LES TRAJECTOIRES EVOLUTIVES

Rémission partielle, rechute ou récidive, aggravation

 

Introduction

 

La dépression est une maladie spontanément réversible et curable.

La référence traditionnelle est l’accès dépressif de la maladie maniaco-dépressive. L’évolution naturelle de cet épisode dépressif implique sa résolution en un laps de temps de six à huit mois. Cette durée peut varier, selon les formes cliniques isolées dans la nosographie actuelle, de deux à trois jours pour des dépressions sévères et extrêmement soudaines et imprévisibles, caractérisées par Angst sous le nom de “ dépressions récurrentes brèves ”, à plus de deux ans pour les formes chroniques, en particulier la “ dysthymie ”. (25)

Cette évolution naturelle de l’accès peut être écourtée à un ou deux mois grâce aux moyens thérapeutiques (biologiques ou psychologiques) qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité.

Ces deux notions, réversibilité spontanée et curabilité en une proportion très élevée (de 50 % à 90 % selon les méthodes de soins employées), confortent l’idée classique de la dépression comme étant une maladie de bon pronostic.

 

Cependant, son caractère récurrent, son impact péjoratif aux niveaux familial, social et professionnel, ainsi que les risques qu’elle fait courir aux personnes qui en souffrent, notamment le risque suicidaire, mettent en question la bénignité de la maladie dépressive en introduisant une nouvelle perspective sur son évolution à long terme. (38)

 

Les données épidémiologiques soulignent l’importance des récurrences dépressives (50 % dans les deux ans suivant un premier épisode), mais aussi celle de la chronicisation (20 %), des rémissions partielles (15 % à 20 %), voire de la “ bipolarisation ” d’un trouble unipolaire (10 % à 15 %). (16)

 

Il importe de préciser la définition d’un certain nombre de termes concernant les modalités évolutives de l’épisode dépressif qui sont souvent utilisés de manière approximative.

Le texte de l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) contenant des recommandations et références médicales sur les médicaments antidépresseurs (8) a proposé les définitions suivantes :

 

·    “ Une rémission partielle correspond à une période pendant laquelle est observée une amélioration d’un niveau tel que l’individu n’a plus les critères symptomatiques nécessaires pour que soit retenu le diagnostic d’épisode dépressif majeur (NDLR : caractérisé) tout en conservant certains symptômes de la maladie.

·    Une rémission complète est une période durant laquelle est observée une amélioration d’une qualité suffisante pour que l’individu soit considéré comme asymptomatique.

·    La guérison est une rémission complète pendant une durée suffisante (en théorie, égale ou supérieure à six mois).

·    La rechute se définit par la réapparition de symptômes dépressifs avant la guérison. Une rechute survient dans le cours évolutif d’un même épisode pathologique (de l’ordre de quelques mois).

·    La récidive (ou récurrence) correspond à la réapparition d’un nouvel épisode dépressif après guérison du précédent. ”

 

Il convient de rappeler que ces stades évolutifs de la dépression ont été définis et utilisés dans les études longitudinales selon des critères variables d’un auteur à un autre, et correspondent en général à des “ scores ” aux échelles d’évaluation, en fonction d’une certaine durée. Ainsi, à l’échelle de dépression de Hamilton (une des plus utilisées), qui comporte dix-sept items, le sujet dit “ guéri ” correspond à un score inférieur ou égal à 7, sur une durée supérieure ou égale à six mois, ce qui n’exclut pas la persistance d’une certaine symptomatologie.

 

 

Formes évolutives spécifiques

 

L’évolution naturelle de la maladie dépressive tend à la répétition des épisodes.

Le nombre médian d’accès dépressifs sur un suivi de vingt ans ou plus est estimé à quatre ou six. Avec le temps, les récurrences tendent à se rapprocher. (11)

 

Quand les moments pathologiques se succèdent d’une manière fort rapprochée, les états de rémission sont très imprécis et, dans certains cas, le fonctionnement interépisode est émaillé de signes résiduels, complications dépressives, aménagements de la personnalité et/ou maladies intercurrentes.

Cela peut donner lieu à des formes spécifiques d’évolution que la nosographie psychiatrique tend à identifier (surtout pour des besoins inhérents à la recherche épidémiologique), ou à des tableaux cliniques extrêmement complexes dans lesquels la dimension dépressive risque de ne plus être apparente à l’examen du clinicien.

 

Evolutions bipolaires

Un certain nombre de maladies unipolaires peuvent montrer une évolution bipolaire au fil de leur progression, ce qui remet en question le diagnostic initial. Les facteurs prédictifs d’une telle évolution seraient : la récurrence rapprochée des accès, les antécédents familiaux de bipolarité, l’existence d’accès avec caractéristiques psychotiques, le début de l’accès dépressif en période de post-partum ou à un âge précoce (avant 25 ans) et l’antécédent d’un virage de l’humeur sous antidépresseur. (11) (43)


 

Dépressions brèves récurrentes

Le concept de “ dépression brève récurrente ” fut introduit en 1929 par Paskind, qui fit remarquer l’existence des phases d’humeur dépressive intenses quant à leur gravité clinique et de courte durée (de quelques heures à quelques jours).

En 1990, Angst (10) proposa des critères diagnostiques : épisode dépressif majeur de gravité légère, moyenne ou sévère, d’une durée inférieure à deux semaines apparaissant chaque mois, au moins pendant une année. La prévalence sur un an est estimée à 5 % et la prévalence sur la vie à 16 %. Les dépressions brèves récurrentes (DBR) ne sont pas une maladie indépendante, mais représentent une forme d’évolution particulière de la dépression. Les DBR sont donc fréquemment associées à d’autres formes de dépression, notamment l’épisode majeur (EDM). Les DBR sont hautement corrélées à des troubles de la personnalité, en particulier de type borderline. (9) (10)

Les DBR entraînent des conséquences sociales aussi importantes que celles causées par l’EDM, la plus grave étant l’augmentation du risque de suicide.

 

Doubles dépressions

La notion épidémiologique de double dépression fait référence à l’association d’une dépression majeure (caractérisée) à une dysthymie.

Cette association manifeste une sévérité particulière et semble favoriser le potentiel de récurrence et de chronicisation, voire même de résistance thérapeutique.

Certains auteurs font référence à une forme qui associe à la double dépression des épisodes de dépression brève récurrente (“ triple dépression ”).

 

Dépressions saisonnières

Les recherches en chronobiologie s’intéressent à ce type particulier de récurrence dépressive liée aux changements de saison. Le début de l’épisode dépressif survient habituellement entre octobre et décembre (pour l’hémisphère Nord) avec des rémissions régulières entre mi-février et mi-avril, lesquelles peuvent atteindre une certaine allure hypomaniaque.

Ce diagnostic doit être exclu s’il existe des facteurs psychosociaux, telle l’absence régulière de travail à cette époque de l’année, liés à l’effet saisonnier.

Cette forme évolutive serait particulièrement sensible à certains traitements spécifiques tels que la photothérapie.

Le retentissement social de ces dépressions est en général modéré mais patent. Les dépressions saisonnières représenteraient de 16 à 38 % des dépressions récurrentes hospitalières. (33)


 

Dépressions chroniques et résistantes

 

Malgré l’absence de consensus sur la définition des dépressions chroniques, les critères diagnostiques généralement retenus sont de deux ordres, à savoir une durée de deux ans et la persistance d’une symptomatologie dépressive suffisante constatée à plusieurs reprises. Pendant cette période, les troubles dépressifs sont continus ou discontinus (intervalles de quelques jours) et l’altération du fonctionnement socioprofessionnel est patente. (3)

 

Dans une dépression qui se chronicise, il y a donc des phases d’amélioration. Il s’agit de patients qui allaient très mal, qui bénéficient progressivement d’un traitement antidépresseur, mais qui, à la fin de ce traitement bien conduit et bien suivi (qu’il y ait ou non arrêt), gardent des troubles à indice thymique, d’intensité variable. Ces patients ne retrouvent pas l’état normothymique. Une nouvelle stratégie thérapeutique s’impose alors qui consiste à chercher les moyens de potentialiser l’effet antidépresseur.

 

La notion de chronicité peut englober différentes entités nosographiques. Le groupe des dépressions chroniques représente donc en soi une population hétérogène sans classification définitivement admise.

Akiskal a proposé en 1983 (40) une distinction schématique en fonction de l’âge de début. Les dépressions chroniques à début précoce (avant 25 ans) sont appelées “ dépressions caractérologiques ” et présentent un début insidieux et une évolution fluctuante. Ces formes cliniques comprennent, selon une discrimination pharmacologique, des pathologies du spectre du caractère (character spectrum), à situer dans les troubles de la personnalité qui répondent mal aux antidépresseurs, et des pathologies dysthymiques subaffectives (subaffective dysthymic disorders), associées aux troubles de l’humeur et à une réponse plus favorable aux antidépresseurs.

Les dépressions chroniques à début tardif (au-delà de 25 ans) comprennent les dysphories secondaires à une affection organique ou psychiatrique et les dépressions chroniques unipolaires primaires.

 

Une dépression “ résistante ” est une dépression que le praticien n’arrive pas à guérir avec les moyens thérapeutiques standards. Il s’agit d’un malade chez qui la thérapeutique va peut-être reculer le risque suicidaire, modifier certains symptômes mineurs, mais sur lequel le traitement n’est pas suffisamment actif pour qu’il y ait vraiment une amélioration.

La définition suivante a pu être proposée : “ Une dépression sera considérée comme résistante au traitement à partir du moment où l’on sera en mesure de constater l’échec de deux traitements avec deux médicaments correspondant à deux familles d’antidépresseurs et lorsque ces deux traitements auront été réalisés de façon séquentielle, à dose suffisante et pendant une durée adéquate d’au moins un mois, avec une surveillance correcte de l’observance et de la compliance pour les deux médicaments successifs. ” (3)


 

Comme pour les autres formes de dépression chronique, des stratégies thérapeutiques spécifiques s’imposent.

 

 

Facteurs déterminants

 

Plusieurs facteurs interviennent pour influencer ces issues évolutives, facteurs “ protecteurs ” ou “ fragilisants ”, que ce soit au niveau neurobiologique, psychologique ou social.

Parmi les facteurs de risque de rechute et de mauvaise évolution, on distingue : l’association de la dépression avec d’autres troubles psychiatriques, l’existence de pathologie organique associée, la structure de la personnalité, la prise en charge partielle du trouble, l’âge, le sexe, le statut marital, le niveau socioéconomique, les événements stressants et les difficultés de vie, la qualité du support social, la sévérité et la durée de l’épisode dépressif, les antécédents d’épisodes antérieurs personnels et familiaux. (3) (16)

 

1 – Association de la dépression avec d’autres troubles psychiatriques

 

          La consommation des produits toxiques

 

C’est un phénomène fréquent, qui constitue un facteur aggravant du tableau dépressif et de ses complications, dont la plus grave est le suicide.

Un patient déprimé qui a une consommation abusive d’alcool, ou qui en est dépendant, récidive plus facilement.

Cela est vrai aussi pour les drogues en général, car les toxicomanies associées à des troubles dépressifs augmentent les probabilités de rechute. En effet, la dépression est, selon les quelques rares études existantes, le trouble mental le plus fréquemment associé à la toxicomanie, les polytoxicomanes présentant plus de troubles dépressifs que les patients dépendants à un seul produit. (31)

 

Les liens cliniques et psychopathologiques entre l’usage de substances toxiques et la dépression sont d’influence réciproque et il est souvent difficile de distinguer avec précision quel trouble a précédé l’autre, de déterminer si les troubles de l’humeur observés sont la cause, la conséquence ou les séquelles d’un usage de toxiques.

 

Ce type de comorbidité a beaucoup été étudiée, principalement en ce qui concerne l’association entre l’alcool et la dépression.

Les enquêtes épidémiologiques confirment sa fréquence élevée. D’après ces études, la dépression primaire compliquée d’alcoolisation est plus rare (sauf pour les femmes) que la dépression secondaire à une alcoolo-dépendance. 80 % des alcooliques présentent des symptômes dépressifs et un tiers d’entre eux une dépression caractérisée ; si bien que le DSM-IV distingue une nouvelle catégorie clinique, le “ trouble de l’humeur induit par la consommation d’alcool ”.


 

Cependant, en dehors des problèmes critériologiques de diagnostic et de méthodologie utilisés dans ces études, il est fréquent d’observer dans la pratique des complications de l’épisode dépressif par alcoolisation, l’alcool étant alors utilisé comme un “ autotraitement ” pour échapper à des sentiments d’ennui, de tristesse, de découragement, et pour oublier, même transitoirement, des préoccupations anxio-dépressives.

Chez les femmes, cette alcoolisation s’observe souvent dans des situations d’abandon, de deuil, d’isolement affectif et social.

 

D’un point de vue clinique, le tableau de la dépression primaire compliquée d’alcoolisme ne diffère pas beaucoup des autres dépressions et sa caractéristique principale est de perdurer au-delà des effets du sevrage. Dans la dépression induite par la dépendance à l’alcool, le tableau peut être typique ou intriqué avec la présentation symptomatique de l’alcoolisme, notamment pour ce qui est de l’état dysphorique avec troubles du caractère. (32)

 

En tout état de cause, l’alcoolisme fragilise le patient dépressif et le rend vulnérable. Il rend plus difficile aussi la prise en charge de la dépression, laquelle impose une désintoxication préalable.

En effet, dans toutes les formes de dépression associées à une consommation pathologique d’alcool, le sevrage doit précéder le traitement de la dépression (celui-ci peut même s’avérer suffisant dans 80 % des dépressions secondaires).

On observe aisément dans la pratique qu’un sujet qui boit de l’alcool sera moins bien soulagé par le traitement. Le résultat ne sera donc pas le même, au moins dans l’immédiat.

La prise en charge sera également plus difficile parce qu’il est couramment observé, chez ces patients qui continuent l’alcoolisation sans tenter le sevrage, qu’au moment où ils vont bien, ils ont tendance à augmenter les doses d’alcool au moindre stress et que ce phénomène aggrave leur vulnérabilité. Plusieurs facteurs, de types biologique, psychologique et social, interviennent dans cette vulnérabilisation. De plus, l’intoxication alcoolique chronique réduit les capacités d’adaptation aux situations de stress.

 

Certains patients, qui développent avec le temps un véritable alcoolisme, “ traînent ” des troubles thymiques dont le caractère bipolaire peut être parfois suspecté ; ces patients sont particulièrement difficiles à traiter. Quand ils vont mal, ils s’automédiquent en prenant des tranquillisants, de l’alcool et l’antidépresseur, d’une manière anarchique, comme s’il s’agissait d’un traitement symptomatique !

 

L’alcoolisation peut donc s’avérer un facteur de résistance au traitement ; c’est une observation facile à faire en clinique. On peut évoquer, entre autres raisons, l’effet dépressogène intrinsèque de l’alcool.

Les patients déprimés qui n’arrivent pas à se sevrer et qui finissent par être tout de même traités par antidépresseur parce qu’il y aurait danger à ne pas le faire n’atteignent pas toujours l’état de rémission complète.


 

          La coexistence de troubles anxieux

 

Les données de la littérature suggèrent que l’association de la dépression et des maladies anxieuses (troubles paniques, phobie sociale, anxiété généralisée, trouble obsessionnel compulsif), bien qu’elle demeure mal établie, est fréquente : 50 % des déprimés présentent un trouble anxieux concomitant, et 25 % des anxieux présentent un état dépressif. (15)

 

La dixième version de la Classification internationale des troubles mentaux (CIM) (11) a reconnu l’autonomie du trouble mixte anxio-dépressif, constitué des symptômes anxieux et dépressifs moins intenses, et qui restent subsyndromiques.

La nature des liens entre la symptomatologie anxieuse et la symptomatologie dépressive est encore sujet de débat.

La plupart des études, cependant, sont concordantes pour attribuer à cette comorbidité la responsabilité d’un pronostic à long terme moins bon que celui que connaîtraient ces troubles de manière isolée. (22)

 

Plusieurs aspects de cette association syndromique entravent la résolution de l’épisode dépressif et influencent son cours ultérieur. En effet, la comorbidité anxieuse favorise une certaine résistance au traitement médicamenteux, majore l’intensité du tableau dépressif, fragilise le patient du fait de la persistance des symptômes mineurs anxio-dépressifs isolés après résolution de l’épisode caractérisé, favorise le recours à des conduites addictives, entrave encore davantage la réadaptation sociale et professionnelle (5) et augmente le risque suicidaire.

 

2 – Des éléments propres à la personnalité du patient

 

Les particularités psychologiques de la personnalité ainsi que sa pathologie peuvent favoriser la survenue des troubles, freiner leur résolution et légitimer un aménagement des thérapeutiques.

 

L’influence de la personnalité sur la dépression est une spéculation clinique très ancienne, qu’elle soit liée à des facteurs génétiques ou constitutionnels, ou à des traits dits “ de caractère ” acquis au cours du développement. (26)

Cette notion implique l’idée d’une relation linéaire de prédisposition dépressive de certaines personnalités. Il s’agirait d’une “ personnalité prédépressive ” sur l’étude de laquelle se sont penchés des auteurs psychanalystes, phénoménologistes et, plus récemment, cognitivistes. (25)

Ce concept clinique courant perdure de nos jours dans l’esprit des praticiens, bien que la littérature scientifique de ces vingt dernières années témoigne de la complexité de ce rapport, laissant peu de certitudes sur la nature de cette interaction et sur sa valeur de facteur de risque dépressif et de chronicisation. (2)


 

En effet, les travaux d’Akiskal (1) ont introduit une perspective différente de ces interactions : une certaine pathologie dépressive, permanente et évolutive est sensible aux chimiothérapies antidépressives. Les manifestations pathologiques attribuées à la personnalité apparaissent ici comme pouvant être des symptômes d’une dépression subclinique.[1]

 

L’épisode dépressif majeur peut aussi, à son tour, façonner les traits de personnalité, lesquels seraient des séquelles du trouble de l’humeur. Ici, il s’agirait d’une “ personnalité postdépressive ”, consécutive aux effets dévastateurs de l’accès mélancolique. (25)

 

Dans cette perspective, certains auteurs distinguent trois moments évolutifs :

1.        les changements de la personnalité observés pendant l’épisode affectif (modifications état-dépendantes, généralement régressives),

2.        les changements qui apparaissent dans le court terme (difficultés réadaptatives),

3.        les modifications de la personnalité observées au long terme (depressive defect) qui résultent de la répétition des expériences dépressives. (1)

Dans ces dépressions récurrentes, la répétition des épisodes dépressifs permettrait de développer une hypersensibilité à des stimulations de plus en plus minimes en favorisant la vulnérabilité du sujet. (36)

 

Le débat reste ouvert quant à la valeur réactionnelle des traits pathologiques du caractère observés chez les patients avec antécédents de dépression caractérisée, et quant à la possibilité d’une modification durable de la personnalité, mais il est de plus en plus admis que la rémission d’un épisode dépressif s’accompagne d’ajustements comportementaux sur le plan personnel, familial, professionnel et social, sur le mode de l’évitement, de l’inhibition, de l’anxiété, de la perte de confiance en soi et de la dépendance aux autres. (46) (48)

 

Enfin, certains auteurs ont signalé l’action “ pathoplastique ” des traits de la personnalité sur la présentation de la dépression, sans relation étiologique mais entraînant des conséquences pronostiques certaines (25) ; d’autres soutiennent une coexistence indépendante entre troubles de la personnalité et dépression, en soulignant le manque d’une méthodologie adaptée à une telle investigation. (50)


 

Malgré la complexité de la question et les nombreuses limitations rencontrées pour son étude (42), les anomalies de la personnalité intercritique (c’est-à-dire en période de rémission) sont très fréquentes (23), présentes dans 46 % à 74 % des cas selon les études révisées. Les personnalités le plus souvent concernées sont les personnalités dépendantes dans 30 % des cas environ, les personnalités évitantes ou histrioniques dans 20 % des cas, les personnalités schizotypiques, borderline ou obsessionnelles dans 15 % des cas. (4) (5) (19)

Cette variabilité des troubles de la personnalité présente des taux de fréquence différents selon la méthodologie utilisée par les études. Malgré cette diversité, plusieurs éléments communs se dégagent, dont l’instabilité émotionnelle, le névrosisme (neuroticism) marqué, le manque d’assurance et la dépendance interpersonnelle. (4) (46)

A. Hoffart (30), utilisant une terminologie de la psychopathologie psychanalytique, a pu mettre en évidence, dans une étude comparative avec des patients anxieux et des patients dépressifs, des traits “ oraux ” de la personnalité chez les déprimés, surtout en ce qui concerne le manque de confiance en soi et l’extrême dépendance interpersonnelle.

 

Ces traits de personnalité, qui, selon certains auteurs, peuvent être observés dans d’autres groupes diagnostiques (34) (47), constituent chez un patient déprimé un facteur de risque d’évolution péjorative.

 

Les patients déprimés qui présentent par ailleurs une personnalité de type dépendante peuvent donc se servir de l’accès dépressif pour renforcer cet aspect de leur personnalité. Ce n’est pas obligatoirement un trait hystérique, ni l’expression d’une certaine complaisance à l’égard de leur état. La dépression représente un peu une fatalité pour ces patients et, de ce fait, ils ne sont plus très “ combatifs ” vis-à-vis de la dépression.

Une certaine résistance pharmacologique a également été signalée (41).

Bien que certains auteurs (45) aient suggéré que l’abord psychothérapique des dépressions survenues chez une personnalité pathologique aurait un moindre succès, une prise en charge psychothérapique s’impose (52) d’autant plus que les antidépresseurs ne montrent plus d’efficacité spécifique (hormis les bénéfices liés à leurs effets latéraux). Cela reste vrai à une condition : qu’il ne s’agisse pas, comme il a été précisé plus haut, d’un trouble dépressif chronique subsyndromique.

 

En pratique, il est observé que les patients présentant une personnalité pathologique qui complique l’évolution d’une dépression prennent plus facilement des anxiolytiques. La dépendance n’est pas seulement interpersonnelle : ces patients ont tendance à dépendre également des médicaments et à surconsommer, dans un contexte d’automédication.


 

L’arrêt du traitement sera donc difficile. La “ négociation ” sera longue et il faudra du temps pour envisager la diminution progressive ; parfois, c’est un événement extérieur (départ en vacances en oubliant son traitement, etc.) qui introduit le sevrage du jour au lendemain.[2]

 

Les troubles de la personnalité associés à la dépression sont donc corrélés à une évolution clinique moins favorable et représentent incontestablement un facteur de mauvaise qualité de rémission. (45) On observe alors des états plutôt chroniques. Ce risque est d’autant plus élevé que le trouble de la personnalité est sévère. (4)

Il y a beaucoup plus d’états subsyndromiques, mais il y a aussi de “ vrais ” déprimés chroniques, avec des phases d’aggravation, et des moments où l’état est moins inquiétant en termes d’intensité et de danger suicidaire.

La distinction clinique n’est pas toujours facile à faire.

 

3 – La prise en charge partielle du trouble

 

La prise en charge partielle de la dépression (aussi bien médicamenteuse que psychologique) est un important facteur de récidive, voire de chronicisation.

 

La mauvaise observance durant la phase curative tout comme l’insuffisance de durée de traitement ou son interruption trop précoce viendront fragiliser le patient déprimé et le soumettre à un risque certain de rechutes ou de récidives.

C’est une donnée sur laquelle s’accordent un grand nombre de professionnels.

 

De même, le non-accompagnement psychologique prenant en compte des facteurs sociaux éventuellement perturbateurs et l’absence de prise en charge psychothérapique entraînant une certaine remise en question conditionnent l’évolution de la maladie.

 

Dans les troubles bipolaires francs, le manque d’insight (reconnaissance et critique de la maladie), observé pendant les intervalles libres intercritiques, est un facteur connu de mauvaise observance et de rechute. (39)

 

4 – L’âge

 

Les différents travaux épidémiologiques montrent que les dépressions du sujet âgé évoluent davantage vers la chronicisation et rechutent plus facilement que chez des sujets plus jeunes. (17)

Plusieurs facteurs de risque (biographiques, situationnels, sociaux, psychologiques et médicamenteux) interviennent pour déterminer une telle évolution.


 

La dépression chez un sujet âgé est un véritable “ défi ” pour le praticien. Une fois le trouble identifié (seulement 6 % des dépressions à expression somatique seraient reconnues), la décision de traiter n’est pas systématique, du fait d’une acceptation trop facile du fait que la personne âgée peut être normalement triste et ralentie. (17)

Par ailleurs, le traitement et les troubles chez les patients âgés durent beaucoup plus longtemps, et, lorsqu’on arrête l’antidépresseur, après un temps conséquent et devant l’amélioration de la symptomatologie, les patients se montrent à nouveau subdépressifs. Le praticien peut avoir régulièrement l’impression d’arrêter trop tôt chez ces patients. En effet, dans la pratique, quand le traitement est arrêté au bout de six ou huit mois, l’impression clinique équivaut à un arrêt après trois ou quatre mois chez un sujet jeune. On observe à ce moment-là le même taux de rechutes. Des angoisses apparaissent de façon très fréquente, ainsi que la tristesse et la crainte de mal faire.

 

La dépression du sujet âgé survient souvent dans le contexte d’un deuil. (53)

Les personnes âgées ont une gestion intime de ce vécu, et, fréquemment, n’en parlent pas tout de suite (il est important de rappeler cela en vue d’une meilleure identification des dépressions “ silencieuses ” du sujet âgé). (35)

 

Compte tenu de ce contexte réel de deuil dans lequel survient l’épisode dépressif du sujet âgé, il paraît souhaitable de ne pas prescrire d’antidépresseur au moment du décès de l’être proche. Prendre de la distance par rapport au travail de deuil semble nécessaire pour favoriser l’évolution de l’accès dépressif et essayer d’éviter les avatars, signalés plus haut, de rechute, de chronicisation et de dépendance.

En pratique, ce temps à respecter serait de six mois environ. Cela peut paraître court, aussi bien pour un travail de deuil que pour la prise en compte du temps chez une personne âgée. Une personne âgée élabore beaucoup plus lentement que quelqu’un de plus jeune, en particulier le deuil. Il faudrait faire très attention de ne pas associer le médicament au deuil.

Le clinicien peut se demander aussi si, derrière cette dépendance au traitement, il n’y a pas la recherche d’éviter le “ deuil ” de la relation avec le médecin et des aspects psychothérapiques de soutien, inhérents à ce type de prise en charge. On peut donc envisager la poursuite des consultations pendant un temps limité après l’arrêt du traitement pharmacologique.

 

Pourtant, cela n’explique pas la difficulté à faire atteindre au patient âgé un état de rémission satisfaisant et à arrêter la prise en charge.

Certains auteurs ont proposé des critères de guérison particuliers pour la dépression du sujet âgé, sur la base des caractéristiques cliniques (notamment les préoccupations hypocondriaques concernant le corps et la santé psychique) et du contexte social défavorable de solitude et d’isolement. Ainsi, les critères de guérison ne devraient pas reposer seulement sur la disparition de l’expression de la tristesse, mais aussi sur l’apaisement des craintes concernant la maladie physique ou mentale et sur un certain retour aux activités sociales. (18) (35)


 

Pourquoi l’évolution serait-elle beaucoup plus longue chez les sujets âgés ? Les neuromédiateurs seraient-ils en nombre insuffisant, compte tenu d’un certain processus de détérioration lié à l’âge ? Il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’explication physiopathologique claire.

L’arrêt progressif du traitement chez les sujets âgés est particulièrement difficile, malgré le fait qu’il soit proposé dans un contexte de dialogue et de collaboration, et il n’est pas rare que certaines prescriptions soient maintenues à vie, d’une manière empirique, le clinicien ayant l’impression que les patients vont mieux sous antidépresseurs, même à posologie réduite, que lors de l’arrêt.

Une question fondamentale se pose sur ce qui serait la meilleure conduite à suivre.

 

Outre cette tendance à la chronicisation, le clinicien a affaire à des complications particulières de la dépression chez les sujets âgés, et, tout d’abord, à la fréquence des suicides réussis.

Les sujets âgés sont moins enclins à faire des tentatives de suicide, mais, quand ils réalisent une conduite suicidaire, celle-ci est très souvent fatale. Alors que le rapport entre tentative de suicide et suicide réussi est de 100 pour 1 pour la population jeune, il est de 3 pour 1 chez les personnes âgées. (7)

Dans les pays industrialisés, les chiffres du suicide augmentent avec l’âge et on observe un pic au-delà des 65 ans. Le suicide est ici très fortement corrélé à la présence d’une comorbidité entre dépression et pathologie somatique. L’aboutissement du geste autoagressif est lié à la faible tendance à communiquer l’intention suicidaire (du fait des particularités psychologiques de la dépression du sujet âgé et des particularités environnementales, tel l’isolement social) et à l’absence de prise en charge spécialisée. (12)

Les facteurs de risque suicidaire à cet âge sont donc nombreux. Il y a lieu de penser que toutes ces modifications liées au vieillissement sont vécues comme autant de blessures narcissiques. L’équilibre entre investissement et désinvestissement, identité narcissique et mort définit la dynamique psychologique du sujet vieillissant. (6)

 

Dans les modalités évolutives de la dépression du sujet âgé, on observe également des complications somatiques du fait d’un accroissement de la vulnérabilité physique. (17)

 

Des tableaux démentiels peuvent compliquer la présentation de l’épisode dépressif ou lui succéder.

Les perturbations intellectuelles provoquées par la dépression peuvent être quantitativement importantes et faire évoquer une démence. Cependant, très souvent, il s’agit davantage d’une pseudo-démence, sans désorientation ni troubles du jugement véritables ; ce sont des patients qui vont commencer à présenter des troubles du comportement avec bizarreries, d’une manière moins insidieuse que dans les processus démentiels, en accroissant la tendance à se replier normalement sur eux-mêmes. Le premier épisode les a déjà éloignés des voisins, des amis. Après un stade d’isolement social, ils entrent dans une phase pseudo-démentielle à différencier de la détérioration cognitive avérée.


 

Par ailleurs, il a été suggéré (21) que la dépression pourrait favoriser la survenue d’une maladie démentielle de type Alzheimer. Cela repose sur la plus grande fréquence d’antécédents dépressifs chez les malades atteints d’Alzheimer.

Le contraire est plus facilement admis, à savoir que les processus démentiels, par le biais des perturbations biologiques ou des réactions psychologiques, entraîneraient une dépression, entraveraient la rémission et favoriseraient les rechutes.

Le vieillissement entretient des rapports complexes avec les troubles dépressifs du sujet âgé et ceux qui témoignent d’un déclin cognitif. Sur le plan théorique, le problème des rapports entre dépression et démence soulève de nombreuses questions. (21)

 

5 – Le sexe

 

En consultation de ville, il apparaît de façon flagrante qu’il existe une différence évolutive de l’épisode dépressif en rapport avec le sexe. On peut penser que cette particularité distinctive est liée à l’existence d’un biais. Les femmes, quand elles sont déprimées, accepteraient le diagnostic assez facilement, et ensuite le traitement de façon assez globale, c’est-à-dire aussi bien les médicaments qu’une prise en charge thérapeutique globale (approche psychologique, psychoéducative, mesures d’hygiène de vie). Les hommes, en revanche, ont beaucoup de mal à admettre le diagnostic ; quand ils l’ont admis, le médecin doit encore beaucoup “ négocier ” pour leur faire prendre des médicaments. La prise en charge psychothérapique est encore très difficile, en tout cas lors du premier accès.

Le biais semblerait donc se situer à ce niveau de reconnaissance de la maladie dépressive et d'acceptation de la nécessité d’un traitement.

 

Cette observation – les hommes sont plus susceptibles de faire des rechutes et des récidives dépressives du fait d’une compliance de mauvaise qualité – ne trouve pas sa confirmation dans les travaux scientifiques portant sur l’incidence de la dépression et la prévalence des rechutes et des récidives en fonction du sex ratio.

Il est actuellement admis que la prévalence de la dépression est environ deux fois plus importante chez les femmes, et ce serait le nombre de rechutes qui expliquerait la différence sexuelle de la prévalence dépressive (21,8 % des femmes ayant fait un accès dépressif rechutent, contre 12,9 % des hommes). (16)

 

6 – Les facteurs biologiques

 

Sans être considérés comme des facteurs de risque, de nombreux tests neuroendocriniens (test à la dexaméthasone, test au TRH) ou paramètres paracliniques ont été étudiés comme marqueurs prédictifs d’une rechute dépressive, à la recherche de l’objectivation du caractère héréditaire et familial de la maladie.

Il convient de souligner que les récidives dépressives seraient susceptibles d’induire des changements biologiques au niveau du système nerveux central, eux-mêmes responsables d’une augmentation du rythme des rechutes et d’une évolution avec des récurrences survenant sans facteur déclenchant, ou à la faveur de stress mineurs sur le modèle du kindling de Robert Post, avec des cycles autoentretenus. (16)


 

7 – Autres facteurs déterminants

 

·    les caractéristiques cliniques de l’épisode dépressif : présence d’idées délirantes chez les mélancoliques, sévérité de l’accès, nombre et qualité des épisodes précédents, dépressions doubles, comorbidité avec pathologie organique ;

·    les caractéristiques sociodémographiques : personnes vivant seules, bas niveau socioéconomique, manque de support social ou environnement familial de mauvaise qualité ;

·    l’exposition à des événements de vie stressants ;

·    les antécédents personnels et familiaux de dépression.

 

Parmi les facteurs de risque de rechute dépressive ici résumés, les variables sociodémographiques ne représentent qu’un facteur mineur par rapport à l’existence d’une comorbidité psychiatrique (trouble de la personnalité ou une autre maladie mentale), mais aussi somatique.

 

Les affections organiques sont plus un facteur de mauvais pronostic dans l’évolution d’un trouble dépressif (chronicisation et résistance au traitement) qu’un facteur de risque de rechute. (16)

 

Les événements de vie survenus au début de l’accès donnent un caractère “ réactionnel ” à l’épisode dépressif et peuvent être considérés comme un facteur de bon pronostic à court terme. A plus long terme, l’évolution des dépressions caractérisées apparaît indépendante du poids des événements de vie, à la condition que ceux-ci ne deviennent pas des difficultés durables qui, bien entendu, peuvent influencer péjorativement le cours de la maladie. (28)

 

Les antécédents personnels de dépression constituent d’excellents facteurs de prédiction des récidives ; le nombre d’épisodes précédents augmente les probabilités de récidive.

 


 

RETOUR A L’ETAT ANTERIEUR : UN MYTHE ?

 

Classiquement, l’épisode dépressif est défini par l’apparition d’une symptomatologie en rupture avec l’état et le fonctionnement global antérieur d’une personne. La rémission complète d’un épisode dépressif se définit donc par rapport à un “ retour à l’état antérieur ” qui inaugure la phase intercritique.

Cette notion traditionnelle, peut-être trop théorique, reste une référence didactique et peut constituer un but thérapeutique, mais elle est de plus en plus remise en question au vu de l’étude des modalités évolutives au long cours des accès dépressifs.

 

Une enquête à large échelle conduite aux Etats-Unis a montré, chez 431 patients ayant fait un épisode dépressif majeur suivis pendant cinq ans, que, au bout de ce laps de temps, 12 % d’entre eux remplissaient les critères pour un diagnostic de troubles de l’humeur, le plus souvent de type dysthymique. (13)

Un autre exemple, tiré d’une étude récente menée en Hollande et citée par T. Bougerol (13), montre que, au bout de trois ans, les rémissions partielles, plus que les rémissions complètes, sont la règle.

 

Certains malades expriment clairement leur sentiment de n’avoir jamais récupéré l’” énergie ” et le “ plaisir ” de vivre après un épisode morbide, comme si leur élan vital avait été amoindri pour toujours.

 

Les études longitudinales ne rendent pas compte de ces séquelles de la maladie dépressive, dont la nature nosographique n’est pas toujours facile à délimiter.

Il importe d’observer leur mode d’organisation dans le temps pour pouvoir reconnaître des remaniements psychologiques réactionnels, un changement durable de la personnalité, la persistance subtile de l’état dépressif, ou sa complication par une affection comorbide.

 

Remaniements psychologiques après l’expérience dépressive

 

Tout déprimé guéri nécessite souvent plusieurs mois pour reprendre pleine confiance en lui et en cette guérison. Une certaine prudence dans ses actions et ses engagements perdure après cette expérience… laquelle sera, pour certaines personnes, d’ordre traumatique.

Cette attitude, temporaire et instable dans les meilleurs des cas, oscille entre la critique réaliste de la situation vécue et les anticipations plus ou moins anxieuses, voire post-traumatiques.

C’est dire que, dans cette phase de “ convalescence ”, le patient déploie des mécanismes de défense efficaces ou inefficaces, lesquels interviennent d’une manière positive ou négative dans ce processus postdépressif de récupération.

La nature de ces mécanismes dépendra, bien sûr, des ressources prémorbides du patient, des caractéristiques cliniques de la dépression et de son contexte de soins (hospitalisation ou non, chimiothérapie ou électroconvulsivothérapie, etc.), de la situation sociale et familiale lors de cette convalescence, et de la qualité du suivi médical pendant cette même période.


 

Ces réactions sont en général du registre anxieux : phobique ou post-traumatique. La rupture induite par la maladie laisse le patient sceptique face à l’avenir, dans la crainte d’une récidive.

 

Certains patients, en revanche, adoptent une attitude hypomaniaque de défi et de déni. L’épisode dépressif est soit banalisé, soit annulé à l’aide de rationalisations ou d’engagements hâtifs impliquant une certaine hyperactivité. Ces patients ne demandent qu’à “ tourner la page ”.

 

Ces remaniements psychologiques peuvent perdurer et conditionner d’une manière ou d’une autre le devenir de la maladie dépressive.

Ainsi, suivant les cas, certains patients se sentent fragilisés par la dépression. Ce sentiment favorise la récidive parce qu’ils vivent dans la peur de la survenue de la rechute ou de la récidive.

 

Dans les troubles bipolaires, la notion même d’avoir une maladie chronique sujette à des récidives modifie la personnalité dans le sens des troubles anxieux d’anticipation et d’évitement.

 

Le changement psychologique qui opère à ce moment évolutif n’est pas nécessairement péjoratif ; l’épisode dépressif peut s’avérer être une expérience tout à fait positive.

D’autres vont avoir une approche tout à fait différente, d’autogestion de leur maladie affective.

Le clinicien n’arrive pas très bien à savoir quel type de remaniement psychologique suivra l’épisode critique, quel patient se sentira finalement rassuré, et quel autre, au contraire, sentira une faille à ce moment-là.

 

Les caractéristiques sémiologiques de l’épisode dépressif ne permettent pas de prédire ces attitudes lors de la rémission.

 

Le patient réalise souvent un travail d’aménagement, parfois à son insu. Cela peut être un travail efficace ou inefficace, mais qui génère fréquemment des remises en question, donc des changements, soit dans le mode de vie, soit dans leurs attitudes face au stress (protections, attitudes différentes).

Comme ce sont des attitudes qui régissent les rapports avec les autres, cela finit par retentir sur l’ensemble de l’état.

 


 

Remaniements sociofamiliaux

Les modifications liées à l’expérience dépressive peuvent retentir aussi sur l’entourage. (20) (51)

A distance de la phase aiguë, le souvenir de la maladie reste présent non seulement pour le sujet mais aussi pour ses proches et ses collègues. Le patient porte désormais l’étiquette de “ dépressif ” ou de “ celui qui a fait une dépression ”.

Ce rôle social de malade entraîne des difficultés dans les relations interpersonnelles, parfois avec des conséquences fâcheuses que le patient, une fois mieux rétabli, peut regretter. Les répercussions conjugales sont importantes et peuvent être à l’origine d’un nouvel équilibre dans les rôles familiaux, qui sera de grand poids sur l’avenir du déprimé.

L’ombre de la rechute peut planer pendant une longue période. Cela amène à des modifications dans les comportements habituels à l’égard du patient qui vont exercer, directement ou indirectement, leur influence.

Par ailleurs, les antécédents familiaux psychiatriques peuvent créer un climat de désespoir et de fatalité au sein de la famille.

 

L’entourage joue un rôle primordial dans la prise en charge et l’évolution de la dépression.

Le patient peut rencontrer de la part de sa famille une certaine opposition à ce qu’il suive un traitement, par ignorance, par crainte ou par idéologie.

L’influence nocive peut prendre forme dans des reproches adressés au malade du fait de son statut ou à cause des conséquences sociales (ruptures dans les relations avec les amis, etc.) ou professionnelles de la maladie (reclassement, perte du travail, mise en invalidité).

En effet, la vie quotidienne avec une personne déprimée a parfois un caractère éprouvant et peut entraîner des attitudes de rejet, voire une certaine violence intrafamiliale.

 

Dans le cas contraire, l’entourage peut s’avérer un interlocuteur privilégié pour le médecin traitant : il est souvent en effet à l’origine de la consultation et constitue une source précieuse d’informations, ce qui permet parfois de mesurer la gravité d’une dépression. L’entourage peut aider le patient et veiller, sans excès, sur la bonne marche du traitement, le rassurer, l’aider à retrouver son état habituel et contribuer au contrôle des récidives.

 

D’où l’importance pour le médecin de rencontrer l’entourage du patient en sa présence, de l’informer sur la nature de la maladie et sur son traitement, et de l’aider à comprendre les différents moments évolutifs de la dépression. Ce dernier point est important, d’autant plus qu’un milieu qui aura été coopérant par rapport à la maladie dans ses débuts peut, avec le temps, devenir indifférent ou intolérant face aux symptômes persistants.

 


 

COMPLICATIONS

 

Suicide et dépression

Le suicide constitue la principale complication de l’épisode dépressif.

Bien que le suicide soit actuellement considéré comme un acte multidéterminé et possédant un caractère transnosographique, le groupe à plus haut risque reste sans aucun doute celui des patients déprimés. On peut considérer, malgré les nombreuses limitations méthodologiques, que 50 à 80 % des morts par suicide seraient imputables à un trouble de l’humeur et 15 % des décès de patients déprimés seraient dus au suicide, 40 à 70 % de ces suicides survenant dans la première année des troubles. (44)

 

Un certain nombre de facteurs de risque suicidaire ont été recensés depuis une vingtaine d’années :

 

a) Caractéristiques cliniques et évolutives de l’épisode dépressif

·    Sévérité de l’accès avec dimension anxieuse importante, existence d’éléments psychotiques ou confusionnels (dépressions d’involution), présence d’une pathologie comorbide (troubles de la personnalité, toxico-dépendance, affection somatique), antécédents personnels de tentatives de suicide.

·    Les dépressions brèves récurrentes (DBR) présentent un risque accru de suicide.

·    Dans les troubles bipolaires, le type BP I (épisodes dépressifs et maniaques francs) et le type BP II (dépression franche alternant avec des épisodes d’hypomanie) présentent un taux élevé (bien qu’il reste controversé). Les formes mixtes et les manies dysphoriques sont celles qui sont associées au plus haut risque suicidaire : la présence d’une énergie et d’une impulsivité maniaques chez des patients par ailleurs déprimés semble l’expliquer. (14)

 

b) Facteurs sociodémographiques

Le sexe masculin constitue un facteur de risque, de même que les antécédents familiaux de suicide et le grand âge (au-delà de 65 ans). La tranche d’âge entre 30 et 40 ans présente également un pic élevé dans les études épidémiologiques.

Le veuvage, le divorce (ou autres séparations), le chômage, la perte des parents en bas âge et un climat familial perturbé ont été signalés comme facteurs aggravants du risque suicidaire.

 

c) Facteurs biologiques

Plusieurs études concordantes (49) semblent corroborer l’hypothèse selon laquelle une diminution de l’activité sérotoninergique pourrait constituer un élément de vulnérabilité au passage à l’acte suicidaire violent et impulsif, mais pas au point que la sérotonine puisse être considérée comme un marqueur biologique spécifique de ce risque. Bien d’autres pistes sont actuellement explorées. (24)


 

Affections somatiques

L’hypothèse selon laquelle la dépression peut être à l’origine de certaines maladies somatiques (notamment cardio-vasculaires et oncologiques) a souvent été évoquée.

Cette influence pourrait opérer d’une manière directe (mécanismes psycho-immunologiques) – aspect très étudié dans les travaux portant sur le cancer – ou indirecte (dégradation de l’hygiène de vie, effets pathogènes des traitements psychotropes). Mais ces hypothèses n’ont pas été confirmées. (11)

Plusieurs travaux font état d’une évolution péjorative de l’affection somatique en cas d’association à une dépression.

Les praticiens s’accordent pour affirmer que la dépression associée à une affection somatique mérite d’être identifiée et traitée d’une manière adéquate. (27)

 

Mortalité

Le taux élevé de suicide et la présence des affections somatiques, paramètres souvent associés au trouble dépressif, semblent expliquer l’excès de mortalité retrouvé chez le déprimé par rapport à la population générale.

 

Affections psychiatriques

La dépression pourrait faire également le lit d’un trouble psychique associé.

Nous avons vu que la fréquence de ce type de comorbidité était élevée (trouble panique, conduites addictives, conduites à risque, troubles de la personnalité) et qu’elle entravait la rémission de l’accès dépressif, mais la nature de cette association n’a pas pu être établie. (10)

Cette association morbide accroît la mortalité par suicide.

 

Complications socioprofessionnelles

Elles sont particulièrement développées dans le chapitre “ Le retentissement de la symptomatologie dépressive ” de ce même rapport.

 


 

CONCLUSIONS

 

La maladie dépressive est une maladie spontanément récurrente.

La répétition des épisodes avec le temps et la comorbidité favorisent le potentiel de récurrence.

Plusieurs autres facteurs (biologiques, cliniques, psychologiques et sociaux) ont été identifiés en tant qu’éléments aggravant la vulnérabilité naturelle du patient déprimé.

La maladie dépressive possède un haut potentiel de morbidité et de mortalité, et entraîne de sérieuses répercussions dans le fonctionnement familial, social et professionnel.

 

Chez certains malades, le cours de l’épisode dépressif prendra des formes clairement délimitées par la nosographie psychiatrique. Chez d’autres, l’avenir de l’accès permettra d’observer une zone intermédiaire, trompeuse quant à sa nature clinique, où l’on pourra repérer des remaniements de la personnalité, voire des changements stables dans la façon d’être, évocateurs d’un style de vie dépressif.

Cette observation, courante, fait se reposer la question des limites entre “ normal ” et “ pathologique ”. En effet, d’une part, la dépression peut s’inscrire dans un style de vie de l’individu et dans sa liberté existentielle ; d’autre part, elle peut aller jusqu’au trouble paroxystique de l’humeur, désorganisation non choisie dépassant tout aménagement défensif.

 

Les données socioéconomiques confirment le poids de la maladie dépressive, poids individuel et social étroitement lié à ses avatars évolutifs.

 

Les différents traitements actuellement proposés (chimiothérapie, psychothérapie et sociothérapie) modifient favorablement cette physionomie évolutive.

 

Par ailleurs, le suivi à long terme des patients déprimés, seul moyen d’assurer les meilleures chances pour une évolution favorable, met au premier plan la question de l’observance. Celle-ci est entendue dans son sens large d’adhésion non seulement à une prescription médicamenteuse mais aussi aux consultations, à la stratégie de soins psychothérapique et psychoéducative.

 

 



[1] Cette délicate question nosologique, qui cherche à préciser les différences entre personnalité dépressive et forme mineure de dépression (trouble de la personnalité ou trouble de l’humeur, personnalité pathologique ou maladie subclinique ?) a été discutée à propos de la dysthymie dans le chapitre “ Le temps du diagnostic ” de ce même rapport.

[2] Voir le chapitre “ Arrêts des prises en charge ” de ce même rapport.

Dernière mise à jour : vendredi 30 mars 2001 9:27:47
Dr Jean-Michel Thurin