Journées des 2 et 3 décembre 2002
Comme nous l’avions annoncé dans le dernier numéro de Pour la Recherche, les lundi 2 et mardi 3 Décembre 2002, s'est tenue à l'Amphithéâtre Poincaré du Carré des Sciences une réunion consacrée à l'impact du stress chez l'homme à différents niveaux de son fonctionnement. Organisée par les Comités d’nterface entre l'Inserm et dix spécialités médicales (Anesthésie et Réanimation, Cardiologie, Dermatologie, Endocrinologie-Diabète, Gastroentérologie-Hépatologie, Médecine interne, Neurosciences, Orthopédie-Rhumatologie, Pathologie Infectieuse et Psychiatrie), son premier objectif était de "réunir chercheurs et cliniciens de disciplines différentes afin de préparer ensemble des projets de recherche".
Structurées par quatre approches : systèmes physiologiques, pathologies, axes transversaux et recherches (déjà réalisées ou en projet), ces journées ont abouti à un premier résultat qui paraissait quasiment innacessible auparavant : permettre à chaque participant de repartir avec une représentation globale de l'ensemble des acteurs qui participent au processus du stress, qu'il s'agisse de son initiation, de son déroulement ou de ses effets. Plus généralement, chacune des différentes communications a contribué à l'émergence d'un nouveau paradigme des interactions entre un individu et son environnement, en dévoilant nombre de mécanismes qui les sous-tendent lorsque l'événement initiateur se produit. L'éclairage porté sur la cardiologie, l'appareil digestif, la dermatologie, la psychiatrie et plus spécifiquement sur certains des organes où s'expriment les manifestations cliniques des effets du stress, a apporté au programme de ce colloque un équilibre et un dynamisme qui se sont exprimés dans des échanges nombreux et fructueux. Dans ce contexte à la fois pluridisiciplinaire et interdisciplinaire, chaque approche s'est située comme un maillon clé pour comprendre et agir, qu'il s'agisse de traiter ou de prévenir.
Cette réunion, en continuité avec celle qui s'était tenue en 1999, a fait apparaître l'évolution considérable en trois ans des connaissances sur ce sujet. Partant d'observations cliniques incontestables mais difficiles à comprendre au niveau des mécanismes impliqués, l'accent s'était essentiellement porté au cours de la réunion précédente sur l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et ses relations avec le système immunitaire. Cette fois, ce sont les quatre grands systèmes : nerveux central, autonome (sympathique et parasympathique), neuroendocrinien et immunitaire qui ont été décrits dans leurs implications et leurs interactions réciproques avec le stress et ses différentes manifestations. A cet aspect "central", il faut ajouter la présentation de très intéressants travaux faisant apparaître que ces relations se retrouvent au niveau local dans certains "organes" comme la peau, le coeur et l'intestin. Dès lors, il n'est plus possible de raisonner selon le schéma classique d'un centre unique d'information et de décision situé dans le cerveau, mais plutôt d'un ensemble "d'organes" de gestion locale du stress, utilisant les mêmes médiateurs et cascades de réactions, et en relation réciproque avec le cerveau. Celui-ci a un rôle de régulation, mais il est également en charge d'activités spécifiques de deux ordres. Les premières, concernent la gestion propre du stress émotionnel et son utilisation, notamment pour les activités de mémorisation. Les secondes se situent au niveau de l'organisation comportementale associée aux troubles somatiques dont il est informé (par exemple, sous la forme d'une fièvre et d'une anorexie devant une infection, de fatigue si une anomalie cardiaque s'exprime). Tout cela conduit à la perspective d'une biologie intégrée impliquant l'information et la coopération entre différents acteurs pour produire la réponse la plus adéquate possible à un événement réalisé ou prévu.
Cette physiologie dynamique est déjà passionnante. Mais elle conduit naturellement à une question centrale : celle du passage du "normal en situation particulière" au pathologique. En effet, nous sommes dans le cadre général d'une régulation qui se met en place pour assurer un rôle d'adaptation et qui peut conduire, pratiquement dans la continuité, au développement de réactions pathologiques éphémères ou durables. Dans quelles conditions ? Deux grandes modalités d'interrogation sont en train de se rejoindre : celles qui concernent "l'événement" et celles qui concernent les caractéristiques propres de la personne et de son environnement. La problématique, en elle-même, n'est pas nouvelle. En revanche, la possibilité de décrire très précisément les mécanismes, qu'ils soient cognitifs, psychosomatiques ou somatopsychiques, leurs systèmes d'information, leurs interactions et leurs répercussions comportementales et locales l'est bien davantage.
Quelques éléments de ce colloque concernant des points particuliers peuvent être soulignés :
- Le terme de stress réalise aujourd'hui la synthèse de nombreux apports et la polysémie du terme peut conduire à une certaine confusion. Il devient dès lors nécessaire de distinguer au sein du processus conceptualisé sous ce terme trois éléments : l'événement déclenchant (stresseur), l'organisme impliqué (de la cellule à la personne dans son environnement relationnel) et l'effet. Il n'est par ailleurs plus possible de considérer le stresseur isolément. C'est son interaction avec "l'organisme" qui le subit (et quelque fois le suscite) qui est à prendre en compte dès que l'on veut parler de "cause" et prédire des effets.
- L'importance donnée à la nature qualitative de l'événement ainsi qu'aux facteurs individuels innés et acquis, en termes de caractéristiques et d'histoire personnelles, est n constante progression. La réactivité et la vulnérabilité deviennent ainsi des variables dynamiques, susceptibles toutefois de se fixer à des moment critiques. Ainsi, les répercussions du stress chez l’adulte auront, en fonction de son âge et de ses expériences passées, une intensité et une durée variables. En revanche, chez le jeune encore immature, le stress peut modeler de façon définitive (chez l'animal du moins) ses caractéristiques psycho-biologiques.
- Un même événement déclenchant produira des effets très différents selon l'état de l'organisme : "sain", pathologique, en phase allostatique, voire de rupture allostatique. Le concept d'allostasie recouvre l'existence d'un état d'équilibre (précaire) post événement qui n'est pas nécessairement celui du retour à l'état initial (homéostasie).
- Le temps a une très grande importance dans la description du stress. On a quelquefois réduit le stress à une réaction de nature globale, dissociée de l'histoire qui le précède et peut lui succéder. En fait, il s'agit d'un processus qui peut être durable (voire chronique), même s'il est composé d'événements relativement isolés ou répétés. Dans le cas d'un événement unique, on ne trouvera pas les mêmes valeurs des paramètres biologiques à court, moyen ou long terme terme. Ces valeurs pouvent même s'inverser (comme dans le cas de l'immunité où une phase d'hyperimmunité précède une une phase de réduction de la capacité immunitaire). Un des points maintes fois signalé est que nos connaissances concernent actuellement essentiellement les stress aigus, alors que celles concernant des stress chroniques, plus proches de nos préoccupations cliniques, demeurent très fragmentaires.
- Le concept de "switch" (aiguillage, bascule) est particulièrement fécond pour saisir à quel point une modulation peut modifier complètement la trajectoire d’une activité. Il s'applique aux variations des types de réactions immunitaires (Th1 vs Th2), mais également au fonctionnement des systèmes de mémoire et de lecture de la réalité (déclarative (pensée) ou procédurale (actions et réactions)) suivant le niveau d'émotion. Cette possibilité pour les systèmes de passer d'un fonctionnement à un autre remet non seulement en question l'idée d'un mode unique de réponse du système biologique et de la cognition, mais donne toute son importance aux facteurs (en particulier thérapeutiques) qui vont l'orienter dans un sens ou dans un autre. Cela éclaire par ailleurs la nature apparemment contradictoire de résultats d'études qui ne prenaient pas en compte cette variabilité possible de fonctionnement, d'un moment à un autre ou suivant le contexte. Le rôle du stress dans le déclenclement de troubles mentaux et les perturbations plus ou moins durables des fonctions mentales a été précisé et souligné.
- Il n'existe pas d'étanchéité entre l'action d'un stress physique et celle d'un stress psychosocial. Bien au contraire, leurs effets peuvent être cumulatifs, comme l'a démontré l'expérience suivante chez l'animal. Des souris sont sensibilisées par application cutanée d'une dose optimale d'un haptène (DNFB) sur la peau du ventre et 5 jours plus tard le même haptène est appliqué sur l'oreille. Les animaux développent alors un eczéma de contact qui est objectivé par une augmentation de l'épaisseur de l'oreille (maximale à 24/48 heures et se résolvant en 5 à 7 jours). Si au lieu d'utiliser une dose optimale de DNFB, on utilise une dose sub-optimale, il n'y a pas d'eczéma. C'est dans ces conditions de "tolérance au DNFB" que l'effet d'un stress psychologique est le plus démonstratif. En effet, l'exposition de l'animal tolérant à un stress psychologique au moment de l'immunisation à dose sub-optimale de DNFB rétablit la réponse d'eczéma de contact, dont l'intensité devient alors comparable à celle développée par des animaux sensibilisés à doses optimale et non-tolérants
Toutes ces études ont le mérite d’établir sur des faits concrets la continuité psychosomatique de la biologie et sa double relation avec l’histoire personnelle et l’environnement actuel, qu’il intervienne directement au niveau du psychisme ou d’une partie du corps. Néanmoins, de nombreuses questions demeurent. Parmi elles, celle du passage de la physiologie à la pathologie chez l’homme ; elle ouvre à la définition de stratégies thérapeutiques précisément élaborées.
On comprend très bien que des étudiants voient leur immunité modifée à l’approche d’un examen et même suivant son importance, jusqu’à déclencher un rhume. On y ajoutera des données qualitatives concernant le tempérament et la préparation qui expliqueront pourquoi les épeuves ne sont pas systématiquement accompagnées d’une épidémie. Les choses deviennent beaucoup plus compliquées quand on aborde par exemple l’impact d’un stress aigu sur un stress chronique.On entre ici dans une logique de système instable qui concerne directement la psychopathologie. Comment étudier cette dimension ?
Le cas clinique est irremplaçable, mais il a ses limites. Au niveau épidémiologique, les études doivent répondre à deux critères : réunir de grands effectifs et être prospectives. Peuvent-elles atteindre la dimension qualitative qui fait qu'un même événement a un impact majeur chez une personne et mineur chez une autre. La première perspective est celle d'entretiens individuels menée par des observateurs, mais sa mise en oeuvre s'avère à la fois compliquée, lourde et coûteuse. Face à ces difficultés méthodologiques et pratiques, l’épidémiologie du travail a privilégié l’approche par questionnaire, qui permet d’évaluer les facteurs psychosociaux au travail tels qu’ils sont perçus par les salariés eux-mêmes. Deux exemples d'autoquestionnaires utilisés avec de bons résultats ont été présentés (ceux Karasek et de Siegrist, centrés respectivement sur l’autonomie et le surinvestissement). Les facteurs de stress sont ensuite croisés avec divers indicateurs de santé. Ils ouvrent à des études d’intervention et d'évaluation d’actions de prévention. Cette expérience pourrait être transférée dans d'autres contextes de stress.
La dernière partie de ces journées était consacrée à la présentation de projets de recherche. Plusieurs travaux explorant des axes divers (facteurs de risque et impact du stress sur différentes pathologies chroniques (en particulier psychiatriques), le développement du bébé, les troubles cognitifs et l'échec scolaire, la douleur, la maladie de Meynert), dont certains très avancés, ont ainsi été exposés. Ils pourraient s'inscrire dans un réseau dont l'appel d'offre officiel a été annoncé.
Jean-Michel THURIN
Dernière mise à jour : Dr Jean-Michel Thurin