Paris/Beaune (France) : 8-12 juin 1998
Paris/Beaune (France) : June 8-12, 1998
J.-M. Azorin, Marseille, France
Dans une revue de la question, publiée en 1994 dans le British Journal of Psychiatry, Smith et Hucker déploraient la relative négligence du problème dans les pays européens, où l'approche demeure beaucoup plus empirique et bien moins systématique. Aux Etats-Unis, en revanche, l'importance du problème est telle que le terme de « double diagnostic » est de plus en plus fréquemment utilisé pour désigner les malades psychiatriques souffrant de toxicomanie associée.
La question peut être abordée à plusieurs niveaux, épidémiologique, étiologique, diagnostique évolutif et thérapeutique.
Aspects épidémiologiques
Un grand nombre d'enquêtes ont montré que les schizophrènes ont des taux d'abus de toxiques beaucoup plus élevés que ceux de la population normale. Cela est vrai pour l'alcool, les drogues illicites, le tabac et l'absorption excessive d'eau. Il est également probable que les schizophrènes consomment davantage de café que les sujets sains. Ainsi, l'enquête ECA (Regier et al. 1990) a montré que la prévalence sur la vie de l'abus d'alcool ou de la dépendance à l'alcool était 3,7 fois plus élevée chez les schizophrènes comparativement à la population générale, avec des taux de 33 %.
Les risques sur la vie de souffrir d'un trouble lié à l'abus de drogues illicites sont, chez les schizophrènes, six fois plus élevés que chez les individus n'ayant pas de trouble psychique, avec des taux de 27,5 %. La prévalence du tabagisme varie entre 50 et 90 % (Masterson et O'Shea 1984 ; Hughes et al. 1986). La polydipsie semble affecter près de 20 % des schizophrènes vivant en institution (de Leon et al. 1994).
Aspects étiologiques
Si des facteurs génétiques ont été incriminés dans le déterminisme respectif de la schizophrénie et de certaines toxicomanies, peu d'études en revanche se sont focalisées sur le rôle de ces facteurs lorsque les troubles surviennent de façon concomitante. Dans le cas de l'alcoolisme notamment, quelques travaux suggèrent l'existence d'une prédisposition génétique commune aux deux types de trouble (Kosten et Ziedonis 1997).
Plusieurs auteurs ont insisté sur le fait que la toxicomanie était une tentative d'automédication par le malade. Ainsi, l'usage de drogues psychostimulantes pourrait réduire les symptômes négatifs, en particulier l'apathie et le retrait, ainsi que la dépression, alors que l'alcool et les benzodiazépines conduiraient à une suppression temporaire des symptômes productifs.
En outre les drogues psychostimulantes seraient à même de contrecarrer les effets extrapyramidaux des neuroleptiques. Cela semble également vrai pour le tabac (Smith et Hucker 1996, Jeste et al. 1996).
D'autres travaux ont porté sur la possibilité qu'avaient les toxiques de précipiter la survenue d'une schizophrénie chez des individus vulnérables.
Enfin, des recherches plus récentes mettent l'accent sur le rôle de certains récepteurs dopaminergiques dans le déterminisme des phénomènes de renforcement.
Aspects diagnostiques
Un problème clinique important est celui du diagnostic différentiel entre pharmacopsychose et épisode schizophrénique aigu chez un patient comorbide. La clinique traditionnelle insistait sur un certain nombre de signes tels que l'existence de synesthésies ou de troubles de la baresthésie en cas de pharmacopsychose (Deniker et al. 1979).
Le problème est plus complexe lorsqu'il existe une comorbidité. Une étude récente portant sur 211 patients semble indiquer que l'existence de troubles formels de la pensée et d'idées délirantes bizarres prédit de façon relativement satisfaisante un diagnostic de schizophrénie chez des patients toxicomanes présentant des idées délirantes ou des hallucinations (Rosenthal et Miner 1997).
Aspects évolutifs
La plupart des études suggèrent que l'existence d'une toxicomanie associée complique l'évolution de la schizophrénie avec en particulier des symptômes plus sévères, des rechutes et des hospitalisations plus fréquentes, une moins bonne adaptation et une moins bonne réponse au traitement (Jeste et al. 1996).
En outre la toxicomanie semble à l'origine d'un certain nombre de complications chez les patients schizophrènes : violence, suicide, non-compliance, dyskinésies tardives, aggravant le pronostic général (Smith et Hucker 1994).
Aspects thérapeutiques
Au niveau médicamenteux, il faut en premier lieu insister sur les conséquences des prises de toxiques sur le métabolisme des neuroleptiques. Certains psychotropes semblent avoir une efficacité dans le traitement des toxicomanies associées à la schizophrénie. C'est le cas notamment de la désipramine chez les schizophrènes toxicomanes à la cocaïne. Plusieurs molécules sont, de plus, candidates à une efficacité potentielle.
Les données les plus intéressantes concernent les neuroleptiques atypiques du fait de leur action sur les symptômes négatifs, la dépression associée, le suicide. Leur moindre incidence d'effets extrapyramidaux semble également intéressante à ce niveau.
Enfin, la propriété d'agoniste des récepteurs D1 que possèdent certains d'entre eux pourrait jouer un rôle déterminant dans la réduction de l'appétence (Wilkins 1997).
Parallèlement, on assiste à un développement croissant des programmes de traitement psychosocial visant à la réalisation d'une abstinence et à son maintien. Ils s'inspirent généralement des principes de la thérapie cognitivo-comportementale, faisant usage de techniques employées chez les toxicomanes et chez les schizophrènes, dans l'élaboration de programmes plus adaptés aux patients comorbides (Ziedonis et Trudeau 1997).
L'étude de la comorbidité schizophrénie-toxicomanie ouvre, on le voit, des perspectives de recherche originales qui pourraient déboucher sur de meilleurs possibilités thérapeutiques dans les années qui viennent.