 8 Amélioration IES et CGI
Reist et al (1989) 27 Désipramine : 165 mg / j 4 Pas d'amélioration IES
Davidson et al (1990) 46 Amitriptyline : 175 mg : j 8 Pas d'amélioration IES
Van der Kolk et al (1994)) 64 Fluoxétine : 40 mg / j 5 Amélioration
Franck et al (1988) 34 Imipramine : Cp > 150 mg / ml 8 Amélioration
Marshall et al (2001) 511 Paroxétine : 20 ou 40 mg / j 12 Amélioration
Davidson et al (2001) 208 Sertraline : 50 à 200 mg / j 12 Amélioration

Il est nécessaire d'évaluer le moment opportun de proposer ou d'instaurer le traitement antidépresseur : une prescription trop précoce exacerbant les troubles anxieux. L'expérience clinique indique que pour être efficace, ils doivent être prescrits à des posologies supérieures à celles qui sont utilisées pour les syndromes dépressifs et pendant une durée plus longue (8 semaines minimum et souvent beaucoup plus).
D'autres molécules sont utiles, selon une stratégie décrite par Sylvestre (1999), résumée dans le tableau suivant :

Associations médicamenteuses (d'après Sylvestre, 1999)
Symptomatologie Classe médicamenteuse
Troubles du sommeil Inducteur du sommeil
Fortes angoisses de reviviscence Bêtabloquant
Flash-Back ou agressivité Carbamazépine
Forte réaction d'alerte Propanolol
Echec des antidépresseurs IRS ou tricycliques IMAO

Recommandations

- Les psychotropes sont utiles dans le cadre d'une prise en charge multimodale.
- Les antidépresseurs sont efficaces sur le syndrome intrusif et les troubles dépressifs.
- Les BDZ n'ont pas la preuve de leur efficacité.
- Ils doivent être prescrits en co-thérapie avec une technique de prise en charge individuelle ou groupale.
- Le prescripteur doit connaître la problématique médico-socio-judiciaire des maltraitances sexuelles anciennes.

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)

Principes théoriques (Sabouraud-Seguin, 2001)

Les TCC se réfèrent à des modèles issus de l'apprentissage et de la théorie du conditionnement et aux modèles explorant l'étude du traitement de l'information. Elles reposent sur l'analyse des composants de l'équation comportementale : affects, cognitions et actions, qui renforcent les comportements inadaptés des victimes, afin d'accroître leurs possibilités de changements et d'autogestion.
Le thérapeute et la victime, considérée comme un client, établissent un contrat thérapeutique avec des objectifs clairs.
Les techniques utilisées dans cette indication sont variées :
- exposition et désensibilisation systématique
- restructuration cognitive
- gestion de l'anxiété par : arrêt de pensée, relaxation, technique de respiration et autres techniques composites comme l'affirmation de soi par exemple.
Une métaphore permet de comprendre l'intérêt des techniques d'exposition ; une personne qui serait effrayée à l'idée de voir un film d'horreur s'y habituerait au point d'en être lassée si elle acceptait de le voir à 10 reprises ; en revanche, elle resterait effrayée si elle cédait à l'évitement. Il en serait ainsi pour les victimes d'événements traumatiques qui évitent d'être confrontées à tout ce qui peut leur rappeler l'événement causal : pensées, images, sensations, situations anxiogènes. Cette exposition se déroule dans un cadre thérapeutique rassurant. Si le patient manifeste trop d'anxiété, le thérapeute utilise des exercices de relaxation, tout en maintenant à l'esprit l'image de la scène traumatique. Chaque séance est répétée jusqu'à ce l'exposition cesse de provoquer de l'angoisse. Il faut en général une dizaine de séances pour « éteindre » un symptôme. Il est possible de s'aider avec l'enregistrement des séances qui permettent au patient de continuer l'exposition en dehors des séances. La reconstruction cognitive est fondée sur le fait qu'un événement traumatique a créé une situation de perte de contrôle perturbant gravement le système des croyances fondamentales sur le monde, les autres et soi-même. Le monde qui était prévisible devient imprévisible, insécurisant. La reconstruction cognitive consiste à aider la victime à modifier ses pensées négatives et à les reformuler d'une façon pour elle positive. La réponse à ces questions a une grande influence sur l'état émotionnel du sujet et son comportement. L'aide thérapeutique amène « le client » à se focaliser sur son environnement actuel et évaluer le degré de danger de façon réaliste. Le thérapeute attire l'attention de la victime sur le processus de pensée qu'elle utilise dans la situation problème et l'aide à repérer les distorsions cognitives à type de généralisation (perception en tout ou rien), d'inférence ou de personnalisation. Il lui apprend à se concentrer sur son discours interne pour repérer de quelle façon elle se parle à elle-même. Il lui apprend à repérer le dialogue négatif, culpabilisant ou irrationnel. La victime doit repérer elle-même quel type de procédé « cognitif » elle utilise à ce moment précis : si elle repère que sa pensée est trop négative, elle apprend à la contrebalancer par une hypothèse ou une affirmation plus réaliste et à lui substituer un discours plus rationnel, plus équitable, plus valorisant. Pour chaque « cognition » négative, le thérapeute l'encourage à mesurer sa probabilité de survenue et à contrôler les autocritiques et l'auto-dévalorisation.
Alors que l'exposition est utilisée pour se confronter à l'angoisse et provoquer une habituation, les techniques de gestion du stress ont pour but d'apprendre à contrôler l'anxiété. Elles sont utilisées quand l'anxiété perturbe le fonctionnement quotidien pour compléter l'action des autres techniques ou d'emblée quand certains symptômes psychotraumatiques sont au premier plan. Elles permettent d'améliorer les compétences sociales et relationnelles. La gestion du stress est un ensemble de techniques et de mesures simples visant à contrôler les réactions au stress. Ces techniques nécessitent d'être régulièrement pratiquées pour être efficaces. La gestion du stress se compose de stratégies composites rassemblées en programme personnel de gestion du stress où chaque étape de changement est détaillée et utilisée en fonction des symptômes ou des comportements à modifier. Par exemple, plus les victimes essayent de ne pas se souvenir du traumatisme, plus elles y pensent. Le but de la technique d'arrêt de pensée ne consiste pas à effacer les images mais à contrôler leur survenue en apprenant à les stopper. Les techniques d'affirmation de soi sont utiles pour apprendre à la victime à s'exprimer clairement et directement, mais sans agressivité, ses pensées, et ses sentiments. Il s'avère souvent fructueux pour les victimes de travailler sur ce type de comportement pour les aider à se présenter face aux personnes administratives ou dans leurs démarches judiciaires. La technique de résolution de problèmes est utile pour les victimes qui s'engagent de moins en moins dans leurs activités habituelles, en partie parce qu'elles ont peur de leur propre agressivité ou de celle des autres. Le principal intérêt de cette stratégie est de lui apprendre à réévaluer de façon actuelle les situations plutôt que de se référer constamment au vécu traumatique : « Comment puis-je agir comme n'importe quel être humain depuis ce traumatisme ? ». Souvent les problèmes sont si mal formulés qu'il n'est pas facile de trouver une solution. On demande alors à la victime de clarifier ses problèmes un par un de la façon suivante : 1) Définir le problème, 2) Rechercher les solutions possibles, 3) Peser les avantages et les inconvénients de chaque solution, 4) Choisir une solution, 5) Analyser le résultat obtenu. Si la résolution est insatisfaisante, il est important de redéfinir le problème en intégrant les nouveaux aspects non résolus et de reprendre le cycle jusqu'à ce qu'il y ait satisfaction.
Les thérapies cognitivo-comportementales sont très utiles et conviennent aux victimes qui veulent des résultats objectifs pour diminuer les troubles psychotraumatiques en s'affrontant directement aux problèmes.

Evaluation

On dispose de 11 études montrant l'efficacité des TTC évaluée entre A et B (AHCPR), mais aucune n'est consacrée spécifiquement aux maltraitances anciennes.

Référence Nbre de cas Type de traitement AHCPR
Brom 1989 117 Thérapie psychodynamique brève comparée à l'hypnose et aux TCC A
Foa 1991 45 Agressions sexuelles A
Foa 1995 20 Agressions sexuelles A
Echeburua 1996 20 Femmes victimes de viols récents A
Echeburua 1997 20 Femmes victimes d'agressions sexuelles récentes et anciennes mais vécues à l'âge adulte A
Foa 1999 Agressions physiques et sexuelles récentes A
Kilpatrick 1982 15 Agressions sexuelles B
Franck 1988 84 Viols B
Resick 1988 37 Agressions sexuelles B
Deblinger 1990 19 Agressions sexuelles chez des adolescentes B
Resick 1992 19 Agressions sexuelles B

Recommandations

- La prise en charge d'une victime de maltraitance ancienne est longue et complexe : les thérapeutes doivent avoir une grande expérience de la prise en charge des états limites (ou des états de stress post traumatiques complexes) et être averti des pièges du transfert traumatique et de l'identification projective.
- Il est nécessaire d'aborder la question du recours judiciaire (Cf. supra : Rôle de la loi)
- Une prise en charge en réseau est indispensable pour toutes victimes de maltraitance ancienne pour protéger le cadre thérapeutique.
- Les thérapies cognitivo-comportementales sont utiles et conviennent aux victimes qui veulent des résultats objectifs en s'affrontant directement aux problèmes.
- Les aménagements techniques (voir supra) sont indispensables.

L'EMDR (Eye Movement for Desensitization and Reprocessing)

Principes théoriques

L'EMDR semble s'apparenter aux thérapies d'exposition et à la désensibilisation systématique ; il permet en outre de renverser les cognitions négatives qui accompagnent les pensées et les émotions suscitées par l'image intrusive cible du traitement.
Le mécanisme exact de l'efficacité de l'EMDR, encore incertain, demande à être précisé.

Evaluation

La littérature scientifique contient plus de 14 études contrôlées démontrant l'efficacité de l'EMDR, notamment dans l'ESPT ; trois méta analyses arrivent à la même conclusion (van Etten, 1998) (Sack, 2001) (Maxfiel, 2002).
Les principales revues récentes de la littérature scientifique en matière de psychothérapie par des organismes officiels sont parvenues à la conclusion que l'EMDR est une méthode de traitement efficace , comparable à la thérapie cognitive comportementale (Chambless, 1998) (Chemtob, 2000) (UK Department of Health, 2001) (BMJ Publishing Group, 2002).
Les « guidelines » anglo-saxons accordent toutes une efficacité A/B (AHCPR) à EMDR dans l'indication ESPT, mais on ne dispose pas d'études dans le cadre des maltraitances anciennes.

Recommandations

- La prise en charge d'une victime de maltraitance ancienne est longue et complexe : les thérapeutes doivent avoir une grande expérience de la prise en charge des états limites (ou des états de stress post traumatiques complexes) et être averti des pièges du transfert traumatique et de l'identification projective.
- Il est nécessaire d'aborder la question du recours judiciaire (Cf. supra : Rôle de la loi)
- Une prise en charge en réseau est indispensable pour toutes victimes de maltraitance ancienne pour protéger le cadre thérapeutique.
- Les aménagements techniques (Cf. supra) sont indispensables.
- EMDR est une technique adjuvante co-thérapeutique, surtout dans le cadre des maltraitances anciennes.
- Les troubles dissociatifs constituent une contre indication classique, présentée comme telle lors des sessions de formation à EMDR.

Les psychothérapies dynamiques

Principes théoriques

La psychanalyse est un traitement psychothérapique fondé sur l'analyse de la relation qui s'établit entre le thérapeute et son patient (transfert). Elle est une indication de choix pour le traitement des névroses au cours desquelles le patient rejoue avec son thérapeute des scénarii fantasmatiques anciens réactualisés dans les symptômes présents. En psychotraumatologie, les psychothérapies dynamiques sont utiles si le thérapeute accepte de traiter les symptômes actuels et de s'en contenter si la victime ne désire pas aller au-delà. On distingue habituellement la psychanalyse classique, les psychothérapies dynamiques, les psychothérapies dynamiques brèves et les psychothérapies de soutien.
Un traumatisme constitue un « défect » dans la chaîne signifiante (sa propre histoire telle qu'elle se la raconte consciemment). La verbalisation avec un thérapeute lui permet d'effectuer une « greffe de paroles » dans l'absence de sens qui alimente le syndrome de répétition. Elle lui permet de reprendre le cours de son histoire sans rester collé dans une dimension purement imaginaire, c'est à dire personnelle, et d'accéder ainsi à la dimension symbolique (collective). Mais il est absurde de penser que la verbalisation permet de donner du sens à un événement structurellement insensé comme l'est une infraction pénale, un viol par exemple. Un tel traumatisme ne peut être intégré. Le sens qu'on peut lui attribuer est de l'ordre de la critique politique du « système agresseur » largement fondé sur les stéréotypes de domination socialement prévalants. Une victime de maltraitance ou d'inceste ne peut intégrer l'acte subi dans sa propre histoire, mais se livrer à une analyse des rapports de domination que perpétue une certaine pédagogie noire dénoncée par Alice Miller (1983) et que sous tendent les stéréotypes sexistes qui favorisent la violence à l'encontre des femmes, et notamment de celles qui ont un passé traumatique comme l'a confirmé l'enquête ENVEFF (1999). En revanche, il est possible et souhaitable que la victime parvienne à faire le deuil de l'état antérieur idéalisé, en l'aidant à ranger le vidéo film d'horreurs intrusives, lequel lui fait constamment revivre l'événement traumatique.
La théorie de l'après coup, postulant que les troubles actuels sont liés aux avatars de la structuration ¦dipienne de la personne, demeure un problème difficile à résoudre pour certains psychanalystes. Nous connaissons la controverse actuelle concernant le renoncement de Freud à sa théorie de la séduction (Balmary, 1979) (Masson, 1984). Laplanche (1987) a tenté d'élargir la théorie freudienne vers une « Théorie de la séduction généralisée » : « Le schéma général, nous l'avons tracé récemment avec plus de précision à propos de la pulsion. C'est la mise en confrontation d'un individu, dont les montages somato-psychiques se situent de façon prédominante au niveau des besoins, mais véhiculant avec eux la potentialité, l'interrogation purement potentielle d'autres messages ­ sexuels. Ces messages énigmatiques suscitent un travail de maîtrise et de symbolisation difficile voire impossibles, qui laisse nécessairement derrière lui des restes inconscients, des fueros, disait Freud ­ ce que nous nommons nous-même les « objets sources » de la pulsion. Il ne s'agit donc pas d'une vague confusion des langues, comme le voulait Ferenczi, mais très précisément d'une inadéquation de l'enfant à l'adulte, mais aussi et primordialement, de l'adulte à l'objet-source qui l'agit lui-même ». Gortais (1997) estime que : « Une approche psychopathologique des victimes conduit à se situer par delà une fausse alternative entre irruption événementielle et processus intrapsychique. Pas plus qu'il ne s'agit de traiter le souvenir de l'événement traumatisant comme un fantasme, il ne s'agit de réduire le traumatisme à une causalité externe. Celui ci intervient toujours sur les fondements d'une histoire et d'un inconscient et son destin psychique ne prend sens qu'au regard d'une singularité. Ainsi que l'a souligné Janin (1996) : l'historien comme le psychanalyste doivent faire le deuil d'une illusion positiviste dans laquelle la construction serait une simple restitution ». Il est vrai qu'un travail psychothérapeutique s'effectue sur tout le matériel livré par le patient, mais nous parlons ici d'étiopathogénie. Et s'il faut élaborer longuement la totalité des propos d'un patient qui pense avoir été victime d'une punition divine, cela ne signifie pas pour autant que la Dies irae soit bien la cause des catastrophes naturelles, du point de vue scientifique. Mais quoi qu'il en soit, la théorie freudienne de l'après coup demeure pertinente pour comprendre les troubles névrotiques survenant après certains événements qui prennent tout leur sens pathogène quand l'enfant (ou l'adulte) est en position d'en saisir le sens « traumatique » : ceci peut être le cas dans certains types de viols par inceste.
Pour les victimes de maltraitance ancienne le thérapeute doit adapter une technique mise au point pour traiter les névroses, lesquelles se rattachent à des traumatismes fantasmatiques survenus dans la période ¦dipienne. Or, le plus fréquemment, les troubles que présentent ces victimes se situent dans le registre de la pathologie narcissique : le transfert n'est donc pas névrotique mais de l'ordre de la remise en actes littérale. Dans ce type de transfert traumatique, le risque de passage à l'acte sadique du thérapeute (emprise, violence, atteinte sexuelle, viol, etc.), lié à sa personnalité ou à un mauvais contrôle de l'identification projective, est important et bien entendu inacceptable même si le patient semble librement y consentir. Il faut donc être rompu à cette problématique et accepter d'utiliser des adaptations techniques nécessaires dans ce contexte : empathie, entretiens face à face, échanges verbaux.

Le tableau suivant résume les différences structurales entre les états limites au sens de la (CIM-10 ou du DSM IV) et les troubles névrotiques.

Névroses Etats limites
Avatar de la structuration ¦dipienne (rôle de la personnalité antérieure)
Traumatisme fantasmatique (ou événementiel) prenant un sens traumatique dans l'après coup Evénement(s) immédiatement traumatique(s), graves, physique(s) ou psychique(s), ou relation d'emprise.
Ils entraînent la destruction progressive de zones clivées, dissociée du reste de la psyché, plus ou moins étendue(s) selon l'intensité, la nature, la durée des attaques subies.
Processus internes de symbolisation -> refoulement, déplacement, formation réactionnelle, intellectualisation Dévastation psychique : asymbolisation -> projection, acting out, dissociation
Littéralité ++++
Inhibition névrotique de l'action Passages à l'acte littéral (inhibition de la pensée)
- Passivité : revictimation, auto agression
- Agressivité (identification à l'agresseur)
* Angoisse de castration -----------------------------------
* Culpabilité -------------------------------------------------
* Compulsion à la répétition (transfert) -----------------
* Phobie-------------------------------------------------------
* Rêves--------------------------------------------------------
* Dépression névrotique------------------------------------
* Etats crépusculaires--------------------------------------- *Angoisse de séparation (abandonnisme)
*Culpabilisation mais absence de scrupules
*Remise en actes littérale (ludique chez l'enfant)
* Evitement
*Cauchemars de répétition
*Dépression anaclitique
*Dissociation traumatique
Différents types classiques de névroses dites de transferts Différents aménagements cliniques :
- Aménagement caractériel et antisocial
- Aménagement pervers
- Régression psychosomatique
Névrose de transfert Risques du transfert traumatique (remise en actes littérale) et d'identification projective

Evaluation

Les études de Lindy (1988), et de Roth (1997) consacrée à 6 femmes victimes de viol par inceste, objectivent une efficacité de force B (AHCPR) ; les autres études, nombreuses : une efficacité de force C (AHCPR).
Il n'existe que 3 études empiriques : celle de (Brom 1989) objectivent une efficacité de niveau A (AHCPR) (29 % contre 10 % sur la liste des patients en attente de traitement) ; les deux autres (Horowitz 1993 et 1994) objectivent une efficacité de force C et D (AHCPR).
Malgré les résultats de l'étude de Brom et de celle de Roth : les thérapies psychodynamiques ont une efficacité de force B/C (AHCPR) selon le guideline de l'ISTSS (2000).

ETUDES EMPIRIQUES
Référence Nbre de cas Type de traitement Efficacité (AHCPR)
Brom 1989 117 Thérapie psychodynamique brève comparée à l'hypnose et aux TCC A

ETUDES CLINIQUES
Référence Nbre de cas Type de traitement Efficacité (AHCPR)
Lindy 1987 37 Vétérans B
Roth 1997 6 Femmes victimes d'inceste B
Weiss 1993 Evénement traumatique unique 12 séances de psychothérapie C

Recommandations

- La prise en charge d'une victime de maltraitance ancienne est longue et complexe : les thérapeutes doivent avoir une grande expérience de la prise en charge des états limites (ou des états de stress post traumatiques complexes) et être averti des pièges du transfert traumatique et de l'identification projective.
- Il est nécessaire d'aborder la question du recours judiciaire (Cf. supra : Rôle de la loi).
- Une prise en charge en réseau est indispensable pour toutes victimes de maltraitance ancienne pour protéger le cadre thérapeutique.
- Les aménagements techniques (Cf. supra) sont indispensables.
- Pour pouvoir tirer profit d'une psychothérapie dynamique, une victime de maltraitance ancienne doit être : très motivée par un travail personnel ; capable d'autocontrôle ; relativement tolérante à la frustration ; avoir de bonne capacité d'introspection ; être socialement insérée.

L'hypnose

Principes théoriques

L'hypnose est un traitement suggestif obtenu par induction d'un état de conscience modifié, permettant de modifier par suggestion mais aussi en utilisant les ressources d'auto guérison du sujet, les processus mentaux et les comportements. Certains sujets sont plus ou moins résistants à l'induction hypnotique.
L'hypnose a des indications larges (Spiegel, 1987), mais en matière d'agressions sexuelles, elle est souvent déconseillée parce qu'elle pourrait être comprise comme remise en actes d'un processus de domination (emprise, agressions sexuelles, violences) qui est le fondement même de la relation entre un prédateur et une victime. De plus, toutes les thérapies hypnotiques et au-delà suggestives, sont contre indiquées dans le cadre des souvenirs tardifs de viols subis dans l'enfance, lesquels pourraient être greffés par des thérapeutes au cours de psychothérapies suggestives ou "régressives", comme le recommande le Royal College of Psychiatry (Royaume-Uni) dans ce cadre particulier (Brandon, 1998). Malgré ces réserves, l'hypnose, considérée comme une co-thérapie, pourrait être utilisée en trois étapes : 1) dans la phase initiale : elle permet d'obtenir un état de relaxation salutaire, les suggestions permettant de renforcer la confiance en soi, de contenir les reviviscences traumatiques et les cauchemars de répétition ; 2) dans la seconde phase : elle est réputée capable de favoriser l'intégration et la résolution du matériel traumatique et par conséquent de mieux contenir leurs conséquences émotionnelles, notamment en utilisant des techniques de projection et de remodelage des scènes traumatiques sur des écrans imaginaires ; 3) la phase finale permet d'améliorer les capacités du sujet à faire face (coping) voire d'améliorer ses capacités adaptatives.

Evaluation

Il n'existe qu'une seule étude randomisée, portant sur 112 cas, qui objective une bonne efficacité de l'hypnose par rapport à la liste des patients en attente de traitement (Brom, 1989), mais malgré cette étude, l'hypnose a une efficacité de force C (AHCPR) selon le guideline de l'ISTSS (2000).

Recommandations

- La prise en charge d'une victime de maltraitance ancienne est longue et complexe : les thérapeutes doivent avoir une grande expérience de la prise en charge des états limites (ou des états de stress post traumatiques complexes) et être averti des pièges du transfert traumatique et de l'identification projective.
- Il est nécessaire d'aborder la question du recours judiciaire (Cf. supra : Rôle de la loi)
- Une prise en charge en réseau est indispensable pour toutes victimes de maltraitance ancienne pour protéger le cadre thérapeutique.
- Les aménagements techniques (voir supra) sont indispensables.
- Indications (Cardeña, 2000) :
1. l'hypnose est une technique adjuvante qui peut être utilisée en co-thérapie avec la chimiothérapie, les TTC, les thérapies psychodynamiques ;
2. l'hypnose est utile pour traiter les troubles dissociatifs post-traumatiques et les cauchemars de répétition ;
3. les sujets peu sensibles à l'induction hypnotique peuvent bénéficier d'adaptations techniques ;
4. l'hypnose permet de mieux contrôler les reviviscences psychotraumatiques sur le plan émotionnel et cognitif ;
5. l'hypnose permet de contrôler les état dissociatifs récurrents, reproduisant les troubles dissociatifs péritraumatiques.
- Les contre indications concernent :
1. les sujet peu sensibles à l'induction hypnotique ;
2. les sujets ayant des préjugés contre cette technique ;
En matière d'agressions sexuelles, et surtout dans le cadre des maltraitances anciennes, l'hypnose est souvent déconseillée, mais si elle était utilisée, elle devrait faire appel à l'hypnose ériksonienne et être pratiquée par des praticiens expérimentés ayant une parfaite connaissance du réseau victimologique et des enjeux judiciaires possibles.

La réhabilitation et le soutien social

Principes théoriques

L'utilité des méthodes de réhabilitation sociale ne fait aucun doute pour les sujets présentant des troubles mentaux graves, dont font précisément partie certaines victimes de maltraitance ancienne. Leur champ d'intervention très large nécessite une bonne connaissance du réseau d'aide et de prise en charge pour ces sujets fragiles, souvent désocialisés. Il peut être utile d'orienter les victimes de maltraitance vers des structures de prise en charge des conduites addictives, vers les services sociaux pour leur apporter une aide familiale, vers des services de réinsertion ou d'aide à l'emploi. A ce titre, les criminologues anglo-saxons, canadiens notamment, ont pu évaluer l'efficacité des programmes de prévention développementale de la délinquance, lesquels améliorent les compétences éducatives des familles, comparés aux programmes de prévention psychosociale jugés inefficaces (Cusson, 2002) (Carbonneau, 2003).
Mais il est également indispensable d'offrir un accompagnement social et judiciaire à la victime de maltraitance ancienne qui entame une procédure judiciaire ou une procédure d'indemnisation. Les thérapeutes devraient trouver dans leur carnet de correspondants les coordonnées des associations compétentes dans l'aide aux victimes, d'avocats spécialisés, de services sociaux, de centres d'hébergement, etc. Ils devraient aussi ne pas hésiter à entrer en relation avec les uns avec les autres. D'autre part, il est probable que l'accompagnement social et judiciaire constituent des facteurs améliorant la résiliences des victimes d'agressions répétées. Cet accompagnement permet de comprendre le principe de présomption d'innocence, les règles du fonctionnement contradictoire de la procédure civile, l'intérêt des expertises, le rôle du médecin de recours, etc. Car, si une procédure judiciaire est souvent indispensable pour reconstruire une victime, il ne faut pas qu'elle devienne un cauchemar entraînant une véritable maltraitance sociale (survictimation). Les associations d'entraide aux femmes dont le collectif féministe contre le viol qui dispose du numéro vert national (0800 05 95 95) et les services d'aide aux victimes adhérant à l'INAVEM sont tout particulièrement indiqués : ils ont une grande habitude des procédures d'indemnisation, auprès de la CIVI notamment. Il est possible de consulter le site Internet www.victimo.fr pour obtenir les coordonnées des membres du réseau.

Evaluation

Les techniques de réhabilitation sociale ont été essentiellement évaluées pour les patients psychotiques. Cependant elles sont utiles pour les victimes de maltraitance ancienne. Elles ont une efficacité de force B/C (AHCPR) selon le guideline de l'ISTSS (2000).
Les techniques de soutien et d'accompagnement social et judiciaire n'ont pas été évaluées mais bénéficient d'un consensus fortement positif parmi les patients et les professionnels de la santé qui ont développé une compétence en psychotraumatologie et a fortiori en victimologie.

Recommandations

- Une évaluation des conséquences personnelles, familiales, professionnelles, judiciaires, est indispensable pour les victimes de maltraitances anciennes. Cette évaluation peut être confiée à une association d'entraide aux femmes ou à un service d'aide aux victimes adhérent à l'INAVEM, avec qui tout professionnel de la santé devrait travailler en réseau.
- Les professionnels et les bénévoles travaillant dans ce secteur doivent être formés et avoir acquis une expérience des pièges tendus par l'identification projective.
- L'accompagnement social et judiciaire ne dispense pas la victime d'un traitement médico-psychologique si son état le nécessite (Cf. supra : Evaluation).

Les thérapies de groupe

Principes théoriques

On distingue plusieurs sortes de thérapie de groupe : 1) les groupes de soutien ; 2) les groupes psychodynamiques ; et 3) les groupes « cognitivo-comportementaux ».
On doit distinguer les groupes de paroles d'inspiration féministe, apparus au milieu des années 1970. Mis en place par le Collectif féministe contre le viol en1985, ils se fondent sur la critique des processus de domination sexiste, c'est à dire sur la déconstruction du « système agresseur » et des idéologies sacrificielles de domination des forts contre les faibles (Bulletins du Collectif féministe contre le viol). Ils permettent de rompre les liens de dépendance qui entravent l'autonomie des participants. La mise en commun des épreuves, humiliations, émotions, permet de reconnaître en l'autre une personne semblable à soi, confrontée à des problèmes personnels, familiaux, sociaux, souvent assez proches : « Ce qu'on pensait inutile pour soi apparaît dès lors nécessaire pour l'autre et, en s'aidant, chacun(e) s'aide elle-même à retrouver l'estime et l'amour de soi (Morbois, 1998) ». L'entraide et la création de liens sociaux constituent une dimension importante des groupes ; les participants apprennent à fonctionner ensemble et à faire mutuellement confiance. Les groupes luttent contre les sentiments de culpabilité, fréquents chez les personnes traumatisées, en attribuant les responsabilités aux auteurs et circonstances véritables ; ils permettent de transformer la honte en colère qui, bien dirigée, constitue une puissante motivation. Les groupes sont de différents types : ouverts, semi-ouverts, fermés, selon qu'il acceptent ou non de nouveaux membres.

Evaluation

Aucune étude n'est malencontreusement consacrée aux maltraitances anciennes. Cependant on dispose de 2 études randomisées (Alexander, 1989) (Zlotnick, 1997) objectivant une efficacité de force A (AHCPR) ; de 5 études non randomisées avec une efficacité de force B (AHCPR) et de 7 études avec une efficacité de force C (AHCPR) ; les études ne distinguent pas une forme particulière de thérapie de groupe par rapport à une autre.

Recommandations

- Des entretiens préalables sont nécessaires
- Les groupes réunissent des sujets ayant subi des traumatismes semblables (agressions sexuelles, violence familiale, harcèlement psychologique, etc.)
- Le sujet doit se conformer aux règles librement acceptées par le groupe.
- Il faut que le sujet ait la capacité à établir des relations interpersonnelles et qu'il ait suffisamment confiance en autrui.
- Sont contre-indiqués : les sujets présentant une psychose active, un déficit intellectuel sévère, un aménagement antisocial de leur personnalité, une addiction toxicomaniaque.
- Il est recommandé d'associer thérapie de groupe et psychothérapie individuelle qui ont des objectifs différents.

Les thérapies familiales

Principes théoriques (Figley, 1989)

Il est toujours très utile de pouvoir organiser des entretiens familiaux pour informer la famille sur les conséquences qu'entraîne la victimation sur la victime et son entourage, ceci afin d'éviter certains conflits destructeurs souvent fondés sur l'incompréhension et paradoxalement dans le souciŠ d'aider la victime.
Les thérapies familiales et en particulier les thérapies de réseau (Nisse, 1998) seraient utiles pour le traitement des familles dans les cas de révélations tardives de viols familiaux lorsque cela est possible. Elles postulent qu'il faut s'intéresser non seulement à la victime mais également au « système » familial et au-delà social, c'est à dire à tous les intervenants partie prenante dans le processus mis en interaction par la révélation. Cependant il ne faut jamais inclure l'agresseur ou ses complices plus ou moins actifs, mais uniquement les membres de la famille qui ont pris clairement parti pour la victime. On pourrait envisager d'introduire l'agresseur après qu'il ait admis sa culpabilité, purger sa peine et entrepris une thérapie personnelleŠ ce qui est rarissime en pratique. Pour le guideline ISTSS (2000) la violence familiale constitue une contre indication.

Evaluation

Il n'existe que deux études évaluatives des thérapies familiales dont une seule randomisée.
Si les recommandations sont respectées, elles bénéficient d'une efficacité de force E (AHCPR) dans le guideline ISTSS (2000).

Recommandations

- Seules les personnes prenant clairement le parti de la victime de maltraitance ancienne peuvent participer à une thérapie familiale.
- Elles sont utiles lorsque la famille ou le couple rencontrent des conflits ou des difficultés liés à des problèmes de communication, fréquents dans ce champ d'intervention.
- Les thérapies familiales sont une technique adjuvante co-thérapeutique, insuffisante pour aborder le traitement des maltraitances anciennes chez l'adulte.
- Les violences familiales constituent une contre indication de force D (AHCPR).

CONCLUSION

En fait, de nombreuses techniques thérapeutiques peuvent être utilisées à condition : qu'elles aient une reconnaissance scientifique ; que les thérapeutes soient formés et habilités, qu'ils aient l'expérience de la problématique des victimes et des processus de domination / soumission.
Les études évaluatives empiriques concernent surtout l'ESPT et non les « maltraitances sexuelles anciennes chez l'adulte » ; par conséquent : les recommandations sont essentiellement fondées sur l'expérience clinique. Les principes cliniques plus ou moins consensuellement admis consistent à donner la parole à une victime, dans un climat d'empathie actif, afin de lui permettre d'ordonner ses souvenirs pour donner un sens au traumatisme lequel, dans la majorité des cas, ne peut être que de l'ordre de la critique « politique » des processus de domination, pour parvenir à lever, sans se hâter, le dispositif de défense dans lequel les troubles dissociatifs paraissent déterminants.
Certaines modalités ou techniques thérapeutiques bénéficient d'une faveur variable selon les professionnels.
La force des recommandations ANAES est fondée sur les critères suivants :
A.- Grands essais comparatifs randomisés avec résultats indiscutables
B.- Petits essais comparatifs randomisés avec résultats incertains
C.- * Essais comparatifs non randomisés avec groupe contrôle contemporains
* Suivi de cohortes
D.- * Essais comparatifs non randomisés avec groupe contrôle historiques
* Etudes cas-témoins
E.- Pas de contrôle, séries de patients

Prise en charge : Force des recommandations
Modalité technique Force des recommandations (ANAES) Consensus clinique subjectif
Dépistage précoce Non évalué Bon
Prévention développementale A/B Peu connu
Recours à une procédure judiciaire Non évalué Discuté
Recours au réseau de prise en charge Non évalué Discuté
Réhabilitation sociale C Bon
Utilisation d'outils d'évaluation validés Non évalué Peu connu
Aménagement du cadre thérapeutique Non évalué Discuté
Formation et supervision Non évalué Fort


Techniques thérapeutiques : Force des recommandations
Technique thérapeutique Force des recommandations (ANAES) Consensus clinique subjectif
Chimiothérapie A/B Discuté
TCC A Discuté
Thérapie psychodynamique B Bon
EMDR A/B Discuté
Hypnothérapie C Discutée dans cette indication
Thérapie familiale E Bon
Thérapie de groupe C Discuté

Insistons, une fois encore, sur la nécessité de posséder des connaissances victimologiques pour orienter correctement la victime dans le réseau d'aide et d'accompagnement social et judiciaire afin d'éviter la « survictimation » mais aussi pour maintenir un cadre thérapeutique sécurisant.

Recommandations de l'auteur au jury :
1. favoriser la recherche,
2. favoriser une réflexion éthique sur les pratiques et les conflits d'intérêts en psychotraumatologique,
3. inciter les professionnels de la santé à dépister les agressions sexuelles et la maltraitance infantile pour mettre des mesures de prévention développementale,
4. inciter les professionnels de la santé à poser systématiquement la question des antécédents de violences éventuellement subies (sexuelles notamment),
5. les aider à clarifier leur position vis à vis de la loi pénale dans le « dissensus » actuel,
6. améliorer la formation médico-légale (droit médical, déontologie, victimologie),
7. améliorer la formation en psychotraumatologie,
8. inciter les professionnels de la santé à travailler en réseau avec les professionnels impliqués et le secteur associatif,
9. favoriser la lutte contre l'épuisement professionnel.
10. Inclure une interdiction de relation sexuelle entre médecin et patient dans le Code de déontologie médicale.

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Dernière mise à jour : vendredi 28 novembre 2003

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