CA thématique de la FFP. Juin 1999

UN STATUT DU PSYCHOTHÉRAPEUTE : ACTUALITÉ ET ENJEUX

Dr Jean COURNUT


L'idée de promouvoir auprès des pouvoirs publics un diplôme, ou mieux un statut, européen du psychothérapeute, ou de psychothérapie, est envisagée depuis plus de dix ans, et s'est précisée il y a environ deux ans. Pour éclairer les enjeux de cette affaire, il est nécessaire de déblayer, j'allais dire le terrain, ce serait plutôt le trop vaste champ où prolifèrent des méthodes se disant psychothérapiques. ( et qui prolifèrent peut-être d'autant plus que le nombre de psychatres diminue).

La première et impérative démarquation à effectuer passe par le psychopathologique et le thérapeutique d'un côté, et de l'autre les multiples méthodes qui visent le développement, l'épanouissement ou l'ascèse de la personnalité, et qui, à proprement parler, ne sont ni thérapeutiques ni psychothérapiques. Ayant fermement posé cette distinction, je suis tout à fait prêt évidemment à nuancer mon propos, tout en gardant une vigilance obligatoire. Par exemple :

- sous prétexte d'embargo sur le psychopathologique, nous ne saurions passer par pertes et dénis les troubles, malaises, angoisses, pathologies mentales et psychosomatiques pour lesquels des personnes qui souffrent viennent nous consulter. Dans une perspective voisine, nous ne saurions cautionner - ce serait par trop démagogique - des pratiques d'inspirations et d'idéologies très diverses, même et surtout si elles ont des prétentions psychothérapiques sans garanties.

- certaines de ces méthodes censées promouvoir l'épanouissement de la personne sont sûrement respectables, par exemple celles qui s'inspirent du zen ou du yoga. Par contre, d'autres paraissent très suspectes dans la mesure où elles semblent exploiter, sciemment ou pas, la crédulité des personnes, leur corps et/ou leur esprit. Nous connaissons évidemment mal ces méthodes, mais ce qui nous incite à la prudence, et ce qui est à signaler aux Pouvoirs Publics, c'est le fait que nous recevons les retombées psychopathologiques éventuelles d'un certain nombre de ces méthodes et que nous avons à les soigner (l'exemple caricatural étant évidemment ce qui se joue autour des sectes, avant, pendant et après).

- depuis environ dix ans une association européenne de psychothérapie rassemblant un grand nombre de groupes pratiquant des méthodes dites "psychothérapiques" très diverses (amourologie, sexothérapie, gestaltthérapie, somatothérapie, etc) tente de promouvoir auprès des pouvoirs publics des divers pays de la Communauté Européenne et du siège de Bruxelles un "certificat européen de psychothérapie" que cette association cautionnerait. Son principal argument est que la pratique de la psychothérapie est une profession spécifique à laquelle leurs études ne forment pas - et plutôt déforment - les médecins, les psychiatres, les psychologues et les psychanalystes. Ces divers professionnels seraient toutefois admis à recevoir la dite formation de psychothérapeute gérée par l'association européenne. Celle-ci vient de préciser qu'elle ne réclamera pas un remboursement des actes de psychothérapie, argument notable dans la mesure où il ne laisse insensible aucun gouvernement.

- se disant forte de plus de 70.000 membres en Europe, cette association a présenté son projet il y a dix huit mois environ, en France, au Ministère de la Santé. Après avoir convoqué quelques représentants d'associations de psychiatres, de psychologues et d'analystes, le Ministère a commandé à l'AFNOR une enquète. Celle-ci semble avoir conclu récemment qu'étant donné la diversité des pratiques dites psychothérapiques une vaste concertation s'imposait entre tous ces professionnels intéressés.

- voici donc l'état actuel actuel de la situation, et la nécessité de bien préciser les positions, ceci dans la perspective de la concertation probable. Je propose à la discussion trois impératifs :

1- le terme de "psychothérapie" doit être stictement réservé aux méthodes de traitements psychologiques des troubles psychiques, que ceux-ci soient graves et patents, explicites ou méconnus.

2- en fonction de son expérience clinique, seul le psychiatre est habilité à établir un diagnostic de ces troubles, à poser l'indication du type de psychothérapie appropriée, et à conseiller une orientation.

3- le troisième impératif découle évidemment du deuxième : pour tenir valablement cette fonction de plaque tournante, le psychiatre doit recevoir une formation appropriée. Il faudrait, idéalement qu'il soit comportementaliste, cognitiviste, systémique, groupal, psychodramatiste, etc..., et qu'en plus il ait une expérience psychanalytique personnelle lui permettant non seulement de poser éventuellement une indication de psychothérapie psychanalytique, mais aussi pour se repérer soi même dans tout ce que ce travail de diagnostic et d'indication remue en lui. Car, il ne faut pas l'oublier, nous ne sommes pas des médecins comme les autres; en ce qui nous concerne, la relation médecin - malade déborde les moyens techniques et implique chacun personnellement dans son propre fonctionnement psychique.

Le troisième impératif vise donc la formation du psychiatre à la psychopathologie et au diagnostic, puis aux traitements, et tout particulièrement aux diverses formes de psychothérapies. Comme il ne peut humainement pas toutes les connaitre dans l'intime de leur pratique spécifique, il est indispensable qu'il ait la formation théorique et l'expérience personnelle nécessaire pour savoir vers qui il orientera le patient et qui se chargera au mieux du travail psychothérapique indiqué.

Il conviendrair en somme d'affiner notre définition de la - ou des- psychothérapie(s). Dès qu'il y a psychopathologie, le psychiatre est concerné en première ligne; son écoute même a un valeur thérapeutique; elle est une psychothérapie de base qui sera peut-être suffisante, mais qui peut-être débouchera sur l'indication d'une psychothérapie spécialisée à adresser à qui sait spécifiquement la pratiquer. Je pense que la richesse des recherches actuelles, de nos réflexions et de nos techniques induit des surspécialisations dont, en tout état de cause, le psychiatre reste le pivot.

Avant d'aborder les questions stratégiques posées par des éventuels statuts, je fais une parenthèse concernant plus précisément la psychanalyse. Par rapport à la distinction faite plus haut marquée par le psychopathologique, on peut dire que la psychanalyse se situe des deux côtés :

- tantôt il s'agit d'une aventure personnelle, et le psychopathologique n'étant pas en jeu, le psychiatre n'est pas a priori concerné ; précisons cependant que la sécurité de l'entreprise est en principe garantie par les associations de psychanalystes et que, si se révèle une psychopathologie, le psychiatre jouera normalement sa partie;

- tantôt la psychanalyse est indiquée en tant que procédé thérapeutique, et c'est le psychiatre qui induira cette orientation, quitte à ce qu'il continue, si besoin, à suivre le patient, ceci quelques que soient les modalités de l'analyse, cure-type, face à face, psychodrame analytique, etc..

Quel statut, de quoi et de qui ?

On parle de "statut", mais la première question à poser est de savoir qui en parle, de quel statut s'agirait-il, et qui le demande ? :

1- les psychiatres ne demandent pas un statut de psychothérapeute, ceci par définition. Eventuellement on pourrait même envisager deux positions offensives par rapport à ceux qui pratiquent des méthodes dites "psychothérapiques" :

- on pourrait parler d'exercice illégal de la psychothérapie,

- on pourrait aussi mettre en garde les pouvoirs publics à propos des dites méthodes;

- ces positions offensives ont toutefois l'inconvénient d'induire une quasi-reconnaissance, du fait même de la nécessité de faire un tri dans les méthodes en question.

2- ceux qui demandent un statut du psychothérapeute sont précisément les tenants des méthodes en question. Ils ont intéret à se faire reconnaitre, et pour cela à proposer une vaste table ronde qui regrouperait, selon eux, tous les "praticiens" de la psychothérapie. N'oublions pas que cela s'est fait à l'étranger, en Europe.

- La problème stratégique est celui de l'anticipation pour le cas où cette pression aboutirait à une telle ... concertation proposée, si ce n'est imposée, par le pouvoirs publics. Il s'agit de réfléchir dès maintenant et de prévoir quelles seraient la réponse des psychiatres, celle du Conseil de l'Ordre des médecins, et celle des universitaires de médecine, mais aussi celle des universitaires de psychologie et celle des associations de psychanalystes qui forment des psychothérapeutes spécialisés. Le problème stratégique consiste à déterminer quel front commun est nécessaire pour, dans le même mouvement, assurer le rôle du psychiatre et la pratique spécifique des psychothérapies spécialisées.

Dans cette perspective, je pense que la conclusion va de soi : il n'y a aucun besoin de certificat ou de statut du psychothérapeute : le psychiatre, qu'il soit consultant ou chef de service a - de facto- une fonction psychothérapique, et, en plus, il doit pouvoir disposer de psychothérapeutes spécialisés. Ce n'est pas à un gouvernement de certifier telle ou telle méthode psychothérapique, mais c'est au psychiatre, consultant ou hospitalier, de choisir les méthodes et les personnes compétentes, formées à l'université, dans les secteurs psychiatriques, dans les sociétés de psychanalyse et dans tout lieu où la formation lui parait sérieuse et appropriée.

JUIN 1999

(J. COURNUT est actuellement président de la Société Psychanalytique de Paris)


Dernière mise à jour : vendredi 31 mars 2000 14:50:19

Dr Jean-Michel Thurin


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