5ème Conférence de consensus de la Fédération Française de Psychiatrie




Psychopathologies et traitements actuels des auteurs d'agressions sexuelles


Texte des recommandations élaborées par le Jury de la conférence de consensus « Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle »



PREAMBULE GENERAL

La Fédération Française de Psychiatrie a jugé utile d’organiser cette conférence de consensus sur le thème « Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle » avec la méthodologie de l’ANAES et le soutien de la Direction Générale de la Santé pour plusieurs raisons.

Reprenant à son compte l’intérêt majeur de cette question, le jury voudrait souligner un certain nombre de ces motifs

- L’urgence de se saisir de cette question qui doit faire l’objet d’un véritable travail d’arpentage afin d’éviter dans le contexte actuel de dramatisation médiatique le développement d’une sur répression et d’une sur judiciarisation sécuritaires, alors que le domaine des infractions sexuelles pose de façon évidente la question de la pathologie et des soins ;

- Ne pas perdre de temps pour donner un essor à une question fondamentale qui confronte des professionnels encore trop peu concernés avec des auteurs d’agressions généralement peu enclins à demander des soins et, par voie de conséquence, surexposés aux sanctions ou à une dangereuse clandestinité ;

- Redonner à la clinique et au soin toute leur place sur une question pour laquelle les pouvoirs publics et le législateur ont pris l’initiative et devancé la réflexion des partenaires professionnels (depuis le rapport BALIER de 1995, le rapport LEMPERIERE de 1996 jusqu’à la loi du 17 juin 1998) ;

- Préciser, réactualiser et développer les principes déjà anciens mis au point entre justice et psychiatrie qui ont su faire alliance et dialoguer depuis 150 ans avec la loi du 30 juin 1838, mais aussi la loi du 15 avril 1954, celle du 31 décembre 1970, celle du 27 juin 1990. Ces principes sont à nouveau en débat et de façon encore plus aiguë depuis la loi du 17 juin 1998 pour proposer une articulation entre sanction, contrôle et soin, sans les confondre dans une combinaison des rôles des différents partenaires judiciaires, sociaux et médicaux ;

- Prendre la mesure de la prudence nécessaire en face de la complexité du domaine, des concepts qui y ont cours, du vocabulaire qu’on emploie pour en parler et avoir à la fois la modestie et l’audace de remettre en question les idées et typologies actuelles pour procéder à une recherche volontariste de nouveaux paradigmes théoriques, conceptuels et thérapeutiques ;

- Débloquer une situation objectivement préoccupante dans laquelle se trouvent actuellement les partenaires de la mise en oeuvre de la loi du 17 juin 1998, avec la tentation de « la politique du parapluie » alors qu’il est à coup sûr possible d’en faire une application intelligente et concertée ;

- Dégager les voies d’avenir pour une meilleure prise en compte par la santé publique de ce grave problème de société par une meilleure évaluation des structures, de leur coordination et des résultats obtenus par les actions de soin qui sont actuellement jugées peu efficaces alors qu’elles sont pourtant investies d’un rôle majeur dans la réduction de la sanction ;

- Proposer une clarification globale du champ et des recommandations sur les besoins en moyens et en organisation nécessaires pour mieux connaître et mieux traiter les populations concernées.

L’histoire nous montre que les relations entre justice, société et dispositifs de soin ont fait l’objet d’une réflexion approfondie. Celle-ci a permis depuis près de deux siècles d’évoluer de la problématique où il s’agissait de juger et de sanctionner des actes pour accéder à la problématique actuelle où il s’agit de juger des personnes afin d’établir une graduation des réponses, une hiérarchisation des peines et un ajustement des soins respectueux des différents niveaux judiciaire, éducatif, pédagogique et thérapeutique.

Les constatations issues de la conférence de consensus et les recommandations ici proposées par le jury sont donc délibérément centrées sur le soin des auteurs d’agressions sexuelles. Elles visent à provoquer des retombées en termes d’offre, d’accès et d’organisation des soins, et de prévention. En outre, il est nécessaire de développer une formation de tous les professionnels concernés ainsi que, de développer les ressources, les outils de connaissance et les moyens d’évaluation en termes de santé publique.

I. Introduction : champ et limites de la conférence

1.1 - ÉPIDÉMIOLOGIE

Les données statistiques issues des institutions policières ou judiciaires ne permettent pas de connaître le phénomène des agressions sexuelles dans son ensemble, car nombre d’actes restent inconnus faute de plaintes. Elle permettent tout de même de disposer d’un ordre de grandeur en terme de prises en charge potentielles ou effectives sur le plan pénal comme sur le plan médical.

En 1998, 7828 viols et 12809 autres agressions sexuelles (y compris harcèlement) ont été enregistrés (« faits constatés ») par la police et la gendarmerie. Les taux d‘élucidation sont respectivement de 85% et 79%, le nombre de personnes mises en cause étant de 6054 pour les viols et de 7010 pour les autres agressions.
Naturellement, à ce niveau du processus, il ne s’agit pas de qualification juridique.

Les faits constatés sont en forte hausse depuis le début des années 1980 : multiplication par 5 des viols, doublement des autres agressions. De nombreux indices permettent de penser que cette augmentation correspond à une facilitation du dépôt de plainte, à une meilleure prise en considération des victimes par l’ensemble du système police-justice, à l’attention portée à la maltraitance des mineurs, au rôle des mouvements féministes, au développement de la victimologie, à la médiatisation de la question, à la création des numéros verts, au développement des associations d’aide aux victimes, à la féminisation et à la formation de la police. Par ailleurs des signes ont été donnés par le législateur et l’institution judiciaire qui manifestent la prise en compte par la société de la gravité des faits : aggravation des peines encourues, des peines prononcées et appliquées, report de la prescription en matière d’agressions sexuelles sur mineur, amélioration des procédures d’indemnisation des victimes (commission d’indemnisation).
Toutefois on ne peut pas exclure qu’une part de cette croissance soit réelle.

En 1998, 10563 condamnations ont été prononcées pour agression sexuelle dont 1636 pour viols. La même année, 4881 incarcérations (flux d’entrée) étaient motivées par la poursuite ou la sanction en matière d’infraction sexuelle dont 2707 pour viols.

Le 1er janvier 2001, 7101 détenus exécutaient une peine pour viol ou autres agressions sexuelles (exhibition exclue). Ils étaient un millier il y a 20 ans. Cette population représente actuellement environ 20 % des détenus condamnés.
Les délinquants sexuels participent à l’inflation du nombre de détenus et au vieillissement de la population carcérale du fait de l’âge élevé au moment de l’incarcération et de l’allongement des peines.

Pour les viols, le quantum de peine moyen prononcé en 1984 est de 70 mois contre 113 mois en 1998 (données casier judiciaire).

1.1.1 Enquête de victimation :

Pour les abus sexuels sur enfants, l’Observatoire National de l’Enfance en Danger (ODAS) a recensé 4800 signalements pour l’année 1999.

L’enquête sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF) réalisée l’année 2000 sur un échantillon de 6970 femmes, représentatives de la population des 20-59 ans, indiquent que 11% ont subi au moins une agression sexuelle au cours de leur vie. Les agressions sexuelles les plus souvent déclarées sont les tentatives de rapport forcé (5,7%), les attouchements (5,4%), les rapports forcés (2,7%). L’âge auquel est survenu la première agression sexuelle est inférieur à 15 ans pour 59,9% de celles ayant subi des attouchements, 15,9% pour celles ayant subi une tentative de rapport forcé, 16,7% pour celles ayant subit un rapport forcé. Environ la moitié des femmes qui ont été victimes d’agression sexuelle au cours de leur vie n’en ont pas parlé avant l’enquête.
Il n’y a pas d’enquête similaire en France pour la population masculine. Les enquêtes menées dans d’autres pays indiquent un taux assez concordant d’agression sexuelle pour la population masculine (4 à 5 %) alors que les taux pour la population féminine sont très dispersés.

1.1.2 Pour les auteurs d’agression sexuelle :

- auteurs adultes : les personnes mises en cause par la police sont principalement des hommes. La part des femmes dans les affaires de viols est en 1998 de 2,4% soit 133 sujets. Cette part augmente légèrement quand il s’agit de victimes mineures (2,6%)

- auteurs mineurs : les mineurs représentent 20,5% des auteurs de viols quand la victime est un adulte et 29% quand c’est un mineur. Les auteurs sont là encore principalement des sujets masculins.

Ainsi, la part prise par les mineurs dans les personnes mises en cause pour viol est passée de 21% en 1995 à 28,9% en 1999. Cette élévation semble en partie due au phénomène des « viols en réunion» qui rendent les auteurs malaisés à identifier.

La France fait partie des pays les plus répressifs en Europe en matière d’infraction sexuelle (Conseil de l’Europe, Source-book).

1.2 - LES CATÉGORIES PÉNALES

Avec la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, et s’appuyant sur la nouvelle classification du code pénal, le législateur a créé une nouvelle catégorie d’infraction : les infractions sexuelles. Cet ensemble de crimes et délits est composé d’infractions qui relèvent de deux sous-ensembles distincts : celui des agressions sexuelles et celui de la mise en péril des mineurs, le proxénétisme ayant été exclu de ce regroupement.

1.2 .1 - Éléments constitutifs des infractions sexuelles

Elles ont en commun d’être constituées par un acte (une pénétration, un attouchement, une exposition, la réalisation d’une image...) comportant un motif essentiellement sexuel, imposé à une personne qui ne dispose pas de moyens physiques ou moraux suffisants pour le repousser alors qu’elle n’y consent pas. Comme tout crime et délit, elles sont constituées de trois éléments : la matérialité des faits, l’élément intentionnel et l’élément légal (incrimination et sanction). C’est la réunion de ces trois éléments qui conditionne la sanction pénale.

1.2 .1a - Les crimes et délits d’agression sexuelle

Ils comportent les infractions suivantes :

- Le viol (tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, menace, contrainte ou surprise)
- L’agression sexuelle stricto sensu (toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise)
- L’exhibition sexuelle (imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public)
- Le harcèlement sexuel (ne rentre pas dans le cadre de la loi de 1998)


1.2 .1b - Les délits d’atteinte sexuelle :

- Atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans (le fait, pour un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace, ni surprise une atteinte sexuelle )
- Atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans non marié (atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace, ni surprise, lorsqu’elles sont commises par un ascendant ... ou toute personne ayant autorité sur la victime ...).

1.2.2 - Facteurs d’aggravation des atteintes et agressions sexuelles

- Qualité de la victime : mineur de quinze ans [jeune dont l’âge est inférieur à 15 ans], personne particulièrement vulnérable en raison de son âge, d’une déficience physique, psychique...
- Qualité de l’auteur : ascendant légitime, naturel, adoptif... personne abusant d’une autorité que lui confère ses fonctions - Modalité de commission de l’infraction : précédée, accompagnée de torture, acte de barbarie ; en groupe ; sous menace ou usage d’une arme ; quand la victime a été mise en contact avec l’auteur par un réseau de télécommunication ; accompagnée d’une rémunération
- Résultat des violences : mort de la victime ; mutilation ou infirmité permanente ; blessure ou lésion

1.2 .3 - La loi du 17 juin 1998 liste les cas où la juridiction peut ordonner un suivi socio-judiciaire, ce suivi pouvant comprendre une injonction de soin :

- agressions sexuelles :

- viol,
- agression sexuelle stricto sensu,
- exhibition sexuelle

- atteintes volontaires à la vie, aggravées par un viol :

- meurtre avec viol, assassinat avec viol

- mise en péril des mineurs :

- atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans
- atteintes sexuelles sur mineur de plus de quinze ans et non marié (commises par un ascendant ou une personne ayant autorité)
- corruption de mineur
- exploitation de l’image d’un mineur (quand elle présente un caractère pornographique)
- atteinte à la moralité d’un mineur

1.3 - CATÉGORIES PSYCHIATRIQUES

Les classifications des maladies mentales actuellement utilisées sont celles de l’OMS (CIM 10) et celle de l’American Psychiatric Association (DSM IV).

Leurs catégories diagnostiques coïncident peu avec les catégories pénales dans la mesure même où la dimension de l’agression sexuelle n’y constitue pas un axe classificatoire.

Les termes de « perversions sexuelles » ou de « personnalités perverses » ne sont pas utilisés dans ces classifications.
La notion de « constitution perverse », héritée de la vieille théorie de la dégénérescence, est tombée en désuétude.

On identifie sous le terme de « troubles de la préférence sexuelle » dans la CIM 10 et sous celui de « paraphilie » dans le DSM IV des catégories telles que : le fétichisme, le transvestisme, le voyeurisme, la pédophilie, l’exhibitionnisme, le sadisme, le masochisme, les troubles multiples de la préférence sexuelle et autres troubles.

La pédophilie est définie, au sens des catégories psychiatriques, comme : « préférence sexuelle pour les enfants, généralement d’âge pré pubère ou au début de la puberté ». Pour le DSM IV, il faut au moins une répétition de l’acte ou « des fantaisies imaginatives sexuellement existantes » pendant 6 mois ainsi que la notion « de souffrance personnelle ou d’altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autre domaine important ». Le DSM exclut de ce diagnostic un sujet en fin d’adolescence qui entretient des relations sexuelles avec un enfant de 12-13 ans. De plus, il spécifie s’il s’agit d’une attirance pour les garçons, les filles ou les deux ; s’il est limité à l’inceste ; si c’est un type exclusif (attiré uniquement par les enfants) ou non exclusif.

L’exhibitionnisme est défini par la CIM 10 comme « tendance récurrente ou persistante à exposer ses organes génitaux à des étrangers (en général du sexe opposé) ou à des gens dans des endroits publics, sans désirer ou solliciter un contact plus étroit ». Le DSM IV ajoute là aussi la notion nécessaire de temps (comportement répétitif pendant une période d’au moins 6 mois), de souffrance personnelle ou de retentissement social.

Les classifications psychiatriques tiennent compte du sujet dans sa diachronie (la récurrence ou la persistance du trouble) alors que les catégories pénales ne se fondent que sur la commission et l’intention de l’acte.

Les classifications psychiatriques n’ont pas pour finalité l’étude des infractions sexuelles mais elles gardent leur utilité, lors de l’expertise psychiatrique pénale, pour l’identification d’une maladie mentale dont pourraient dépendre des comportements sexuels transgressifs (schizophrénie, état démentiel, trouble bipolaire, déficience mentale). Elles permettent également le repérage d’une comorbidité (alcoolisme, toxicomanie) ou de troubles de la personnalité répertoriés.

Très peu d’auteurs d’infractions sexuelles sont reconnus pénalement irresponsables au sens de l’article 122-1 alinéa 1 du Code pénal en raison de leurs troubles psychiques.

1.4 - PLACE ET ÉVOLUTION DE L’EXPERTISE PSYCHIATRIQUE

Sans un nombre suffisant d’experts bien formés, la loi du 17 juin 1998 concernant les auteurs d’agression sexuelle ne pourra s’appliquer.

Les attentes de la justice vis-à-vis de l’expert psychiatre et de l’expert psychologue n’ont cessé d’évoluer en peu de temps. Certes, la mission pré-sentencielle de base persiste, à la recherche d’une maladie mentale susceptible d’avoir aboli le discernement et le contrôle des actes, et donc à l’origine d’un non-lieu judiciaire pour irresponsabilité pénale.
Mais, d’une part cette mission de base s’est diversifiée par l’adjonction de questions supplémentaires concernant l’opportunité d’une injonction de soin, et, d’autre part, elle s’est trouvée complétée par d’autres missions ordonnées, en post-sentenciel, durant la peine d’emprisonnement. Ces missions peuvent à nouveau interroger l’expert sur l’opportunité d’une injonction de soins si celle-ci n’a pas été prononcée lors du jugement. Elles peuvent aussi prendre la forme d’une expertise dite de pré-libération conditionnelle qui vise à une évaluation longitudinale du sujet condamné, tant sur le plan clinique, psychodynamique et criminologique.

Parallèlement à cette complexité croissante de la mission expertale, on a assisté en quelques années à deux évolutions contradictoires : l’augmentation quantitative du nombre des missions demandées par la justice et la diminution du nombre de psychiatres inscrits sur les listes d’experts.

En conséquence de cette évolution regrettable, on constate :
- que la très grande majorité des psychiatres n’a aucune activité expertale pénale (supprimer 93%)
- que la minorité des psychiatres inscrits sur les listes d’experts, trop souvent sollicités par la justice, peuvent être amenés à consacrer une trop grande partie de leur temps aux activités expertales, avec le risque de les couper de la réalité clinique et d’induire la dérive vers un « corps d’experts professionnels ».

Nos recommandations seront donc de deux ordres :

- les unes concernent les conditions pratiques de l’expertise,
- les autres s’intéressent au fond, c’est-à-dire à la place que prendront les réponses de l’expert dans l’articulation médico-judiciaire qui se propose d’amener certains auteurs d’agression sexuelle vers un dispositif de soin.

1.4.1 Recommandations concernant les conditions de l’expertise

Ces recommandations visent explicitement à encourager le plus grand nombre de psychiatres ou de psychologues à solliciter leur inscription sur des listes d’experts.

1 - Il importe que les services du ministère de la justice puissent recenser dans chaque juridiction le nombre de missions d’expertises ordonnées chaque année afin d’adapter le nombre d’experts inscrits sur les listes, en fonction du nombre d’expertises à accomplir.

2 - Il est indispensable de développer des dispositifs de formation pour les futurs experts.

- L’enseignement de psychiatrie médico-légale doit être renforcé au cours du DES de psychiatrie.
- Des enseignements spécialisés sous la forme de Diplômes Universitaires appliqués à l’expertise mentale doivent être développés.
- Enfin des modalités de formation pratique au bénéfice d’experts en formation désignés comme tels au sein d’un collège comprenant un expert expérimenté permettraient aux praticiens de se familiariser avec la pratique de l’expertise avant de solliciter leur inscription sur les listes de la cour d’appel

3 - Les conditions pratiques de la réalisation de l’expertise doivent impérativement être améliorées.
Les conditions actuelles sont à ce point médiocres qu’elles apparaissent dissuasives pour de nouveaux experts et décourageantes pour les experts actuels. Les améliorations nécessaires concernent :

- La diminution des temps d’attente, au sein des établissements pénitentiaires, avant de pouvoir rencontrer le détenu qui doit faire l’objet d’une expertise
- L’assouplissement des jours et tranches horaires dans lesquelles les examens des expertises peuvent être réalisés
- La mise à disposition de locaux appropriés
- La communication à l’expert des pièces du dossier pénal nécessaires notamment aux missions post sentencielles (réquisitoire, expertises antérieures...)
- La revalorisation conséquente de la rémunération financière au regard de la charge de travail et de la responsabilité engagée

1.4.2 Recommandations concernant la place des réponses expertales dans l’articulation médico-judiciaire et l’accès au soin

- 1. Les examens psychiatriques demandés en urgence, dans le temps de la garde à vue d’un sujet, sur le mode de la réquisition d’un psychiatre expert ou non :
- doivent se borner à la recherche d’éventuels troubles psychiatriques nécessitant des soins psychiatriques urgents et contre-indiquant la garde à vue.
- cette réquisition ne doit pas remplacer l’expertise pré-sentencielle dans sa forme classique.
- comme toute expertise, elle ne doit jamais dégager des traits de personnalité qui seraient utilisés comme argument à charge pour un sujet qui nierait les faits à l’origine de sa garde à vue.

- 2. lors de l’expertise pré-sentencielle, qui pose à l’expert la question de l’opportunité d’une injonction ou obligation de soins,
- le jury recommande que la négation des faits poursuivis soit considérée comme une contre-indication absolue à toute injonction ou obligation de soins.
- Pour conseiller l’opportunité d’une injonction de soins, l’expert devra évaluer chez le sujet :

- son degré d’adhésion à un éventuel processus de soin, - sa capacité à se reconnaître inscrit dans un mode de réalisation sexuelle déviante.

- Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, il y a lieu de différer cette injonction de soin puisque la décision pourra être prise après le jugement, durant la peine d’emprisonnement ou dans la période qui précède la sortie de prison, en fonction de l’évolution du condamné.
- Si l’injonction de soin est proposée par l’expert, celui-ci ne doit pas être le prescripteur des modalités du soin (hormono-thérapie, psychothérapie, ...)

- 3. l’expertise post-sentencielle, durant la détention
- va apprécier l’opportunité d’une injonction de soin selon les mêmes conditions qu’en pré-sentenciel
- Il est recommandé, autant que possible, que l’expert qui a déjà examiné le sujet avant le jugement soit préférentiellement désigné en post-sentenciel afin de réaliser une expertise diachronique et évaluer le plus fidèlement possible l’évolution du condamné. Toutefois, le condamné peut demander une contre-expertise s’il souhaite être examiné par un nouveau praticien.
- Cette expertise s’attachera avant tout à repérer une éventuelle évolution positive du condamné dans différents registres, et en particulier :

- sa position subjective vis-à-vis de la victime (regret de façade ou sentiment de culpabilité authentique) - sa reconnaissance du préjudice subi par la victime - son regard sur l’acte pour lequel il a été condamné - son appréciation d’un éventuel risque de récidive - son éventuelle adhésion à une démarche de soin spécifique.

Bien entendu les résultats de ces investigations expertales seront à comparer aux précédentes expertises du même sujet.

- 4. Pour toute expertise, la mission ne devra pas enjoindre à l’expert de prendre connaissance du dossier médical sans que soit recueilli le consentement express de la personne examinée. En cas de refus et de nécessité de consultation du dossier, seule la saisie dans les règles légales pourra être envisagée.

Il. Qui sont les auteurs d'agression sexuelle ? Caractéristiques individuelles et données contextuelles

2.1 EXISTE-T-IL DES CARACTERISTIQUES CLINIQUES ET PSYCHOPATHOLOGIQUES ?

La question d’une spécificité psychopathologique relative aux différentes conduites de déviance sexuelle a été posée au cours de la conférence. En fait, il apparaît, tant d’un point de vue clinique qu’en ce qui concerne les facteurs contextuels, que les points communs entre ces différentes formes de déviance sont plus nombreux que ce qui les différencie entre eux et qu’il n’est pas possible d’isoler des groupes cliniques spécifiques et de distinguer, par exemple, les pédophiles intra et extra familiaux, les auteurs de viol, etc.

De façon générale, les études sont peu informatives et non explicites, les avis d’experts nombreux, et, qu’il s’agisse d’études cliniques ou d’échelles d’évaluation psychologique, les données et les résultats sont difficilement interprétables.

Il existe dans notre pays une tendance à rapporter automatiquement un agir sexuel d’allure perverse à un fonctionnement psychique globalement pervers. De plus, la médiatisation des agressions sexuelles d’enfants les plus effarantes répand dans le grand public une représentation univoque du pédophile au singulier, comme “ pervers monstrueux ” inhumain, sadique et obligatoirement violent. Confrontée à l'expérience clinique, cette représentation simpliste est pourtant rapidement battue en brèche.

Malgré le polymorphisme clinique des conduites déviantes et l’infinie diversité des configurations psychopathologiques au sein desquelles ces conduites peuvent apparaître, un point semble faire l’accord des experts : c’est le constat que ces troubles du comportement sexuel correspondent bien moins à des troubles de la sexualité proprement dits qu’à des tentatives de “ solution défensive ” par rapport à des angoisses majeures concernant le sentiment identitaire, elles-mêmes consécutives à des carences fondamentales de l’environnement primaire au cours de la petite enfance.

Les hypothèses étiopathogéniques des auteurs qui se réfèrent aux théories psychodynamiques sont les suivantes : dans tous les cas, on trouve au premier plan des troubles graves du narcissisme, une fragilité du sentiment de continuité identitaire, et une menace d’effondrement dépressif, liés à des angoisses majeures d'altération voire de disparition de la représentation de soi.

Le recours à la sexualité déviante n'est pas systématiquement issu d'une aberration pulsionnelle, encore moins d’un excès de la pulsion sexuelle (souvent en réalité peu active), mais d'une tentative de "solution de recours" par rapport au déficit narcissique consécutif à l'absence d'images parentales suffisamment bonnes dans le monde psychique interne.

Le vécu de rejet massif par le couple parental, avec le sentiment d'avoir été pour les parents un enfant en trop, un poids ou une gêne, perturbe l'intégration d'une représentation positive de la sexualité adulte et paralyse l'élaboration du sens de la différence des sexes et des générations.

Les experts d’orientation psychodynamique font référence au concept de “champ pervers ”. Ils font une différence entre les conduites dominées par une composante d’immaturité et une dimension névrotique (qui représente la majorité des cas) et celles qui prennent une place centrale dans l’économie psychique globale. Cette dernière correspond alors à la dénomination classique de la perversion sexuelle. A l’extrême, on évoque “ les perversités narcissiques ” pour rendre compte d’une organisation défensive fondée sur le déni, l’expulsion et la projection immédiate sur autrui de toute blessure susceptible d’altérer une représentation de soi invulnérable et sans faille. Pour résumer, ces auteurs proposent que dans la perversité, la représentation de soi apparaisse fondée sur la destruction physique ou psychique de l’autre, alors que dans les perversions sexuelles, l’érotisation et l’idéalisation du scénario englobent simultanément la personne propre et celle du partenaire.

On a tenté de différencier différentes classes de conduites pédophiliques à partir de critères comme le cadre intra ou extrafamilial, l’existence de traits psychopathologiques, la présence ou l’absence d’une autre violence associée, le degré de fixation sur les enfants. Néanmoins, les typologies d’auteurs d’agressions sexuelles qui peuvent être heuristiques en matière de recherche, n’expliquent jamais la singularité d’une situation et laissent la porte ouverte à toutes les dérives et raccourcis dangereux. Il n’en reste pas moins que la dimension des interactions intra familiales doit être prise en considération dans les conduites incestueuses et que cela peut justifier la possibilité de commettre un même expert pour l’auteur de l’agression et pour la victime.

La pédophilie féminine est souvent passée sous silence et n’a donné lieu qu’à de rares études. (Ici, il y avait une phrase qui est à supprimer)

Bien que le viol ne fasse pas partie des catégories des troubles mentaux, on a tenté de cerner les caractéristiques des auteurs de viol sur majeurs. Il apparaît là aussi simpliste et réducteur de classifier de façon définitive les auteurs d’agression sexuelle, quels que soient les critères retenus, même si la conduite de viol est parfois sous tendue par une pathologie comme les paraphilies et notamment le sadisme sexuel, ou par une composante antisociale de la personnalité.

La connaissance de l’exhibitionnisme n’a guère progressé par rapport aux descriptions classiques et les traits de personnalité (timidité, passivité, manque d’assurance dans les relations sociales) auparavant admis chez les exhibitionnistes exclusifs, n’ont pas été retrouvés dans les rares études ayant utilisé des tests tels que le MMPI. En fait, les formes symptomatiques des conduites exhibitionnistes sont plus variées que l’image traditionnelle (les appels téléphoniques obscènes par exemple) et d’une manière plus générale ces conduites exhibitionnistes peuvent être associées à d’autres conduites sexuelles perturbées.

Les agressions sexuelles initiées par des adolescents semblent en progression, encore que les études canadiennes et américaines ne soient pas convaincantes et qu’il n’existe pratiquement pas de données exploitables dans notre pays. Il semblerait néanmoins que là aussi la tolérance sociale ait changé et que le taux de révélation soit de ce fait plus important.

Parmi celles-ci, il faut faire une place particulière aux viols en réunion, qui bien que de plus en plus fréquents et banalisés par un certain nombre de jeunes, ne doivent pas être considérés pour autant comme spécifiques de la vie des banlieues. Ces conduites, dont les victimes se retrouvent souvent dans l’environnement très proche d’au moins l’un des auteurs d’agression sexuelle, posent la question des phénomènes identitaires de groupe ; elles ne semblent pas relever de troubles spécifiques des conduites sexuelles et nécessitent des réponses appropriées sur le plan pénal et éducatif.

La population des enfants et adolescents, auteurs d’agression sexuelle, est hétérogène, à la fois sur le plan psychopathologique et celui des caractéristiques de la conduite sexuelle. Ces agressions sexuelles se caractérisent le plus souvent soit par l’usage de la force ou de la menace, soit par le choix d’un partenaire d’âge inapproprié. Ce comportement sexuel déviant peut n’être qu’un accident de parcours dans le développement psychosexuel, tout comme il peut être la première manifestation d’une conduite récurrente à l’âge adulte. Face à cette hétérogénéité, on tente d’établir des typologies des abuseurs adolescents en fonction des caractéristiques cliniques des auteurs, des caractéristiques de l’agression elle-même et des données anamnestiques et biographiques, afin de mieux évaluer les possibilités de changements et de mieux discriminer les risques de récidive ; aucune de ces typologies n’a cependant encore été validée par une étude prospective suffisamment prolongée.

L’importance des facteurs biographiques, des antécédents de maltraitance et de dysfonctionnements familiaux, qui sont fortement intriqués, font qu’il est difficile d’isoler les effets de chacun d’entre eux dans une perspective causaliste.

En conclusion, il apparaît que les connaissances étiopathogéniques actuelles concernant les auteurs d’agression sexuelle présentent un degré de certitude très faible. Cette catégorie de population n’est réductible ni au seul champ psychiatrique, ni au seul champ criminologique, ni au seul champ social. Elle implique une perspective anthropologique qui exige d’engager des recherches multidisciplinaires.

Recommandations

1 - Mettre en oeuvre des études visant à mieux caractériser les auteurs d’agression sexuelle par une évaluation exhaustive à la fois synchronique et diachronique, à la fois clinique, paraclinique et psychologique (tests psychologiques), à la fois factuelle et fantasmatique.

2 - Les études doivent harmoniser les méthodologies, le vocabulaire et les concepts quelles que soient les références théorico-cliniques des auteurs.

3 - Il apparaît justifié de faire la recommandation suivante aux magistrats ordonnateurs d’expertises : parmi les experts désignés pour examiner l’auteur(s) et la victime(s), il apparaît intéressant que l’un d’eux puisse être désigné pour examiner à la fois auteur(s) et victime(s), chaque fois que l’auteur est connu de la victime, afin de mesurer les interactions, notamment lorsqu’elles se situent dans le champ intrafamilial.

4 - Il faut attirer l’attention sur un certain nombre de situations rencontrées en particulier dans les collectivités éducatives où l’évaluation de la dimension transgressive de la conduite sexuelle d’un enfant et/ou d’un adolescent met en difficulté les adultes. Certains signalements semblent en effet répondre davantage à un principe de précaution qu’à une nécessité judiciaire. Ces signalements montrent qu’en mettant au second plan la compréhension des manifestations de type maturatif, on risque de générer une autre forme de traumatisme, faute d’une réponse de type éducatif.

2.2 DONNEES CONTEXTUELLES

L’idée qu’un abuseur sexuel ait été lui-même victime d’une agression sexuelle dans son enfance est devenue un quasi-lieu commun qui mérite cependant d’être ré interrogé. En effet, les données statistiques sur ce point se contredisent et les écarts sont tels qu’ils permettent de récuser actuellement le caractère inéluctable de la répétition et tout lien de causalité direct entre l’agression en tant que victime et celle en tant qu’auteur d’agression.

Cela dit, un traumatisme sexuel subi pendant l’enfance sera d’autant plus désorganisant que l’environnement proche, et plus particulièrement familial, sera défaillant, mais il ne faut pas ignorer malgré tout, les facteurs de protection que recouvre la notion de résilience. C’est ainsi que l’on peut opposer des facteurs de risque et des facteurs de protection.

Parmi les premiers, il faut citer à côté des antécédents d’agression sexuelle dans l’enfance, les carences affectives par négligence ou abandon, responsables de perturbations des liens d’attachement, les maltraitances qui pourraient expliquer la faible capacité des liens d’empathie développés par les agresseurs sexuels pour leur victime ainsi que les dysfonctionnements de la famille. Un enfant élevé dans un environnement vulnérable et qui ne reçoit pas d’aide de ses proches aura plus de mal à développer des capacités d’attention et de soins vis à vis d’autrui. Les dimensions d’absence ou de non-implication d’un parent, ainsi que les lacunes observées face à la discipline et à l’éducation semblent bien situer les problèmes rencontrés dans les familles de délinquants sexuels qui sont aussi des caractéristiques retrouvées dans de nombreuses autres formes de pathologies. Si une histoire particulière peut être individualisée parmi les auteurs d’agression sexuelle, elle n’apparaît pas spécifique à cette population.

Abus et dépendance à l’alcool, de même qu’à d’autres substances, sont une comorbidité fréquemment associée avec les aspects psychopathologiques relevés.
Ils peuvent avoir un effet direct sur la commission des délits sexuels (par exemple une précipitation du passage à l’acte), ou un effet indirect du fait par exemple de l’altération de l’insertion professionnelle et sociale et de la détérioration des capacités de socialisation qu’ils peuvent générer.

2.3 QUELLES SONT LES THEORIES ACTUELLES CONCERNANT LES CAUSES IMPLIQUEES DANS LES AGRESSIONS SEXUELLES ?

Le passage à l’acte que constitue l’agression sexuelle se situe toujours au carrefour de l’organisation sociale et familiale, du déterminisme individuel et de la représentation de la loi. Aussi, les approches théoriques permettant de comprendre et d’expliquer ces comportements doivent prendre en compte cette complexité et ne peuvent se satisfaire d’un point de vue univoque. De fait, celles-ci sont aujourd’hui en pleine mutation et s’inscrivent dans un modèle bio-psycho-social.

Les hypothèses psychosociologiques

L’évolution de la criminalité, notamment sexuelle, est tributaire de l’évolution de la société comme de la famille. De nombreux facteurs sont mis en avant chez les spécialistes comme dans les médias, pour expliquer la majoration de la délinquance interpersonnelle et des violences intrafamiliales. Mais qu’il s’agisse de la démission parentale, de la dislocation de la famille ou de l’augmentation de l’intervention de l’état avec une sur-assistance des parents et des enfants, tous ces éléments doivent être discutés et critiqués avec la prudence qu’impliquent leurs éventuelles conséquences sur le plan socio-politique. Il faut noter que si, pour défendre leurs clients, auteurs d’agression sexuelle, les avocats d’assises ont mis régulièrement en avant les carences affectives subies par leur client au sein de leur famille, celles-ci sont devenues paradoxalement des facteurs de sur-pénalisation depuis une décennie, dans la mesure où elles sont assimilées à un risque accru de récidive.

Les théories criminologiques

Pour l’essentiel, les modes d’approche de la criminologie du 19ème siècle ont disparu au profit d’une recherche interdisciplinaire qui ne parle plus que d’hypothèses criminologiques.

Quatre questions ont été soulevées au cours de la conférence.

- Le lien entre la pathologie mentale et le délit. Il est essentiel en effet que l’on ne fasse pas d’amalgame entre délit sexuel et maladie mentale et que l’on infère à partir de celui-ci des troubles psychiques et/ou de la personnalité pour justifier secondairement un traitement de ce délit.
- La pertinence des liens entre maltraitance antérieure et agressions sexuelles. Bien que les données statistiques doivent être analysées avec prudence, on constate, dans la plupart des pays industrialisés, une augmentation du nombre de signalements pour maltraitance.
- La différenciation entre viol, inceste et pédophilie. La prise en charge pendant la durée de la peine des auteurs d’infractions sexuelles dans les pays anglo-saxons a conduit à tenter de mieux différencier ces différents types de conduites.
- La sur pénalisation française. Le fait que notre pays soit l’un des plus répressifs dans le domaine des infractions sexuelles en Europe et l’allongement des peines prononcées pour les crimes sexuels, en particulier intra-familiaux depuis 20 ans, conduisent à s’interroger sur cette particularité française ainsi que sur le problème des modalités du consentement aux soins.

Les hypothèses biologiques

Plusieurs substrats sont habituellement retenus comme jouant un rôle sur le plan endocrinien et de la neurotransmission dans les agressions sexuelles : androgènes, sérotonine, amines biogènes, en même temps que l’on s’interroge sur le rôle éventuel de facteurs génétiques.

Ces hypothèses et les bases théoriques qui les soutiennent doivent être abordées avec prudence si l’on en juge par les biais nombreux constatés dans la littérature. Ainsi par exemple, il n’est pas possible d’extrapoler les données de la neurobiologie de la violence aux agressions sexuelles, ni de transposer à l’homme les résultats des études réalisées chez l’animal.

Les hypothèses neurobiologiques doivent être traitées avec la plus grande prudence et il est essentiel de ne pas utiliser sommairement ces recherches pour légitimer, au détriment des considérations éthiques et déontologiques, des traitements médicamenteux ou hormonaux qui sont toujours expérimentaux. Cette prudence doit être d’autant plus soulignée que notre société pourrait se satisfaire facilement d’une action possible de médicaments pour éviter les récidives des agresseurs sexuels et se rassurer face à ce problème de société.

Les théories psychanalytiques

L’engagement de cliniciens s’appuyant sur des références psychanalytiques dans le champ pénitentiaire et la prise en charge post-carcérale en ambulatoire d’agresseurs sexuels caractérise notre pays et constitue un apport essentiel et original à la connaissance de la clinique des agresseurs sexuels. Les recherches en cours ont fait le constat qu’il était possible de contourner l’absence apparent de demande des auteurs d’agression sexuelle et de favoriser chez eux une nouvelle aptitude à se penser auteur d’agression sexuelle, ouvrant alors la porte à la thérapeutique. Au delà des tentatives de validation en cours des concepts théorico-cliniques développés, les théories psychanalytiques sont surtout utiles dans la régulation et la supervision des soignants travaillant auprès des auteurs d’agressions sexuelles.

Les hypothèses comportementales et cognitives

Elles ont été surtout le fait des pays anglo-saxons et se sont appuyées à la fois sur une prise en charge intracarcérale et sur des suivis longitudinaux à la sortie de la détention avec pour objectif de prévenir les récidives. Ces modèles théoriques ont beaucoup évolué depuis une vingtaine d’années : alors qu’initialement le motif du passage à l’acte était considéré comme d’origine exclusivement sexuelle et que, de ce fait, le traitement visait à modifier les préférences sexuelles déviantes, la dimension plurifactorielle s’est imposée et a conduit à un travail socio-éducatif plus global de prévention de la récidive. Les modèles cognitivo-comportementaux actuels se veulent plus pragmatiques et ajoutent des dimensions non sexuelles (habiletés sociales, capacités relationnelles, aptitudes professionnelles) qui permettent au sujet d’améliorer ses capacités à faire face à ses difficultés et de l’aider à identifier les moments où il est en danger de récidiver. Ces approches ont aussi l’avantage de proposer des critères d’évaluation mesurables dans une démarche d’explicitation d’objectifs concrets.

IlI. Devenir et risques de rechute

PREAMBULE

La question du devenir des personnes et de la réitération d'agressions, qu'elles soient sexuelles, multiples, autres associées ou non, peut être abordée de plusieurs façons : la rechute au sens médical qui suppose qu'un processus thérapeutique soit engagé, la récidive judiciaire qui nécessite qu'une nouvelle infraction ait été sanctionnée, et enfin la réalité des faits, c'est-à-dire la fréquence réelle des agressions dans la population. L'accent mis sur la lutte contre la rechute ne doit pas faire oublier la dimension déontologique et éthique de la pratique médicale qui a aussi d'autres objectifs, notamment la qualité des soins et le bien être de la personne et de ses proches.

Les recherches menées en France sur la récidive, fondées sur l’analyse de suivi de cohortes de détenus libérés, n’abordent que de façon marginale la question des agressions sexuelles : les effectifs des échantillons sont faibles et ne permettent pas d’analyses différentielles des taux de récidives selon telle ou telle variable.

Des analyses ont été menées plus récemment par les services du Ministère de la Justice (1997) en utilisant exclusivement le casier judiciaire. On cherche à savoir si telle condamnation, inscrite sur le casier pour viol, est suivie d’une autre inscription pour viol sur une période donnée. Les taux sont fortement biaisés par l'absence de prise en compte des périodes d’incarcération qui suivent nécessairement la première condamnation.

L'essentiel des recherches et des méta-analyses ont été menées à l’étranger. Les recherches les plus récentes étudient des petits échantillons, et portent sur des méthodes thérapeutiques ciblées sur les symptômes. D’un point de vue général, les experts ont tous souligné que les études ont leurs limites sur le plan de la méthodologie et de la validation, ce qui rend difficile la comparaison et la généralisation des résultats, encore compliquées par des contextes socioprofessionnels, institutionnels et culturels différents.

3.1 ELEMENTS PREDICTIFS DU DEVENIR

3.1.1 Facteurs de risque de récidive

Les facteurs associés au risque de récidive d’agression sexuelle ou d'autres infractions ont été repérés et évalués par les chercheurs avec des résultats parfois divergents. La plupart des facteurs de risque identifiés à ce jour sont des facteurs statiques, c'est-à-dire sur lesquels on ne peut pas agir. La recherche sur les facteurs de risque dynamiques, permettant de concevoir une intervention efficace, est beaucoup moins avancée.

Dans les études faites à l'étranger, les facteurs de risque les plus fréquemment associés à la récidive non sexuelle sont les mêmes que pour le délinquant non-sexuel : les antécédents criminels, la délinquance juvénile, la personnalité antisociale, le jeune âge et la toxicomanie. Les facteurs de risque les plus reconnus dans la récidive sexuelle sont : la déviance sexuelle, les antécédents d'infraction sexuelle, la précocité de ces infractions, ainsi que l'existence d'une enfance douloureuse. Les données disponibles font apparaître une diminution du risque de récidive quand l'âge augmente. Il diminue également quand l'agresseur est le père ou le beau-père de la victime.

De façon surprenante, certaines caractéristiques habituellement considérées comme des éléments favorisant l’adhésion aux soins (reconnaissance des faits, empathie pour la victime, motivation pour les soins) ne constitueraient pas des facteurs qui préservent de la récidive dans l’état actuel de la recherche.

3.1.2 Influence du traitement sur le devenir

Il n’est pas possible d’établir aujourd’hui avec certitude que les traitements des auteurs d’agression sexuelle réduisent de façon significative le risque de récidive. Cependant, plusieurs études font état d’une diminution des récidives quand les personnes ont bénéficié de psychothérapies (comportementales et cognitives, systémiques) ou de thérapeutiques biologiques. Cette diminution paraît plus marquée pour ces dernières. Si le bénéfice des psychothérapies individuelles ou de groupe d’inspiration psychodynamique n’a pas été démontré, les cliniciens qui les pratiquent en défendent l’intérêt, tout en précisant que leur évaluation scientifique pose des problèmes méthodologiques.

D’une manière générale, les traitements qui semblent montrer une certaine efficacité sont plutôt ceux qui visent de manière explicite des thèmes ciblés. Certains auteurs qui pratiquent des thérapeutiques médicamenteuses ont relevé la difficulté de les interrompre. Parmi les facteurs de risque de récidive en relation avec les soins, certains auteurs rapportent l’interruption volontaire du traitement. Paradoxalement, une étude récente a relevé que le taux de récidive de crime sexuel était supérieur dans un groupe de personnes intégrées dans un programme de soins obligatoires par rapport à un groupe témoin.

3.2 OUTILS D’INVESTIGATION PERMETTANT DE PREDIRE LA RECIDIVE

Il n'existe pas d'outil permettant de prédire la réitération d'une agression. Il s'agit plutôt d'investigations dont les résultats, utilisés dans le cadre de la recherche scientifique, peuvent être l'indicateur d'un risque de passage à l'acte.

Les mesures phallométriques (pléthysmographie) sont l’outil le plus reconnu au plan international pour mesurer le risque de récidive chez l'adulte, notamment pour les pédophiles extra-familiaux. Il reste néanmoins controversé du fait de l’absence de standardisation. Il s’agit d’une mesure de l’érection lors de stimuli visuels, destiné à évaluer la « déviance » sexuelle et la réponse à un traitement. Il ne peut pas être utilisé pour déterminer la culpabilité d'un individu. Son utilisation en France semble être inexistante bien qu’il s’agisse d’un des rares acquis scientifiques dans ce domaine.

Plusieurs échelles ont également été élaborées, dans l’objectif de prédire le risque de récidive, sexuelle ou non. Aucune d’entre-elles ne s’est réellement imposée. Il existe une version française d’une échelle mesurant les tendances antisociales de la personne. Elle semble pouvoir prédire le risque de survenue d’actes de violence non-sexuels chez les auteurs d'agression sexuelle.

Recommandations

1 - Le jury recommande la mise en oeuvre d’un programme de recherche national comprenant développement, la validation et l’utilisation d'instruments :

- destinés à étudier le devenir des personnes à partir d'indicateurs qui débordent largement le problème de la rechute (qualité de vie, fonctionnement individuel, familial et social)
- susceptibles d’affiner les « indications » des réponses
- permettant d’évaluer l’efficacité de la réponse proposée, tant pour la personne que pour son entourage.

2 - Le jury recommande la création d’un groupe permanent chargé de susciter la mise en oeuvre d’un programme de recherche national (cf. supra).
Il sera également chargé de réunir les données nécessaires à une meilleure connaissance :

- des agressions sexuelles, de leurs auteurs et du contexte des passages à l’acte
- des moyens d’intervention de la police et de la gendarmerie, de la justice et du système de santé
- des opinions et des représentations sociales dans la population générale et chez les professionnels impliqués.

Ce groupe devra de réaliser des analyses secondes de ces données, de les comparer aux données produites chez nos partenaires européens (Union européenne, et Conseil de l’Europe) et dans d’autres pays et de tenir à jour ces différentes informations, de soutenir le développement de recherches multicentriques cohérentes d’un point de vue méthodologique.

Des outils déjà existants pourraient être mobilisés, à moindre coût. Il en est ainsi du Fichier national des détenus (FND) géré par l’administration pénitentiaire qui pourrait servir de base de sondage (après autorisation de la CNIL), du système d’exploitation statistique du casier judiciaire, lui aussi sous-utilisé dans ce domaine, des enquêtes de victimation qui se sont développées en France depuis quelques années (INSEE-IHESI).

Les données ainsi rassemblées pourraient être diffusées sur le net et apporter des renseignements aux personnes concernées.

Une telle structure devra bénéficier du soutien logistique d’une entité administrative déjà existante (unité de l’INSERM, par exemple), fonctionnera grâce à la participation de chercheurs des différentes disciplines concernées, de statisticiens, de praticiens du système de santé et de représentants des départements ministériels concernés (Santé, Justice, Intérieur, Défense) et d’élus. Il pourra prendre l’initiative de mener - ou de faire réaliser - un certain nombre d’enquêtes exploratoires permettant d’améliorer les sources déjà existantes ou de les développer.

Des pôles d'excellence régionaux ou départementaux regroupant formation, recherche, accréditation, semblent une formule intéressante

IV. Quelles sont les différentes méthodes thérapeutiques, leurs modalités, indications, objectifs et obstacles particuliers, leurs limites et leurs complémentarités ? Comment évaluer leurs résultats?

PREAMBULE : PRESENTATION DES DIFFERENTES MODALITES THERAPEUTIQUES

Les rapports d’experts et la littérature font apparaître qu’à peu près toutes les différentes modalités thérapeutiques existant dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale ont été proposées dans la prise en charge des auteurs d’agression sexuelle. En France, certaines pratiques semblent actuellement plus répandues que d’autres, en particulier celles d’inspiration psychodynamique.

A l’exception des traitements biologiques et des thérapies cognitivo-comportementales, les différentes modalités thérapeutiques proposées n’ont pas fait l’objet d’évaluation ciblée de leurs résultats.
L’efficacité des approches thérapeutiques psychodynamiques devra également faire l’objet d’une évaluation.

4.1. POSITION DES EXPERTS

Six types d’approches ont été présentés : psychodynamique, cognitivo-comportementale, groupale, familiale, systémique et chimiothérapique.

1 - Les approches psychodynamiques ont une conception des troubles en terme de processus, plus que de structure ou d’états et cherchent à sortir du champ nosographique à priori de la perversion. Elles ont pour point de départ les théories et la pratique de la psychanalyse, le cadre de la cure a été aménagé dans ces indications.
Elles cherchent à instituer un cadre thérapeutique et à offrir à la fois les mots et les modes par lesquels une souffrance psychique peut être entendue et représentée. Pour certains, le travail psychodynamique est un travail de réappropriation d’une figure angoissante, dévastatrice et archaïque, figure productrice d’organisations défensives, dont le passage à l’acte est le fait délinquant. Ce cadre thérapeutique prend en charge cette figure et ses effets, donne une forme à ces processus et offre une pluralité d’écoute (groupale, entretien...). Ces modes ont comme fonction d’étayer et de développer, d’explorer et de clarifier les relations mentales liées à la fantasmatique en rapport avec la sexualité, d’aider le patient à gérer sa sexualité, à réinvestir la vie sociale et à repérer les situations vulnérabilisantes.

Les limites tiennent pour une large part à la capacité du thérapeute de contenir les affects désorganisateurs. Les autres limites habituellement évoquées sont : la capacité d’élaboration mentale, la durée incertaine, le coût de la formation, le traitement de la confidentialité, la supervision constante, les effets des contre-transferts négatifs, l’épuisement des thérapeutes. Les indications ne sont pas spécifiques. Il est pour une large part admis que d‘autres prises en charge peuvent co-exister, sans autre précision de contre-indications.

Il s’agit d’associer ou de rendre synergiques, des lectures et des approches plurielles des conduites. Le but est de permettre au patient de choisir, et par conséquent de s’investir dans la forme thérapeutique qui lui convient le mieux et au thérapeute de rester en cohérence avec ses références de base, tout en maintenant un regard clinique global sur les manifestations et les expressions du patient, au delà de l’acte d’agression sexuelle.
C’est alors la capacité du thérapeute (dépendante de la qualité de ses supervisions), à se mouvoir dans le contexte contre-transférentiel et à analyser les positions psychiques du patient, qui lui permettront de définir les indications de thérapies de groupe, de couple, en face à face ou d’association à une thérapeutique biologique et de prendre en compte les réticences du patient à s’engager trop rapidement dans l’une ou l’autre des prises en charge thérapeutiques.

Dans tous les cas une réflexion critique s’impose sur l’accessibilité au suivi et à l’enjeu qu’il constitue. On constate que dans les thérapies psychodynamiques, l’objectif n’est pas de se focaliser principalement sur la prévention de la récidive mais de travailler sur le risque de récidive par la clarification dynamique des situations à risque.

2 - Les thérapies cognitivo comportementales actuellement préconisées constituent une approche de seconde génération des thérapies comportementales. L’intégration des avancées cognitives a complexifié le schéma initial vers une conception multi-factorielle axée sur la prévention de la récidive.
La démarche rationnelle adoptée suppose une conception schématique et linéaire de la mise en acte délinquentielle avec des étapes sur lesquelles vont se greffer des stratégies opératoire. Celles-ci sont progressives et visent 5 objectifs pour le patient :

- se sentir davantage concerné
- apprendre à refuser l’évidence de certaines affirmations ou croyances concernant la victime
- prendre conscience de son excitation sexuelle
- renforcer la capacité à être sensible à autrui
- s’informer sur la sexualité abusive et renforcer ses compétences sociales plus ou moins générales.

Ces approches sont particulièrement adaptées à l’évaluation de leurs résultats. Différents facteurs déterminants ont été étudiés concernant la rechute : liaison avec l’arrêt du traitement ou l’absence de traitement, le score à l’échelle psychopathie de Hare. On s’étonnera de l’absence de corrélation positive avec la motivation, ou la non reconnaissance des faits.

De nombreux biais méthodologiques par ailleurs soulignés viennent considérablement nuancer les résultats de ces traitements. La rigueur apparente des conditions d’étude est mise en question. Pour y pallier, le recours à des méta-analyses est préconisé même si leur résultat a une portée limitée.
On notera en outre que les résultats attendus le sont sur la base de la totalité de programmes cumulés et non sur l’un ou l’autre. Peu d’études sont présentées sur la base d’une considération globale de la santé psychique.

Des recherches sur les indications s’orientent vers une distinction des populations selon l’âge, les troubles de personnalité (globale), les troubles du comportement, l’impulsivité, les relations familiales. Les résultats les moins bons concernent les auteurs de viols ayant un score psychopathique élevé à l’échelle Hare, les meilleurs avec les patients motivés et peut-être les exhibitionnistes.
Les limites sont d’ordre éthique (renforcement des conduites, exhibitionnisme, simulation), clinique (comorbidité dépressive, états d’inhibition), psychopathologique (personnalité sensitive, paranoïaque).
3 - Les psychothérapies de groupe

Elles peuvent être une approche thérapeutique intéressante dans le traitement des auteurs d’agressions sexuelles.

Selon les experts, elles peuvent se dérouler en groupes ouverts, semi-ouverts ou fermés. Le groupe servira alors de tiers, de médiation à la relation et pourra, dans certains cas, aider à préparer un travail individuel. Elles auront pour buts de favoriser la prise de conscience de l’acte et d’éviter les passages à l’acte.
Lorsqu’elles sont utilisées en milieu carcéral, la mobilité de la population pénale et une proclamation fréquente de l’innocence ou le déni exprimé par l’auteur posent inévitablement des difficultés.

Les psychothérapies de groupe ne peuvent se suffire à elles-mêmes comme thérapies.
Elles sont également limitées par l’absence de suivi postérieur au travail de groupe et par l’absence de retour pour les détenus ayant de longues peines et ayant été suivis successivement par plusieurs soignants. Dans ce cas de figure, il paraît difficile de juger des effets de la thérapie de groupe.
Ces données demandent à être confirmées par une évaluation.

4. Les psychothérapies familiales et systémiques

Dans de nombreuses situations, une perspective systémique dans le cadre d’un travail familial ou de couple peut s’avérer pertinente.

Elles seront indiquées lorsqu’il s’agira de mettre en place une phase de préparation à des entretiens individuels ou dans le cas d’une famille dépressive repliée ou fusionnelle. Elles le seront également lorsque les auteurs d’agressions sexuelles seront identifiés comme autoritaires ou tyranniques au sein du groupe.

Les objectifs seront alors d’aider l’auteur d’agression à mieux comprendre le sens de son agression et ses répercussions familiales, à lutter contre les dysfonctionnements familiaux centrés sur « l’emprise » et le « secret ». Ils seront également de permettre la reconnaissance sociale des faits et de favoriser l’alliance de la famille dans l’accompagnement thérapeutique.

Le thérapeute familial devra être différent du thérapeute individuel. Des rencontres individuelles préparatoires seront nécessaires. Pourront être également envisagées des rencontres progressivement élargies à l’ensemble du groupe familial, si chacun des participants l’accepte. Ces différentes rencontres pourront être successives ou conjointes. Leur préparation devra être minutieuse. La réactivation de la souffrance de la victime par sa participation à de telles rencontres peut entraîner une contre indication à sa présence et constituer une limite à cette modalité thérapeutique.

Les thérapeutes pourront se trouver confrontés également à des difficultés telles que l’hostilité ou l’angoisse d’un ou plusieurs membres de la famille, l’ambivalence de la victime ou encore une manifestation rapide et bruyante de l’auteur, de repentir et de demande de pitié ou d’amour adressée à la famille. Ces manifestations deviennent alors culpabilisantes pour la famille et provoquent un désinvestissement rapide de la thérapie. Une autre difficulté consistera à éviter l’érosion du travail entrepris.
Le thérapeute devra s’abstenir de vouloir réunir à tout prix la famille et de parvenir a un contrôle social préservant de la récidive.

Enfin, les experts considèrent qu’il n’y a pas de contre-indications spécifiques aux thérapies familiales car l’investissement des auteurs dans cette dynamique thérapeutique se réalise de façon variable et individualisée.
Cette approche est présentée comme favorisant aussi une compréhension plus riche des faits et des personnes impliquées.

5. Chimiothérapie hormonale et psychotrope des auteurs d’agression sexuelle

5 .a Traitement antiandrogènes

Les traitements antiandrogènes ont été développés à partir du rôle de la testostérone dans l’activité sexuelle. Ce rôle est complexe : si une imprégnation adéquate par les stéroïdes sexuels est un pré requis à l’obtention d’une activité sexuelle optimale chez l’homme, il n’y a pas de corrélation entre le taux de testostérone et d’autre part le contenu des fantasmes. La testostérone a également un rôle supposé dans l’agressivité.
Pour les experts, les antiandrogènes sont particulièrement indiqués chez les hommes pédophiles multirécidivistes (en particulier homosexuels) et chez les hommes pédophiles profondément immatures ou déficients intellectuels. La littérature rappelle qu’ils ne changent pas l’orientation sexuelle.
- l’acetate de cyprotérone possède une double action d’ ;inhibition des effets de la testostérone au niveau périphérique et de réduction de sa production. Son efficacité dans les paraphilies est évoquée depuis 1967, soutenue par de nombreuses études non contrôlées (plusieurs centaines de cas) avec des reculs parfois assez longs (8 ans), et par quelques études contrôlées versus placebo (où le sujet est son propre témoin). L’objectif est la réduction du comportement sexuel paraphile qui intervient généralement en un à deux mois, de façon très significative dans la plupart des études (environ 80%). Ceci est mesuré par auto évaluation. Parallèlement, le traitement diminue également l’activité sexuelle non paraphile et la spermatogenèse. Tous ces effets sont réversibles à l’arrêt du traitement. Ce traitement est contre indiqué chez les personnes souffrant de psychose ou d’épilepsie et lorsque la puberté n’est pas achevée. Ils comportent des effets secondaires généralement rares (gynécomastie, cytolyse hépatique) ou peu gênants, le principal effet à dépister et à prévenir est la déminéralisation osseuse. Ce traitement n’existe en France qu’en forme per os.
- Les analogues de la Gonadotrophin Releasing Hormone (GnRH) (triptoréline, leuproréline) induisent une inhibition réversible de la sécrétion gonadique de testostérone qui intervient au bout d’une dizaine de jours, après une phase de stimulation initiale imposant une prescription conjointe d’acetate de cyprotérone en début de traitement. Leur efficacité sur les comportements sexuels déviants paraît comparable à celle de l’acetate de cyprotérone mais n’est soutenue que par des études en ouvert sur des séries beaucoup plus réduites et avec moins de recul, une efficacité dans des cas résistant à l’acetate de cyprotérone est rapportée. Les contre indications sont superposables à celles de l’acetate de cyprotérone. Ces traitements sont généralement mieux tolérés, le principal inconvénient est le risque de déminéralisation. Une forme galénique par injection retard est disponible en France (3 à 6 mois).
- Difficultés et limites des antiandrogènes.
- Il faut avant tout préciser qu’en l’état actuel des connaissances, l’objectif de ces traitements n’est pas de corriger une anomalie biologique, ni même de traiter un symptôme spécifique, puisque leur effet est une réduction de l’activité sexuelle en général qui n’est en rien un symptôme. Ces médicaments n’ont d’ailleurs aucune autorisation de mise sur le marché (AMM) en France dans les indications ici proposées, ce dont le patient doit être informé. Leur prescription est donc réservée à des sujets volontaires, pleinement consentants et clairement informés des risques et des objectifs, lorsqu’ils pensent ne pas pouvoir maîtriser leurs pulsions ou qu’ils souffrent d’une fantasmatique pédophilique obsédante. Elle doit se doubler d’une action psychologique passant par le médecin prescripteur, et peut créer une situation favorable à la mise en place des prises en charge psychothérapiques. La durée de prescription à recommander n’est pas précisée, il s’agit d’un traitement suspensif faisant craindre des rechutes à l’arrêt du traitement. Un suivi régulier et spécialisé est indispensable. Des études méthodologiquement plus fiables sont nécessaires pour pouvoir continuer à développer ces traitements, mais leur mise en place se heurte à des problèmes techniques (absence de critères standardisés et reproductibles de mesure de l’activité sexuelle) et éthiques (difficulté à mettre en place des études randomisées en double aveugle chez ce type de patient).

5. b Traitements psychotropes

- Des psychotropes appartenant à diverses classes thérapeutiques ont été utilisés dans le contrôle des troubles du comportement sexuel avec une efficacité discutée. Ils n’ont pas d’indication en dehors des cas où ces troubles sont associés à une pathologie psychiatrique avérée (neuroleptiques chez les patients psychotiques présentant des troubles du comportement sexuel secondaires à une activité délirante, thymorégulateurs dans les troubles de l’humeur associés à des désordres sexuels.)
- les Inhibiteurs de la Recapture de la Sérotonine (IRS) semblent avoir une certaine efficacité dans les paraphilies telles qu’exhibitionnisme ou pédophilie. Ils n’ont pas d’AMM dans cette indication. Elle est soutenue par des études en ouvert et une étude comparative sur 200 cas dans laquelle les IRS se montrent supérieurs à la TCC. Le mode d’action est peu clair, le meilleur contrôle de l’impulsivité est évoqué, dans ces études, une forte comorbidité avec les troubles obsessionnels compulsifs et la dépression est rapportée, ce qui pourrait constituer des indications préférentielles. Leur bonne tolérance est reconnue. On ne dispose pas à l’heure actuelle d’étude contrôlée les comparant aux traitements hormonaux, mais leur prescription pourrait être une alternative intéressante, notamment chez les adolescents durant la puberté pour lesquels les antiandrogènes sont contre indiqués.

4.2 CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE

4.2.1 Conditions de mise en oeuvre générales
4.2.1a - Consentement

Il y a lieu de distinguer la notion juridique du consentement aux soins et l’adhésion aux soins telles que le conçoivent clinicien et thérapeute.

Dans le consentement juridique à l’injonction de soin, telle que définie dans le cadre de la loi de 1998 entre une part de contrainte en raison du caractère alternatif à une peine privative de liberté. Ceci peut donc être à l’origine d’une dimension opportuniste du consentement initial.

La notion juridique de consentement éclairé aux soins implique un partage d’information entre patient et thérapeute, hiérarchisée, synthétique et claire, compréhensible et s’appuyant sur des données validées.
L’adhésion aux soins suppose la construction progressive d’une volonté de changement du patient, soutenue par l’engagement des deux parties dans une relation thérapeutique.

Le caractère opportuniste du consentement n’est pas obligatoirement une contre-indication à l‘engagement d’une relation thérapeutique.

Il existe des périodes fécondes favorables à l’engagement de la relation thérapeutique. La dimension d’obligation juridique peut, pour certains experts, être une condition favorable.

La contention propre à l’incarcération peut créer des conditions psychiques et matérielles favorables à la mise en oeuvre d’un processus thérapeutique.

4.2.1b - Approches thérapeutiques

Il y a lieu de distinguer au sein des différentes modalités thérapeutiques des approches globales (ex : visant l’organisation de la personnalité, la souffrance familiale) et les approches ciblées sur la problématique ayant entraîné la judiciarisation. Pour certains experts, il y a lieu de privilégier les approches ciblées pour réduire les troubles objectifs du comportement.

Il existe des catégories empiriques servant à l’identification des auteurs d’agression sexuelle.

L’articulation entre les différentes catégories et les indications des différentes modalités thérapeutiques apparaît diversement travaillée.

Les thérapies biologiques semblent avoir développé plus que d’autres la question des indications thérapeutiques en fonction de ces catégories. Sauf cas tout à fait particulier, une thérapeutique ne saurait être utilisée de façon exclusive. Il est nécessaire de donner au patient les moyens de choisir. Les données empiriques ne permettant pas de recommander une thérapeutique exclusive, les synergies conjointes ou séquentielles doivent être recherchées.

4.2.1c - Evaluation

Toute pratique clinique et thérapeutique doit s’étayer et se développer sur une analyse critique de ses résultats.
Il apparaît que trop peu des modalités thérapeutiques, proposées à l’heure actuelle, font l’objet d’une évaluation.

Pour les autres, les évaluations disponibles n’ont pas un caractère véritablement probant du fait du caractère insatisfaisant des méthodologies utilisées et du caractère non significatif des résultats positifs obtenus, sauf pour certaines études médicamenteuses.

Dans l’ensemble, les évaluations de ces différentes modalités thérapeutiques restent actuellement trop peu fréquentes et trop peu articulées les unes avec les autres.

4.2.1d - Continuité

Il n’y a pas à l’heure actuelle suffisamment de continuité entre, d’une part les soins en milieu carcéral tout au long du parcours carcéral, et d’autre part les soins en milieu carcéral et en post-carcéral.

Cette absence de continuité est considérée par les experts comme pénalisante pour l’efficacité de la prise en charge.

4.2.2 Conditions de mise en oeuvre spécifiques
4.2.2.a - Groupe

Il existe différentes modalités de groupe sous-tendues par des références théoriques diverses et des fonctionnements différents.

On identifie ainsi des groupes à visée thérapeutique explicite selon des références psychanalytiques, systémiques, de soutien, de relaxation, etc., et des groupes à visée socio-éducative (éducation sexuelle, sociothérapie, groupe de parole).

Un certain nombre de modalités de groupe sont assorties d’objectifs explicites.

Au niveau du fonctionnement, on repère des groupes ouverts, semi-ouverts, fermés. Les groupes fermés semblent plus appropriés aux personnes ayant accepté leur implication personnelle dans les faits pour lesquels ils sont poursuivis.

Les règles de fonctionnement habituelles, en particulier la confidentialité, sont applicables à ce type de groupe. L’entrée dans le groupe se fait après des entretiens préliminaires.

4.2.2b - Adolescents

Certains experts insistent sur l’intérêt particulier chez les adolescents d’une synergie entre la prise en charge thérapeutique, en particulier familiale, et la prise en charge socio-éducative. Ils insistent aussi sur l’utilité de mesures concrètes telles que par exemple « dédommagements matériels significatifs » dans une logique de réparation en cas d’agression sexuelle sur un membre d’une même fratrie. Par ailleurs, il est rappelé que la chimiothérapie hormonale est contre indiquée avant la fin de la puberté.

4.2.2c - Déficients mentaux

Pour les déficients mentaux profonds, auteurs d’agression sexuelle en institution, l’expert recommande une grande prudence dans la définition de l’agression sexuelle. Pour lui, l’approche féconde est plus à concevoir en terme de régulation institutionnelle sur la qualité de l’intimité et de l ‘expression de la sexualité, qu’en terme d’approche thérapeutique individuelle.
Il rappelle cependant que les déficients mentaux, sont des sujets de droit. La prise en charge des déficients mentaux, auteurs d’agression sexuelle, hors institution pose des problèmes thérapeutiques et éthiques complexes sur lesquels il est indispensable d’approfondir la réflexion et de développer des projets de recherche.

4.2.2d - Comorbidité, contexte, synergie

Les agressions sexuelles sont à replacer et à comprendre dans un contexte plus global, notamment en terme de comorbidités somatique et psychique, voire psychiatrique, ainsi que de contexte social général. Des traitements et prises en charge spécifiques de ces éléments contextuels sont donc nécessaires et peuvent contribuer à l’accompagnement thérapeutique.

Recommandations

1 - Répertorier les différentes pratiques et expériences actuelles tant dans les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) que les lieux de soins carcéraux, hospitaliers et ambulatoires publics, privés et associatifs, dans un but didactique et dans une finalité de recherche plus large sur les thérapeutiques.

2 - Rassembler ces informations afin de les diffuser auprès des professionnels concernés tant au niveau national qu’international. Un des outils à valoriser devrait être Internet.

3 - Le caractère rigoureux de la méthodologie des recherches à mener en terme d’évaluation des résultats des différentes thérapeutiques ainsi que l’ampleur nécessaire de ces recherches impose la mise en oeuvre de collaborations étroites entre professionnels et chercheurs. Les réseaux de recherche doivent être développés et pouvoir s’appuyer sur une agence de moyens, méthodologique et logistique.

4 - En l’attente de conclusions plus probantes de ces évaluations, la diversité des approches thérapeutiques doit être maintenue. Des modalités thérapeutiques diversifiées doivent pouvoir être disponibles dans des lieux suffisamment proches afin de mettre en oeuvre les possibilités de synergie entre les différentes thérapeutiques.

5 - Il y a lieu d’avoir dans chaque cas une évaluation régulière de la pertinence des approches thérapeutiques adoptées.

6 - L’organisation du dispositif de soin doit veiller à garantir la continuité des thérapeutiques engagées. L’organisation du système judiciaire et pénitentiaire doit tenir compte de ce principe.

` 7 - Les chimiothérapies devraient pouvoir sortir du stade expérimental et bénéficier du cadre légal de l’AMM.

V. Aspects déontologiques, éthiques, juridiques, administratifs et pratiques de la mise en oeuvre des traitements

PREAMBULE

La progression du nombre de personnes appréhendées et incarcérées pour des délits et des crimes à caractère sexuel, l’horreur de certaines affaires, l’intérêt croissant porté aux victimes, à leur souffrance, à celle de leurs familles, la volonté politique de prévenir les récidives d’agressions sexuelles... bref l’émoi collectif, ont amené les pouvoirs publics à légiférer pour rendre les soins obligatoires avant de les rendre possibles partout en France. L’évolution actuelle s’appuie sur les recommandations de trois commissions (CARTIER, BALIER, LEMPERIERE) et sur les points forts de l’organisation des soins en milieu carcéral, sur les avancées de la réflexion clinique et éthique, sur les expériences pratiques de certaines équipes, sur les progrès de la pensée criminologique et de l’esprit de concertation pluridisciplinaire.

En milieu ouvert, la prise en charge des auteurs d’agression sexuelle déborde le champ d’application de la loi du 17 juin 1998. En effet la grande majorité des auteurs d’agression sexuelle suivis en milieu ouvert le sont dans le cadre de l’obligation de soins qui assortit les autres mesures préexistantes à cette loi : sursis avec mise à l’épreuve, libération conditionnelle, sursis avec obligation d’effectuer un travail d’intérêt général, ajournement avec mise à l’épreuve, et contrôle judiciaire. De plus, bon nombre de condamnés pour ces infractions n’ont aucune obligation de soin après leur peine de prison, mais formulent des demandes spontanées de soin, notamment au titre de la continuité des soins postcarcérale.

Il devient important de rendre concrètement possible ce que la loi implique, en tenant compte de ce qu’elle prévoit des dispositions concernant le milieu ouvert. Jusqu’ici ce sont surtout les praticiens exerçant en milieu carcéral qui ont développé des propositions. Il convient désormais de développer la réflexion au sein des praticiens du milieu ouvert, afin que s’organise une offre compétente de soins et que soit assurée une cohérence et leur continuité. Cela est d’autant plus urgent que les agresseurs sexuels sont l’objet d’une double stigmatisation (du fait qu’ils ont affaire à la justice, et en raison du rejet que suscite cette modalité spécifique de violence). Cette stigmatisation a entraîné une réticence à les prendre en charge que les professionnels se doivent de dépasser en développant des dispositifs et des stratégies de prise en charge aussi compétentes que possible.

Les réflexions éthiques concernant l’articulation justice-santé, le respect du secret professionnel, et le cadre thérapeutique, présentent un intérêt majeur. Elles ne doivent ni prendre la place des élaborations et recherches cliniques, ni amener à des interruptions prématurées de prise en charge. Elles inspirent une dynamique, orientent des choix, évitent des dérives, garantissent l’efficacité des démarches de soins et le maintien de la relation thérapeutique.

5.1 QUEL EST LE CADRE ETHIQUE ET DEONTOLOGIQUE DU TRAITEMENT DES AUTEURS D’AGRESSION SEXUELLE EN DEHORS DE ET DURANT LA JUDICIARISATION ?

Quelques principes éthiques et déontologiques sont ici à rappeler :
- La prise en charge thérapeutique des auteurs d’agression sexuelle, si elle participe à une prévention de la récidive pénale, n’est pas pour autant une clinique de l’acte. Elle s’adresse à la personne qui ne doit jamais être réduite ni à ses actes ni à ses symptômes.
- Secret médical, professionnel et étanchéité vis-à-vis de la justice constituent une condition indispensable au cadre thérapeutique, en milieu carcéral comme dans le dispositif du droit commun.
- Dans la prise en charge médicale, la personne est un patient et non un délinquant.
- Les règles médicales habituelles sont donc en vigueur : pas de traitement sans indication médicale et pas de traitement sans évaluation.

Lorsqu’aucune procédure judiciaire n’est en cours : l’une des principales difficultés éthiques pour le praticien sera de repérer les situations nécessitant un signalement. En effet, le médecin aura en conscience à concilier des principes pouvant être contradictoires ou à choisir entre eux : d’une part, l’obligation de respecter le secret professionnel, les impératifs de la confidentialité nécessaires au cadre thérapeutique et la non ingérence dans les affaires de famille ; d’autre part, l’obligation légale de porter assistance à personne en péril (article 223.6 du code pénal) et l’urgence de signaler les mauvais traitements sur un mineur de 15 ans ou une personne vulnérable (article 226.14 du code pénal), lorsqu’elle est en danger.

Lorsqu’une procédure judiciaire est en cours :

- Les soins en détention reposent sur le principe du consentement : il ne saurait être proposé qu’une offre de soins, puis, le cas échéant, une incitation aux soins.
- En milieu ouvert, lorsque la personne est soumise à une injonction ou à une obligation, le médecin traitant n’a pas à rendre compte au juge des contenus et des modalités du soin. Seul, le médecin coordonnateur dans le suivi socio judiciaire ou l’expert désigné par le juge peuvent fournir une évaluation de l’effectivité des soins et de l’évolution de la personne.

5.2 QUEL EST LE CADRE LEGAL DU TRAITEMENT DES AUTEURS D’AGRESSION SEXUELLE EN DEHORS DE ET DURANT LA “JUDICIARISATION“ ? QUELLES SONT LES IMPLICATIONS DE L’OBLIGATION DE SOIN DE L’INJONCTION DE SOIN, ET DU SOIN VOLONTAIRE DANS LA PRISE EN CHARGE DES AUTEURS D’AGRESSION SEXUELLE ?

Différentes situations juridiques coexistent. Certaines sont antérieures à la loi de 1998, d’autres découlent du nouveau dispositif.

5.2.1 - La demande spontanée de soins peut intervenir en dehors de tout processus judiciaire.

La personne s’adresse à un médecin ou une équipe de soins en raison de sa souffrance psychique en relation avec une sexualité mal contrôlée.

Une personne peut également être déjà engagée dans un processus de soins en raison d’une pathologie, et la révélation d’agressions sexuelles commises par le patient en cours de traitement apparaît comme une occurrence à prendre en compte.
Dans ces 2 cas, le cadre légal est réduit aux exigences éthiques concernant le secret professionnel et ses limitations (articles 226-13, 223-6 et 226-14 du code pénal).

5.2.2 - La demande de soins spontanée motivée par le déclenchement d’une procédure pénale.

La remise d’un certificat médical en période pré-sententielle établi à la demande du patient pour faire valoir ce que de droit, destinée à être produite par lui à l’audience, est possible.

Afin de préserver le cadre thérapeutique de la continuité des soins, il est recommandé aux médecins traitants, qu’ils interviennent en détention ou en milieu ouvert, de ne pas en faire une évaluation de la réalité de la démarche de soins. Cette tâche sera réservée aux experts qui peuvent être mandatés par la juridiction.

5.2.3 - L’invitation aux soins

5.2.3.1 - A l’entrée en détention, l’équipe soignante doit présenter à la personne qui vient d’être écrouée les modalités existantes de l’offre de soins en détention.
La présomption d’innocence ne permet pas d’aller au delà de l’invitation, elle n’interdit pas cependant une prise en charge, indépendante à ce stade de la reconnaissance ou de la négation des faits.

5.2.3.2 - Dans le cadre de la préparation à la sortie, lorsque la personne n’est soumise à aucune mesure comportant injonction de soins ou obligation de soins relative à des agressions sexuelles, elle est néanmoins invitée par le psychiatre (loi de 94) à initier des soins, soit durant la période de détention restante, soit après la sortie.
L’équipe soignante intervenant en milieu pénitentiaire est chargée de prévoir la continuité des soins.

5.2.3.3. A l’expiration du suivi socio judiciaire, dont le dispositif sera décrit plus bas, le médecin coordonnateur (art 355. 33 du code de santé publique) informe l’intéressé qu’il peut poursuivre les soins hors champ judiciaire.

5.2.4. l’obligation de soin en milieu ouvert

Attachée à un aménagement de peine (ex : semi liberté, libération conditionnelle, ) ou à une mesure alternative à l’incarcération (contrôle judiciaire et sursis avec mise à l’épreuve), l’obligation de soin, décidée judiciairement, ne s’exécute qu’en milieu ouvert et s’impose à la personne sous main de justice qui encourt une incarcération en cas de non respect de celle-ci. La personne placée sous main de justice doit justifier auprès du travailleur social du service d’insertion et de probation qui en fait rapport au Juge de l’Application des Peines (JAP), de l’effectivité d’un traitement médical. Du fait du secret médical, cette justification ne peut se faire que par la production par l’intéressé d’une attestation de suivi établie à sa demande. Le juge d’application des peines ne peut obtenir d’évaluation de l’évolution de la personne que par une expertise.
Cette procédure qui ne repose pas sur un dispositif construit en partenariat avec le milieu médical a montré ses limites : elle fonctionne au mieux comme une incitation au soin mais peut aussi aboutir à un suivi médical formel et vide de sens pour le patient.

5.2.5. Le dispositif de la loi de 1998

Il a introduit deux cadres nouveaux :

5.2.5.1 l’incitation au soin en détention

Elle est renouvelée tous les 6 mois par le JAP auprès des personnes condamnées pour une agression sexuelle à une peine qui sera assortie d’une mesure de suivi socio-judiciaire.
En outre, l’expertise psychiatrique obligatoire, préalable à tout aménagement de peine et permission de sortie pour l’ensemble des auteurs d’agression sexuelle - qu’ils soient soumis ou non à un suivi socio-judiciaire par la suite - permet d’évaluer l’évolution de la personne. Cette exigence produit de façon indirecte une autre incitation au soin. Les résultats de cette expertise conditionnent en effet l’octroi d’avantages tels que réduction de peine, aménagement de peine, permission de sortie, libération conditionnelle.
Cette incitation aux soins génère une augmentation des demandes de soin en détention de la part de cette catégorie de détenus. Les secteurs de psychiatrie intervenant en milieu pénitentiaire accompagnent cette incitation aux soins en développant une offre de soin. Ils n’ont pas à rendre compte au magistrat du suivi médical engagé mais peuvent remettre à l’intéressé une attestation de suivi.

5.2.5. 2 L’injonction de soins.

Lorsqu’une mesure de suivi socio-judiciaire est prononcée par la juridiction, l’injonction de soin peut être décidée soit au moment de la condamnation par la juridiction, soit avant la libération par le JAP.
Lorsqu’elle s’ajoute à une peine d’emprisonnement, elle ne prend effet qu’à son issue.
Elle peut aussi être prononcée à titre de peine principale : c’est alors une peine restrictive de liberté, alternative à une incarcération. Le dispositif créé par la loi de 1998 place un médecin coordonnateur en interface entre le juge et le médecin traitant. La présence de ce médecin coordonnateur n’exclut pas le travail socio-éducatif de la SPIP mais leurs relations restent à préciser.
Le non respect de l’injonction de soin, ou des autres dispositions du suivi socio-judiciaire peut être sanctionné par la mise à exécution par le JAP de tout ou partie de la peine d’emprisonnement prévue dans la juridiction de jugement (cour d’assise, cour d’appel ou tribunal correctionnel).

5.3 QUEL EST LE ROLE DU MEDECIN COORDONNATEUR (EN PARTICULIER CONCERNANT LES RELATIONS ENTRE LES DIFFERENTS INTERVENANTS) ?

Le médecin coordonnateur est un psychiatre ou un médecin, ayant suivi une formation appropriée et inscrit sur une liste auprès du procureur de la république.
Un médecin coordonnateur inscrit sur la liste est désigné par le JAP pour chaque par personne soumise à une injonction de soin dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire.
Un médecin coordonnateur ne peut suivre plus de 15 sujets simultanément. La fonction du médecin coordonnateur a été élaborée pour maintenir l’indépendance indispensable du soin et de la peine, dans l’articulation des missions respectives, en préservant le secret médical du médecin traitant.
La mission du médecin coordonnateur s’organise autour de 4 axes:

- aider le condamné à choisir son médecin traitant ;
- conseiller le médecin traitant et lui transmettre les pièces et expertises nécessaires ;
- transmettre au juge de l’application des peines les éléments nécessaires au contrôle du suivi de l’injonction de soins ;
- informer le condamné arrivé au terme de ses obligations légales qu’il peut poursuivre les soins.

On comprendra que le médecin coordonnateur est chargé d’une évaluation longitudinale de l’effectivité des soins. Dans ce but, il examine régulièrement l’auteur d’agression sexuelle et informe le juge d’application des peines de son évolution.
Outre les expertises déjà réalisées et les éléments du dossier pénal dont il dispose pour l’exercice de sa mission, il n’aura d’autres informations cliniques sur la personne que celles qui résultent de ses propres examens.
Il n’est donc pas en situation de secret partagé avec le médecin traitant.

Recommandations

Les textes d’application devraient préciser davantage les relations du médecin coordonnateur avec les travailleurs sociaux du service pénitentiaire d’insertion et de probation qui sont impliqués dans le suivi socio-judiciaire.

5. 4 COMMENT CONCEVOIR L’EVOLUTION D’UNE RELATION THERAPEUTIQUE AU DELA ET APRES L’INCARCERATION ?

5.4.1 - L’offre de soins en détention

Le dispositif de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire a pour mission de répondre aux besoins de santé mentale de l’ensemble des détenus, quelque soit la nature des infractions et délits présumés ou commis. Il est pleinement compétent concernant le suivi médico psychologique des condamnés auteurs d’agressions sexuelles.
L’accueil des entrants en détention dans les premiers jours, voire les premières heures, est effectué par les divers intervenants en milieu carcéral et notamment les équipes soignantes.
La généralisation des quartiers d’arrivants permet une prise en charge globale de la personne et de l’ensemble de ses difficultés avec un travail pluridisciplinaire des divers partenaires.
Ces interventions précoces placent d’emblée le sujet dans une dynamique et contribuent à prévenir le risque d’état dépressif réactionnel ou d’effondrement narcissique, voire de suicide.
La relation thérapeutique avec les auteurs d’agression sexuelle établie lors des premiers entretiens peut être charpentée par un questionnaire clinique. Les plus connus sont le « guide d’évaluation des agresseurs sexuels » (Aubut, 1993) et le QIC PAAS (Balier, Ciavaldini, Khayat, 1997).

S’il est généralement admis que la légitimité et l’efficacité du soin dépendent de la motivation du sujet, l’évaluation préalable ne doit pas déboucher sur un choix binaire : indication ou contre indication de la prise en charge.

5.4.2 - L’incitation aux soins

“L’invitation aux soins“ pendant la détention provisoire et “l’incitation aux soins“ après la condamnation ne consistent pas seulement à indiquer la démarche pour obtenir une consultation.
Elle comprend aussi les entretiens éducatifs, pré-thérapeutiques ou déjà thérapeutiques dans une relation d’étayage. L’explication des méthodes et objectifs, en insistant sur l’espace de confidentialité que permet le caractère absolu du secret professionnel, elle permet souvent de faire tomber les réticences et d’avancer pas à pas.
Le positionnement du sujet face à l’acte commis peut évoluer et il s’agit alors pour le praticien de décrypter les différentes expressions de dénégation partielle ou de minimisation pour accompagner le patient dans la voie d’une meilleure reconnaissance de ses responsabilités et de l’empathie pour la victime.
L’émergence d’une demande de soins permet alors à la personne de s’inscrire dans une démarche psychodynamique ou tout autre démarche thérapeutique.

5.4.3 - La complémentarité avec le travail des SPIP

Le développement de la guidance en France permettrait d’associer davantage le SPIP à la prévention de la récidive dans un travail à visée pédagogique : diffusion d’informations sur la sexualité, sensibilisation à la souffrance des victimes. Ce travail éducatif, préalable ou complémentaire aux soins, est une incitation active à l’implication dans le processus thérapeutique.

En outre, l’intention de soin exprimée par l’auteur d’agression sexuelle est à prendre en compte par le travailleur social dans l’élaboration du projet d’exécution de peine et l’orientation dans un établissement pour peine.
Les groupes de parole à visée socio-éducative et pédagogique animés par les SPIP doivent être clairement distingués du champ thérapeutique et faire également l’objet d’évaluation.

5.4.4 - La continuité des soins

Le Service Médico Psychologique Régional (SMPR) ou le secteur psychiatrique intervenant en milieu pénitentiaire est chargé dans les missions qui lui sont assignées d’organiser la continuité des soins au moment de la préparation de la sortie, afin de passer le relais au secteur dont dépend le patient.

L’éloignement géographique de la personne de sa région d’origine lorsqu’elle a fait l’objet d’un transfert en établissement pour peine ne facilite pas ce relais.
Les praticiens intervenant en milieu pénitentiaire se heurtent aux difficultés et à la réticence des secteurs pour reprendre le suivi ambulatoire des personnes sortant de prison.
Pour les auteurs d’agression sexuelle, ces difficultés sont d’autant plus grandes qu’il existe peu de psychiatres expérimentés dans ce domaine et que la désinsertion dont ils souffrent ne leur permet pas de s’adresser à leur secteur d’origine. L’apport du savoir théorique et de la compétence technique est une condition nécessaire mais non suffisante pour répondre à la question du contre transfert.

Lorsque l’Auteur d’agression sexuelle fait l’objet d’un suivi socio judiciaire avec injonction de soins, la continuité des soins sera à articuler avec le médecin coordonnateur qui désigne le médecin traitant. Cette mesure ne connaît toutefois encore qu’une application balbutiante.
Il importe que l’ensemble des secteurs de psychiatrie puissent être concernés par la prise en charge ambulatoire de ces patients qui doivent être accueillis comme les autres.
La création de centres de ressources et de réseaux de soins incluant les praticiens libéraux, les actions de formation qui peuvent s’y développer apparaissent aujourd’hui indispensables afin d’assurer cette continuité des soins en milieu ouvert.
D’ores et déjà, un certain nombre SMPR ont créé des consultations ambulatoires en milieu ouvert permettant d’assurer la continuité des soins après la prison. Dans ces expériences, les soignants du SMPR en mesure de s’impliquer dans la continuité des soins après la prison, s’associent aux soignants appartenant en propre au CMP. Ils pourraient ainsi, par un renforcement de leurs moyens, devenir un pôle de promotion de recherche et de référence et un lieu de rencontre des professionnels intéressés, facilitant le relais avec les équipes de secteur.
La pertinence de structures spécifiques accueillant exclusivement les auteurs d’agressions sexuelles n’est pas établie du fait qu’elles renforceraient la stigmatisation dont ils font déjà l’objet et favoriseraient le désengagement des secteurs.

5.5 QUELS SONT ACTUELLEMENT LES MOYENS ET LES MODALITES SPECIFIQUES D’ORGANISATION RECOMMANDEES DANS LE TRAITEMENT DES AUTEURS D’AGRESSION SEXUELLE

5.5.1. Le jury recommande, plutôt que de créer une filière spécifique de traitement des agresseurs sexuels, d’organiser la prise en charge de ces patients au sein du dispositif sectoriel de prise en charge psychiatrique, en articulant l’action thérapeutique au moyen d’un réseau incluant notamment les praticiens libéraux, avec un partenariat socio-éducatif.

5.5.2. Les différents intervenants dans le processus de soin doivent accéder à une formation initiale et continue permettant le développement et la mise en commun de leurs compétences. Cette formation ne devrait pas être uniquement théorique et universitaire. Elle est nécessairement pluridisciplinaire : approches cliniques, épidémiologie, droit, sociologie, expériences de terrain, etc.

5.5.3 Il est recommandé que les professionnels de la psychiatrie et de la justice puissent se rapprocher pour améliorer l’accès et la continuité des soins. Ce rapprochement pourrait prendre la forme de réseaux santé-justice intersectoriels et organisés pas bassins de vie, articulant le nécessaire partenariat entre les soignants, les intervenants socio-éducatifs et les acteurs judiciaires dans le but d’élaborer, de mettre en oeuvre l’évolution du dispositif. Il s’agit de rencontres institutionnelles qui n’aborderont jamais des cas cliniques individuels.

5.5.4 Les risques affectifs et personnels inhérents aux prises en charge psychothérapeutiques (contre transfert, transfert négatif, etc. ) conduisent à recommander qu’elles se déroulent dans le cadre d’un travail d’équipe. En outre, elles devraient faire l’objet de mise en commun des vécus et des expériences au travers d’une pratique de contrôle individuel ou de groupe. Il est recommandé aux thérapeutes de ne pas rester isolés.

5.5.5 Tout programme de traitement doit comporter une méthodologie formalisée permettant d’évaluer à la fois les progrès individuels et l’efficacité du programme dans son ensemble.

5.5.6 En admettant l’hypothèse que dans ce type de pathologie la relation à l’autre est à restaurer, chez les adolescents comme chez les adultes, il y a lieu de mettre en oeuvre des protocoles de recherche permettant d’évaluer de façon comparative l’efficacité des thérapies individuelles et des thérapies de groupe pour restaurer ce lien.

5.5.7 En admettant que certaines techniques de psychothérapie restaurent efficacement le lien interpersonnel, il y a lieu de mettre en oeuvre des protocoles de recherche permettant d’établir si l’amélioration de la relation interpersonnelle est un critère pertinent en matière de prévention de la récidive.

5.5.8 Le respect de la loi Huriet, sur la protection des personnes qui se prêtent à la recherche bio médicale nous paraît compatible avec la réalisation en milieu carcéral de protocoles de recherche de bonne qualité méthodologique et éthique, sous réserve de confirmation par le CCNE.

5.5.9. L’organisation d’échanges internationaux sur les nombreux aspects méthodologiques et éthiques intervenant dans le traitement des agresseurs sexuels, qui réunirait des chercheurs, des cliniciens, des juristes et des éthiciens, est un objectif de nature à faire avancer la connaissance et la qualité des soins.

L’offre de soins individuels diversifiée appelée encore à se développer devra être complétée par un centre de ressources à l’échelon départemental ou interdépartemental.


Dernière mise à jour : jeudi 8 mai 2003 10:21:02
Dr Jean-Michel Thurin