Modalités de sevrage des
dépendances associées aux benzodiazépines, hypnotiques, alcool, chez les toxicomanes aux opiacés

H. LAMBERT



Pr H. LAMBERT,
C. ORIZET, B. KIERZEK, M.F. RASPILLER

C.H.U. Nancy




La consommation d'autres substances psychoactives par les toxicomanes aux opiacés, et en particulier à l'héroïne, est très fréquente, sinon constante, après plusieurs années de dépendance.
Dès les premières études sur ces conduites polytoxicomaniaques (Kaufman - 1970), l'alcool et les sédatifs licites, barbituriques à action intermédiaire et benzodiazépines, étaient parmi les substances les plus fréquemment associées aux opiacés.
Il faut cependant distinguer dans ces consommations associées celles qui sont occasionnelles et à faible dose et n'entraînent pas de dépendance et les dépendances répondant aux critères actuels du DSM IV et antérieurement aux critères du DSM IIIR.

La fréquence de ces consommations associées est très variable en fonction du type de structure qui les évalue. Ainsi elle serait d'environ 30 % pour les centres de traitement alcoolique, de 40 % pour les centres de soins spécialisés pour toxicomanes et de 71 % pour les centres de santé mentale (Kaufman - 1982). Depuis 1970, la fréquence de ces conduites polytoxicomaniaques, et en particulier de l'association aux opiacés d'alcool et/ou de benzodiazépines, s'est manifestement accentuée. Des études anglo-saxonne récentes, réalisées chez des héroïnomanes, rapportent des taux de dépendance à l'alcool de 50 à 75 % et aux benzodiazépines de 16 à 42 % (Diwinddie - 1996, Bearn - 1996, Darke - 1997).

En France, les données sur ces conduites sont rares et dispersées. Une étude épidémiologique prospective réalisée dans un service d'accueil d'urgences montre que 65 % des toxicomanes, dont 95 % sont dépendants aux opiacés, consomment des benzodiazépines, 31 % d'entre eux le faisant de façon quotidienne (Lambert - 1996).

Les enquêtes épidémiologiques OPPIDUM, réalisées chez les toxicomanes de Marseille, rapportent une fréquence de consommation des benzodiazépines de 45 % (San Marco - 1997).

Une enquête de l'INSERM en 1991 sur 4939 héroïnomanes évalue la prise de médicaments psychotropes associés entre 21 et 32 % (Facy - 1995).

L'alcool, les benzodiazépines et les autres hypnotiques ont en commun d'être des substances à potentiel de dépendance majeur, actuellement bien étudié sur le plan expérimental, physiopathologique, épidémiologique, clinique et thérapeutique.

Cependant, la quasi totalité des données scientifiques, et en particulier thérapeutiques, ont été établies pour les dépendances à une seule substance, alcool ou benzodiazépines hypnotiques, plus rarement pour des dépendances associées à ces deux types de substances, et exceptionnellement pour les pluridépendances, en particulier avec dépendance aux opiacés.

Il est bien établi que l'état de bi ou de pluridépendance chez les toxicomanes aux opiacés est un facteur pronostique péjoratif de l'évolution et de l'efficacité des traitements particuliers de sevrage. Les interrelations, démontrées chez l'animal et chez l'homme, entre les récepteurs opiacés, aux benzodiazépines, aux barbituriques et également les effets neurobiologiques de l'alcool, expliquent en partie la gravité clinique et les difficultés thérapeutiques (Buck - 1990).

Par ailleurs, les études épidémiologiques ont montré que ces patients avaient des caractéristiques médico-sociales plus perturbées que les patients monodépendants, avec en particulier des récidives d'épisodes de violence, d'incarcération, d'échecs de tentative de sevrage et un état avancé de désocialisation (Wesson - 1974, Darke - 1997, Kassenbaum - 1994, Rounsaville - 1982).

Les objectifs du sevrage de ces dépendances associées est à terme l'arrêt total de la consommation de ces substances psycho-actives et des substituts. En raison du risque majeur de transfert des dépendances, le sevrage devrait a priori être simultané pour tous les produits.

Actuellement, les modalités de sevrage proposées sont fondées sur l'association des modalités spécifiques pour chaque type de dépendance, qui sont par ailleurs multiples en l'absence de consensus.

Ces modalités multiples pour un type de substances et également pour les divers types, diffèrent essentiellement en ce qui concerne la pharmacothérapie, la durée des cures et la réalisation en ambulatoire ou en hospitalisation. Par contre, la nécessité d'un accompagnement psychothérapique intensif et d'un soutien socio-éducatif adapté est actuellement reconnu de façon unanime. Pour les différents types de sevrage, il associe les techniques d'information et de préparation de la cure, les techniques de psychothérapie individuelle et/ou de groupe, parfois d'inspiration psychanalytique, les techniques comportementales à type de relaxation, de réassurance, de mise en situation, de jeux de rôle, éventuellement associées aux exercices ou entraînements de reconnaissance corporelle (Higgitt - 1985, Mac Duff - 1993, Schmith - 1990).

Modalités du sevrage des dépendances associées aux benzodiazépines

Les benzodiazépines qui sont utilisées en thérapeutique depuis les années 60 représentent actuellement plus de 80 % de la classe médicamenteuse des psychotropes dépresseurs avec les indications de tranquillisants, anxiolytiques, hypnotiques, myorelaxants et anticonvulsivants.

Leur mécanisme d'action est une fixation sur des récepteurs spécifiques des membranes neuronales, contrôlant le canal Chlore, et qui sont situées sur un complexe macromoléculaire associant les récepteurs GABA et barbituriques (Braestrup - 1978).

Une pharmacodépendance apparaissant après des traitements prolongés (de plus de trois mois) à forte dose ou à dose thérapeutique est reconnue depuis 1978 (Marks - 1978, Petursson - 1983, Tyrer - 1983) et a été démontrée par les expérimentations animales (Martin - 1995) et les études cliniques. L'utilisation des benzodiazépines par des héroïnomanes était signalée au début des années 1970 et a rapidement augmenté alors que les dépendances associées aux barbituriques à action intermédiaire, très fréquentes auparavant, disparaissaient au début des années 1980.

Les effets recherchés avec les benzodiazépines (Schmith - 1990) sont essentiellement de trois types :

- Un effet positif de renforcement de l'effet euphorisant et deshinibiteur des opiacés. Les patients ingèrent des doses, équivalentes à 20 à 100 mg de DIAZEPAM avant ou après la prise d'opiacés et cela parfois plusieurs fois par jour. Cet effet est recherché dans les mêmes conditions de prise par des patients sous traitement de substitution par METHADONE (Kaufman - 1982, Mac Duff - 1993)).

- Un effet substitutif qui vise à prévenir ou limiter les effets secondaires des opiacés, en particulier des signes de sevrage à type d'anxiété, de dépression, et chez les polytoxicomanes de certains effets stimulants désagréables de la cocaïne et des amphétamines.

- Des effets paradoxaux qui sont provoqués par l'association de flunitrazépam ou d'alprazolam, à des doses de 10 à 30 mg, à de l'alcool. Ils entraînent une levée des inhibitions, un sentiment de toute puissance pouvant conduire à des actes impulsifs, violents. Ils sont suivis d'une amnésie lacunaire (Bouchez - 1997).

La fréquence actuelle d'utilisation des benzodiazépines chez les toxicomanes aux opiacés varie entre 40 et 100 % (Andreoli - 1985) et la fréquence des dépendances, aussi bien pour des doses quotidiennes faibles ou élevées, est estimée à environ 30 à 40 %. La voie d'utilisation la plus courante est la voie orale, mais la voie veineuse, très fréquemment utilisée aux Etats-Unis dans les années 70 (Seivewright - 1993) est encore utilisée par les héroïnomanes.

Toutes les benzodiazépines mises sur le marché sont en cause, mais certaines sont plus utilisées et particulièrement recherchées par les patients dépendants aux opiacés. Aux Etats-Unis il s'agit actuellement de l'alprazolam dénommé "football" (Schmith - 1990, Ravi - 1990) et en France du flunitrazépam (Bouchez - 1997, Lambert - 1996). Des études entreprises sur le flunitrazépam (Woods - 1997) et l'alprazolam (Ravi - 1990), basées sur des données scientifiques expérimentales et cliniques, n'ont pas permis de trouver d'explications scientifiques à cette préférence de produits notée essentiellement chez les toxicomanes aux opiacés.

Les modalités de sevrage à proposer sont multiples. Elles excluent toutes le sevrage brutal en raison de la nécessité éthique de prévenir ou d'atténuer les signes de sevrage, en particulier dans les dépendances à fortes doses, qui sont souvent intenses et mettent en jeu le pronostic vital (Tableau 1).

Ces signes de sevrage apparaissent dans un délai de 1 à 10 jours et leur intensité serait inversement proportionnelle à la durée de demi-vie des benzodiazépines (Tyrer - 1983).

Trois grandes modalités sont actuellement proposées (Schmith - 1990).>

- Une réduction progressive de la dose quotidienne de 25 % sur des cures à paliers moyens de 3 jours, jusqu'à l'arrêt total, en utilisant la benzodiazépine de dépendance (Schmith - 1990, Higgitt - 1985, Mac Duff - 1993). Le critère de surveillance est l'apparition de signes de sevrage qui entraîneront une augmentation de la durée des paliers jusqu'à la régression avant de poursuivre la réduction (Higgitt - 1985). Cette modalité utilisée dans les dépendances à forte dose d'une seule benzodiazépine, en particulier le flunitrazépam et l'alprazolam, nécessite une durée souvent longue, de plusieurs semaines.

- La substitution d'une benzodiazépine de demi-vie longue dont la dose de départ est déterminée en application des doses de conversion proposées par Schmith (Tableau II). La dose quotidienne initiale ainsi déterminée étant adaptée en fonction de l'apparition de signes de sevrage ou de surdosage, une réduction progressive contrôlée par la surveillance clinique rapprochée est entreprise jusqu'à l'arrêt total (Schmith - 1990, Tyrer - 1983, Seivewright - 1993, Petursson - 1982). Cette modalité, très largement utilisée, est basée sur le fait que le potentiel de dépendance des benzodiazépines serait inversement proportionnel à leur demi-vie d'élimination, ce qui est contesté par plusieurs auteurs (Busto - 1991, Mac Duff - 1993). Il semble en fait y avoir de grandes variations individuelles des patients.

- La substitution par le phénobarbital (Schmith, Ravi, Lerner - 1990). La dose initiale est déterminée par la table d'équivalence des doses et est administrée en arrêtant brutalement les benzodiazépines. Après une période de stabilisation de deux à trois jours, la dose quotidienne est diminuée de 30 à 60 mg par étape de deux à trois jours en fonction de la surveillance des signes de sevrage et de surdosage par un questionnaire spécifique (BWSQ) (Tableau III). La durée de la cure varie entre 14 et 21 jours. La dose initiale maximale est fixée à 600 mg. L'expérience des auteurs avec cette modalité porte sur plusieurs milliers de patients et ils concluent à son efficacité supérieure aux deux précédentes.

Des études d'autres modalités médicamenteuses ont été publiées avec des résultats intéressants, mais étaient pour la plupart limitées à de petites séries.

La carbamazépine, qui agit sur les récepteurs périphériques des benzodiazépines semble efficace (Lightigfeld - 1991) mais entraîne des effets secondaires fréquents à type d'irritabilité, d'insomnie, de trouble de la perception, d'anxiété et les rechutes sont fréquentes (Kaendler - 1987).

L'hydroxyzine a donné de bons résultats pour les dépendances au lorazépam à fortes doses (Lemoine - 1997).

Le flumazénil antagoniste total des benzodiazépines a été utilisé en double aveugle mais s'est montré peu efficace (Potokar - 1997).

La loféxidine alpha 2 mimétique mieux tolérée que la clonidine a été utilisée dans une étude randomisée en double aveugle versus la METHADONE avec des résultats intéressants sur une série de 42 patients dépendants aux opiacés, dont 50 % étaient dépendants aux benzodiazépines (Bearn - 1996). Une étude préliminaire utilisant l'abecarnil, agoniste partiel des benzodiazépines a donné des résultats intéressants dans le sevrage de dépendance à l'alprazolam (Pinna - 1997).

Les autres hypnotiques

Actuellement, en particulier en France à la suite des mesures réglementaires prises en 1985 concernant les barbituriques intermédiaires et d'autres hypnotiques (métaqualone, mécloqualone, gluthétimide), les consommations abusives et les dépendances à ces hypnotiques à fort potentiel de dépendance, fréquentes auparavant chez les toxicomanes aux opiacés, ont pratiquement totalement disparues.

Deux principales modalités de sevrage étaient utilisées pour les dépendances aux barbituriques à action intermédiaire et les autres hypnotiques utilisés à la même époque. La substitution par le phénobarbital à des doses fixées en fonction de l'équivalence des doses (Tableau II) et par réduction progressive décrite plus haut (Schmith). Une modalité, avec dose de charge initiale de 1,7 mg.kg.h-1 et évaluation selon une échelle des signes de sevrage cotée de 0 à 3 (Tableau IV), était plus efficace (Robinson - 1981) mais nécessitait une hospitalisation de 11 jours.

Les molécules récentes, tels que le zolpidem ou la zopiclone, sont apparues depuis une dizaine d'années sur le marché. Ces imidazopyridine et cyclopyrolone agissent sur les récepteurs des benzodiazépines et semblent également avoir des propriétés de potentiel de dépendance analogues aux benzodiazépines. Elles ont cependant encore été peu étudiées sur le plan clinique (Bottlender - 1997, Lader - 1997).

Modalités de sevrage des dépendances à l'alcool chez les toxicomanes aux opiacés

Depuis une trentaine d'années, on observe une augmentation de l'association des dépendances aux opiacés et à l'alcool. Une revue de la littérature, réalisée en 1982, montraient que 9 à 17 % des patients alcooliques traités étaient dépendants aux opiacés (Kaufman) et que 35 à 48 % des héroïnomanes étaient dépendants à l'alcool. Ces études montraient également que l'alcool était la substance initiale des conduites de dépendance la plus fréquente avant la marijuana.

Les modalités de sevrage des dépendances à l'alcool actuellement proposées sont très nombreuses et ne font l'objet d'aucun consensus, ni national, ni international.

La majorité de ces modalités associe deux types de traitement. Un traitement et un suivi psychothérapique intensif et rapproché avec des techniques validées et globalement superposables. Un traitement médicamenteux dont l'objectif est de prévenir ou de réduire les signes de sevrage et qui fait appel à des familles pharmacologiques très diverses.

Une étude réalisée en 1995 dans 69 % des centres éligibles de traitement de l'alcoolisme aux Etats-Unis, révélait qu'un traitement médicamenteux était utilisé dans 68 % des sevrages alcooliques. Les médicaments utilisés étaient des benzodiazépines dans 59 % des cas dont 33 % le chlordiazépoxide et 16 % le diazépam, du phénobarbital dans 11 % des cas, la phénitoïne dans 10 % des cas, la clonidine dans 7 % des cas, les bêtabloquants dans 3 % des cas et la carbamazépine dans 1% des cas. La méthode la plus utilisée était la prescription pendant trois jours d'une benzodiazépine de longue durée d'action sous surveillance rapprochée utilisant une échelle d'évaluation des signes de sevrage (Saitz - 1995).

Les mêmes auteurs ont réalisé en 1997 une méta-analyse sur les études publiées avant 1995. Les benzodiazépines sont le médicament de choix du sevrage alcoolique. Ils diminuent la sévérité des signes de sevrage et en particulier la fréquence du delirium et des crises convulsives. Les bêtabloquants, la clonidine, la carbamazépine et les phénotiazines réduisent la sévérité des signes de sevrage mais sont moins efficaces que les benzodiazépines sur le delirium et les crises convulsives.

Les auteurs concluent que les benzodiazépines sont les médicaments les plus efficaces dans le sevrage alcoolique et que les autres classes médicamenteuses sont surtout utiles comme médicament complémentaire (Mayo-Smith - 1997).

En France, une revue récente des chimiothérapies de sevrage alcoolique confirme les travaux américains avec la multiplicité des familles pharmacologiques étudiées (Paille - 1994).

Les benzodiazépines sont les produits de référence en raison de leur efficacité sur l'anxiété, l'agitation, les tremblements, les crises convulsives et le delirium. L'auteur insiste cependant sur le risque important de transfert de la dépendance alcoolique vers une dépendance médicamenteuse ce qui impose un traitement de sevrage aussi court que possible de 1 à 4 semaines.

Les benzodiazépines de préférence à demi-vie longue sont utilisées à dose forte ou à dose thérapeutique pendant des durées courtes de quelques jours à 4 semaines maximum (Salloun - 1995).

Les carbamates et le febarbamate, qui ont longtemps dominé en France cette chimiothérapie, sont actuellement délaissés en raison de leur moindre efficacité et de leurs effets secondaires. Le phénobarbital est associé au febarbamate et au difebarbamate dans une préparation médicamenteuse encore utilisée (ATRIUM®).

La carbamazépine est utilisée avec une efficacité comparable aux benzodiazépines (Ballinger - 1978, Malcolm - 1989). Ses avantages résident dans son effet anticonvulsivant et antiembrasement des aires limbiques, mécanisme incriminé dans le déclenchement des convulsions du sevrage (Ballinger - 1978). Le risque de dépendance à la carbamazépine est moindre.

Le clométiazole, GABA mimétique de demi-vie courte, a été proposé par les anglo-saxons avec une certaine efficacité mais paraît moins efficace que les benzodiazépines et est responsable de nombreux effets secondaires et n'existe en France que sous forme injectable. Les neuroleptiques sont efficaces sur le delirium mais abaissent le seuil convulsivant. Les bêtabloquants, les agonistes alpha-2 adrénergique, les inhibiteurs calciques ont une efficacité limitée sur certains symptômes mais peuvent être intéressants comme médication de complément. L'oxyde nitrique, vasodilatateur puissant (NO) est également étudié en raison de son action sur l'activité des récepteurs du glutamate mais son utilisation reste limitée en raison de ses effets secondaires (Gillman - 1990).

Les posologies des médicaments sont adaptées en utilisant l'échelle d'évaluation des signes de sevrage alcoolique.

Les modalités de sevrage des multidépendances

Elles associent les modalités de sevrage spécifiques des différentes dépendances associées. Elles doivent tenir compte des propriétés pharmacologiques et pharmacocinétiques de la substance de dépendance et des médications du sevrage et de leur interaction thérapeutique. Par rapport à la réalité clinique, très peu de travaux ont été publiés sur les méthodes de sevrage des multidépendances. Notons cependant les travaux sur l'association de dépendance à l'alcool et aux benzodiazépines (Kaufman) et sur l'association de dépendances aux opiacés et aux benzodiazépines (Bearn).

Du point de vue des traitements utilisés, on notera que :

- la carbamazépine (Lightigfeld, Ballinger), qui est efficace dans les sevrages à l'alcool et aux benzodiazépines, n'a pas été validée dans le sevrage simultané de ces deux dépendances associées à la dépendance aux opiacés.

- Le phénobarbital actif sur les sevrages à l'alcool et aux benzodiazépines pourrait être une modalité intéressante.

- par ailleurs, les sevrages simultanés des dépendances associées allongent notoirement la durée des traitements. Ainsi, le sevrage aux opiacés nécessite une hospitalisation de 7 à 8 jours, l'association à un sevrage à l'alcool et aux benzodiazépines nécessitera un traitement ambulatoire de 3 à 4 mois (Kaufman).

Notre expérience de 1981 à 1998 est de débuter le sevrage simultané des dépendances, après qu'elles aient fait l'objet d'une évaluation clinique. Ainsi, pour ce qui concerne les dépendances aux opiacés, celles-ci donnent lieu à un traitement en milieu hospitalier d'une durée de 8 à 12 jours et nous utilisons alors la clonidine. Dans le cas d'association de dépendance aux benzodiazépines, il est proposé une réduction des doses de ces produits sur une durée de 2 à 8 mois pour la majorité des cas. Pour d'autres, on opère une substitution par une benzodiazépine de demi-vie longue de type prazépam avec réduction progressive en 3 à 6 semaines.
En ce qui concerne l'alcool associé, nous utilisons pour le sevrage, pendant une durée limitée à 1 à 4 semaines, les benzodiazépines, soit après un sevrage aux opiacés par la clonidine, soit après stabilisation de l'état du patient sous traitement de substitution par méthadone ou buprénorphine haute dose.
Pour ce qu'il en est du SUBUTEX ®, les incertitudes sont encore beaucoup trop nombreuses concernant les méthodes des sevrages associées. Notons, néanmoins, la multiplication des cas de décès rapportés chez des patients traités par SUBUTEX® qui utilisaient des benzodiazépines, parfois à dose thérapeutique (Tracqui - 1997).

Conclusion

Les modalités de sevrage des multidépendances associées à celles des opiacés n'ont pas fait l'objet jusqu'à présent d'études élaborées. Elles impliquent une approche pluridisciplinaire où doivent être analysées les particularités de chaque substance psycho-active au point de vue de leurs propriétés pharmacologiques, et où doivent être prises en compte les personnalités de ces consommateurs. De plus, une connaissance approfondie des médicaments proposés est nécessaire. Ceci implique la mise en place d'études et de projets de validation des protocoles.

Tableau I
Signes de sevrage des dépendances aux Benzodiazépines (Tyrer - 1983)

Signes mineurs

Signes majeurs

- Anxiété

- Insomnies

- Cauchemars

- Irritabilité

- Spasmes

- Myalgies

- Hypotension orthostatique

-Troubles digestifs

- Tremblements

- Troubles sensoriels

- Dysesthésies

- hyperesthésies

- Délire psychotique

- Hallucinations

- Convulsions



















Tableau II
Bases de conversion du phénobarbital pour le traitement de sevrage aux benzodiazépines et autres hypnotiques (Schmith - 1990)


Nom générique

Dose (mg)

Phénobarbital

Dose de conversion (mg)

Benzodiazépines

alprazolam

1

30

chlordiazepoxide

25

30

clonazepam

2

15

chlorazepate

15

30

diazepam

10

30

flurazepam

15

30

halazepam

40

30

lorazepam

1

15

oxazepam

10

30

prazepam

10

30

temazepam

15

30

Barbituriques

amobarbital

100

30

butabarbital

100

30

butalbital

50

15

pentobarbital

100

50

secobarbital

100

30

Glycerols

meprobamate

400

30

Piperidinediones

glutethimide

250

30

Quinazolones

Methaqualone

300

30


Tableau III
Items : Questionnaire sur les signes de sevrage des benzodiazépines (Seivewright - 1993)

1. Dépersonnalisation - Désinhibition

2. Sensibilité au bruit

3. Sensibilité à la lumière

4. Sensibilité olfactive

5. Sensibilité tactile

6. Dysgueusie

7. Myalgies

8. Clonies

9. Tremblement

10. Dysesthésies

11. Vertiges

12. Sensation de malaise

13. Nausées

14. Dépression

15. Douleurs oculaires

16. Mouvements incessants

17. Hallucinations

18. Asthénie

19. Amnésie

20. Anorexie

Chaque item est coté de 0 à 2.


Tableau IV
Echelle d'évaluation des signes de sevrage barbiturique (Robinson - 1981)

Nystagmus

Somnolence

Ataxie

Dysarthrie

Labilité émotionnelle

Cotation de chaque signe de 0 à 3
Signes d'intoxication quant total >- 8


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