• Veille technologique et bibliothéconomie
  • Aurore Cartier*

    Ces deux termes, l'un émanant du vocabulaire de la documentation, l'autre des bibliothèques, constituent la bipolarité des activités de certaines bibliothèques spécialisées en psychiatrie. Celles-ci se partagent en effet entre la fonction traditionnelle patrimoniale de gestion et de développement des collections (tous types de documents confondus) et la recherche documentaire ou la recherche bibliographique que l'on associe désormais à l'interrogation des bases de données bibliographiques spécialisées, nationales et internationales, accessibles par minitel, en ligne, via internet ou sur CD-Rom.

    La bibliothéconomie est en partie constituée par le circuit du document, de son entrée dans la bibliothèque, jusqu'à la communication à l'utilisateur en passant par son traitement physique et intellectuel.

    Ce dernier, dans le cas fréquent de catalogues matières manuel sur fiches, est effectué à l'aide de listes d'autorités : Auteurs, Anonymes, Collectivités Auteurs, et matières qui constituent des vedettes matières, ou de classifications numériques renvoyant à un mot matière. Ces listes ont pour finalité de multiplier les accès de la recherche pour l'utilisateur, afin qu'il y ait adéquation entre sa demande et la pertinence du document obtenu.

    Toutes les bibliothèques spécialisées en psychiatrie sauf rares exceptions, quelles que soient leur taille ou leur mission, voient donc leurs bibliothécaires effectuer les mêmes analyses thématiques sur un grand nombre de documents identiques et pour la plupart encore en rédigeant moults exemplaires sur fiches. Ces procédés redondants et disparates posent question à deux niveaux.

    Dès lors que l'on aborde l'informatisation d'une bibliothèque, toutes les fonctions bibliothéconomiques sont concernées et indispensables, cependant le catalogue informatisé reste délicat, notamment pour la gestion de la cohérence des mots matières, devenus alors mots-clés ou candidats descripteurs et dont l'ensemble constitue la liste d'autorité matière ou le thésaurus. Il n'existe pas à l'heure actuelle, d'outil de ce type spécialisé en psychiatrie et l'élaboration d'un tel outil mériterait un travail de concertation.

    L'absence de cette liste d'autorité ou thésaurus, qui gère en fait les termes entre eux au niveau de la polysémie, de la synonymie, des relations de proximité ou de hiérarchie entraîne lors de l'interrogation, trop de bruit, c'est à dire trop de réponses non pertinentes, soit trop de silence c'est à dire que les documents pertinents sont la base, mais ne ressortent pas lors de l'interrogation. Ors, lors de l'interrogation d'un catalogue informatisé, c'est sur la cohérence de la liste d'autorité matière que repose la rencontre finale de l'auteur du texte et de son lecteur, mais également l'exploitation qualitative optimale des publications scientifiques contenues dans la base.

    D'autre part, la croissance exponentielle de la production éditoriale scientifique, renforcée par la rigueur budgétaire, ne permet pas aux bibliothèques de prétendre à l'exhaustivité. C'est pourquoi elles sont amenées à coopérer entre elles dans le souci de leur mission de communication des documents et de leur signalement descriptif, thématique et géographique.

    C'est ainsi que l'on a vu se créer des réseaux de bibliothèques informatisés ou pas, constitués de catalogues collectifs de monographies, d'ouvrages anciens, de thèses, de mémoires et de périodiques. Au niveau national, s'est constitué le réseau informatisé des bibliothèques universitaires toutes disciplines confondues . Accessible par minitel ou sur RENATER, ils donnent accès aux catalogues collectifs des livres (pancatalogue), des périodiques (C.C.N.) et des thèses ( théléthèse).

    Sur ce même modèle, se sont constitués des réseaux de bibliothèques de C.H.S. : 1 réseau de province ASCODOC Psy constitué de 40 C.H.S., 1 réseau de Paris Ile de France constitué de 17 C.H.S.

    Ces réseaux dont l'informatisation est disparate ou en cours, ont développé des produits papiers ou informatisés du même ordre que le précédent, ces catalogues collectifs ne sont pas redondants par rapport aux premiers puisqu'ils sont spécialisés en psychiatrie.

    La constitution de ces réseaux permet aux bibliothèques de travailler en virtuel, sur un vaste fonds qu'elles ne possèdent pas, et de pouvoir identifier, localiser et se procurer le document primaire par l'intermédiaire du prêt inter-bibliothèques.

    Cette mise en commun des publications scientifiques au niveau du territoire, permet à tout utilisateur quel que soit sa situation géographique et la taille de la bibliothèque qu'il fréquente, d'avoir accès à un immense fonds de ressources documentaires.

    La coopération des bibliothèques de C.H.S., dans le cadre d'un travail en réseau National informatisé et dans l'optique d'un catalogage partagé visant à rationaliser les tâches, pose question. Non seulement sur le point de la liste d'autorité matière mais également pour l'échange ou la récupération de notices catalographiques. Les contraintes techniques liées à l'informatique concernent les formats d'échanges et la compatibilité des systèmes. Les choix locaux sont souvent budgétaires et décidés par des différentes tutelles.

    Ces paramètres sont des facteurs dont dépendent le fonctionnement harmonieux et responsable des bibliothèques en matière de politique de gestion collective des fonds et de leur mission de communication à l'ensemble de la communauté scientifique.

    La mission d'une bibliothèque dépend de sa tutelle, de son fonds, de son environnement et de son public. Pour les bibliothèques de C.H.S., on distingue quatre niveaux de besoins des utilisateurs qui sont :

  • la formation initiale,

  • l'approfondissement des connaissances,

  • l'enseignement,

  • la recherche.

    Appliquée à un cadre institutionnel et aux différents acteurs qui le composent, ce que j'appelle, la veille documentaire, apparaît comme un moyen de répondre de façon adaptée et nuancée aux besoins spécifiques de chacun en complément des services traditionnels rendus par une bibliothèque.

    La diffusion sélective d'information, est un processus de sélection, d'analyse et d'envoi d'informations (généralement des bulletins de sommaires) qui s'effectue différemment selon les destinataires et leurs besoins continus ou ponctuels et du niveau dans lequel ils s'inscrivent. Dans ma pratique, elle s'appuie sur le Bulletin Documentaire Psy , catalogue collectif des bibliothèques de C.H.S. Paris Ile de France, qui regroupe 339 revues psychiatriques et sciences connexes, françaises et étrangères.

    Les psychiatres, psychologues et chercheurs, définissent à l'avance leurs centres d'intérêt (les profils) et reçoivent individuellement les sommaires des articles parus récemment sur leur sujet. S'ils désirent lire l'article, il leur suffit de renvoyer le sommaire à la bibliothèque, qui par retour leur adresse le document.

    Les paramédicaux reçoivent les sommaires thématiques des revues en liaison directe avec leur profession, mais peuvent également recevoir des articles sur profils. Enfin les infirmiers reçoivent dans leurs services un cumulatif de sommaires des principales revues psychiatriques françaises qui leur permet une vue d'ensemble synoptique de ce qui paraît dans la presse scientifique de leur domaine.

    Les pratiques institutionnelles favorisant peu la consultation sur place, cette méthode permet à chacun de recevoir une information rapide et adaptée .

    La veille technologique est un terme issu du vocabulaire de la scientométrie, à priori éloigné des pratiques documentaires effectuées dans les bibliothèques . Néanmoins, j'ai décidé d'emprunter ce terme dans la mesure où certains objectifs de la veille technologiques, tels qu'ils sont décrits par Michel Callon dans son Que Sais-je ? se rapprochent de ceux de la diffusion sélective.

    « Face à la complexité croissante des technologies, les entreprises ont besoin d'une information scientifique et technique suffisamment sélective, élaborée et actualisée pour tirer le meilleur parti des techniques nouvelles et mettre en œuvre les innovations indispensables à leur développement. Le problème de l'information scientifique et technique se pose la plupart du temps en termes paradoxaux : d'un côté, les décideurs déplorent d'être mal ou sous informés, de ne pas avoir accès aux documents dont ils auraient besoin ; d'un autre côté, ils se plaignent d'être submergés par une surabondance d'informations et de ne pas disposer du temps nécessaire pour en prendre connaissance !

    En réalité, cette contradiction n'est qu'apparente. Les deux termes opposés reflètent une seule et même nécessité, celle d'avoir accès à l'information utile pour l'entreprise, l'information dite critique et de n'avoir accès qu'à celle là. La solution réside donc, non seulement, dans une amélioration de l'accès aux sources d'informations scientifiques et techniques, mais aussi et surtout, dans la mise en place d'un système efficace de traitement de cette information. La veille technologique rassemble des procédures et des outils qui concourent à la recherche, au traitement et à la dissémination d'informations scientifiques et techniques sur des sujets qui touchent aux préoccupations concrètes des responsables et des agents de l'entreprise. Son ambition est de fournir la bonne information, à la bonne personne, au bon moment. »

    La diffusion sélective trouve sa dimension critique dans l'élargissement de la sélection des documents à partir d'une analyse sommaire du contenu de l'information. Prendre connaissance des résumés, des mots clés, et de la bibliographie, permet de cerner si le document correspond au champ de recherche de l'utilisateur. Il ne s'agit pas ici, d'effectuer une analyse qualitative qui appartient à l'utilisateur, mais de repérer et de signaler les documents susceptibles de l'intéresser.

    Au niveau de l'hôpital, la diffusion sélective permet de tendre vers les objectifs de la veille technologique précités et de contribuer à se rapprocher le plus possible d'une adéquation entre les informations fournies et les besoins précis des utilisateurs.

    Lorsque le projet de psy-doc France est apparu dans le premier compte rendu des rencontre interfaces INSERM/FFP, il m'a semblé intéressant car se trouvant à la jonction des préoccupations bibliothéconomiques et documentaires des bibliothécaires. 66% des 2200 articles fournis chaque année dans le cadre de mon activité sont issus de la presse psychiatrique française. Il y a une réelle demande de la part des utilisateurs.

    Cette même presse étant sous représentée dans les bases de données nationales et internationales, en l'absence de catalogues collectifs informatisés de bibliothèques de C.H.S., et d'un liste de mots clés cohérente. J'y vois là un formidable outil de recherche.

    Dans le cadre de la diffusion sélective, j'entrevois la possibilité d'interroger une base spécifiquement française et une économie de moyens par le lancement de requêtes profilées.

    D'autre part, les bibliothèques ont pour mission de former l'utilisateur aux recherches bibliographiques sur les nouveaux supports. Connaître cette base, c'est pouvoir apprendre à ceux qui en éprouvent le besoin.

    Enfin, j'imaginais lors de la constitution de cette base, la constitution d'une liste d'autorité spécialisée en psychiatrie qui pourrait permettre à tous les acteurs de la chaîne documentaire de travailler sur les mêmes bases. Chercheurs, bibliothécaires et utilisateurs, l'objectif commun étant l'exploitation des richesses de la production scientifique psychiatrique française.

    Pour en finir, la constitution de cette base va à long terme entraîner des besoins en personnel pour l'alimenter. Evoquant la redondance du dépouillement des périodiques en bibliothèque, j'envisageais la possible collaboration des bibliothécaires à ce projet, qui pourrait par la suite alimenter leur propre base par récupération des notices.

    Psy Doc France ne doit pas paraître aux bibliothèques de C.H.S. comme un remède miracle, mais comme un formidable outil de travail, qu'il nous faut saluer, encourager et soutenir. Il constitue une plate-forme de réflexion quant à nos pratiques ultérieures.

    *Aurore CARTIER

    Bibliothécaire - Documentaliste



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