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Dossier exercice de la psychothérapie.



Texte de la séance du 7 janvier 2004 devant la Commission des Affaires sociales de l'Assemblée Nationale

Jean-François Mattei - 19/02/2004

M. le PRÉSIDENT - Merci monsieur le ministre. Je transmets la parole à Monsieur le Rapporteur.

M. Francis GIRAUD - Monsieur le ministre, comme l'a précisé monsieur le président, le projet de loi que vous nous avez présenté constitue un texte fondateur. Il est vrai qu'à une période de l'année où chaque Français s'apprête à adresser ses voeux de santé à ses voisins, nous devons reconnaître que le terme de santé publique est un concept qui ne nous est pas familier. Je retiendrais donc de votre texte l'adjectif "publique" et la notion de "prévention".

Le texte de loi qui nous est présenté conduit à un certain nombre d'interrogations. C'est la raison pour laquelle je souhaite vous poser une question de structure et une question éminemment conjoncturelle.

D'un point de vue structurel, chacun de nous s'accordera sur le fait que l'État doit organiser la santé publique...

La seconde question, quant à elle, est relative à l'amendement Accoyer ; celui-ci n'est pas contenu dans la loi, mais a été introduit par l'Assemblée nationale. Elle est apparue comme un véritable arsenal nucléaire aux yeux d'un certain nombre de personnes s'occupant de santé mentale, de psychologie. Celles-ci sont organisées de façon parfois incohérente. Le Sénat les a d'ailleurs auditionnées et je suis heureux de préciser que nos collègues des affaires sociales y ont participé. Cela a souvent occasionné des moments extrêmement forts. Quoi qu'il en soit, nous souhaiterions connaître vos orientations sur cet amendement, sur la manière dont nous pouvons assurer la protection de la population française dans ce type d'activités.

Enfin, ma dernière question sera beaucoup plus courte, elle porte sur la formation médicale continue : nous avons interrogé au cours des auditions de nombreuses personnes s'intéressant à ces problèmes. Le fait de rendre obligatoire cette formation médicale continue, même assortie de conditions, représente un point d'interrogation. Monsieur le ministre, il vous appartient maintenant de nous répondre.

M. Jean-François MATTEI, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Je vous remercie. Sur le dernier point, je vais vous répondre très rapidement : je pense que la formation médicale continue doit être obligatoire....

Enfin, en ce qui concerne la psychothérapie, je souhaite vous dire plusieurs choses. Bernard Accoyer développe depuis plusieurs années une réflexion qui lui a été transmise par des associations de familles victimes de psychothérapie. Il a donc décidé de déposer un amendement en première lecture à l'Assemblée nationale. Cet amendement part d'une bonne intention, il est en effet légitime. Pour autant, il a été voté en l'espace de quelques minutes, et, au fond, l'amendement dit qu'il faut protéger les esprits fragiles de manipulateurs. Je crois que nous devons, avec beaucoup de modestie, reconnaître qu'il est pratiquement impossible de différencier les situations normales des situations pathologiques en matière de comportement. En clair, qui dit thérapie dit traitement, ce qui sous-tend l'idée de pathologie. Nous nous trouvons dès le départ devant une difficulté de définition : nous ne parlons en effet que de pathologie, mais comment définit-on une pathologie ? On peut aussi être pris en charge en-dehors d'une pathologie avérée et classique, je pense par exemple à des femmes ayant perdu un enfant et se trouvant alors en situation de détresse ; il peut également s'agir de situations de la vie courante, qui conduisent une personne à être désespérée, celle-ci ressentant alors le besoin de se confier, ou d'obtenir des conseils. Il se trouve que le psychiatre, le psychologue ou le psychothérapeute sont là pour répondre à cette attente. Il est donc difficile de dissocier les situations normales, et les situations où une pathologie est de mise.

La seconde difficulté est la suivante : il faut bien discerner le champ d'intervention des psychanalystes. En effet, dans un amalgame trop rapide, certains ont considéré qu'ils étaient concernés par cet amendement. Or l'analyse, par définition, n'est pas une thérapie, n'est pas une psychothérapie. Nous devons donc l'extraire du champ de l'amendement, d'autant que cette technique ne s'apprend pas à l'université, mais dans des cercles privés particulièrement nombreux. Les psychiatres, parce qu'ils sont médecins, bénéficient d'un a priori favorable. Des psychiatres très honnêtes vous disent qu'ils ne sont pas compétents en psychothérapie, celle-ci ne s'apprenant pas sur les bancs de l'université. Ils ne demandent donc pas mieux que d'obtenir un label favorable mais, à la limite, ils ne sont pas certains de pouvoir l'utiliser. La troisième difficulté concerne les psychologues, qui revendiquent une formation particulière, dans les facultés de sciences humaines et sociales. Ils sont formés, ils sont diplômés, ils peuvent prétendre à la psychothérapie, pour autant néanmoins qu'ils suivent une formation complémentaire théorique, clinique et pratique. Cela dit, comment pouvons-nous valider une telle formation ? En ce qui concerne les psychothérapeutes, il s'agit d'une population dont l'immense majorité, probablement, est compétente. Ils sont incontestablement utiles. Pour autant, leur formation est attestée par qui, par quoi, et sur quels critères ? Au final, il est très difficile de distinguer le psychothérapeute patenté et réel, et celui qui ne l'est pas. Nous voyons donc qu'il est difficile de "faire le tri" entre tous les acteurs.

Une autre difficulté concerne un éventuel encadrement de la fonction et de l'action des psychothérapeutes. Certains seraient en effet des "psycho-conseils", des "psycho-réflexos"... Nous aurions certes assuré un cadre, mais nous n'aurions pas la garantie que les personnes en difficulté n'aillent pas voir ces gens. Je ne suis donc pas certain que la démarche de protection soit assurément garantie d'effet. Par ailleurs, après avoir rencontré tous ces acteurs, j'ai également rencontré toutes les associations de victimes. Celles-ci ont eu une position qui m'est apparue beaucoup moins abrupte que je ne l'aurais pensé. Elles reconnaissent en effet la grande difficulté à qualifier, et elles réclament surtout la possibilité de pouvoir se retourner avec des preuves contre des personnes ayant subi des dommages après avoir suivi une psychothérapie. Or les associations sont tout à fait conscientes de ne disposer d'aucune de ces preuves, elles n'ont strictement rien à produire, elles ne peuvent même pas prouver que les consultations ont eu lieu.

Je souhaite donc vous résumer mon sentiment : à un moment donné, M. Bernard Accoyer a eu le mérite de poser le problème. Je ne verrais aucun inconvénient à ce qu'il soit ramené à une déclaration formelle, accompagnée d'un amendement nous conduisant, par exemple, à écarter les psychanalystes du champ de l'amendement. Il est souhaitable, pour conforter tous les professionnels de la psychothérapie, de promouvoir une information claire et transparente sur ce secteur d'activités. Pourquoi vous dis-je cela ? Nous sommes clairement dans un schéma très libre : les patients vont voir ces personnes librement, y retournent librement, et conseillent à leurs proches d'aller voir le même psychothérapeute librement. Nous ne sommes pas les seuls à nous poser des questions sur ce sujet, certains adoptent d'ailleurs une attitude beaucoup plus autoritaire. D'autres, les Italiens par exemple, sont parvenus à la conclusion qu'il fallait un encadrement mixte, qui aboutirait à une solution peu efficace. Les Anglais, enfin, ont accepté le désordre, tout en considérant que ce désordre devait être éclairé : la population est informée très exactement de ce qui se passe. Nous sommes sur une piste de réflexion très humble, dans la mesure où nous n'avons pas encore trouvé la rédaction adéquate pour l'amendement, nous donnant totale satisfaction. Nous aimerions beaucoup qu'il y ait une déclaration des psychothérapeutes quant à la prise en charge des patients, de telle sorte que des preuves existent. En définitive, les familles de victimes ne demandent pas beaucoup plus que cela, à savoir un engagement du psychothérapeute à prendre en charge la personne. Nous devons encore utiliser la période nous séparant de l'article 88, et, sur ce sujet très ouvert, je ne suis pas certain que nous pourrons, au Sénat, aboutir à une première lecture ferme et définitive. Probablement, nous devrons aboutir à une seconde rédaction, avant de voir comme elle est reçue par les uns et les autres.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le ministre, j'ai encore en mémoire vos propos concernant la formation continue des médecins, visant à dire qu'il n'était pas concevable de confier des soins à un médecin qui n'entrerait pas dans cette logique de formation continue. A partir du moment où l'on parle de thérapie, il me semble que la formation doit devenir nécessaire, dans la mesure où l'on va prendre en charge quelqu'un pour le traiter. Nous avons eu un tel débat à propos d'autres professions, à savoir les ostéopathes et les chiropracteurs. Je rappelle que nous avions réussi, après de longues discussions et de nombreuses auditions, à tirer quelques conclusions. Je pense donc que nous devrions traiter le problème qui nous occupe aujourd'hui, en miroir de cette autre question. Nous avons fait preuve d'un traitement prudent, sage, en décidant de définir par décret la formation que devaient suivre tel ou tel pour pouvoir se réclamer d'un titre : nous avions estimé que cela représentait une bonne garantie. Pour autant, est-ce que cela doit signifier que les autres ne se référeront pas à un autre label ? Evidemment, nous n'empêcherons jamais cela, quelles que soient les décisions que nous prendrons. Pour autant, nous devons définir clairement ceux qui ont le droit de prétendre à un titre de psychothérapeute. J'invite la commission à se demander si nous ne pouvons pas utiliser le parallélisme des formes, de telle sorte que ce dossier soit réglé de la même manière.

M. Jean-François MATTEI, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Effectivement, le rapporteur de la Commission m'avait parlé de cette éventualité, je me suis donc penché de près sur les textes concernés. Il est dit que "l'usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur est réservé aux personnes titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation spécifique à l'ostéopathie ou la chiropraxie délivré par un établissement de formation agréé, par le ministre chargé de la santé dans des conditions fixées par décret".

Tout d'abord, la psychothérapie ne s'enseigne aujourd'hui que dans des institutions ou des écoles privées. En outre, comment allons-nous les agréer, et sur quels critères ? Comment allez-vous justifier que certaines de ces écoles, qui sont à la limite de la pratique sectaire sans que, pour autant, nous ayons des preuves, puissent être non reconnues ? Je rappelle que toutes ces questions sont renvoyées à un décret, et je ne crois pas non plus que les décrets relatifs à l'ostéopathie et à la chiropraxie soient encore parus. Je dois vous dire que je suis incapable, comme toutes les personnes que j'ai rencontrées, de définir les critères permettant d'agréer les 500 écoles ou instituts qui, moyennant de très fortes sommes, prétendent délivrer un diplôme de psychothérapeute. Engager le ministère de la santé à valider une école privée de psychothérapie, sachant la fragilité des critères d'appréciation, cela me semble être difficile : je ne dis pas que cela constitue une mauvaise idée, mais je suis très dubitatif quant à la faisabilité de cette logique. Le programme et la nature des épreuves pour délivrer de tels diplômes sont fixés par voie réglementaire : quel peut être le programme, quelles peuvent être les études et les épreuves dans le cadre d'un programme d'études pour la psychothérapie ? Franchement, je ne le sais pas. Si, d'aventure, vous parveniez à établir de telles données, je dois vous dire que vous nous faciliteriez grandement la tâche. Pour le moment, personnellement, je suis totalement incapable de vous répondre.

M. le PRÉSIDENT - Nous avions posé ces questions à l'époque au ministre de la santé. Nous lui avions demandé comment il allait agir pour reconnaître un programme, des conditions de passage d'un diplôme, et il nous avait répondu que cela ne concernait que lui-même, et non le Sénat. Effectivement, le dispositif existe, mais il est important de pouvoir vérifier les compétences de celui qui exerce. Vous posez maintenant la question au législateur, mais je crois, dans le cas présent, que le problème est d'ordre réglementaire. En effet, le législateur est là pour s'assurer que celui qui se dit thérapeute a effectivement les moyens de l'être, et les capacités d'exercer. Nous ne disons pas quelles sont les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire doit s'assurer que l'enseignement est correctement donné. Or, en ce qui concerne les chiropracteurs et les ostéopathes, il n'y avait aucune école publique, aucun diplôme reconnu. Dans le cas présent, nous sommes exactement dans la même situation : si nous demandons le retrait de l'amendement Accoyer, nous resterions dans la situation existante, en nous contentant d'une grande déclaration d'intention qui n'apportera rien. Nous pouvons également agir comme nous l'avons fait par le passé avec les chiropracteurs et les ostéopathes en demandant au Gouvernement quand, d'un point de vue réglementaire, il sera capable d'agir.