Implication et articulation des différents intervenants

Docteur Jean-Claude COQUS

REIMS


Ouverture

L’incarcération et l’injonction thérapeutique sont deux modalités de sevrage. Applications de la loi, elles imposent une loi des hommes, un arrêt, une contrainte par corps, un cadre. Sont-elles des modalités de sevrage ? Oui. Sont-elles efficaces ? Oui, temporairement ou en différé. Sont-elles un modèle ? Oui. Sont-elles fondées et sur quoi ? Elles sont fondées sur la situation d’un être humain dépendant, jouissant de la liberté par le corps et réalisant la limite symbolique de cette liberté. Pas de drogue sans loi. Pas de/sans. Limite de la tolérance d’une société, dans l’actualité de la consommation des drogues à l’heure du débat.

La contrainte est nécessairement une modalité de sevrage. Parce que le bébé n’est pas sevré entre deux tétées, un temps de rupture élaborant la place des protagonistes s’ouvre. De l’enfant, la réalisation dans de nouvelles capacités par la distance de l’autre. De la mère, par la loi, la nécessaire évolution de la notion d’amour, au-delà du soin nourricier, et de besoin dont ils dépendent tous deux.

Du sevrage

Nous réservons l’usage du mot sevrage au résultat durable dans les transformations successives du sujet accédant à une dimension indépendante de l’objet circonstanciel d’élection. Ceci est inhérent à une notion de progression. La nature d’objet tient à son passé révolu, à sa perte, à son interdit. Si l’acception médicalisante de sevrage au sens de manque (syndrome de sevrage), de désintoxication du produit (cure de désintoxication ou de sevrage sur le modèle alcool), de rupture avec la démarche toxicomaniaque (distance par substitution) a cours aujourd’hui, ce n’est pas sans effet de malentendu pour l’implication et l’articulation des partenaires requis.

Dans les propos des opio-dépendants, le sevrage est élaboré dès lors qu’ils expriment, chacun à leur façon hautement respectable, que la drogue c’est plus ça, que son recours ne donne plus les résultats attendus, que le manque crée les conditions d’un abandon, douloureux certes, mais adulte. Que ce qui imaginairement pourrait alors prendre sa place n’est pas un faux-semblant mais une opération qui dépasse le moyen - quel qu’il soit - pour engager le sujet.

Dans la politique d’Etat de l’interdit de la drogue et des alternatives de soins aux toxicomanes, les possibilités de soins anonymes et gratuits, les institutions spécialisées et les moyens largement utilisés de substitution visent à l’abstinence. L’abstinence ne règle pas la dépendance mais met la personne à distance de la conduite toxicomaniaque dépendogène, délictueuse et à risques. Tous les enfermements sont productifs d’abstinence pour autant qu’ils contraignent le toxicomane se tenant mal à une autre identification (toxicomane-et-rien-d’autre) à une identité de substitution : prisonnier, contraint, institutionnalisé, substitué, fidélisé. Le sevrage attendu à terme n’est remarquable que si une conception de la toxicomanie fait la place de la dépendance, prévalante sur l’opio-dépendance.

Nous utilisons la notion de trajectoires pour inscrire chaque thérapeute et intervenant à sa place, en limitant les valeurs trop sûres d’échec, de rechute, d’impuissance et de fuite en avant qui en sont le corollaire. Par exemple, la réussite d’une cure de désintoxication n’est pas fondée sur le sevrage, mais sur l’accord entre médecin et patient d’un état de maladie due à la consommation d’opiacés. La médecine, en la personne du médecin et des équipes concernées, noue un accord sur la compétence médicale en matière d’intoxication du corps somatique. Tout autre objectif est voué à l’échec à cause d’une conception réduite de l’être toxicomane. Une toute puissance en rencontre une autre qui ne fait pas trace sur la trajectoire, pour un temps qui fait penser à un mésusage des moyens efficaces dans un tempo et une présentation incongrus. Ces malentendus ont des effets durables sur les pertes de vue, les ruptures de prise en charge et la difficulté de prendre place après-coup pour une proposition qui paraît déjà épuisée et sans espoir. La relation et ses qualités transférentielles prévalent sur les moyens utilisés. La proposition ainsi formulée : "pas de prescription sans relation" offre une place au médecin, et une place aux moyens médicaux annoncés par tout intervenant dans le partenariat souhaitable de prise en charge.

L’implication

Les personnes, les lieux, les compétences s’impliquent à la demande d’une personne. Ils sont impliqués à la demande des autorités. Ils s’impliquent sur la relation de demande obligeante adressée pour une offre qui ne saurait manquer. Situation singulière d’une rencontre qui oblige. Le professionnel pour ce qu’il sait faire, pour ce qu’il veut faire et par la formation qu’il a pu recevoir, s’inscrit volontiers dans une réponse. Ce volontarisme n’est pas toujours rapporté comme un choix mais souvent comme le résultat d’une pression : c’est la dépendance du thérapeute et de l’acteur professionnel en matière de toxicomanie. Dans cette appréciation, la proposition d’une rencontre se solde par un bradage.

L’implication est donc commune, sincère et liée au contact d’un demandeur qui crée l’obligation de répondre. Répondre n’est pas donné. Mais se conjoint aujourd’hui l’obligation de moyens dont chaque acteur s’arme pour se maintenir dans ses prérogatives, en particulier de spécialiste.

L’articulation

Les personnes, les lieux, les compétences ne se déterminent pas de la même façon dans l’articulation des différents partenaires. Ce n’est pas la demande d’un patient mais la conception clinique de la toxicomanie qui suscite le partenariat. Ceci se double de l’incitation de la politique de santé à considérer les filières et réseaux comme un modèle de prise en charge. Le patient, s’il est demandeur de soins, d’accompagnement, de désintoxication, de substitution ou de sevrage, demande une relation forte et exclusive qui prouverait la pertinence de sa quête, fin de recevoir. La mise en place d’un partenariat complémentaire, dans une série d’objectifs clairement placés entre l’immédiat nouant et l’avenir diversifié, ne reçoit pas l’approbation sans réserve du patient, et amène les partenaires à des divergences souvent crispées.
On retrouve là la notion d’obligation "Je vous prends en charge de telle façon à condition que" : ceci a qualité de cadre, mais ce qui ainsi étaye la notion de cadre réduit la notion de relation supposée suffisante. De plus, la menace de l’intrusion sociale ou psychologique ne recouvre pas nécessairement le souhait à ce moment-là du sujet. Les adresses articulées, bien fondées sur la conception globale du toxicomane, doivent, pour réussir, reconnaître des priorités, des objectifs, un tempo. L’annonce de ces nécessités à venir produit meilleur effet que les obligations impératives immédiates. Cette articulation ne se conçoit qu’après avoir fait le tour de ce à quoi le patient croit et ne croit pas, les différentes recherches qu’il a pu déjà faire, l’adhésion par la prise de conscience minimum des effets somatiques, sociaux et psychologiques dans le bien-fondé de sa plainte. Les moyens de substitution en cabinet de ville, malgré les recommandations de l’AMM, en moins de deux ans, contribuent à l’éclairage de ce que représente le partenariat, et, concurremment, à la redéfinition de l’isolement que chaque partenaire ressent de manière récurrente.

Implications et articulations des différents partenaires amènent à discuter la spécificité de chaque champ, les dispositifs en place par zone régionale, le rôle moteur d’un ou plusieurs acteurs, le redéploiement efficient ou résistant des moyens mis en oeuvre, la place d’un coordinateur et la notion de réseau.

Implications

Implications des médecins dans leur cabinet

Le rôle du médecin généraliste a été porté en première ligne depuis plusieurs années. En plus de l’intérêt de médecins pour les pathologies chroniques d’addiction, l’apparition du S.I.D.A. puis des hépatites comme question de santé publique, enfin la mise sur le marché de la buprénorphine-haut-dosage, conduisent de plus en plus de praticiens à recevoir les toxicomanes comme des patients traitables. La relation reste cependant particulière et on retrouve dans les prises en charge en cabinet des implications différentes. Les formations nombreuses et variées, après la faculté, permettent de limiter les erreurs et de prendre le temps d’accueillir sans agir en urgence. La conception globale du toxicomane avec les dimensions somatiques, psychiques et sociales de la dépendance complète ces formations dans la connaissance des recours complémentaires à l’approche médicalisée.

Le moins est que le médecin reçoive un patient et, en faisant le point avec lui, qu’il l’oriente s’il ne se ressent pas de s’embarrasser du toxicomane. S’il effectue à cette place son travail de médecin, la rencontre n’est pas un non-lieu.

S’il s’estime compétent, l’essentiel est qu’il pratique la prise en charge qu’il connaît pour lui-même sans s’aventurer dans des recettes, certes licites, mais qu’il ne sait pas maîtriser.

Pour les médecins de réseau, la prise en charge offre trois propositions qui ne sont pas hiérarchiques mais appliquées à la demande le jour J.

L’accompagnement, la désintoxication, la substitution répondent à la demande de soins, sans viser forcément au sevrage comme objectif immédiat. Ces protocoles mettent en place, avec des effets immédiats et des effets différés, une relation thérapeutique qui apparaît de plus en plus source de continuité et de coordination.

L’avancée médicale récente repose les questions de la médecine générale et d’une pratique spécialisée par le médecin formé, du libéral et de l’institutionnel, des différentes acceptions de ce qui est recommandé sous le terme générique de psychothérapie. Il apparaît que le suivi d’un toxicomane dans une relation médicale a des effets psychothérapeutiques. Le maintien durable d’une relation thérapeutique avec le médecin diffère la psychothérapie qui ne saurait être une adresse obligatoire comme condition injonctive. Au contraire, la relation d’un toxicomane à un médecin qui assure un traitement laisse penser au patient qu’étant soigné, il n’aurait pas besoin - pas immédiatement en tout cas - d’une démarche complémentaire. C’est le leurre du bon médicament de la toxicomanie, mais c’est aussi la qualité de la relation qui s’impose. Les adresses obligatoires, forcées, conditionnelles et ne tenant pas compte d’un tempo engendrent plus de malentendus et de ruptures de soins que de thérapies efficientes, comprises et durables. L’attente des psychologues, et en particulier des thérapeutes des institutions spécialisées, n’est ainsi pas satisfaite. Risque de réduction par le médical ou place indispensable du médecin traitant, tels sont les pôles pour indiquer en son temps avec l'adhésion du patient une articulation pour une prise en charge efficace tant sur le manque que sur la dépendance.

Reste que le médecin qui n’a pas le temps, qui ne peut dégager un temps de consultation répétée, qui pare à ce qu’il estime être le plus pressé selon un modèle de traitement symptomatique ou de décision médicamenteuse, occupe rarement cette place décrite. Recevoir une file active importante de toxicomanes est un autre écueil qui montre ses limites du côté de la réduction de la prise en charge globale ou articulée. Par exemple, résultat d’une enquête récente, des médecins recevant de nombreux toxicomanes ne peuvent plus les compter et les singulariser.

Le partenariat ponctuel avec le psychiatre, autre médecin, pour avis sur la psychopathologie sous-jacente un temps masquée par l’intoxication installée, est fréquemment utilisé. La demande de partenariat avec les institutions spécialisées correspond aux cas d’emblée ou secondairement les plus complexes quand les moyens institutionnels, pluridisciplinaires, de séjour, d’hébergement, d’accompagnement 24h/24 s’avèrent indiqués. Le médecin a souvent à se plaindre du peu de retour partenarial dans ce cas. Comme si l’adresse par un médecin à une institution signait le refus, le désengagement, l’incompétence de l’envoyeur. Le téléphone est plus efficace que la lettre pour réduire les malentendus dommageables pour tous, et d’abord le patient. Les rapports avec les services hospitaliers, renouvelés depuis le retour des toxicomanes en services spécialisés d’infectiologie et d’hépatologie, et en psychiatrie pour des lits réservés aux cures de désintoxication, sont aussi l’objet de travaux de préparation en amont et de préparation à la sortie en aval par le médecin traitant.

Les traitements de substitution ont marqué l’implication des pharmaciens d’officine en tant que premier partenaire des médecins. Très demandeurs et actifs dans les formations le plus souvent communes avec les médecins, ils tiennent une réelle place de partenaires dans l’initiation et le suivi quotidien des premiers temps de délivrances serrées selon les recommandations. Les échanges confidentiels, avec l’accord du patient, enrichissent les éléments d’évaluation des résultats de la prescription. De vendeur de seringue anonyme et de codéines incontrôlées qu’ils étaient, les pharmaciens d’officine deviennent des intervenants en toxicomanie dans un rôle autrement intéressant.

Parce qu’ils sont impliqués par une politique de santé publique et d’Etat, les différentes compétences se situent d’abord comme des lieux reconnus, comme étant par exemple spécialisés.

Lieux institutionnels

Les institutions spécialisées, nées de l’après 1970, donc de l’insuffisance des structures et compétences contemporaines, travaillent depuis vingt-huit ans sur les acquis de cette nécessité. Reprenant le plus souvent dans leur raison sociale les mots Toxicomane, Centre, Association, Service, Soins, Aide, Accueil, elles auront été des lieux référents qu’ils ne sont plus toujours aujourd’hui dans le redéploiement des moyens. Ils présentent souvent leurs offres de soins comme ayant une histoire, un passé, une notoriété. Leur place nécessaire, reconnue de tous, laisse entendre une argumentation théorique indispensable, mais à la fois une revendication de droits acquis nourrissant des polémiques moins dignes. Que l’Institution soit pluridisciplinaire, souvent riche en personnels de tous les champs - ce qui fait entendre qu’ils n’auraient besoin de personne - ou sans grands moyens, en situation précaire quant à la pérennisation de leur offre, sociale, psychologique, limitée en capacité d’ouverture, sans moyens d’hébergement, nourrit une attitude défensive grevant l’inscription dans les dynamiques de réseau qui les décentrent. L’obtention de l’offre de méthadone en est un effet, même si leur point de vue critique sur la place de la substitution côtoie leur place de spécialiste obligé par ce nouveau moyen.

Les Institutions spécialisées, en remaniement, proposent plus souvent des filières qu’une concrète participation aux réseaux. Lorsqu’elles s’intègrent aux réseaux, elles revendiquent, ou bien de recevoir les cas les plus lourds, ou bien font des offres de collaborations marquées par la nécessité de leur place. Mais ceci, qui ne retire rien à leur spécificité, s’avère aujourd’hui non systématique et ne propose pas d’articulation diversifiée en fonction des cas. Pourtant, être un recours fait partie de leur mission et accepter le redéploiement ne dévalorise pas leur place qui est indispensable. Leur implication est réelle et sincère, mais les articulations sont difficiles et source de retard pour un consensus.

Les institutions qualifiées de postcure, attachées ou pas aux lieux de soins, fournissent un très riche répertoire de lieux d’hébergement, d’encadrement et d’accompagnement dans le temps de l’abstinence ouvrant à un possible sevrage. Leurs références sont variées, à la ville ou à la campagne, en milieu thérapeutique ou de réinsertion, avec des moyens humains irremplaçables pour la qualité de leur présence physique et leur disponibilité 24h/24. Lieux protégés, elles ont l’exigence d’autonomiser et, tout particulièrement, d’évaluer et de traiter les dépendances en dehors de la drogue afin que la réussite durable de l’abstinence aboutisse à la réalisation de ce qu’aura été la drogue pour l’économie psychique de la personne.

Obligées par leur raison d’être, elles s’impliquent au nom d’une théorie, d’une conception de la toxicomanie ou d’une offre spécifique qui ne les mettent pas nécessairement à la place de recours immédiat. Elles peuvent ainsi se plaindre de devoir faire du social et d’être convoquées pour résoudre des précarités.

Le rôle des lieux et personnes du champs social

s’avère ainsi très présent dans la trajectoire des patients. Non spécialisés en toxicomanie, ils ont une sérieuse approche de ce qu’on nomme volontiers " la rue " et des réalités de la vie quotidienne d’un toxicomane, notamment pour l’aspect dépendance relationnelle, sociale et financière d’un patient en traitement. Ils peuvent en apprendre à tout thérapeute quant à ce qui se passe pendant une prise en charge, entre deux consultations, lors d’une rechute ou d’une perte de vue au cours d’un traitement même s’il semblait bien marcher. Il est plus utile de partager les points de vue entre thérapeute, animateur ou éducateur spécialisé, que de rester soi-disant à sa place et stigmatiser le profil menteur et manipulateur des consommateurs de drogue. A moins d’être en cure individuelle déjà reconnue comme lieu intime sur le modèle psychanalytique, quand le langage, l’écoute et le transfert sont à l’oeuvre, les articulations entre tout thérapeute et les travailleurs sociaux hors institution spécialisée et cabinet limitent les ruptures.

Les assistantes sociales et les services d’aide des communes, ainsi que les services économiques sont systématiquement sollicités pour trouver les moyens d’accès aux soins, d’inscriptions et d’insertion qui sont un traitement de la dépendance sociale à la drogue.

Ces partenaires de la prise en charge sont classiquement formés à l’adresse aux lieux spécialisés. Mais ils redécouvrent progressivement l’intérêt du travail de proximité avec les compétences du lieu, du quartier, de la petite ville, des zones rurales, tissant un réseau de première approche évitant de précipiter l’envoi ailleurs sans élaboration de la demande.

Les services hospitaliers

impliqués dans le dispositif de soins aux opio-dépendants par secteur et par zone se sont diversement offerts à la réalisation de cette mission. Comme quoi, hormis les institutions strictement spécialisées, les autres lieux et compétences s’inscrivent par les personnes et leur intérêt. Les services d’urgence, les services généralistes, les services d’infectiologie, d’hépatologie et les services de psychiatrie peuvent s’imposer selon les régions comme services d’accueil ou d’hospitalisation, avec des équipes préparées et formées. Il existe en général des services connus pour leur capacité, et des services connus pour leur réticence qui devient une incapacité. En effet, on ne force pas un service sur le dos du patient ; on forme une équipe sous l’autorité de médecins responsables. Ainsi se dégagent des filières hospitalières avec une offre spécifique comme, par exemple, l’attribution de lits inter-secteur réservés aux toxicomanes, des services de psychiatrie à orientation " addictions ", des services spécialisés infectieux ou hépatologiques faisant des prises en charge globales, des services de médecine générale acceptant quelques patients en file discrète. Les services d’urgence offrent un accueil extrêmement variable comparable au sort réservé à d’autres types de pathologies comme l’alcoolisme. Des services hospitaliers ont pris a leur compte le dispositif de réseau pour officialiser des réseaux dits "ville-hôpital" qui donnent des résultats dépendants du nombre de flèches et des sens qu’elles ont, entre ces deux mots associés.

La place des psychologues, psychothérapeutes et psychiatres

est liée à la définition de ce que l’on entend par psychothérapie et effet psychothérapeutique.

La psychothérapie mêle le normal et le pathologique par le mot-même et la diversité de ce qu’il recouvre.

- La notion de thérapie connote une anomalie qui serait accessible par l’action d’un tiers vers une évolutivité favorable, voire la guérison ou le sevrage.
- La notion de "psychisme" ou "psychique" définit un mode d’existence de l’être humain. Deux approches s’opposent : ou bien ce terme répond du système nerveux central et son fonctionnement intriquant le somatique et la personnalité ou structure ; ou bien il fait théorie de la dualité complémentaire du psychologique hors le corps, avec le somatique. Ces deux approches ne résolvent pas la quadrature du cercle.

C’est donc un terme riche mais confus, source d’approches créant autant des ouvertures que des malentendus produisant des fermetures. On laissera là l’effet le plus radical de rejet, de refus, d’exclusion : excès biologique totalisant, dérision idéologique ou refoulement personnel. Ces considérations respectables peuvent s’imposer à tout moment chez chacun - patient, entourage ou médecin - et nécessitent un accompagnement didactique le temps d’une compréhension pour convenir de la place - même si celle-ci reste vide transitoirement - du "psy". Le psy : une manière simple de dire ce complexe.

La psychothérapie, avec ses effets attendus, mêle le subjectif, transmis comme ressenti par le patient, et l’objectif, mesuré selon des critères scientifiques - par le thérapeute. Ce dernier se doit de préciser les critères auxquels il se réfère.

Au passage, le médecin comme nous en parlions plus haut n’est pas étranger dans son art à la qualité de thérapeute différent de soignant. Les thérapeutes rassemblent des intervenants médecins, soignants et non médicaux. Ici par expérience, par constat quotidien des soignants et des psychologues, l’idée d’"effets psychothérapeutiques" étend à toute présence humaine professionnelle et aussi non professionnelle les actes efficients. La rencontre compte.

Si le médecin se dit non psychologue, ne faisant pas de psychologie, somaticien ne souhaitant pas s’engager dans une relation pour laquelle il n’est pas formé ou qu’il ne souhaite pas pour lui même, sa position n’épuise pas pour autant l’effet psychothérapeutique que le patient exprime ou que les confrères repèrent lors d’exposés de cas. Cette dimension de l’acte et de la relation médicale est repérée et admise comme inhérente à l’exercice médical, pour indiquer une psychothérapie à son patient. Sinon, cette indication, aussi pertinente soit-elle, remanie toujours, bouleverse parfois la relation médecin/malade, thérapeute/patient. Il existe un temps pour l’accompagnement - chaque médecin le fait à sa façon -, un temps pour compléter le médical par une autre thérapie, mais le médecin reste, à sa place, celui qui aura entendu et orienté.

Mêlant le normal et le pathologique, l’indication de psychothérapie peut avoir un effet de soulagement pour le médecin qui fait bien son travail, limite son savoir dans son champ de compétence et propose aide à son patient. Mais elle peut avoir, à l’opposé, un effet redoutable de lâchage et de diagnostic péjoratif, source d’inquiétude pour le patient. Sont ainsi souhaitables :

- un minimum de conscience de ces notions explorant la relation,
- un minimum de formation sur les pathologies de ces patients quant à leur incidence psychique,
- du temps,
- des partenaires connus du champ de la psychothérapie,
- un partage des compétences en réseau de personnes,
- des critères d’évaluation des effets attendus et réalisés, précisant les moyens et les résultats.

Les psychanalyses - que l’on peut rapprocher de ces psychothérapies - se démarquent d’abord en ne répondant pas à la dualité normal/pathologique. Elles peuvent être indiquées mais elles demeurent des démarches personnelles, un investissement, une quête, une aventure particulière, parfois secrète. Les effets sont repérables en médecine, mais avec des arguments culturels extraterritoriaux pour le corps médical, souvent mal compris.

Car les psychanalyses n’empêchent pas le patient de venir se plaindre. Il s’agit de savoir comment l’écouter, dès lors qu’il "est en analyse". La confrontation constructive entre médecins, psychothérapeutes et psychanalystes, lorsqu’un cadre de travail est sagement élaboré, peut limiter les malentendus, conforter chaque praticien dans sa fonction, même si des tensions sont à attendre - comme on dit : " pour le bien du patient", et , de surcroît, pour le médecin. On peut ici parler de médecine moderne, avec des médecins à l’aise avec la dimension du sujet, laissée pour compte depuis cent ans, masquée entre autre par le succès des sciences appliquées en médecine, avec les excès que l’on sait. Ici, la désintoxication et la substitution comme traitements de la toxicomanie recèlent à la fois le progrès et le refoulement.

La psychologie et les psychothérapies sont largement intégrées à la médecine d’aujourd’hui. Mais ceci ne suffit pas à en faire une panacée aisément maniable de la médecine moderne. La médecine actuelle, scientifique, technique et biologique, tend à tout expliquer et à répondre à tout en médicalisant les réponses. Conscient d’une tentation illusoire de toute puissance, remarquable en cas d’addiction aux opiacés, le médecin mal à l’aise sur ces prescriptions peut alors faire valoir "qu’il y a autre chose" de non médical.

Ici, la place des psychothérapies se catégorise en :

- indication supplémentaire des manuels de thérapeutique médicale. Cette place est tellement fréquente que l’on peut se demander si elle n’indique pas un dualisme mal interrogé entre somatique et psychique.
- une indication nécessaire de maintenir le patient en soins dans un suivi médical assuré. Il s’agit là d’un complément aux fins médicales.
- une indication principale. Là, le médecin a sans doute des moyens médicaux mais il n’attend pas de ceux-ci une mobilisation du sujet telle qu’il puisse éthiquement en rester là. Ceci définit, entre autres, les demandes de patients qui pourraient répondre aux effets des produits psychotropes coprescrits.

Ainsi les partenaires psychothérapeutes semblent d’autant plus retenus qu’ils reçoivent un patient sans viser à la drogue : psychopathologie, symptômes d’une structure, dépression, etc. L’accompagnement psychologique du traitement médical d’une part, l’émergence d’une investigation singulière d’autre part, sont deux aspects de ce même " psy ". La notion de psychothérapie scelle donc l’enjeu essentiel de ce que chaque partenaire réalise.

Articulations

1. Les relations d’un patient

à ces lieux et personnes choisis contribuent à un premier mode d’articulation. Spontanées, elles se présentent sous l’image d’une chaîne, articulée certes par les début et fin partiels de prise en charge, passage fulgurant, début de fidélisation, refus de poursuivre, disparition. L’articulation est horizontale temporelle sans lien entre les personnes. Recherche de réponses successives sans que le patient en quête ne dépasse la réponse immédiate comme satisfaisante ou ne retienne les propositions plus conditionnelles comme acceptables, cette articulation est la chaîne sans tiers reconnu. Ainsi, chaque acteur sur la trajectoire du toxicomane peut être à son tour une borne sur le chemin sans pouvoir rendre compte d’une suite au moment des rencontres. Le nomadisme ainsi que les désillusions successives entretiennent le doute des médecins, en particulier sur les modes d’assurance que leurs prescriptions légitimes pourraient avoir en installant des procédures de contrôle des patients par une instance référente. Nous n’en somme pas là et la bonne conduite de l’acte médical, la prescription dans une relation suivie, les délivrances fractionnées, le partenariat avec le pharmacien, l’inscription dans le social et les rapports à l’entourage limitent ces réserves - même pour un praticien non encore utilisateur d’un réseau.
Les services économiques, l’aide départementale, la Sécurité Sociale, les inspections régionales de pharmacie, les Comités de Suivi sont des partenaires qui permettent d’articuler nos évaluations en utilisant des sources toutes partielles et incomplètes. Mais à un moment de sa trajectoire, lorsqu’un lien privilégié installe la prise en charge, le patient, sur conseil ou par besoin, se sert des différents champs utiles. Avec son accord, doucement et sans le faire à son insu, des articulations complémentaires prennent alors l’image d’un triangle ou d’un bouquet entre les mains du patient. C’est le réseau du patient, sans formalisme aucun.

2. L’institution

pluri- ou multidisciplinaire est une forme d’articulation en un lieu des différentes compétences. Entretien d’accueil, soins immédiats, consultation sociale sur les droits et les situations judiciaires, proposition ambulatoire ou hébergée. C’est la grandeur de ces lieux hautement spécialisés par tous ses professionnels, qui pousse cependant à l’autonomie autarcique. Les partenaires d’amont sont des envoyeurs qui se débarrasseraient du toxicomane, et en aval, peu de salut. Ces centres, comme d’une autre manière les hôpitaux, tendent à mettre en place des réseaux centro-centristes qui ne peuvent longtemps ignorer la diversité des résultats liés à son fonctionnement, par manque d’articulation avec l’extérieur, l’avant et l’après du patient institutionnel. Ce que l’envoyeur, professionnel ou familier, et le patient lui-même attendent d’une telle spécialité n’est pas toujours la prise en charge globale unique. Les liens antérieurs du patient ne sont pas lettre morte et son inscription à la lettre dans les protocoles peut, en travaillant à l’abstinence par exemple, déclencher des écarts qui peuvent être difficilement reprenables. L’articulation entre les différentes compétences s’appuie sur un solide travail d’ouverture et de synthèse, mais on sait que ces dispositifs ne réduisent pas les questions qui continuent de se poser comme ailleurs et dans la rue.

3. Les arbres décisionnels

pour les médecins, les filières, lien minimum d’une mise complémentaire, donnent une image médicalisée de la prise en charge sans réelle articulation autre qu’une succession de moyens. On peut évoquer ici les expériences en cours pour la préparation à la sortie des toxicomanes incarcérés. Des incitations officielles à entreprendre un traitement de substitution, puis bientôt une utilisation d’antagonistes purs, fondent l’articulation entre l’intérieur carcéral et l’extérieur de liberté sur l’apport des médicaments. Reste que le partenariat dans et hors les murs et les modalités pour maintenir un sujet abstinent dans les retrouvailles avec la vie sociale et ce qu’il sait en faire constituent un objectif sérieux pour améliorer le partenariat.

4. Les réseaux

pour ce qu’ils collent à la réalités des lieux, des personnes et des compétences dans une région. Deux métaphores imaginarisent cette intention : d’une part celle de la mise sous tension des contacts existant pour un patient ; d’autre part celle d’un filet, suffisamment fin pour recevoir à tout moment tout patient lâchant prise, mais point trop tendu afin de ne pas faire rebondir et disparaître ce dernier dans un espace hors de portée ! Récupérer les toxicomanes dans leur trajectoire sans rompre tous les liens sous prétexte de l’échec d’un seul, telle est l’idée du réseau. Nous donnons en annexe un exemple de mise à disposition des partenaires d’un département à l’adresse de tous les acteurs impliqués. Toute personne, à sa place, interlocuteur valable dans le moment d’une rencontre, est formée pour accueillir sans urgence et orienter selon les cas, en connaissant d’abord les partenaires du patient et ensuite les compétences requises de proximité. Dans un secteur géographique limité à un département et ses zones limitrophes, le réseau connaît et fait connaître les offres, les lieux, les compétences et les personnes. Afin qu’une orientation précise soit réussie, celle-ci nécessite une préparation avec un acteur principal, tenant compte des conseils des collègues dont ce dernier s’entoure. Cet acteur principal ne lâche pas son patient et reste un recours en cas de difficultés. Ce qu’on appelle hâtivement rechute par exemple, ou exclusion d’un traitement - si ces difficultés sont traitées rapidement - est une pierre sur le chemin qui n’aboutira pas à une reprise toxicomaniaque, une fois de plus incomptable. Les échecs apparents, repris avec un patient qui recouvre ses esprits et réalise son acte, permettent de réduire les temps toujours trop longs de perte de vue.

Ainsi fonctionne le réseau du coordinateur. Les articulations dans une région qui ne manque pas gravement de moyens dépendent des personnes. Chaque lieu et chaque compétence (le médical, le social, le psychothérapeutique), chaque mode d’activité (le libéral, l’hospitalier, l’institutionnel spécialisé) reconnaîtra en temps réel pour un patient, et en réunion d’étude de cas pour la formation, ceux sur qui il peut compter. Nous en sommes à l’époque de la diversification, et donc à l’accumulation d’offres. Il s’agit de ne pas accélérer le tournis de la quête, mais au contraire d’accompagner dans des démarches adaptées, ce qui exclut la prévalence des filières.

Le sevrage, dans notre acception, sera ce qu’un patient repérera un jour quand la drogue, sa consommation et la dépendance psychique à cette trajectoire seront mis à distance pour la vie reprise selon ses désirs. L’accompagnement encore, dans l’abstinence, nécessitera des partenariats. Car désintoxiqué et traité, substitué ou abstinent celui qui aura été toxicomane reconnaît longtemps encore un don sinon un goût pour les dépendances.

Chacun, passant, s’appliquera à la rencontre.


Annexes

I. Trajectoire de Toxicomane

II. Tableau sémantique

III. Plaquette

Réseau Ville-Hôpitaux-Associations et autres partenaires
pour les Toxicomanies - Marne 1997

IV. Bibliographie









TOXIQUE

effet aigu

INFRACTION

DELINQUANT (peine)

TOXICOMANIE

" MALADIE et DELIT"

MALADE (traitement)

ADDI

MANIE

répétition

dépendance



CTIONS

SA DROGUE

CONSOMMATEUR DE DROGUE

- toxicomane

- occasionnel

- autothérapie

- polydéfonce

CE QU’IL EN FAIT

OBJETS

REPRESENTANTS

 

ACTES

SUJET


ARBRE SEMANTIQUE

Docteur Jean-Claude COQUS

Actualisation 1997