Le cadre éthique et déontologique du traitement des auteurs d’agression sexuelle en dehors et durant la judiciarisation

Problème du secret professionnel et de la responsabilité du psychiatre

Dr Marcel DANAN[1]

 

 

C’est une gageure que de traiter un tel sujet pour une conférence de consensus ! Recommander à un médecin d’appliquer la déontologie est superflu voire injurieux : n’a-t-il pas prêté serment de le faire. Il en est de même pour le droit, nul n’étant sensé ignorer la Loi. Par contre, lorsqu’il s’agit d’éthique les avis peuvent et, pourquoi pas, doivent diverger. On ne peut imposer une éthique, on doit susciter une réflexion sur la signification de nos actes en tenant compte de leurs tenants et aboutissants. « Nous avons tout à gagner à remplacer la pure déclaration de bonnes intentions par une réflexion éthique complexe » écrit Monique CANTO-SOERBER(1), spécialiste de la philosophie antique et morale, pour laquelle il n’y a pas de différence fondamentale entre l’éthique et la morale dès lors qu’il s’agit de réfléchir. Paul RICOEUR(2), par contre, tient à la nécessité de disposer de deux termes. Pour lui le terme « éthique » doit s’employer par rapport à un point fixe, « le noyau » représentant le concept de morale qui est le terme fixe de référence auquel il assigne une double fonction « …celle de désigner, d’une part, la région des normes, autrement dit des principes du permis et du défendu,  d’autre part, le sentiment d’obligation en tant que face subjective du rapport d’un sujet à des normes ». Ce concept d’éthique est clivé par P. RICOEUR entre « l’éthique antérieure (ou fondamentale) pointant vers l’enracinement des normes dans la vie, et dans le désir [et] l’éthique postérieure [ou appliquée] visant à insérer les normes dans les situations concrètes ». Appliquée à la médecine cette perspective fait apparaître l’acte médical comme ayant un triple encadrement normatif : Code de Déontologie Médicale, savoir médical et règles administratives. En amont (éthique antérieure) se trouve « la sollicitude, qui demande que secours soit porté à toute personne en danger ». C’est là, pour notre thème, celui des agresseurs sexuels, que le débat et la réflexion commencent. Vers qui va se porter la sollicitude : vers l’agresseur (présumé innocent tant qu’il n’a pas été condamné) ou l’agressé parfois inconnu du psychiatre, ou les deux ? Le psychiatre va avoir à sa disposition un certain nombre de textes, que nous jugeons indispensable de rappeler, et sa conscience.

 

Traiter un agresseur sexuel avant la judiciarisation est un exercice redoutable voire impossible sinon périlleux pour le psychiatre. A ce stade il s’agit plutôt du traitement… de l’information recueillie auprès du consultant ou reçue de son entourage. Nous étudierons tous les cas de figure possibles en soulignant la complexité des situations.

 

Traiter un agresseur sexuel durant la judiciarisation est plus facile sur le plan de la responsabilité professionnelle, mais va confronter le thérapeute à de multiples cas de conscience même s’il a l’appui des lois.

 

 

 

 

 

CADRE DEONTOLOGIQUE

 

Le Code de Déontologie médicale actuel (décret n° 95-1000 du 06 septembre 1995 – J.O. du 08 septembre 1995) modifié par le décret n° 97-503 du 21 mai 1997 (J.O. du 22 mai 1997) insistait sur l’affirmation des droits du malade, la nécessité de les informer et de les protéger. Il a intégré les apports de la jurisprudence et les références aux législations intervenues depuis 1979 (année du précédent Code de Déontologie).

 

Les articles suivants sont plus particulièrement à respecter lorsqu’il s’agit des agresseurs sexuels et de leurs victimes :

 

¨     Article 4 : « Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est à dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».

 

¨     Article 43 : « Le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage ».

 

 

¨     Article 44 : « Lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. S’il s’agit d’un mineur de quinze ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique il doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administrations ».

 

¨     Article 28 : « La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite ». Le médecin ne doit certifier que ce qu’il a lui-même constaté.

¨     Article 51 : le médecin ne doit pas s’immiscer sans raison professionnelle dans les affaires de famille ni dans la vie privée de ses patients.

 

¨     Article 5 : « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ».

 

¨     Article 6 : « Le médecin doit respecter le droit que possède toute personne de choisir librement son médecin. Il doit lui faciliter l’exercice d ce droit ».

 

¨     Article 36 : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences… ».

 

Chacun de ces articles soulève un débat éthique car dans la pratique les choses ne sont pas toujours simples aussi bien pour ce qui concerne le secret professionnel, le signalement des faits venus à la connaissance du médecin, la protection de l’enfant, des incapables majeurs, le libre choix du patient et le consentement du malade auquel on propose un soin.

 

Par ailleurs le Code de Déontologie fait référence aux lois existantes lors de sa promulgation d’où une difficulté supplémentaire : qu’en est-il de l’aspect déontologie des lois votées après la parution du C.D.M. en attendant la parution, en préparation, du prochain Code.

 

 

LE CADRE JURIDIQUE

 

1° - Le Code actuel de Déontologie a intégré les articles du Code du 1er mars 1994 :

 

¨     Article 226-13 : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, soit par état soit par profession, en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 100.000 F d’amendes ».

 

¨     Article 226-14 : « L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre il n’est pas applicable : premièrement à celui qui informe les autorités judiciaires médicales ou administratives de sévices ou privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, deuxièmement au médecin qui avec l’accord de la victime porte à la connaissance du Procureur de la République les sévices qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de toute nature ont été commises ».

 

Il existe donc des dérogations légales au secret professionnel.

 

¨     Article 223-6 : est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 500.000 F d’amendes « quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui porter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.

 

¨     Article 434-1 sur la non dénonciation de crime : « Le fait pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 F d’amendes. …Sont exemptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13.

 

¨     Article 434-3 : « Le fait pour quiconque ayant eu connaissance de mauvais traitements, privations infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de protéger en raison de son âge, d’une maladie ou d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique, ou d’une état de grossesse, de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et 300.000 F d’amendes. Sauf lorsque la loi en dispose en autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ».

 

¨     Une circulaire du 14 mai 1993 commentant les dispositions de la partie législative du Code Pénal mentionne : « En excluant expressément des dispositions de l’article 434-3 les personnes tenues au secret professionnel, ce qui implique que la décision de signalement est laissée à la seule conscience de ces personnes, le législateur a notamment pensé à la situation des médecins. Il a ainsi estimé que ces derniers ne devaient pas être obligés, sous peine de sanction pénale, de signaler des mauvais traitements, afin d’éviter que les auteurs de sévices n’hésitent à faire prodiguer à l’enfant les soins nécessaires par crainte d’être dénoncés ». L’ambiguïté peut donc persister et ce d’autant que cette circulaire poursuit : « Il convient néanmoins de rappeler que les dispositions de l’article 223-6 du nouveau Code réprimant la non assistance à personne en péril sont applicables aux personnes soumises au secret professionnel et qu’en cas de mauvais traitement mettant en danger la vie ou l’intégrité physique d’un mineur ou d’une personne vulnérable, un médecin ne saurait rester passif sans encourir les peines prévues par cet article. La non application de l’article 434-3 ne justifie donc pas l’absence de tout intervention de la part du médecin. Cette intervention peut revêtir diverses formes et avoir par exemple pour objet l’hospitalisation de la victime. Mais elle peut également consister en un signalement aux autorités administratives ou judiciaires puisque l’article 226-14 lève le secret professionnel dans cette hypothèse ».

 

- Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.

 

Cette loi qui n’a pas encore été prise en compte par le Code de Déontologie médicale soulève divers problèmes de conscience faisant jouer un rôle considérable aux médecins et en particulier aux psychiatres aussi bien traitants qu’experts. Nous rappelons ci-dessous les principales dispositions de cette loi.

 

Il est inséré après l’article 131-36 du Code Pénal une sous-section 6 ainsi rédigée :

-       Article 131-36-1 : « Dans les cas prévus par la loi la juridiction de jugement peut ordonner un suivi socio-judiciaire. Le suivi socio-judiciaire comporte pour le condamné, l’obligation de se soumettre sous le contrôle du Juge de l’Application des Peines et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive. La durée du suivi socio-judiciaire ne peut excéder dix ans en cas de condamnation pour délit ou vingt ans en cas de condamnation pour crime ».

 

-       Article 131-36-4 : « Le suivi socio-judiciaire peut comprendre une injonction de soins. Cette injonction peut être prononcée par la juridiction de jugement s’il est établi après une expertise médicale ordonnée dans les conditions prévues par le Code de Procédure Pénale, que la personne poursuivie est susceptible de faire l’objet d’un traitement. Cette expertise est réalisée par deux experts en cas de poursuites pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’acte de barbarie. Le Président avertit alors le condamné qu’aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que s’il refuse les soins qui lui sont proposés, l’emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l’article 131-36-1 pourra être mis à exécution. Lorsque la juridiction de jugement propose une injonction de soins et que la personne a été également condamnée à une peine privative de liberté non assortie de sursis, le Président informe le condamné qu’il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l’exécution de la peine ».

 

 

-       Article 131-36-5 : « L’emprisonnement ordonné en raison de l’inobservation des obligations résultant du suivi socio-judiciaire se cumule, sans possibilité de confusion, avec les peines privatives de liberté prononcées pour des infractions commises pendant l’exécution de la mesure ».

 

-       Article 131-36-7 : « En matière correctionnelle le suivi socio-judiciaire peut être ordonné comme peine principale.

 

La loi complète l’article 721-1 du Code de Procédure Pénale : « Sauf décision du Juge de l’Application des Peines, prise après avis de la Commission de l’Application des Peines, les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins, et qui refusent de suivre un traitement pendant leur incarcération, ne sont pas considérées comme manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale ».

 

La loi introduit dans le Code de Procédure Pénale l’article 763-3 : « Le Juge de l’Application des Peines peut également s’il est établi après une expertise médicale ordonnée postérieurement à la décision de condamnation que la personne astreinte à un suivi socio-judiciaire est susceptible de faire l’objet d’un traitement, prononcer une injonction de soins. Cette expertise est réalisée par deux experts en cas de condamnation pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’acte de barbarie. Le Juge de l’Application des Peines avertit le condamné qu’aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que s’il refuse les soins qui lui seront proposés, l’emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l’article 131-36-1 du Code Pénal pourra être mis à exécution ». Il s’agit donc de soins sous conditions.

 

Article 763-4 du Code de Procédure Pénale : « Lorsque la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins doit exécuter cette mesure à la suite d’une peine privative de liberté, le Juge de l’Application des Peines peut ordonner l’expertise médicale de l’intéressé avant sa libération. Cette expertise est obligatoire si la condamnation a été prononcée plus de deux mois auparavant. Le Juge de l’Application des Peines peut en outre, à tout moment du suivi socio-judiciaire et sans préjudice des dispositions de l’article 763-6, ordonner, d’office ou sur réquisition du Procureur de la République, les expertises nécessaires pour l’informer sur l’état médical ou psychologique de la personne condamnée. Les expertises prévues par le présent article sont réalisées par un seul expert, sauf décision motivée du Juge de l’Application des Peines ».

 

Article 763-5 : « En cas d’inobservation des obligations mentionnées à l’article 131-36-2 et 131-36-3 du Code Pénal  (suivi socio-judiciaire) ou de l’injonction de soins, le Juge de l’Application des Peines peut, d’office ou sur réquisitions du Procureur de la République, ordonner par décision motivée, la mise à exécution de l’emprisonnement prononcé par la juridiction de jugement en application du troisième alinéa de l’article 131-36-1 du Code Pénal… En cas d’inobservation des obligations ou de l’injonction de soins, le Juge de l’Application des Peines peut délivrer un mandat d’amener contre le condamné ».

 

Article 733-6 : « Toute personne condamnée à un suivi socio-judiciaire peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, à la dernière juridiction qui a statué, de la relever de cette mesure… La demande de relèvement est à adresser à Juge de l’Application des Peines qui ordonne une expertise médicale et la transmet à la juridiction compétente avec les conclusions de l’expert ainsi que son avis motivé. L’expertise est réalisée par deux experts en cas de condamnation pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’acte de barbarie ».

 

Article 763-7 : « Lorsqu’une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins doit subir une peine privative de liberté, elle exécute cette peine dans un établissement pénitentiaire prévu par le second alinéa de l’article 718 et permettant de lui assurer un suivi médical et psychologique adapté. Elle est immédiatement informée par le Juge de l’Application des Peines de la possibilité d’entreprendre un traitement. Si elle ne consent pas à suivre un traitement, cette information est renouvelée au moins une fois tous les six mois ».

 

La loi du 17 juin 1998 attribue un rôle important aux experts psychiatres. Nous verrons plus loin les débats éthiques et déontologiques qui découlent de ce rôle. Cette loi introduit dans le Code de Procédure Pénale à l’article 706-47 l’obligation d’une expertise avant tout jugement sur le fond des personnes poursuivies pour le meurtre ou l’assassinat d’un mineur ou pour les infractions visées aux articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du Code Pénal. L’expert est interrogé sur l’opportunité d’une injonction de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. « Cette expertise peut être ordonnée dès le stade de l’enquête par le Procureur de la République. Elle est communiquée à l’administration pénitentiaire en cas de condamnation à une peine privative de liberté afin de faciliter le suivi médical et psychologique en détention.

 

3° - Décret n° 99-571 du 07 juillet 1999.

 

Ce décret introduit dans le Code de Procédure Pénale des dispositions communes relatives au suivi socio-judiciaire (article R 61 à R 61-3) et des dispositions particulières applicables aux personnes exécutant une peine privative de libertés (article R 61-4, 5 et 6)

 

4° - Le décret n° 2000-412 du 18 mai 2000.

 

Pris pour l’application du titre IX du livre III du Code de la Santé Publique et relatif à l’injonction de soins concernant les auteurs d’infraction sexuelle et modifiant le Code de la Santé Publique, ce décret a précisé le rôle du médecin coordonnateur, le choix du médecin traitant et le déroulement de l’injonction de soins.

 

 

La loi a ainsi créé le médecin coordonnateur et précisé le rôle du médecin traitant

 

1° - Le médecin coordonnateur

 

Article L 355-33 du Code de la Santé Publique : « Pour la mise en œuvre de l’injonction de soins prévue par l’article 131-36-4 du Code Pénal le Juge de l’Application des Peines désigne sur une liste de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée établie par le Procureur de la République, un médecin coordonnateur qui est chargé : Premièrement d’inviter le condamné au vu des expertises médicales… à choisir un médecin traitant. En cas de désaccord persistant sur le choix effectué, le médecin est désigné par le Juge de l’application des Peines après avis du médecin coordonnateur (problème du libre choix du médecin), deuxièmement de conseiller le médecin traitant si celui-ci en fait la demande (problème de l’indépendance du médecin), troisièmement de transmettre au Juge de l’Application des Peines ou de l’Agent de Probation les éléments nécessaires au contrôle de l’injonction (problème de secret professionnel), quatrièmement d’informer en liaison avec le médecin traitant le condamné dont le suivi socio-judiciaire est arrivé à son terme de la possibilité de poursuivre son traitement en l’absence de tout contrôle, autorité judiciaire, et lui indiquer les modalités et la durée qu’il estime nécessaires et raisonnables à savoir de l’évolution des soins en cours (problème du consentement aux soins) ».

 

Le médecin coordonnateur est l’interface entre les juridictions et le médecin traitant (article L355-34 du Code de la Santé Publique)

 

2° - Le médecin traitant :

 

¨     Article L 355-34 : « Le médecin traitant délivre des attestations de suivi du traitement à intervalle régulier. Afin de permettre au condamné de justifier auprès du Juge de l’Application des Peines de l’accomplissement des injonctions de soins ».

 

¨     Article L 355 – 35 : « Le médecin traitant est habilité, sans que puissent lui être opposées les dispositions de l’article 226-13 du Code Pénal, à informer le Juge de l’Application des Peines ou l’Agent de Probation de l’interruption du traitement. Lorsque le médecin traitant informe le Juge ou l’Agent de Probation, il en avise immédiatement le médecin coordonnateur. Le médecin traitant peut également informer de toute difficulté survenue dans l’exécution du traitement le médecin coordonnateur qui est habilité, dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa précédant, à prévenir le Juge de l’Application des Peines ou l’Agent de Probation. Le médecin traitant peut également proposer au Juge de l’Application des Peines d’ordonner une expertise médicale ».

 

Ces différents textes qui peuvent paraîtrent simples à première vue comportent de nombreuses difficultés d’application tenant à chaque cas particulier et à des contradictions au moins apparentes entre les législations, le médecin étant par exemple tenu de faire certains signalements soit de façon obligatoire (peut être poursuivi pour non dénonciation ou non assistance à personne en péril) soit ayant la possibilité d’apprécier en conscience la possibilité d’informer.

 

Nous allons essayer d’envisager à la lueur de ces textes et des différentes situations concrètes qui peuvent être rencontrées, la conduite à tenir pour le psychiatre.

 

 

CONDUITE A TENIR EN DEHORS DE LA JUDICIARISATION

 

Le médecin, qu’il soit psychiatre, généraliste, pédiatre, gynécologue, est en position de médecin traitant à l’écoute de ses patients et peut recueillir, soit d’eux soit de leurs proches ou de leur environnement, des indications permettant de penser que des faits délictuels ou criminels sont en train de se produire ou se sont produits par le passé. Plusieurs situations sont possibles, chacune d’entre elles posant un problème éthique et déontologique particulier.

 

1° - Le consultant, patient habituel ou vu pour la première fois, se confie spontanément. Voilà notre médecin au cœur d’un débat moral, pris entre des textes juridiques qu’il peut percevoir comme contradictoires et l’intérêt d’une victime qu’il ne connaît pas. Le médecin doit d’abord évaluer s’il ne s’agit pas d’auto-accusation pathologique donc délirante. C’est une situation qui est exceptionnelle mais qui peut se rencontrer. Il faut donc un minimum de temps pour que le médecin établisse son diagnostic. Pendant ce temps des faits graves peuvent se poursuivre et le médecin peut être mis en cause. Exemple : une jeune femme s’accusant avec de nombreux détails d’acte de pédophilie sur ses jeunes neveux. Il est apparu qu’il s’agissait d’une psychose délirante.

 

Lorsqu’il est avéré qu’il s’agit de faits réels le médecin va s’interroger à partir, d’une part de l’intérêt de son patient qui demande des soins et se confie à lui, et d’autre part la nécessité sinon l’obligation de faire cesser un crime ou un délit. Dénoncer systématiquement risque d’éloigner les patients des médecins. Le praticien devra tenir compte des articles 434-1 et 434-3 du Code Pénal sur la dénonciation des auteurs de crimes et délits qui ne s’applique pas aux personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. Or, cet article n’est pas applicable (article 226-14) à celui « qui n’informe pas les autorités judiciaires médicales ou administratives… ».

 

 

Nous nous trouvons donc en présence de textes contradictoires aboutissant pour des cas similaires à des obligations opposées. L’article 223-6 du Code Pénal sur l’abstention volontaire de porter assistance à une personne en péril doit finalement l’emporter.

 

Si le médecin n’est pas obligé de dénoncer le crime qui lui a été révélé par son patient il reste tenu d’une obligation de porter assistance aux personnes confrontées à un péril grave et imminent. C’est d’ailleurs par le biais de l’article 223-6 que les médecins risquent le plus d’être poursuivis. Des affaires de ce type sont signalées. Le médecin qui connaît l’identité de la victime même s’il ne l’a pas vue doit donc intervenir pour protéger celle-ci en vue d’éviter la répétition de tels actes. Si la victime n’est pas déterminée, c’est à dire si le sujet s’accuse d’être pédophile mais ne divulgue aucun nom, le médecin ne doit pas le dénoncer mais il doit cependant essayer au cours des entretiens de repérer d’éventuelles victimes même si cela peut le faire sortir de son rôle de thérapeute.

 

La Cour de Cassation (08 avril 1998) insiste sur l’obligation du secret professionnel établie par l’article 226-13 hormis les cas où la loi en dispose autrement.

 

2° - Le médecin pressent, devine qu’il est devant une situation d’abus sexuel. Il s’agit de patients chez lesquels le psychiatre perçoit une structure perverse mais qui ne font état d’aucun passage à l’acte. Bien entendu il n’est pas question de dénoncer ces sujets. Toutefois le médecin peut être incriminé s’il apparaît que ce sujet a commis des délits ou des crimes sexuels et qu’il est fait état dans la procédure qu’il voyait régulièrement un thérapeute. Le médecin peut être interrogé dans le cadre de la procédure et sollicité pour un témoignage en justice à toutes les étapes de l’information, de la garde à vue à l’instruction, et éventuellement au procès.

 

Le Guide d’Exercice Professionnel(4) réalisé par l’Ordre des Médecins est clair à ce sujet : « En justice un médecin appelé à témoigner sur des faits d’ordre professionnel doit se taire. Il ne lui est pas permis de parler. N’ayant rien su de l’activité de son patient il n’a rien à dire ». Il n’a pas non plus à évoquer la personnalité de celui qui l’a consulté mais l’a aussi induit en erreur par omission.

 

3° - Le médecin est informé par un tiers. Il arrive que les médecins reçoivent des informations de conjoint(s) du patient (ex-conjoint d’ailleurs le plus souvent), de voisins, d’assistantes sociales…

 

¨     La victime est déterminée et il s’agit d’un mineur de 15 ans. Le médecin doit faire état de ses informations auprès de son patient, recueillir ses observations. Si les faits sont avérés il tombe dans le cas n° 1 (le patient se confie spontanément) et a le devoir de signaler les faits aux autorités administratives ou judiciaires.

 

Si le patient ne reconnaît pas les faits et si ceux-ci lui paraissent plausibles il doit essayer de gagner sa confiance et il aura alors aussi le douloureux devoir d’informer les autorités administratives ou judiciaires.

Par contre si les faits lui paraissent peu plausibles il doit se donner un délai de réflexion. Il s’agit donc de situations qui ne peuvent être résolues qu’au cas par cas.

 

¨     La victime est âgée de plus de quinze ans. Le médecin n’a pas l’obligation légale de dénoncer mais le devoir moral de faire cesser les faits s’ils sont encore en cours en informant les autorités administratives.

 

¨     La victime est indéterminée. Il peut s’agir de rumeur infondée, de dénonciation calomnieuse. Le médecin sera extrêmement prudent afin de ne pas être poursuivi pour avoir eu un zèle intempestif. Il doit cependant être extrêmement vigilant.

 

4° - Le médecin connaît la victime. Le problème est simple. Il n’y a pas de secret professionnel lorsqu’il s’agit d’un mineur de quinze ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, de son état physique ou psychique. Toutefois il y a lieu de se méfier des fausses accusations en particulier suscitées par un conjoint dans le cadre d’un divorce conflictuel. Les cas les plus nombreux sont ceux rencontrés dans les institutions où des mineurs de quinze ans ou des personnes handicapées peuvent être victimes du personnel de l’institution, d’autres pensionnaires, ou à l’extérieur lors des visites en famille naturelles ou en famille d’accueil.

 

La jurisprudence est claire. Des faits de ce type ne peuvent être dissimulés.

 

La Cour d’Appel d’ANGERS par arrêt du 12 juillet 1994 (Gazette du Palais, 1994, 2, p 720) a condamné diverses personnes dont un psychiatre pour n’avoir pas pris les mesures qui s’imposaient alors qu’elles étaient informées d’actes de sodomie perpétrés sur un mineur de sept ans. Le pouvoir qu’ils ont formé contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de Cassation le 08 octobre 1997. La Cour de Cassation a estimé que « le secret professionnel imposé aux membres d’un service éducatif sur la situation d’un mineur confié à celui-ci par le Juge des Enfants est inopposable à cette autorité judiciaire ». La Cour de Cassation a relevé que les prévenus avaient connaissance du danger imminent auquel le mineur était exposé, la conscience de pouvoir agir, mais qu’ils s’étaient contentés de minimiser ou de dissimuler les faits et de remettre à une date éloignée l’examen de l’affaire. Tous les éléments constitutifs du délit ont été considérés comme réunis, ni l’article 63 de l’ancien Code Pénal ni l’article 223-6 alinéa 2 du nouveau Code Pénal n’admettant d’exception à la nécessité d’agir en faveur des personnes astreintes au secret professionnel. De plus la Cour de Cassation a fait observer que l’article 434-3 excepte les personnes astreintes au secret professionnel de l’obligation d’informer les autorités administratives et judiciaires « sauf lorsque la loi en dispose autrement ». La Cour Suprême a estimé que de nombreux textes rendent inopposables le secret professionnel à l’autorité judiciaire qui a confié un mineur à un service éducatif.

 

A noter que la Cour de Cassation avait déjà sanctionné l’infraction de non dénonciation au Juge par un responsable d’un service social (Cass. Crim. 24 janvier 1995).

 

 

Les certificats médicaux. Se contenter de rédiger un certificat médical concernant des déclarations d’enfants mineurs de quinze ans et les remettre à un des parents dans le cadre d’une procédure de divorce peut exposer un médecin à des poursuites surtout quand celui-ci peut être accusé d’immixtion dans des affaires de famille.

 

Le Conseil d’Etat statuant en contentieux (n° 195062) a considéré lors de sa séance du 22 mai 2000 qu’un médecin « n’avait pas usé des moyens de protection de l’enfant que lui confère les dispositions, dans la rédaction alors en vigueur, de l’article 62 alinéa 2 du Code Pénal et de l’article 45 du Code de Déontologie Médicale au terme duquel : « Lorsqu’un médecin discerne qu’un mineur auprès duquel il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour le protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection, mais en n’hésitant pas, si cela est nécessaire, à alerter les autorités compétentes s’il s’agit d’un mineur de quinze ans ». Le Conseil d’Etat a également considéré que « l’intéressé n’avait pas agi en fonction d’une appréciation nuancée des constatations qu’il avait faites et des conséquences de ses actes sur la vie privée des personnes mises en cause et que ce comportement constituait une violation des articles 46 et 49 du même Code de Déontologie (de 1979) qui interdisent respectivement de s’immiscer dans les affaires de famille et de délivrer des rapports tendancieux ou des certificats de complaisance.

 

Le Conseil d’Etat a donc rejeté la requête de ce médecin tendant à faire annuler une décision du Conseil National de l’Ordre des Médecins qui l’avait condamné.

 

Il ne faut donc pas se contenter de rédiger un certificat médical sur la foi des propos d’un des parents mais d’évaluer la situation telle qu’elle se présente et, si les faits ne paraissent pas établis, éviter de délivrer des certificats qui sont ensuite considérés comme tendancieux.

 

Le Professeur GLORION, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins cité dans « Le Panorama du Médecin » du 19 mars 2001 (A. CIVARO-RACINAIS(3), dossier spécial « abus sexuels sur enfants »), déclare à propos des certificats médicaux : « Il faut se montrer très prudent dans la rédaction du certificat en utilisant la formule « l’enfant a déclaré que… », et en employant le conditionnel. Le médecin ne doit pas rejeter la parole de l’enfant mais il ne doit pas non plus se l’approprier. Il ne faut pas aller trop loin et faire le travail de la justice ou de l’administration. Le médecin ne doit pas devenir un délateur. Cela signerait la mort du secret. Les médecins ont la possibilité de s’exprimer, qu’ils en usent avec prudence et circonspection ».

 

Le médecin, qui rapporte ainsi les paroles de l’enfant, s’expose cependant à des poursuites disciplinaires de la part de parents mis en cause dans des procédures de divorce.

 

On peut aussi faire remarquer que si les faits ont une suite judiciaire la reproduction des propos de l’enfant par le médecin n’aura servi à rien et si par contre il n’y a pas de suite judiciaire le médecin n’aura aucun élément sérieux pour se défendre s’il est poursuivi.

 

La marge de manœuvre est donc étroite entre en faire trop, c’est à dire rédiger des certificats qui se retournent contre le médecin et ne servent finalement à rien, ou pas assez, c’est à dire omettre une information aux autorités compétentes.

 

 

CONDUITES A TENIR DURANT LA JUDICIARISATION

 

1° - LE SUJET POURSUIVI

 

a) A été le patient. Le psychiatre ignorait les soupçons pesant sur son malade. Il se peut fort bien que le psychiatre n’ait pas connaissance des faits qui sont reprochés à son patient qui ne s’est jusqu’alors jamais confié à lui. Va se poser alors le problème du témoignage en justice. Dès le stade de la garde à vue le psychiatre peut être contacté par des services de police ou de gendarmerie. Tout au long de l’instruction il peut être convoqué par un magistrat instructeur. Son dossier médical peut être saisi par la justice. Les experts désignés chercheront parfois à entrer en contact avec lui pour obtenir des informations. Enfin le psychiatre traitant peut être convoqué comme témoin devant une Cour d’Assises.

 

Il est évident que le psychiatre n’a rien à dire pour la bonne raison qu’il ignorait tout. Faut-il évoquer la personnalité du sujet ? En principe il ne doit rien dire mais le secret médical n’étant pas opposable à son malade il peut, si ce dernier le lui demande, lui délivrer une attestation faisant état des soins qu’il lui prodiguait et pour quel motif sans toutefois donner un avis sur les faits incriminés. Il ne devra pas par exemple écrire : « Je pense que Monsieur X… n’est pas susceptible d’avoir commis telle ou telle infraction ». Le médecin ne devra pas s’adresser directement à un avocat, à une partie ou à un magistrat.

 

Si son dossier est saisi par la justice, la présence d’un représentant de l’Ordre des Médecins veillera à la régularité des opérations menées par un officier de police judiciaire.

 

Si le psychiatre est appelé en tant que témoin devant un magistrat ou un tribunal il n’aura pas grand’chose à dire pour la bonne raison qu’il ignorait les faits. Le Guide de l’Exercice Professionnel de l’Ordre National des médecins précise : « Cité comme témoin en justice… il prêtera le serment des témoins… puis il pourra se retrancher derrière le secret professionnel étant donné que les faits sur lesquels il est appelé à témoigner ont été connus de lui à l’occasion de sa profession… Le parti le plus sage pour le médecin est d’attendre qu’on lui pose des questions ». Toutefois, si c’est le médecin qui a contribué à informer les autorités compétentes, le refus de témoigner n’a pas lieu d’être ».

 

Reste à savoir si le médecin peut continuer à donner les soins à ce patient pour le cas où il serait en liberté. On conçoit que le psychiatre qui estimera avoir été maintenu dans l’ignorance de faits graves désire se retirer. Il pourra invoquer l’article 47 du Code de Déontologie : « …Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci des informations utiles à la poursuite des soins ».

 

b) Il n’a pas été le patient. Le psychiatre se trouve alors en position d’expert.

 

·       Il est de plus en plus fréquent qu’un expert psychiatre soit appelé à venir donner un avis sur un sujet qui se trouve en garde à vue après avoir été dénoncé pour une infraction à caractère sexuel (réquisition en vertu de l’article 74 du Code de Procédure Pénale). Le psychiatre doit être prudent dans ses réponses et en particulier lorsqu’elles ont trait comme cela se voit parfois à la crédibilité du sujet. Il devra se garder d’affirmer par exemple que le sujet est ou non crédible dans ses dénégations : « Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin… » (article 33 du C.D.M.).

 

Le psychiatre est également amené à examiner une victime et là également il est question de crédibilité. Les mêmes remarques peuvent être faites que lorsqu’il s’agit de la personne mise en cause. On voit trop souvent des affirmations hâtives de crédibilité basées sur un examen superficiel.

 

·       Durant l’information judiciaire, l’expertise pénale. L’expert qui examine le sujet poursuivi se voit poser de façon systématique la question suivante : « Le prononcé d’une injonction de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire est-il opportun ? ». Jusqu’à présent l’expert n’avait qu’à répondre sur la dangerosité du sujet. Il pouvait s’en tirer en disant que le sujet avait ou n’avait pas une pathologie psychiatrique susceptible de le rendre dangereux. Il était interrogé sur l’accessibilité à une sanction pénale, question particulièrement ambiguë, et pouvait dire que le sujet pouvait ou non supporter une incarcération, en comprendre la portée et en tirer un bénéfice. A présent il s’agit de dire s’il y a lieu de prononcer une injonction de soins. L’expert n’a pas de critère réellement scientifique pour affirmer qu’il y a ou non opportunité à cette injonction et ce d’autant que dans la plupart des cas les sujets poursuivis ne sont pas de bonne foi, soit niant massivement les faits qui leur sont reprochés et clamant qu’ils n’ont pas besoin de soins, soit au contraire en réclamant d’une façon qui paraît suspecte tant elle semble inauthentique. La réponse formulée par l’expert est la conséquence d’un débat intérieur complexe où se confrontent les articles du Code de Déontologie (libre consentement du patient, nouvelle relation médecin-malade). Imposer un soin quand il ne s’agit pas d’une démarche personnelle peut avoir quelque chose de choquant puisque le sujet « subit une pression familiale, sociale et judiciaire, et bien souvent ne reconnaît pas son comportement sexuel comme pathologique ou du moins il n’en souffre pas directement. Tout au plus admet-il qu’en l’exposant à la répression sociale, sa sexualité lui pose un problème » (Bernard CORDIER)(5). L’expert qui finalement proposera cette injonction de soins le fera bien souvent en considérant l’intérêt général. Autre paradoxe : faut-il conseiller une injonction de soins lorsque le sujet (les cas sont rares mais existent) a conscience de sa pathologie, en souffre et accepte une action psychothérapique ? Autrement dit l’injonction de soins va concerner surtout les sujets qui n’ont pas conscience de leur pathologie, alors qu’obliger ceux qui souffrent est superflu.

 

Par ailleurs répondre de façon positive à la question sur l’injonction de soins doit être fait avec beaucoup de prudence en particulier lorsque le sujet nie les faits. Il peut arriver que le sujet pour lequel une injonction de soins a été proposée soit acquitté et donc reconnu non coupable ? Le médecin, qui aura démontré que le sujet avait besoin d’une injonction de soins, risque de perdre la face. D’où la nécessité qu’il y ait respect de l’obligation déontologique d’élaborer son diagnostic avec le plus grand soin (article 33 du C.D.M.).

 

A noter que l’obligation de soins peut être ordonnée par le Juge d’Instruction dans le cadre du contrôle judiciaire (article 137 à 143 du Code de Procédure Pénale). Il s’agit d’une obligation temporaire ou imposée jusqu’au jour du jugement et qui consiste à « se soumettre à des mesures d’examens, de traitements ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation ».

 

2° - LE SUJET CONDAMNE

 

a) Le sujet condamné libre. Il peut aussi être condamné à une obligation de soins lors d’une condamnation avec sursis et mise à l’épreuve ou bien condamnation avec sursis assortie de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général ou dans le cadre de la libération conditionnelle.

 

Nous allons nous orienter peu à peu vers les injonctions de soins telles qu’elles sont issues de la loi du 17 juin 1998. Cette loi commence à se mettre en place, les médecins coordonnateurs ont été désignés au cours de l’année 2001 et leurs premières missions leur parviennent. Le médecin coordonnateur a été considéré comme l’interface entre le médecin traitant et la justice. Un certain nombre de difficultés sont d’ores et déjà prévisibles concernant les impératifs déontologiques et les problèmes éthiques.

Le soin s’applique en principe à une pathologie. Sommes nous toujours en présence d’une pathologie et laquelle ? Comme le fait remarquer B. CORDIER. La « normalité » sexuelle varie en fonction de la culture et de l’époque (l’homosexualité n’est plus répertoriée comme une pathologie). Ce qui est interdit par la loi n’est pas nécessairement pathologique et ce qui est souffrance, donc à soigner, peut ne pas s’exprimer par un passage à l’acte. Nous pensons avec B.CORDIER que le critère pathologique majeur d’un comportement « est qu’il soit une condition impérative et exclusive à la satisfaction sexuelle », ce qui suppose un « défaut de maîtrise qui fait basculer la sexualité du registre du désir dans celui du besoin, de la dépendance voire de l’aliénation ».

 

L’obligation de soins, même si son principe peut choquer, ne doit pas être vue que sous un aspect négatif. Elle peut permettre chez certains une prise de conscience bénéfique, elle « requiert du condamné qu’il accepte d’être remis en question et de contribuer par sa participation active à la résolution des causes du crime ou du délit qu’il a commis » (du MESNIL du BUISSON G.)(6)

 

¨                  Le problème du libre choix du patient n’est pas absolu puisque le médecin coordonnateur pourra récuser ce médecin s’il estime qu’il n’est pas compétent. L’indépendance du médecin traitant n’est donc pas respectée puisqu’un autre confrère peut le contester. Il n’a pas été prévu qui arbitrera les conflits qui ne manqueront pas de surgir. Bien entendu c’est à l’Ordre des Médecins qu’il appartiendra d’intervenir s’il est sollicité. Il est à peu près certain que l’article 56 du Code de Déontologie sera évoqué : « Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité. Un médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l’intermédiaire du Conseil Départemental de l’Ordre ».

 

Par ailleurs, un médecin traitant pourra à juste titre se considérer dans une situation ambiguë. Comme le fait remarquer Bernard CORDIER(5) : « L’obligation de se soigner n’est pas l’obligation de soigner ». Quant au consentement du patient il ne sera pas toujours sincère et le médecin traitant pourra être gêné déontologiquement et éthiquement pour soigner quelqu’un dont il perçoit que la bonne foi n’est pas la première des qualités.

 

Certains (LAVIELLE Bruno)(7) ont regretté que la loi n’ait pas mis sur le même plan psychologiques et médecins. Le médecin coordonnateur pourra admettre que le condamné voit un psychologue sérieusement formé mais que « sur délégation » du médecin traitant. Restera à résoudre la prise en charge de ses soins, ce qui vraisemblablement atténuera la possibilité de ce choix.

 

 

Quant au secret médical il ne sera que partiellement respecté dans le cadre de la loi du 17 juin 1998. Il s’agira d’un secret partagé avec le médecin traitant mais il pourra s’agir d’un secret transgressé lorsque le Juge de l’Application des Peines sera informé de l’évolution du suivi et les incidents éventuels. « Un tel fonctionnement introduit une dérogation légale au champ du respect du secret médical » (B. CORDIER)(5). Il est vraisemblablement qu’il sera nécessaire d’introduire cette dérogation dans le prochain Code de Déontologie Médicale.

 

D’autres réflexions éthiques et considérations déontologiques sont d’ores et déjà à envisager dans le cadre de l’obligation de soins. Il s’agit des chimiothérapies dites « castrations chimiques ». Aucun anti-androgène n’a actuellement l’autorisation de mise sur le marché avec l’indication particulière du traitement des déviances sexuelles. L’article 40 du Code de Déontologie Médicale est clair : « Le médecin doit s’interdire, dans les investigations, les interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié ». Il n’est pas actuellement démontré qu’il n’y a pas de risques. Le C.C.N.E.(8) dans sa recommandation n° 51 du 20 décembre 1996 considère qu’un traitement hormonal est souhaitable pour nombre de condamnés, associé ou non à un travail psychothérapique à la condition que le condamné » soit « éclairé » sur les conséquences… de l’altération éventuelle de son activité sexuelle et de ses facultés procréatrices… ». Le C.C.N.E. « souligne l’incertitude qui demeure sur la variabilité individuelle de l’effet de ces produits, sur le caractère réversible d’une administration d’anti-androgènes en traitement très prolongé, sur l’absence de recul sur les effets d’un tel traitement.

 

Dans sa recommandation n° 39 du 07 décembre 1993, le C.C.N.E.(9) proposait « deux manières d’appréhender le problème : utilisation des produits dans le cadre d’un essai ou utilisation des produits en deux étapes : traitement puis essai : en cours de détention à tire de traitement (pas d’expérimentation sur un détenu), après la libération (protocole expérimental).

 

Le médecin traitant n’aura recours à ces médications que dans les cas où il se sera assuré par des investigations et un suivi qu’il n’y a pas de danger pour le patient et que d’autre part la demande de ce dernier ne sera qu’un moyen de se déresponsabiliser de faits délictuels, ce qui bien entendu serait un obstacle à une authentique remise en question et à une action psychothérapique efficace.

 

 

b) Sujet condamné incarcéré. Deux psychiatres pourront se pencher sur son cas : le psychiatre traitant et le psychiatre expert.

 

¨                  Le psychiatre traitant. L’article 131-36-4 du Code Pénal prévoit que lorsque la personne a été condamnée à une peine privative de liberté non assortie de sursis, le Président l’informe qu’elle aura la possibilité de commencer un traitement pendant l’exécution de cette peine. Il n’y a donc pas d’obligation de soins mais le premier alinéa de l’article 721-1 du Code de Procédure Pénale mentionne : « Sauf décision du Juge de l’Application des Peines, prise après avis de la Commission de l’Application des Peines, les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins et qui refusent de suivre un traitement pendant leur incarcération ne sont pas considérées comme manifestant les efforts sérieux de réadaptation sociale ». Le psychiatre traitant aura donc quelque difficulté à évaluer si la demande de soins est faite pour soigner réellement une souffrance ou si elle a des motivations utilitaires. La pression sur les condamnés est forte puisque l’article 763-7 du Code de Procédure Pénale prévoit (pour la personne condamnée) que si elle ne consent pas à suivre un traitement, l’information qui lui est faite par le Juge de l’Application des Peines d’avoir cette possibilité lui est renouvelée au moins une fois tous les six mois. Le libre consentement est donc tout relatif. Quant au libre choix on conçoit aisément qu’il ne soit pas possible en détention encore que l’article 763-7 du Code de Procédure Pénale prévoit que « les peines privatives de liberté sont exécutées dans un établissement pénitentiaire… permettant d’assurer un suivi médical et psychologique adapté ».

 

Les considérations d’ordre éthique et déontologique que nous avons évoquées pour les sujets en liberté à propos des divers traitements possibles et de leur application sont bien entendus valables pour les sujets incarcérés.

 

Un grand nombre de difficulté vont certainement apparaître pour lesquelles il est encore trop tôt pour faire des recommandations autre que de principe, en particulier pour ce qui concerne la déontologie et l’éthique. A cela il faut ajouter, comme le font remarquer Y. TYRODE, S. BOURCET, J.L. SENON et J.P. OLIE (10), le manque d’experts, l’absence d’évaluation multidisciplinaire, l’insuffisance des structures de recherche et l’enseignement nécessaire à la formation des intervenants.

 

¨                  Le psychiatre expert. Il sera souvent consulté après la condamnation du sujet et sa responsabilité pourra être engagée au moins au plan moral si les décisions de justice prises conformément à ses avis aboutissent à des conséquences regrettables. Tout d’abord l’article 763-4 du Code de Procédure Pénale (alinéa 2) prévoit que le Juge de l’Application des Peines peut d’office ou sur réquisition du Parquet demander les expertises nécessaires pour l’informer sur l’état médical ou psychologique de la personne condamnée. Un expert unique (sauf décision motivée du J.A.P.) devra donc fournir des informations qui doivent être considérées comme une dérogation au secret professionnel.

 

En outre l’alinéa 1 du même article du C.P.P. prévoit que le J.A.P. peut ordonner une expertise médicale de l’intéressé avant la libération du sujet condamné et que cette expertise est obligatoire si la condamnation a été prononcée plus de deux ans auparavant (expert unique sauf décision motivée). On peut prévoir d’ores et déjà que des sujets récidiveront alors que l’expert aura donné un avis favorable quant à l’évolution pendant l’incarcération. La responsabilité médicale de l’expert pourra-t-elle être mise en cause ?

 

Autre cas délicat pour l’expert, celui prévu par l’article 763-6 du Code de Procédure Pénale : la mission consistant à donner un avis pour un sujet condamné à un suivi socio-judiciaire et qui demande à être relevé de cette mesure. Deux experts sont prévus s’il s’agit du meurtre d’un mineur associé à un viol, des actes de torture ou de barbarie. Voilà l’expert chargé d’une mission lourde en conséquences. Tout se passe comme si la justice transférait au médecin une décision susceptible d’avoir de lourdes conséquences.

 

 

 

 

 

 

 

 

RECOMMANDATIONS

 

Même en connaissant parfaitement les textes qui peuvent lui être opposés, le praticien aura souvent des difficultés pour choisir une conduite. On peut lui faire les propositions suivantes :

 

1° - La justice n’a aucune information.

 

¨     Le sujet s’accuse de tendances perverses mais affirme ne pas être passé à l’acte : ne pas le dénoncer mais rester vigilant.

 

¨     Le sujet s’accuse de transgressions qui ne paraissent pas délirantes. Ce sont les cas les plus difficiles mais ils sont exceptionnels car la plupart des sujets qui se présentent ainsi chez le médecin savent qu’ils sont sur le point d’être dénoncés. Malgré toute la répulsion qu’il a à devenir délateur le médecin doit déclencher une information, de préférence en passant, lorsqu’il s’agit d’enfant, par le service de l’Aide Sociale à l’Enfance. S’il n’agit pas ainsi le médecin sera poursuivi par le biais de l’article 223-6 du Code Pénal (non assistance à personne en péril).

 

¨     Le médecin soupçonne qu’il peut se trouver devant une situation d’abus sexuel mais n’en a aucune preuve et n’a aucune information. Il ne doit pas dénoncer son patient mais rester vigilant.

 

¨     Le médecin est informé par des tiers que son patient commet des actes d’abus sexuel sur des mineurs de 15 ans ou des personnes ne pouvant se défendre. Après information du patient et si les faits paraissent avérés il a le devoir de signaler les faits. Si ces derniers lui paraissent peu plausibles il doit se donner un délai de réflexion. Attention cependant aux dénonciations calomnieuses.

 

¨     Le médecin apprend qu’un mineur de 15 ans ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger est victime d’agression sexuelle (cas des institutions) : il a l’obligation de porter les faits à la connaissance des autorités compétentes.

 

¨     Demande de certificats médicaux. Lorsqu’on n’a que le récit d’un adulte et qu’il s’agit d’une situation de divorce :éviter le plus possible de citer les propos de l’enfant même au conditionnel. Si les faits paraissent plausibles il faut susciter une information. Si les faits ne sont pas plausibles ou paraissent douteux, il faut simplement rédiger un certificat médical décrivant l’état de l’enfant sans aucune allusion à un tiers.

 

2° - La justice a été informée

 

¨     Le médecin peut être cité comme témoin. En principe il peut s’abriter derrière le secret professionnel mais si c’est lui qui a contribué à informer, le refus de témoigner n’a pas lieu d’être.

 

¨     Le médecin expert. Il doit être extrêmement prudent lorsqu’il est question de la crédibilité du sujet ou de sa victime : aucun test objectif ne peut apporter la preuve de la véracité des dires des uns et des autres. Le médecin peut simplement dire qu’il ne décèle pas de pathologie prédisposant au mensonge.

 

¨     Le médecin expert et l’injonction de soins. Autre problème délicat et ce d’autant qu’il manque des éléments valables d’évaluation. L’expert psychiatre est seul face à sa conscience. Tenir compte qu’un sujet peut être reconnu non coupable alors que l’expert a recommandé une injonction de soins !

 

¨     Le médecin coordonnateur. Il doit respecter les règles de bonne confraternité vis à vis du médecin traitant et ne pas le récuser sans motif sérieux et sans s’être entretenu avec lui. Il doit respecter le secret professionnel.

 

¨     Le médecin traitant doit se sentir libre aussi bien vis à vis du médecin coordonnateur que de la justice et aussi de son patient. Il devra veiller à ne pas se laisser manipuler.

 

¨     La chimiothérapie anti-androgène. Elle ne pourra être utilisée qu’après adhésion du sujet et avoir mesuré tous les risques (de santé pour le patient et aussi de déresponsabilisation).

¨     Le psychiatre ne devra jamais imposer un traitement à un sujet détenu. Il pourra simplement le proposer.

 

¨     Le médecin a une obligation de moyens et non de résultats. Il ne devrait pas être tenu pour responsable des transgressions médico-légales des sujets dont il n’a pas retenu la dangerosité à quelque stade de l’expertise que ce soit (pendant l’information, pour la sortie conditionnelle). De même il ne devrait pas être responsable des transgressions des sujets sous injonction de soins.

 

 

Remerciements

Je remercie le Conseil National de l’Ordre des Médecins qui m’a fourni la jurisprudence et le Professeur Christine Lazerges, vice-Présidente de l’Assemblée Nationale qui a mis à ma disposition les textes de loi et ceux des débats parlementaires préalables.

 

Bibliographie

 

 

Code de Déontologie Médicale. Décret n° 895-1000 du 06 septembre 1995

Code Pénal

Code de Procédure Pénale

Code de la Santé Publique

(1)                   CANTO-SPERBER Monique, L’inquiétude morale et la vie humaine, P.U.F. 2001

(2)                   RICOEUR Paul, De la morale à l’éthique et aux éthiques, in « Un siècle de philosophie, 1900-2000 », Folio-essais, 2001

(3)          CIVARD-RACINAIS Alexandrine, Panorama du Médecin, 19 mars 2001, abus sexuel sur enfants : comment les constater et les signaler

(4)                   Guide d’Exercice Professionnel, 17ème Edition, Ordre Nationale des médecins, Médecine-Sciences, Flammarion, 1998, pp 587-588

(5)                   CORDIER B., « Ethique et obligation de soins en matière de déviance sexuelle, in « L’évolution psychiatrique, 63, janv. 1998, pp 175-184

(6)                   Du MENIL du BUISSON G., « Le condamné en détention :liberté, incitation, obligation de soins ?, in L’évolution psychiatrique, 63, 1-1, 1998, pp 149-156

(7)                   LAVIELLE B., « Surveiller et soigner les agresseurs sexuels : un des défis posés par la loi du 17 juin 1997, in Rev. Sc. Crim. (1), janv.-mars 1999, pp 35-48

(8)                   Avis n° 51 – 20 décembre 1996 du Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé : recommandations sur un projet de loi « renforçant la prévention et la répression des atteintes sexuelles conte les mineurs ».

(9)                   Avis n° 39 – 7 décembre 1993 du C.C.N.E. vis sur la prescription d substances anti-androgéniques à des détenus condamnés pour des infractions  caractère sexuel

(10)                TYRODE Y., BOURCET S., SENON J.L. et OLIE J.P. Suivi socio-judiciaire, loi du 17 janvier 1998. Encycl. Méd. Chir. (Editions Scientifiques et médicales, ELSEVIER SAS, PARIS, Tous droits réservés)


 



[1] Président du Conseil Départementalde l’Ordre des Médecins de l’Hérault, Expert près la Cour d’Appel de Montpellier, Médecin Coordonnateur.