Introduction sur les pharmacodépendances d'un point de vue pharmacologique



Pr A. J. Puech

Hôpital Salpétrière - Paris




Pour le pharmacologue, les dépendances sont centrées sur le produit. La pharmacodépendance se décompose habituellement en dépendances physique et psychique. Cette dichotomie est importante car les mécanismes biologiques qui les sous-tendent et les méthodes d'études sont différentes.

La dépendance physique

Elle se définit par la tolérance et le syndrome de sevrage. La tolérance est la nécessité d'augmenter la dose pour maintenir l'effet.

Le syndrome de sevrage est caractérisé par l'appartion, à l'arrêt du traitement, de symptômes qui n'existaient pas avant celui-ci ; chez les patients, il doit donc être distingué de la récurrence des symptômes et des phénomènes de rebond qui se produisent également à l'arrêt du traitement.

Les méthodes d'étude, chez l'animal, de la tolérance sont assez simples par la comparaison des DE50 (doses induisant 50% de l'effet maximal) après administrations unique et répétée.

Chez le patient, la mesure est plus difficile mais le principe est le même. Pour l'étude du syndrome de sevrage, le principe général est l'administration répétée de doses thérapeutiques ou supra thérapeutiques et l'observation à l'arrêt brutal du médicament, voir chez l'animal, lors de l'administration d'un antagoniste (sevrage provoqué).

Les mécanismes biologiques qui sous-tendent la tolérance et le sevrage sont représentés par les mécanismes adaptatifs qui se mettent en place lors de l'administration répétée d'un médicament et qui tendent à limiter l'effet du médicament (ex. modification de sensibilité des récepteurs). Ces mécanismes mettent en général quelques jours à se mettre en place. Lors de l'arrêt brutal d'un médicament, ces mécanismes persistent quelques jours ; l'expression clinique est donc inverse à l'effet du médicament (ex. convulsions à l'arrêt brutal d'un anticonvulsivant).

La dépendance physique existe avec de nombreux médicaments, pas seulement psychotropes.

Les mécanismes pharmacologiques mis en jeu sont différents pour les opiacés, les stimulants, les benzodiazépines et le tabac. Les symptômes cliniques et le syndrome de sevrage sont donc différents. Les traitements à mettre en oeuvre sont donc a priori spécifiques d'un syndrome de sevrage.

La dépendance psychique

Elle peut se définir par le désir irrépressible de consommer la substance induisant la dépendance (craving). On suppose que ce désir est lié à l'effet plaisant ressenti lors des administrations.

Chez l'animal, ce phénomène peut être étudié par la technique de l'auto-administration. Un animal, par exemple le singe, est appareillé avec un cathéter relié à une pompe contenant la substance à étudier. L'animal peut déclencher une injection en appuyant sur un levier ; il est donc en situation de s'auto-administrer la substance à l'étude. Les animaux s'auto-administrent l'ensemble des substances capables d'induire des toxicomanies chez l'homme. On pense que c'est le caractère plaisant, ressenti lors des premières administrations, qui entraîne à maintenir ensuite, de façon plus ou moins intense, ce comportement d'auto-administration.

Une autre technique est représentée par la préférence de place conditionnée. En résumé, on apprend à l'animal à associer un lieu et un état sous médicament. L'animal exprime le caractère plaisant qu'il peut avoir ressenti en préférant le lieu qui a été associé à un autre lorsqu'on lui donne le choix.

Sur le même principe, on peut étudier les phénomènes aversifs.

Chez l'homme il est possibile d'étudier les phénomènes plaisants (appetitif) induits par une substance en faisant décrire les effets ressentis à l'aide de questionnaires validés et en demandant à la fin de l'expérience s'il a envi de reprendre la substance.

Contrairement à la dépendance physique, il semble exister une voie finale commune pour les dépendances psychiques. En effet, alors que seules les amphétamines et la cocaïne sont capables d'augmenter directement le fonctionnement des neurones dopaminergiques, les autres substances toxicomanogènes, telles que les opiacés, les benzodiazépines, l'alcool et le tabac, sont également capables d'augmenter le fonctionnement dopaminergique pour des mécanismes indirects (et différents pour chacune des substances). Le système dopaminergique semble important dans le fonctionnement des systèmes de récompense.

Conséquences pour la prise en charge des polytoxicomanies

Les syndromes de sevrage des différentes substances interfèrent peu les uns avec les autres (sauf benzodiazépines et alcool).

On peut par contre penser que les mécanismes des dépendances psychiques, lors d'une polytoxicomanie, sont intriqués. On peut donc penser que l'arrêt d'une substances va entraîner un mécanisme de compensation avec l'augmentation de la consommation des autres substances.

Si l'on arrête plusieurs substances à la fois on peut penser que les craving induits ne sont pas indépendants et qu'en quelque sorte ils s'additionnent.

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