RAPPORT DE RECHERCHE SUR LES AGRESSEURS SEXUELS

 

Responsable scientifique

 

Dr Claude BALIER

Psychiatre. Psychanalyste. Chargé de Mission auprès de la Direction Générale de la Santé. pour la rédaction d'un rapport sur la mise en  place de traitements pour les auteurs d'infractions sexuelles.

 

Directeurs scientifiques

 

André CIAVALDINI

Docteur en Psychologie Clinique. Psychanalyste.

Chargé d'enseignement à l'Université Pierre Mendès-France. Grenoble 2..

PARI (Psychothérapies. Applications et Recherches Intersectorielles - CH de St Egrève).

Centre de santé, 23 avenue Albert ter Belgique. 38000 GRENOBLE. Tél. : 04 76 87 62 40 poste 3318.

 

Martine GIRARD-KHAYAT

Docteur en Psychologie Clinique. Psychanalyste.

PARI (Psychothérapies. Applications et Recherches Intersectorielles - CH de St Egrève).

Centre de santé, 23 avenue Albert 1er Belgique. 38000 GRENOBLE. Tél. : 04 76 87 62 40 poste 3318.

 

Juin 1997

 

On trouvera ci-après, l'essentiel des données qui figurent dans le rapport.

 

                        La recherche sur les agresseurs sexuels, réalisée pour le compte de la Direction Générale de la Santé, cherche à évaluer le fonctionnement psychique des sujets auteurs de délits et crime sexuels, afin de potentialiser les actions thérapeutiques menées par les équipes de soins auprès de ces sujets.

 

Cette étude a nécessité la construction d'un outil spécifique de recueil de données (QIPAAS = Questionnaire d'investigation Pour les Auteurs d'«Agressions Sexuelles»). Chaque agresseur fut reçu une moyenne de 3 entretiens pour un temps total moyen de 3h3O, ce à quoi il faut ajouter 1 passation d'épreuves projectives (Rorschach et TAT) pour un sous échantillon de 30 d'entre eux.

 

Ont coopéré scientifiquement pour la mise en œuvre de ce travail :

 

- le PARI (Psychothérapies, Applications et Recherches intersectorielles), CH de Saint Égrève,

3812 SAINT ÉGRÈVE, M. A. CIAVALDINI et Mme M. GIRARD-KHAYAT pour la direction scientifique ;

 

- le Laboratoire de Psychologie Clinique de l'Université de Paris V, dirigé par Mme le Professeur C. CHABERT;

 

- l'Unité 302 de l’INSERM, Mmes F. CASADEBAIG et N. QUEMADA (CCOMS).

 

 


SOMMAIRE

 

            1 - Données socio-démographiques

            2 - Nature des délits et des récidives

            3 - Reconnaissance du délit

            4 - La victime

            5 - Que se passait il avant le délit dans la vie psychique du sujet à propos de l'acte délictueux?

            6 - Les événements, attitudes psychiques et comportements précédant l'acte délictueux

            7 - Que se passe t'il psychiquement pendant l'acte ?

            8 - Les vécus après l'acte délictueux

            9 - Les caractéristiques de l'acte d'agression

            10 - La vie sexuelle de l'agresseur en dehors de l'acte d'agression

            11 - Les angoisses

            12 - Les représentations de la folie

            13 - Les phobies, les peurs et les passions

            14 - L'activité onirique

            15 - Les difficultés relationnelles

16 - Les comportements relationnels et émotionnels avant et pendant l'incarcération

            17 - Les vécus d'enfance et d'adolescence

            18 - La vie familiale et l'insertion sociale

            19 - Les épreuves projectives

 

            Pour conclure

 

 

La recherche sur les agresseurs sexuels, réalisée pour le compte de la DGS, cherche à évaluer les fonctionnement psychique des sujets auteurs de délits et crimes sexuels, afin de potentialiser les actions thérapeutiques menées par les équipes de soins auprès de ces sujets

 

Cette étude a nécessité la construction d’un outil spécifique de recueil de données (QIPAAS = Questionnaire d’Investigation Pour les Auteurs d’“Agressions Sexuelles“). Chaque agresseur fut reçu une moyenne de 3 entretiens pour un temps total moyen de 3h30, ce à quoi  il faut ajouter la passation épreuves projectives (Rorschach et TAT) pour un échantillon de 30 d’entre eux.

 

 

L'étude compare deux populations, l'une composé de 176 cas d'auteurs d'agressions sexuelles, toutes qualifications judiciaires confondues et 32 témoins ou "non agresseurs sexuels" (désignés encore par le terme "Témoins"), tous incarcérés pour violences physiques ayant ou non entraîné la mort, avec ou sans intention de la donner, mais sans antécédent de crime ou de délit sexuel. L'étude a été-, mené auprès de 18 SMPR, CD et MA répartis sur le territoire national français.

1 - Données socio-démographigues

Notre population d'Agresseurs Sexuels est plus âgée que celle incarcérée pour violence physique (moyenne d'âge des Cas = 40 ans). Dans leur très grande majorité de nationalité française (95%) avec pour les trois quart d'entre eux des parents d'origine française, (il y a significativement moins d'Africains du Nord chez les Cas que chez les Témoins). Les Agresseurs sexuels, ici en parité avec les Témoins, présentent un plus faible niveau de scolarisation que la moyenne des sujets incarcérés. Pour autant, au premier abord, ils présentent une meilleure intégration dans la vie professionnelle que les Témoins, ainsi qu'une meilleure insertion dans celle-ci, puisque un sur six est un cadre (1 sur 33 chez les Témoins).

De l'ensemble du croisement des données socio-démographiques et des catégories judiciaires utilisées dans la recherche, il apparaît que la catégorie des violeurs d'adultes se dégage comme particulièrement fragile sur le plan de son insertion sociale. Ce sont certes les plus "jeunes" de notre cohorte mais ils présentent un niveau d'éducation bas ; ils ont le plus faible niveau de formation professionnelle et la plus instable insertion professionnelle à la date des faits ainsi que la plus délicate autonomiie financière

2 - Nature des délits et des récidives

 

Catégories utilisées dans la recherche

n cas

%

 

Viol sur mineur < 15 ans non incestueux

26

15%

Viol sur mineur < 15 ans incestueux

26

15%

Viol sur sujet “adulte“

26

2 6%

Agression sexuelle sur mineur < 15 ans non incestueux

51

29%

Agression sexuelle sur mineur < 15 ans incestueux

11

6 %

Agression sexueIle sur sujet "adulte"

16

9%



Deux tiers des Agresseurs sexuels sont incarcérés pour la première fois, mais près de la moitié sont des récidivistes avec une moyenne identique dans les deux cohortes de trois récidives par sujet et un âge moyen à la première incarcération de 27 ans chez les Agresseurs sexuels. Ce sont les agresseurs de mineurs non-incestants qui récidivent le plus et les violeurs de mineurs incestants qui récidivent le moins. Cependant pour les sujets incestants un sujet sur trois admet que la conduite délictueuse avait un caractère de régularité dans sa vie.

 

Une analyse qualitative des récidives dans Ies deux cohortes montre, de manière discriminante, que l'on ne rencontre aucune ILS chez les Cas, pas plus que l'on ne rencontre da problèmes judiciarisés d'alcoolisation chez les Témoins.

Par contre, la récidive sexuelle est un risque constant pour les Agresseurs sexuels et occupe au moins la moitié des récidives, avec le fait que plus le nombre de récidives augmente, plus augmente le risque que la récidive soit sexuelle, mais plus augmente aussi l'éventualité de l'atteinte physique violente aux personnes.

Chez les sujets récidivistes, les condamnations o u les incarcérations antérieures n'ont provoqué aucune transformation psychique par rapport aux sujets "primaires". Ainsi, une fois en dehors d'un cadre iudiciaire et/ou pénal, ils ne chercheront pas à tenter une démarche thérapeutique dont aucun bien-fondé ne leur apparaît.

 

3 - Reconnaissance du-délit

 

Reconnaissance du délit

Catégories judiciaires

Totale

Partielle

Pas du tout

Viol sur mineur < 15 ans non incestueux

35%

46%

19%

Viol sur mineur < 15 ans incestueux

35%

54%

12%

Viol sur sujet "adulte“

31%

58%

11%

Agression sexuelle sur mineur < 15 ans non incestueux

57%

25%

18%

Agression sexuelle sur mineur < 15 ans incestueux

50%

40%

10%

Agression sexuelle sur sujet “adulte“

31%

56%

12%


Reconnaissance du délit en fonction de la catégorie judiciare
(Les chiffres représentent les pourcentages par catégories)

Moins de un agresseur sur deux reconnaît totalement l'acte déIictueux, mais si l'agresseur fut lui-même agressé dans son enfance ou adolescence, il reconnaît plus fréquemment les faits. Ce sont les violeurs de mineurs non incestants qui présentent le plus de réticence à reconnaître les faits.
L'alcoolisation entraîne une réticence à la reconnaissance de l’acte, en revanche si le sujet évoque l'acte comme une impulsion, il en reconnaîtra plus facilement totalement les faits.

 

Lorsque la reconnaissance de l'acte est totale, il y a moins de plaisir évoqué pendant l'acte et plus d'apaisement. Lorsqu'un sujet a lui-même subi une agression sexuelle dans son enfance, il reconnaÎtra plus facilement totalement les faits.

Lorsque la reconnaissance est partielle, chez les violeurs d'enfants ou d'adulte ce qui ne sera pas reconnu en premier est l'intrusion corporelle, chez les autres agresseurs ce sera le fait de l'acte d'agression et la victime sera présentée comme "séductrice" ou "consentante". Cependant, pour tous les agresseurs ce qui est en filigrane refusé en permanence, c'est la violence.

La reconnaissance totale du délit est un indicateur sur lequel un travail thérapeutique pourra s'appuyer.

4. La victime



Les agresseurs sexuels connaissent plus fréquemment leur victime que les Témoins. L'âge de la victime a de l'importance pour un auteur sur 3, mais concerne moins les auteurs d'actes incestueux, les plus concernés, étant les auteurs d'agression sur sujets de moins de 15 ans. Chez ces derniers, l'âge de préférence pour le choix d'une victime est inférieur à 15 ans. Quand il y a un âge de préférence, la victime est le plus souvent de sexe masculin. Si l'agresseur a lui même été agressé dans l'enfance, il accorde plus souvent de l'Importance à l'âge de !a victime.

Le sexe de la victime est important pour un agresseur sur deux, dans un tel cas la victime est moins souvent un mineur. Les agresseurs agressés dans l'enfance ont plus souvent une victime de sexe masculin.

Le choix de l'âge de la victime est un révélateur de l’homoérotisme du sujet.

Au moment de l'agression, les qualités humaines de la victime disparaissent pour l'agresseur sexuel.


5. Que se passait il avant le délit dans la vie psychique du sujet à propos de l'acte délictueux?

Un tiers des agresseurs sexuels ont eu d'autres comportements susceptibles d'être jugés comme délictueux mais non judiciairisés, dont près de la moitié d'entre eux sont de même nature que !e délit. Dans la moitié des cas, ces comportements sont apparus à l'adolescence et dans un sixième dans l'enfance du sujet.

Un agresseur sur quatre avait déjà pensé à l'acte délictueux avant de passer à l'acte mais, en règle générale, l'aspect dangereux n'est pas perçu. L'acte délictueux apparaît comme une stratégie anti-dépressive face à l'impossible maîtrise de la montée d'excitation.

6. Les événements, attitudes psychiques et comportements précédant l'acte délictueux

Pour plus d'un tiers des agresseurs sexuels, l'acte d'agression s'est passé dans une période particulière de leur vie. Les événements cités semblent indiquer que perdure une situation traumatique ancienne faisant que ces sujets ont du mai à traiter les signaux de "perte objectale". Il est confirmé que l'acte délictueux surgirait en lieu et place de la défaillance de leur capacité dépressive. 

L'alcoolisation est présente dans un tiers des passages à l'acte. Près de la moitié des agresseurs reconnaissent qu'une impulsion est à l'origine de leur acte. La présence de cette reconnaissance est un élément favorisant sur le plan thérapeutique.

Presque un quart des agresseurs a eu une "pensée" ou une "image" avant le déclenchement de l'acte mais qui semblent se présenter sous le statut d'une quasi  hallucination indiquant des éprouvés proches de la dépersonnalisation signant une abolition subjective face à la montée excitative. Le surgissement de l'acte se déroule donc dans un climat d'effacement du processus de représentation psychique.

7 – Que se passe-t-il psychiquement pendant l'acte?

C'est principalement un éprouvé d’apaisement que procure l'acte délictueux.
Retour au "calme" qui suit le sentiment intérieur d'un dépassement par l'excitation au moment du déclenchement de l'acte. Ce dépassement est vécu par les sujets comme étant inquiétant, d'autant plus qu'ils perçoivent l'impossibilité d'un contrôle et l'effacement de leur limites subjectives. Ainsi, un agresseur est il plus acteur de son acte qu'auteur.

Le fait de se sentir "anormal" au moment de l'acte, constitue un bon indicateur thérapeutique.

Enfin ces sujets semblent pour une grande part d'entre eux incapables d'évaluer leur degré de dangerosité.

8 - Les vécus après l'acte délictueux

Honte et culpabilité sont indifférenciées par les agresseurs. Si la honte est plutôt celle d'avoir perdu le contrôle de soi, la culpabilité est inefficace et révèle donc une incompréhension de la dimension délictueuse de l'acte. Elle pourra néanmoins être utilisée comme point d'accroche pour un travail thérapeutique.

Moins de un sur deux ne perçoit, ni le lien entre l'acte co nimis et leur incarcération, ni les conséquences que son acte pourrait avoir pour la victime. Cependant, même lorsque des conséquences sont perçues pour la victime, celles-ci doivent être tempérées et ne sont pas forcément le signe d'un véritable travail psychique de "re-connaissance". Ce point indique la nécessité de action judiciaire pour qu’une telle reconnaissance puisse advenir, d’autant plus  que la moitié de ceux qui revendiquent la responsabilité de leur acte n’en perçoivent pas les conséquences pour la victime, que près des deux tiers des agresseurs se sentent victime des événements et qu'un sur cinq pensait que cela devait "fatalement" arriver dans sa vie. Ce dernier point est d'autant p!us vrai que le sujet agresseur a été lui-même agressé dans son enfance.

Plus des deux tiers désirent changer mais seul un agresseur sur deux a fait quelque chose pour changer. Plus les sujets reconnaissent complètement être l'auteur du délit, plus leur gradient de volonté de changement augmente. L'analyse du "Prix à payer" pour ce changement révèle que 88% sont prêts à "payer le prix fort", mais que ce dernier laisse transparaître soit une incompréhension du terme symbolique, soit une violence (sacrificielle ou mutilatrice) à l'identique de l'acte d'agression lui-même. Parmi les sujets qui désirent changer, seul un tiers a réellement entrepris une action efficace. Les récidivistes ne font rien de plus que les autres pour "changer". Ce qui est efficace pour provoquer la demande de changement et de soin c'est, à chaque fois, la condamnation actuelle. La période d'intervention thérapeutique féconde chez les récidivistes est donc juste après leur condamnation. Cependant presque deux agresseurs sur trois perçoivent confusément que quelque chose en eux serait à changer, qui signe J'attente d'une injonction à caractère interdicteur, conteneur et donc protecteur.

Enfin, lorsque l'arrestation soulage le sujet, ce qui est le cas pour plus d'un agresseur sur trois, cela constitue un bon indicateur thérapeutique.

9 - Les caractéristiques de l'acte d’agression

Moins da un agresseur sur cinq cherche un lieu particulier pour l'exercice de son acte et un sur cinq préfère un moment précis de la journée. L'essentieel est d'être - mis à part l'exhibitionniste, et encore - à l'abri du regard de l'autre au moment du déclenchement de l'acte. Dans ces moments, toute forme d'altérité deviendra menaçante pour le sujet.

Moins de un sujet sur cinq reconnaît avoir voulu montrer quelque chose à la victime. La même proportion admet avoir exercé une contrainte sur elle. La contrainte physique surgit le plus souvent lors de la manifestation de refus par la victime. La violence morale de l'acte n'est pas repérée par l'agresseur. Si les parents incestants sont seulement 2% à reconnaître la présence de violence dans l'acte d’inceste, les agresseurs d'enfants reconnaissent moins souvent la violence que ceux d'adultes.

Enfin, la reconnaissance de la contrainte -est un bon indicateur thérapeutique.

10 – La vie sexuelle de l’agresseur en dehors de l'acte d'agression

En dehors de l'acte délictueux 80% des agresseurs présentent une vie sexuelle dont 78% se disent satisfait. Pour décrire celle-ci les agresseurs insistent plus sur l'aspect quantitatif : les fréquences, !es "besoins" sexuels importants et insatisfaits (particulièrement les violeurs) mais aussi sur les conduites sexuelles très singulières ou régulièrement délictueuses (pédophile, exhibitionnisme). Le passage à l’acte délictueux procure plus de satisfaction que l’acte habituel, à deux agresseurs sur cinq. Leur vie sexuelle a débuté de manière significative dans un climat de séduction même quand il n'y a pas eu d'agression sexuelle dans l'enfance, ce qui permet de poser l'hypothèse que dans l'enfance de ces sujets ils furent soumis à une séduction continue primaire de la part d'un objet environne mental primordial. Moins de un agresseur sur deux connaîtra une modification importante de sa vie sexuelle dont la principale sera        des relations avec sa partenaire habituelle.

La masturbation peut se présenter chez J'agresseur sous une forme impérative et de toute manière la fréquences y plus élevée que chez les témoins. Elle révèle une carence d'auto-érotisme psychique ainsi qu'une capacité de refoulement moindre. Seuls parmi les agresseurs sexuels, on rencontre des sujets utilisant comme vecteur inducteur de leur sexualité des images présentant ces jeunes enfants.

11 - Les angoisses

Plus fréquemment angoissés que les Témoins, les agresseurs sexuels présentent principalement des angoisses de type narcissique et d'adaptation. Leur anaclitisme les rend dépendants d'un environnement (dépendance qui est recherchée), dont ils se défendent mal (indiquant un pare-stimulus peu protecteur) et auquel ils cherchent à s'adapter. Cet ensemble est particulièrement. cohérent et nous indique que les agresseurs sexuels n'ont pas pu organiser une capacité dépressive fonctionnelle. Enfin, les figures surmoïques relèvent d'un Moi-idéal cruel, plus que- d'un Surmoi secondarisé.  La fragilité de la constitution de l'objet, son peu d'étayage interne et la présence de pensées suicidaires violentes peut faire redouter des passages à l'acte auto lytique mélancoliformes.

12 - Les représentations de la folie

S'il n'y a pas de grandes différences quant aux représentations de la folie, nous retrouvons le fait que les agresseurs, quoique pressentant autant que les Témoins qu'ils pourraient s'effondrer, en ont moins d e représentation qu'eux, nous indiquant ainsi une cohérence psychique plus faible, œuvre certainement du clivage. Par contre, leurs représentations portent plus souvent sur le sentiment que quelque chose en eux pourrait se rompre, avec l'émergence d'images d'actes autolytiques ou celles de grande violence sur des enfants - ce qui nous permet de percevoir que derrière les discours d'attirance, d'attachement ou d'affection porté à l’enfant se cache une dimension violente, voire meurtrière..

13 - Les phobies, les peurs et les passions

Les agresseurs sexuels présentent en dehors de leur incarcération nettement moins de peurs et de systèmes phobiques organisés que les Témoins. Spécifiquement mais isolément, certains peuvent craindre la répétition et l'aggravation de l'acte délictueux. Par contre l'incarcération viendra très fortement potentialiser ces mécanismes, alors qu'elle les atténuera chez les Témoins. Pour faire face à ces peurs, au delà des techniques d’évitement propres aux deux groupes, seulement chez les agresseurs sexuels on rencontre une attitude auto-aggressive. Les passions peu différentes des Témoins portent, lorsqu'elles sont spécifiques des agresseurs sexuels, directement sur les enfants pour certains pédophiles et pères incestueux, sur les femmes pour certains violeurs. La passion pour le feu, les jeux (dont ceux d'argent), la religion et les systèmes philosophiques n'a pas été rencontrée dans !a population témoin.

14 - L'activité onirique

Les agresseurs sexuels présentent une activité onirique moins bien organisée que celle des témoins qui l'est déjà peu. Très pauvre, tant dans la forme que dans le contenu, elle révèle un fonctionnement préconscient peu développé avec de nombreux versants traumatiques qui se traduisent par des rêves répétitifs des traumatismes de l'enfance, particulièrement ceux provoqués par les agressions parentales sur l'enfant ou encore d'autres agressions sexuelles vécues par eux, autant d'éléments inexistants chez les Témoins. Les sujets incestants ou pédophiles présentent de manière caractéristique des rêves où se trouve figurées des images d'enfants sans scénario. L'étude de l'activité onirique révèle la très grande difficulté qu'ont les agresseurs sexuels, quelque soit leur délit, à engrammer la montée d'excitation interne qui fonctionne comme un traumatisme. L’étude des cauchemars témoigne, malgré des apparences contraires, que l'incarcération permet un réaménagement des potentialités préconscientes de ces sujets.

15 - Les difficultés relationnelles

Quoique ne présentant superficiellement pas plus de difficultés relationnelles que les Témoins, les agresseurs sexuels - quand ils présentent des difficultés d'intégration professionnelle - offrent une insertion professionnelle beaucoup plus instable qu'eux (bien qu'en apparence meilleure (cf. "Données socio-démographiques", p. 3). A I'adolescence les difficultés éprouvés l'étaient principalement avec les jeunes de leur groupe d'âge, avec l'émergence de préoccupations sexuelles.

16 -     Les comportements relationnels et émotionnels avant et pendant l'incarcération

L'étude des comportements relationnels et émotionnels nous montre une population d'agresseurs sexuels qui, quoique d'une apparence plus calme, présente une organisation psychique plus fluente, moins bien organisée sur le plan défensif et donc plus mal équipée pour faire face à des montées excitatives que les Témoins. Ces derniers, malgré de profondes carences élaboratives, sont mieux structurés autour d'une personnalité de type psychopatique. L'incarcération se révélera psychiquement contenante pour les Témoins, alors que pour les agresseurs sexuels elle potentialisera leur vécu persécutoire et entraînera cependant une baisse paradoxale de leur réactivité à violente

17 - Les vécus d'enfance et d'adolescence

Les agresseurs sexuels furent des enfants et adolescents mieux intégrés que les Témoins dans les circuits scolaires. Très tôt leur sommeil présente p~us de perturbation avec des cauchemars reflétant un sentiment d'insécurité profond ce qui entraînera plus de demandes de consultations psychologiques ou psychiatriques pour troubles du sommeil dans l'enfance et à l'adolescence. Parmi les motifs de consultations (qui sont le double des Témoins) on retrouve déjà des comportements sexuels particuliers et des agressions sexuelles caractérisées. Les relations sadiques sévères et une tendance précoce à la cruauté franche envers les animaux, fussent-ils ceux familiers, sont une caractéristique des agresseurs sexuels.

L'autre grande caractéristique, spécifique aux agresseurs sexuel est, dans plus d’un cas sur trois, une agression sexuelle subie avant 10 ans, qui sera dans les trois quart des cas multiples ou répétée au cours de l'enfance ou l'adolescence. Cette agression sera l’œuvre dans la moitié des cas d’étrangers à la famille mais connu d'elle, plus d'un quart sera occasionné par des inconnus et un peu moins d'un quart par des membres de la famille, particulièrement frères aînés et oncle. Les femmes ne sont pas absentes des personnes agressant les sujets dans l'enfance. Majoritairement l'acte d’agression sexuelle se présentera sous la forme d'une masturbation ou d'une masturbation réciproque avec ou sans fellation, mais un tiers des sujets seront soumis à une pénétration anale, dont 10% sous la forme d'un viol avec violence.

18 - La vie familiale et l'insertion sociale

La vie sexuelle des agresseurs a commencé plus souvent sur un mode passif que les non agresseurs sexuels. La population des agresseurs présente une meilleure intégration professionnelle et présente plus d'autonomie que les Témoins. Ils présentent aussi une stabilité plus grande de leur mode de vie, quoiqu'ils présentent nettement plus de divorces. lis semblent qu'ils aient la capacité de reproduire des modèles d'adaptation sociale, sans en avoir véritablement les données structurelles psychiques. Nous aurions affaire ici plus à une capacité de "modelage" qu'à une capacité réellement intégrative.

Les Agresseurs Sexuels présentent une relative indifférence face aux décès des pères qui, selon leurs dires les auraient plus fréquemment "vissés" ou "humiliés".

Les Agresseurs Sexuels se décrivent comme ayant beaucoup ou plutÔt beaucoup d'amis, sur lesquels ils peuvent compter, et de manière nettement plus importante, ce sont des acteurs de la vie sociale où fréquemment ils occupent des postes de responsabilités. Ainsi, l'agresseur sexuel laisse l'image d'un homme présentant une bonne insertion sociale et une présence très active dans le t'issu social.

19 - Les épreuves projectives

L'organisation psychique des agresseurs sexuels est Particulièrement hétérogène, avec une grande variabilité intra et inter individuelle. La plupart d'entre elles se constituent en archipel, où les irruptions projectives témoignent à la fois de l'ampleur de l'effraction de la réalité externe et de la fragilité de celle interne.

Cependant, en dépit de cette hétérogénéité, il nous paraît possible de dégager quelques repères, quelque soit l'organisation psychopathologique de ces sujets. On enregistre une très grande dépendance par rapport aux stimuli perceptifs et à l'environnement extérieur, ce qui signe un surinvestissement du percept ainsi qu'une capacité de déplacement et de scénarisation réduites. On constate une véritable archipélisation pulsionnelle.

L'hypothèse psychopathologique de la perversion ne suffit pas à rendre compte de leur organisation psychodynamique. L'objet primaire apparaît chez nos sujets comme manquant. La confrontation à l'imago féminine maternelle est désorganisante et c'est l'actuel - l'acte au présent - qui vient colmater l'absence de l'objet. Enfin, les affects sont déficitaires, ou débordants, et primaires, relevant davantage du pur registre de la sensorialité.

Les articulations entre perceptions et projection, aussi marquées par l'emprise soient-elles, ainsi que les traces d'angoisse quant à l'objet, témoignent de la possible existence d'un espace intermédiaire sur lequel pourrait s'arrimer une relation thérapeutique, pour un grand nombre de nos sujets. Pour quelques autres, chez lesquels ces éléments n'ont pas été retrouvés, une telle relation paraît plus problématique.

 

POUR CONCLURE

FAVORISER LA MISE EN PLACE DE TRAITEMENT PENDANT LA DÉTENTION ET DÉVELOPPER LE SUIVI POST-PÉNAL

Le fonctionnement psychologique des auteurs d'agressions sexuelles est divers dans ses manifestations comportementales. Les agresseurs sexuels ayant fait l'objet d'une mesure judiciaire présentent de graves troubles de l'identité caractérisés par un défaut de mentalisation qui ne leur permet pas de traiter efficacement un surcroît d'excitation ou un mouvement dépressif consécutif à la séparation d'avec l'objet, dépression nécessaire au développement psychique.

Lorsque l'émergence de la représentation psychique dépasse leurs possibilités, c'est le spectre d'une folie menaçante qui les amène à rechercher la perception pure et simple : ramener l'autre à l'état de "chose". La sensorialité hic et nunc doit l'emporter sur le fantasme. Le mouvement se fait alors dans une violence de type narcissique (exister aux dépens de l'autre), même si elle prend, dans un certain nombre de cas l'habit du plaisir.

Cette étude montre qu'une thérapeutique est possible permettant, par des voies diverses, le développement d'une activité mentale.

Néanmoins, il faut savoir que pour un certain nombre (restreint) de sujets, le maintien de l'identité se fait par une opposition systématique à toute loi régissant les rapports humains et à tout respect de l'autre comme individu distinct. Tant que ces sujets resteront sur de telles positions, ils ne pourront opter pour une solution thérapeutique authentique. Seule la voie judiciaire stricte pourra alors faire face à ce type de cas.

C'est dire combien le suivi médical ne saurait en aucune manière régler tous les problèmes.

La passation des questionnaires a montré qu'un nombre important d'auteurs d'agressions sexuelles incarcérés est accessible à un traitement et le demande, contrairement à ce qu'en dit la psychiatrie traditionnelle. L'aide médicale en prison donc être efficace dans la majorité des cas, sans qu'il soit besoin de parier d’obligation. L'incarcération servant de repère sensoriel concret et actuel fondamental pour !e fonctionnement mental de ces patients.

Par contre, à l'extérieur de la prison, une « obligation de soins" est
nécessaire pour maintenir un repère, indiquant à ces sujets la nécessité qu’il y a pour eux à continuer un suivi. Une telle "obligation" constitue pour ces sujets un environnement apaisant, qui vaut moins par l'effet d'obligation que par celui de cadre propre à faciliter le travail de mentalisation.

Les psychiatres et psychologues devraient établir une différence entre traitement et suivi. Le traitement engageant une relation active propre, à développer la mentalisation, et devant prendre fin un jour. Le suivi est le rappel, de loin en loin, qu'un travail psychologique est à préserver. Il ne faut en effet pas sous estimer l'existence et le maintien du clivage qui fait partie de la personnalité de ces sujets. Clivage, responsable de l'oubli et de la minimisation des risques tenant à des traumatismes subis dans l'enfance : traumatismes sexuels parfois mais surtout traumatismes lors de l'établissement des premières relations avec les parents.

En ce qui concerne traitement et surtout suivi, la part du cadre social représenté par les délégués à la probation est de la plus grande importance.


Dernière mise à jour : dimanche 1 juillet 2001 11:40:13

Dr Jean-Michel Thurin