Quel est le cadre légal du traitement des auteurs d’infraction sexuelle en dehors et durant la judiciarisation ?

Pr Pierre COUVRAT[1]

 

 

Telle est la question à laquelle il nous faut tenter de répondre.

 

Il importe d’abord d’apporter des précisions sur chacun des termes utilisés dans cette question : le traitement, les auteurs d ‘agression sexuelle, la judiciarisation et enfin le cadre légal.

Le traitement, c’est la façon de se comporter à l’égard d ‘une personne et de mettre en œuvre une opération. Dans un sens large la poursuite pénale et la sanction pénale de l’auteur d’une infraction pourraient être considérés comme un traitement. La réinsertion sociale ou la resocialisation sont d’ailleurs l’une des finalités de la peine, une forme de traitement social. Mais le thème de la conférence de consensus est le traitement médical ou medico-social, c’est à dire celui qui vient suppléer, se coordonner ou plus souvent s‘ajouter à  la sanction pénale. C’est dire d’emblèe  que le renforcement et l’extension de la répression des infractions sexuelles qui marque indiscutablement notre époque n’ont  pas à être développés ici . Ils ne nous intéressent que dans la mesure où ils élargissent le champ d’application du traitement médical des auteurs d’infractions de ce type

Les auteurs d’agressions sexuelles nécessitent aussi quelques éclaircissements. D’abord les victimes d’agressions sexuelles sur lesquelles le législateur moderne et les acteurs sociaux portent une attention soutenue sont aujourd’hui à écarter du débat. Quant aux auteurs, il ne convient pas de les limiter aux agressions sexuelles car le nouveau code pénal applicable depuis le 1er mars I994 distingue clairement quatre types d’infractions sexuelles :Les agressions sexuelles proprement dites qui englobent le viol et qui impliquent la violence, les atteintes sexuelles sur mineurs de I5 ans ou de 18 ans qui ne nécessitent ni violence, ni contrainte, ni surprise et qui correspondent à ce qu’on appelle communément des faits de pédophilie, les exhibitions sexuelles qui s’apparentent à ce qu’on appelait jadis les outrages publics à la pudeur et enfin les infractions nouvelles d’harcèlement sexuel. Il est curieux de constater en passant que le mot sexe ne figurait pas dans le code pénal précédent si ce n’est sous la forme d’homosexualité aujourd’hui disparue et de discrimination sexiste. On préférait alors utiliser les termes de mœurs (outrages) et surtout de pudeur (attentats avec ou sans violence, outrage public). Quoi qu’il en soit  ce sont bien les quatre nouvelles catégories d’infractions sexuelles qui sont ici concernées, même si, il est vrai, le harcèlement sexuel peut apparaître marginal dans la mesure où le suivi sociojudiciaire dont nous parlerons plus loin ne lui est pas applicable.

Le terme judiciarisation est plus délicat à définir. Il s’agit de la phase procédurale impliquant la présence d’un juge. En matière pénale, notre époque est marquée par un double mouvement de déjudiciarisation à l’égard des petits litiges qui sont soumis à des modes alternatifs de règlement ne faisant pas appel au juge de jugement et de renforcement de la judiciarisation, comme par exemple dans le domaine de l’exécution des peines où le juge de l’exécution des peines vient d’acquérir une fonction véritablement juridictionnelle. Si l’on se place durant la judiciarisation, on analyse le traitement du délinquant sexuel au cours du procès pénal (phases de l’enquête, de l’instruction et du jugement) et l’on sait qu’il est toujours souhaitable de prendre en charge la personne le plus tôt possible. Si l’on se situe en dehors de la judiciarisation, on s’intéresse alors au sort du condamné pendant l’exécution de sa peine et même au delà. Nous verrons en effet que le condamné à une infraction sexuelle peut être en plus l’objet d’un suivi socio judiciaire qui ne prendra effet (sauf lorsqu’il s’agit d’une peine principale) qu’à l’expiration de la peine privative de liberté. Cette phase post-pénale tend elle-même, il est vrai, à se judiciariser entre les mains du juge de l’application des peines. Il n’en reste pas moins qu’on est alors en dehors de la phase judiciaire classique de jugement..

Enfin qu’entendre par cadre légal ? Il s’agit plutôt du cadre juridique, c’est à dire de l’ensemble des lois et décrets – pour la plupart récents – qui s’appliquent aux traitements des auteurs d’infractions sexuelles. Il faut y ajouter le cadre judiciaire, c’est à dire les conditions dans lesquelles les juges ,les juges d’instruction, les Cours d’Assises ,les tribunaux correctionnels et les juges de l’application des peines mettent en œuvre l’arsenal législatif et réglementaire. C’est un cadre qui ne doit pas être renfermé sur lui-même puisqu’il doit s’interférer avec les cadres sociaux et médicaux. En tous cas le législateur l’a voulu ainsi. Il appartiendra à la conférence de consensus de dire si en pratique le vœu du législateur est exaucé

 

On s’en tiendra à la présentation des textes législatifs les plus récents et à leur contenu avant de distinguer les conditions légales d’intervention du monde médical, c’est à dire des véritables maîtres du traitement des délinquants sexuels

 

 

I – Les principaux textes

 

Une vision haute nous permet de constater que trois codes sont concernés : Le code pénal qui prévoit les diverses incriminations en la matière et leurs sanctions , le Code de procédure pénale qui indique les dispositions procédurales applicables devant les juridictions pénales, enfin le code de la santé publique qui contient les dispositions essentielles au traitement.

Si l’on met de coté la loi du 23 décembre I98O qui a donné pour la première fois une définition précise du viol, c’est bien le code pénal de I994 qui a initié une véritable politique pénale en matière d’infractions sexuelles en prévoyant les incriminations et les sanctions aux articles 222-22 à 222-33 et 227-25 à 227-27. Mais au Ier mars I994 fut en même temps applicable une loi du Ier février I994 qui a créé ce qu’on appelle la peine incompressible (sorte de perpétuité réelle) infligée éventuellement aux auteurs de meurtres ou assassinats de mineurs de I5 ans accompagnés de viols ou de tortures , tout au moins si la réclusion criminelle à perpétuité est prononcée. Cette période de sûreté perpétuelle qui n’a d’ailleurs jamais été encore décidée  n’est en réalité pas totalement incompressible puisque, selon l’article 72O-4 du code de procédure pénale, à l’expiration d’une période de 3O ans et après avis d’un collège de trois experts médicaux, une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation pourra mettre fin à cette décision exceptionnelle de la Cour d’assises. Cette loi a aussi indiqué d’une part que les délinquants sexuels ne pourraient bénéficier d’aucune mesure de faveur au cours de leur détention sans une expertise psychiatrique préalable et d’autre part qu’ils doivent exécuter leur peine dans des établissements pénitentiaires permettant d’assurer un suivi médical et psychologique adapté (sur ce point le décret d’application n’a fourni aucune donnée utile)

C’est dans cette lignée répressive que s’inscrit la loi du I7 juin I998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Cette loi renforce la répression de ce type d’infractions en augmentant les peines des atteintes sexuelles sur mineurs de I5 ans, en créant l’infraction de bizutage, en élargissant les conditions de saisine du tourisme sexuel et en créant de nouvelles circonstances aggravantes. Mais c’est bien sûr la création du suivi sociojudiciaire qui doit retenir notre attention.

Il est frappant de constater que cette loi  qui accentue le particularisme des infractions sexuelles contient dans son titre Ier consacré au suivi sociojudiciaire trois chapitres consacrés respectivement à des dispositions modifiant le Code pénal, puis à des dispositions modifiant le code de procédure pénale, enfin à des dispositions modifiant le code de la santé publique. Le premier chapitre définit le contenu de cette peine complémentaire spécifique aux infractions sexuelles (et c’est la première fois qu’une peine est créée pour un type d’infractions particulières), le second chapitre décrit les conditions de déroulement du suivi et le troisième porte sur la mise en œuvre de l’injonction de soins. L’article I31-36-1 du code pénal indique clairement la finalité de ce « suivi » : Il s’agit de mesures de surveillance et d’assistance imposées pendant une durée déterminée par la juridiction (Cour d’assises ou tribunal correctionnel) et destinées à prévenir la récidive, mesures qui exceptionnellement peuvent s’appliquer d’emblée si cette peine est principale et unique mais qui en général ne seront en vigueur qu’à la sortie de la prison, c’est à dire après exécution de la peine principale privative de liberté. Ce suivi est donc une suite à l’exécution d’une peine. Comme on l’a dit, non sans poésie, c’est une extension de l’ombrelle pénale. C’est donc pour le condamné à la fois une peine de plus et une peine pour plus tard. Mais l’addition peut être lourde puisque ce suivi peut durer dix ans en cas de condamnation pour délit sexuel et vingt ans en cas de condamnation pour crime sexuel.

Il existe en réalité deux types de suivi sociojudiciaire : Le premier que l’on peut qualifier, faute de mieux, de suivi ordinaire consiste en un certain nombre d’obligations restrictives de liberté imposées par la juridiction et choisies sur une liste analogue à celle des sursis avec mise à l’épreuve à laquelle il faut  rajouter trois autres. Le second type, qui nous retient seul ici, est le suivi sociojudiciaire «  comprenant »  (sous entendu  en plus) une injonction de soins. Cette injonction de soins, qui n’est donc pas indispensable au suivi mais en est un complément possible, transforme fondamentalement la sanction puisque le traitement médical devient alors l’élément moteur de prévention de la récidive. C’est seulement s’il est établi par expertise médicale que la personne est susceptible de faire l'objet d’un traitement que ce type de suivi peut être prononcé et il sera mis en œuvre selon la procédure insérée dans le code de la santé publique et qui sera décrite par d’autres intervenants plus compétents. .

Le législateur de I998 parle ici d’injonction de soins. Que faut-il entendre exactement par cette expression ? Répondre à cette question c’est évoquer les différentes formes d’intervention du corps médical et les approches auxquelles le législateur  nous invite..

 

 

II – Les cadres legaux des soins

 

A  - En dehors des circonstances de soins librement sollicités, le premier cadre possible est donc celui de l’injonction de soins venant se combiner avec un suivi sociojudiciaire, disons un suivi sociojudiciaire et médical tout à la fois. Attachons nous un instant à cette première catégorie. On sait que la juridiction de jugement a par hypothèse prononcé en plus de la peine principale un suivi sociojudiciaire assorti d’une injonction de soins et ce pour une durée portée dans la décision (il est aussi possible au juge de l’application des peines de décider de cette injonction de soins complémentaire à un suivi ordinaire originellement  prononcé par la juridiction) Il y a injonction dans la mesure où le condamné doit se soumettre au traitement sous peine d’effectuer une peine privative de liberté. En effet la juridiction de jugement qui prononce un suivi sociojudiciaire doit aussi indiquer dans sa décision originaire la durée de l’emprisonnement que devra subir au maximum le condamné s’il ne respecte pas les conditions imposées et il appartiendra ensuite au juge de l’application des peines d’apprécier le quantum de cet emprisonnement dans les limites fixées par la juridiction. Le condamné sait seulement le maximum qu’il encoure.

Ce qu’on appelle ici une injonction n’est pas pour autant une obligation comme l’aurait été le suivi medico-social (impliquant nécessairement un volet médical)qui était prévu à l’origine dans le projet de loi Toubon qui a précédé la loi du I7 juin I998, le non respect des obligations constituant alors une infraction pénale pouvant conduire le condamné à une nouvelle condamnation. A vrai dire le terme d’injonction reste tout de même ambigu et est le fruit d’un compromis entre médecins et juristes  Certes l’intéressé qui ne se soumet pas aux soins ne commet pas de nouvelle infraction et n’encourt aucun nouveau jugement mais il lui faudra subir en tout ou en partie la peine éventuelle prononcée à cette fin à l’avance. La nuance est subtile. Il est certain en tous cas que dans le cadre de l’injonction (dont rappelons-le le régime est soigneusement décrit depuis la loi de I998 dans le code de la santé publique), cette mesure ne peut être ordonnée qu’après expertise médicale concluant à ce que la personne peut faire l’objet d’un traitement et surtout que la nouvelle loi fait du consentement du délinquant une condition sine qua non du traitement puisque le Président de la juridiction ou le juge de l’application des peines qui prononce cette injonction doit avertir le condamné qu’aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement. Cette disposition a sans doute apaisé le corps médical, mais s’agit-il d’un consentement libre ? On peut fortement en douter. Et la nature juridique de la mesure de suivi avec injonction de soins reste équivoque : Peine sans doute, mais aussi mesure de traitement. Et la conciliation n’est pas aisée

 

B - Un deuxième cadre possible des soins serait celui de l’obligation. On sait qu’il n’est pas retenu dans le cas du suivi sociojudiciaire et l’on verra qu’il ne l’est pas non plus à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire durant l’exécution de la peine privative de liberté. Mais il convient de ne pas l’exclure totalement au cas d’infractions sexuelles même si le législateur semble l’avoir ici écarté . En effet le droit pénal connaît des hypothèses d’obligations aux soins. On peut même distinguer des obligations de soins de type général, comme dans le contrôle judiciaire( pour un mis en examen) ou dans le sursis avec mise à l’épreuve ( pour un condamné à l’emprisonnement assorti d’un sursis de cette nature) ou encore dans la libération conditionnelle,  et des obligations de soins de type spécial comme en matière d’alcoolisme et de toxicomanie . Dans le premier cas, l’individu risque la détention provisoire ,la révocation du sursis ou le retour à la prison, dans le second il encourt une nouvelle peine. Si un délinquant sexuel entre dans l’une de ces catégories, en théorie tout au moins, il peut être soumis à une obligation de soins .

 

C - Le troisième cadre est celui de l’incitation aux soins. C’est celui qui correspond le mieux à le déontologie médicale. Et c’est celui qui est retenu pour les délinquants sexuels qui effectuent leur peine dans un établissement pénitentiaire .On sait qu’ils doivent effectuer cette peine dans des établissements appropriés mais que cette disposition reste théorique même si l’on tend tout de même à les regrouper dans certains établissements. Le législateur de I998 a pris conscience qu’il était difficile d’enjoindre des soins à la sortie de la prison si rien n’était fait auparavant à l’intérieur. Dorénavant, l’article I3I-36-4 al 2 du code de procédure pénale prévoit que le président de la juridiction qui prononce à la fois un suivi sociojudiciaire et une peine privative de liberté doit informer le condamné qu’il a la possibilité de commencer un traitement pendant son séjour en prison. Et cette information doit être immédiatement renouvelée par le juge de l’application des peines et même, en l’absence du consentement de l’intéressé, doit lui être rappelée au moins tous les six mois. On le voit, l’incitation est forte mais ici il n’y a aucune ambiguïté : il n’y a pas d’obligation. Le condamné risque seulement de perdre des avantages s’il refuse le traitement puisqu’il n’est plus considéré comme manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale (art. 721-1 du code de procédure pénale). Il ne bénéficiera pas par exemple de réductions de peines supplémentaires. Les psychiatres qui ont fait valoir qu’ils ne pouvaient prendre en charge à l’intérieur de la prison des délinquants sexuels sans leur consentement ont donc été entendus. On pourrait donc dire sous forme de boutade que le détenu sexuel enfermé est plus libre quant aux soins que le détenu libéré puisque c’est seulement à sa sortie qu’il sera soumis à une véritable injonction.

Par ailleurs le législateur a prévu une autre étape d’incitation : Lorsqu’un suivi avec injonction arrive à terme, selon l’article 355-33 du code de la santé publique, le médecin coordinateur doit informer l’intéressé de la possibilité qu’il a de poursuivre son traitement en lui indiquant les modalités et la durée. On pourrait alors parler d’invitation plus que d’incitation.

 

 

Quel que soit le cadre légal retenu, la prévention de la récidive qui est l’une des finalités essentielles des traitements médicaux ne peut se réaliser  en la matière qu’en accord total entre médecins et juges, chacun conservant pleinement son domaine de compétence tout en collaborant.

 

 

Éléments de bibliographie (aspects juridiques uniquement)

 

 

R.Cario et JC Heraut (dir.) - Les abuseurs sexuels : Quel(s) traitement (s) ? I998 L’Harmattan

J.Castaignéde - Le suivi sociojudiciaire applicable aux délinquants sexuels ou la dialectique sanction-traitement   Dalloz I999 Chron. 23

P.Couvrat  - Le suivi sociojudiciaire, une peine pas comme les autres RSC I999.376

et Obligation de soins ou simple incitation : A propos de la loi du I7 juin I998 Mélanges JH Soutoul Les études hospitalières 2OOO.95

P.Darbeda - L’expertise de prélibération de l’article 722 du CPP et le processus d’évaluation et de soins des auteurs d’infractions à caractére sexuel RSC I996 921

G Du Mesnil du Buisson - Entre le juge et le thérapeute, quelle place pour le transgresseur sexuel ? RSC I996.637

X Lameyre - La criminalité sexuelle Dominos Flammarion 2OOO

et Pour une éthique des soins pénalement obligés RSC 2OO1.521

B.Lavielle - Délinquance sexuelle et application des peines Gaz Pal. I997 Doct IO34

et Surveiller et soigner les agresseurs sexuels : Un des défis posés par la loi du I7 juin I998 RSC I999. 35

P.Poncela - Droit de la peine PUF 2OO1

Ph Salvage - Les soins obligatoires en matière pénale JCP I997.I.n°4O62


 



[1] Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Poitiers