AU SOMMAIRE

  • Editorial
  • Exclusion : vers une clinique psychosociale ?
  • Des expériences encore partielles
  • Qu'est-ce que la clinique psychosociale ?
  • Naissance d'un bulletin Santé mentale et précarité
  • Une expérience d'approche de l'errance
  • L'articulation du soin psychiatrique et de l'action sociale
  • Guadeloupe : une psychiatrie en marche
  • Communiqué Journée d'étude; : Ethique et santé mentale : un sujet souffrant, objet de tous nos soins
  • Exclusion et santé mentale
  • Et le secteur ?
  • Appel à initiatives

    EXCLUSION : VERS UNE CLINIQUE PSYCHOSOCIALE ?

    DES HOMMES EN TROP ?

    Les derniers états généraux de la santé ont révélé la profonde insatisfaction des usagers vis-à-vis du système et des professionnels qui le servent. Les reproches les plus vifs portent sur le manque de transparence des relations entre soignants et soignés, sur le défaut d'écoute des divers professionnels, sur l'ignorance où ils sont les uns des autres et, par voie de conséquence, sur l'incohérence de leurs actions.
    Le constat populaire qui vise l'ensemble du système de santé n'épargne pas celui de la santé mentale, pour lequel la reconnaissance institutionnelle est moins bien mesurée que pour le MCO. La santé mentale reste, en effet, une boîte noire tant pour les usagers que pour les pouvoirs publics qui semblent ne plus pouvoir reconnaître dans les problèmes actuels de la santé mentale la construction et la qualification des troubles psychiques pour lesquels des réponses ont été élaborées il y a cinquante ans par une psychiatrie attachée à des contenus de ces troubles et à des processus de traitement qui sont souvent aujourd'hui impuissants à soulager des souffrances qui leur échappent.
    De cet échappement dont souffrent les citoyens les plus aptes à avoir accès au système existant, ont bien plus à souffrir encore les six millions de français, exclus, pauvres et précaires.
    Faire que ces exclus, ces pauvres, ces précaires ne deviennent pas chez nous "des hommes en trop" est une tâche aujourd'hui prioritaire. La situation de la santé mentale est telle qu'elle ne pourra être remise sur pied qu'au prix d'une double réflexion/action pour laquelle la précarité et l'exclusion constituent un terrain privilégié de réflexion :
    - quels sont les dispositifs d'action (structures et acteurs, institutionnels et privés) qui doivent être partie prenante du dispositif de traitement - prévention et réhabilitation incluses - des troubles mentaux ?
    - quels sont les sujets actuellement rangés sous la rubrique "troubles de la santé mentale" par la société s'exprimant par les services publics ?
    A cette double réflexion/action, la clinique psycho-sociale est une contribution qui peut s'avérer exemplaire.

    R. Lepoutre


    DES EXPÉRIENCES ENCORE PARTIELLES

    Deux rapports administratifs ont essayé de poser la question santé mentale et précarité.
    * Le premier en 1995 (Ville, santé mentale et précarité), autour des politiques d'insertion (ville, RMI, jeunes), se faisait l'écho des difficultés des professionnels sociaux face à des publics qui ne sont pas identifiés comme malades, mais qui se trouvent mis à l'écart des circuits normaux par l'évolution du marché du travail. Il devient difficile de faire la part des effets sociaux de leur rélégation, des trajectoires individuelles parfois cahotiques, ou de dimensions plus proprement pathologiques.
    * Le second en 1996 (Psychiatrie et grande exclusion), portant sur la grande exclusion, s'interrogeait sur la capacité du secteur de suivre des cas où la dimension pathologique est beaucoup plus marquée, mais où le mode de vie et les comportements marqués par l'expérience de la rue rendent le contact difficile.
    Un des intérêts de ces travaux1 (où la présence des psychiatres était majoritaire) était de prendre en compte les questions que se posaient des acteurs sociaux non spécialisés sur le rôle du secteur et sur les services qu'il pouvait rendre à la population, au-delà de sa file active habituelle. Ils permettaient de déplacer les frontières d'un jeu de rôle assez convenu : "Vous allez psychiatriser la pauvreté" versus "vous vous cachez derrière votre statut de médecin pour éviter de vous confronter au champ
    social".
  • Ces rapports, le premier en particulier, ont rencontré chez les professionnels de santé mentale un écho inhabituel pour ce genre de littérature. Ils ne faisaient pourtant que mettre l'accent sur des aspects parfaitement identifiés des missions des secteurs de psychiatrie : le travail au sein de la communauté et les missions de prévention pour le premier, la nécessité d'assurer la continuité de la prise en charge, y compris pour les plus défavorisés, pour le second.
    Ces rapports ont suscité des réactions assez contrastées : pour certains, ils ont été vécus comme une injonction paradoxale, ajoutant des charges nouvelles au contexte difficile de la psychiatrie (limitation des budgets, accroissement de la demande, incertitudes sur le devenir du secteur face aux évolutions prévisibles de la démographie médicale et infirmière, médicalisation de la prise en charge des patients) ; pour d'autres, ils ont été considérés comme une occasion de réouvrir un débat public sur la santé mentale, et, peut-être, de redonner une dynamique à la politique de secteur.
    La question n'est pas seulement d'ouvrir le secteur à de nouveaux publics, d'autant plus que la santé mentale n'est que très partiellement une question propre à la psychiatrie, et que les besoins qui peuvent se manifester sont rarement proprement médicaux (appui aux équipes, aide à la compréhension de situations de crise, prise en compte de la singularité des trajectoires). Mais elle n'est pas sans rencontrer des préoccupations propres aux secteurs de psychiatrie. On peut en retenir deux qui semblent assez caractéristiques.
    * Le mouvement rapide de déshospitalisation, lié pour partie à l'amélioration des prises en charge médicales, amène à devoir assurer le suivi des malades stabilisés dans un contexte social banalisé. Ces malades ont des problèmes sociaux, en matière de logement, d'emploi, de vie sociale, qui ne sont pas différents par nature de ceux d'autres publics en difficulté, avec lesquels ils se trouvent parfois en concurrence. Le secteur doit donc négocier avec des partenaires extérieurs, pour pouvoir assurer sa mission de suivi au long cours des patients, sans prendre en charge la totalité de leur vie quotidienne. En caricaturant un peu les choses, le secteur était un réseau intégré autour de ses patients. Il est désormais appelé à faire réseau avec d'autres, dès lors que ses usagers ne sont plus uniquement caractérisés par le fait d'être des patients. On peut voir le chemin qui reste à parcourir, pour parvenir à une dé-spécification de la prise en charge.
    * Les formes de manifestation de la souffrance psychique changent, mettant à mal les classifications habituelles : comme le notait J. Maisondieu, il n'est pas évident de distinguer le désespoir du chômeur de la dépression du chômeur, ce qui n'est pourtant pas sans conséquences sur la prise en charge à réaliser. La clinique se trouve confrontée à des entités plus floues, qui, souvent, se manifestent dans le champ social "à chaud", bien avant de se traduire en demande de soins. La distinction entre les publics est d'autant plus délicate à réaliser, que les modes de prise en charge sont encore très clivés entre le sanitaire et le social2. L'absence de mouvement social permettant de venir mettre en scène des tensions individuelles et collectives fait peser sur les intervenants sanitaires et sociaux une charge particulièrement lourde.
    Depuis la pubIication de ces rapports, de nombreuses équipes se sont mises à travailler autour du thème santé précarité, le plus souvent au sein du secteur, parfois de façon autonome. Elles ont utilisé les moyens incitatifs dégagés par le Ministère, notamment ceux liés à la loi de lutte contre les exclusions (PRAPS, programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins) ou ceux du dispositif d'insertion du RMI. Un réseau national de rencontre autour de la clinique psycho-sociale s'est constitué sous la coordination de l'ORSPERE. Des évaluations d'action sont réalisées, notamment sur les lieux d'écoute en direction des jeunes.
    Ces expériences sont encore partielles, parfois un peu noyées sous un thème à la mode qui a donné matière à de nombreux colloques. Elles ont permis d'amorcer des collaborations avec des partenaires extérieurs, des collectivités locales, des associations. Elles manquent encore d'une traduction dans une forme de prise en compte plus pérenne dans la politique du secteur. Mais il est aussi vrai que ce cadre, qui associe au secteur d'autres formes de financement et de partenariat, n'est pas facile à dégager.
    Ce qui peut être plus préoccupant, c'est d'avoir un peu le sentiment que les initiatives sont souvent prises par des équipes qui avaient déjà entrepris depuis longtemps une démarche de diversification de leurs pratiques. Mais, dans bien des endroits, une certaine inertie institutionnelle reste assez présente.
    (1) Auxquels il faudrait rajouter l'ouvrage de C. Desjours "Souffrance au travail", qui aborde la question sous l'angle de la précarisation du monde du travail, et qui montre que la fragilisation concerne tous les publics, bien au-delà des seuls exclus.

    Olivier Quérouil


    Editorial

    PRÉCARITÉ - PSYCHIATRIE - SANTÉ MENTALE - SANTÉ PUBLIQUE

    Le grand jeu du casino boursier mondial (qu'est-ce d'autre ?) n'existe que parce qu'il est réservé à une minorité. Les autres, l'immense majorité des humains, sont exclus de cette bulle euphorique, comme le titre sur une pleine page "Le Monde" du 2/3/2000 avec la distance qui le caractérise : "la reprise économique profite peu aux quartiers en difficulté". Un médecin généraliste qui travaille dans ces quartiers affirme : "comment voulez-vous que les entreprises puissent accueillir des gens aussi paumés, aussi déstructurés que les gens d'ici ?... le nombre de pathologies de longue durée augmente, et je vois de plus en plus de gens en stratégie de survie". Rapprochons cela de l'avalanche de demandes d'inscription à la toute récente CMU qui a mis à genoux la Sécurité Sociale pendant plusieurs semaines au début de cette année.
    Au risque de lasser, il est cependant nécessaire d'avancer quelques chiffres :
    en France, ce sont environ 6 millions de personnes qui vivent avec les minima sociaux (ce qui n'est pas véritablement le Pérou). Parmi celles-ci, les études que nous avons pu consulter estiment que 200 000 à 400 000 personnes se retrouvent, chaque année pour un temps plus ou moins long, sans abri, dans la rue, errant d'un hébergement d'urgence à un autre hébergement d'urgence.
    Pourquoi ces personnes seraient-elles miraculeusement épargnées par les conséquences psychiques des traumatismes que font la pauvreté associée à l'éjection sociale ? Il n'y a aucune raison, d'où :
    - l'émergence d'une nouvelle "clinique psychosociale", comme la décrit excellemment Jean Furtos,
    - des stratégies locales pour tenter le "lien", ainsi que le fait, entre autres, l'équipe du 1er secteur de Paris avec J.P. Martin,
    - l'établissement de chartes et de conventions entre les acteurs de la psychiatrie publique et ceux du champ social regroupés dans la FNARS, comme le décline P. Belmant,
    - le début de réaction des pouvoirs publics par la Loi et des financements pour soutenir les formations et les réalisations, voir l'article d'A.-M. Gallot et J. P. Dupré,
    - des réflexions et des actions communes, engagées un peu partout entre les acteurs sanitaires et sociaux, qui bénéficient souvent du soutien actif des tutelles départementales. "Mais la psychiatrie est, en fait, très mal préparée sur le plan théorique et pratique à répondre à ce type de nouveaux besoins" dit P. Bailly-Salin. Cette impréparation doit-elle justifier un retrait en bon ordre et un rejet de la question posée ? Cette affirmation est-elle totalement justifiée puisque le travail est engagé le plus souvent dans deux directions bien connues des équipes de psychiatrie de secteur : le soin aux personnes et la dynamique institutionnelle.
    La santé mentale (qui définit plus un champ d'intervention qu'un état) ne peut se diviser en :
    1) d'un côté, les souffrances bien référencées dans les catalogues de sémiologie classique ou dans ceux cuisinés à la sauce américaine et déclinés DSM...;
    2) d'un autre, des souffrances psychiques, traumatiques ou non, parmi lesquelles :
    a) certaines méritent des réponses au plus vite (type victimologie, cellules départementales de crise où sont les psychiatres publics, soutien à telle ou telle catégorie traumatisée spécifiquement, une certaine pratique de "psychiatrie de confort" dans les beaux quartiers...) ;
    b) et d'autres qui ne devraient pas être prises en compte :
    - au nom d'un trop grand risque de "psychiatrisation" de la misère,
    - du fait qu'elles ne se présentent pas avec un certificat authentifié d'appartenance au secteur au sens "cadastral", comme le dit si justement M. Minard,
    - devant la trop fameuse absence de "demande" chez des sujets qui ont intériorisé la culpabilité et la honte de soi jusqu'à la "désubjectivation" protectrice.
    Tout cela penche dangereusement, non seulement vers une psychiatrie à deux vitesses, mais aussi vers l'exclusion des soins d'une partie de la population déjà peu ou prou exclue.
    La question qui ne doit plus se poser devant une telle diffusion de la souffrance psychique consécutive, le plus souvent, aux carences socio-économiques et au principe généralisé de compétitivité, est celle de l'implication de la psychiatrie publique.
    Nous devons revendiquer, devant l'évolution de la demande sociale en soins spécialisés, que les moyens correspondants soient dégagés rapidement. Cette question ne se discute pas non plus.
    Soyons capables d'estimer précisément les besoins avec nos divers partenaires locaux. Elaborons en commun des projets dans lesquels chacun garde son champ de compétence. Défendons ensemble ces projets pour en obtenir les financements lorsqu'ils sont manifestes. Bien entendu, dans certains cas, il faudra réunir plusieurs secteurs psychiatriques et les associer à différents acteurs sociaux (comme l'équipe DIOGENE à Lille...) pour apporter une réponse possible.
    Au-delà des polémiques, n'est-ce pas également la question de la pertinence de la formation actuelle des médecins - et des psychiatres en particulier - dans le champ des mécanismes psychiques et sociaux par rapport au champ des mécanismes biologiques, qui est posée ? La lancinante question de la démographie psychiatrique doit trouver rapidement ses réponses.
    Le problème devient alors plus généralement celui d'une redéfinition de la politique de santé mentale qui, s'appuyant sur une cohérence de travail (et non sur une uniformisation), entre les acteurs publics et privés de la psychiatrie d'une part et sur une redéfinition et une clarification des rôles parmi les nombreux acteurs du champ social d'autre part, s'inscrirait de manière centrale dans la Santé Publique.

    Eric Piel


    Exclusion
    "Action d'exclure quelqu'un en le chassant d'un endroit où il avait précédemment sa place, ou en le privant de certains droits. Qui est exclu de tout partage, de toute participation". Dictionnaire Robert
    Au plus près du sens, l'exclusion c'est l'enfermement au dehors, hors de la société, ce qui signifie une rupture du lien social. Ce qui conduit à cette rupture dans nos sociétés de compétitivité extrême, emprunte des voies diverses mais tout aussi marquées par le mouvement centrifuge de norme productiviste hors de laquelle le déviant est rejeté.
     
    Pauvreté
    "Etat d'une personne qui manque de moyens matériels, d'argent ; insuffisance de ressources. Insuffisance matérielle ou morale".
    Dictionnaire Robert
    C'est une des voies principales de mise hors société. Le pauvre qui produit peu, peu échange : nos sociétés ne reconnaissent comme vivant que l'échange marchand, prostitution incluse.
     
    Précarité
    "Caractère ou état de ce qui est précaire : qui ne s'exerce que grâce à une autorisation révocable". Dictionnaire Robert.
    Est en état de précarité celui qui, dans l'échange marchand, ne peut acheter ce dont il manque et souffre de manquer de biens qui se dérobent à lui et sont de natures diverses : du travail et du logement aux liens familiaux. Les voies d'entrée dans la précarité sont donc nombreuses mais toutes se traduisent par une défaut de sécurité et donc de confiance et donc, au bout de la chaîne, de la perte du sens de la réalité et de la disparition de tout avenir.
     
    Des hommes en trop
    Ce sont ceux dont nos sociétés n'ont plus besoin pour participer au concert économique, ce sont des surnuméraires d'origines diverses qui continuent à avoir des besoins sans pouvoir rien offrir en échange et, ne formulant plus de demandes, n'ont plus que des prières.


    GUADELOUPE : UNE PSYCHIATRIE EN MARCHE

    Dans un secteur sanitaire en forte mutation, le SROS de psychiatrie de la Guadeloupe engage la santé mentale dans une démarche très volontariste de modernisation.
    Dès 1998, une vaste analyse de l'adéquation ou non des patients à l'hospitalisation complète, a permis de jeter les bases d'une réflexion réunissant l'ensemble des acteurs de ce secteur. La mission d'appui en santé mentale s'est déplacée en Guadeloupe et a remis, en 1999, un rapport qui a permis d'enrichir la réflexion engagée sur l'état de la prise en charge et les conditions de son évolution.
    S'inscrivant dans une volonté affirmée de déshospitalisation, le SROS, arrêté en 2000, s'appuie sur une modification de la sectorisation, outil indispensable de cet objectif. Dans les faits, la modernisation est déjà significativement engagée. En 1998 et 1999, une enveloppe de mesures nouvelles de 26 MF a déjà été attribuée dans un cadre financier global chiffré à 68 MF d'ici la fin du SROS. Ces moyens substantiels (la Guadeloupe est la seule région où l'on ait pris des engagements chiffrés sur le SROS de psychiatrie) sont à la hauteur des objectifs ambitieux qui visent à réaliser concomitamment une amélioration des lieux d'accueil en hospitalisation complète, la mise en œuvre d'un fort programme d'alternatives à l'hospitalisation, un accroissement des moyens humains indispensables à une psychiatrie moderne et de qualité, une déshospitalisation des patients âgés ou stabilisés susceptibles de prises en charge adaptées dans d'autres secteurs du champs sanitaire ou médico-social.
    L'engagement de consacrer 40 % des nouveaux lits de long séjour à la déshospitalisation psychiatrique est inscrite dans le SROS avec l'accord du Conseil Général. Une première opération s'est engagée dès le début 2000 sur ces bases.
    Dans les cinq années à venir, les conditions d'hospitalisation à temps complet seront totalement modernisées et permettront de rompre définitivement avec la structure asilaire. Les crédits sont inscrits au contrat de plan Etat-région et dans le document de programmation européen pour la reconstruction du centre hospitalier de Montéran et des pavillons au CHU. A Saint Martin, l'hospitalisation sur place des patients des îIes du Nord est prévue dans le cadre de la reconstruction en cours de l'hôpital.
    Les grands axes retenus par le SROS de la Guadeloupe s'inscrivent dans le cadre des orientations ministérielles visant à améliorer les conditions de prise en charge et de fonctionnement, en particulier pour la prise en charge des urgences psychiatrique, le développement de la psychiatrie de liaison tant vers le secteur sanitaire que le secteur médico-social, le renforcement de l'extra-hospitalier, et l'égalité d'accès aux soins pour les populations spécifiques : enfants et adolescents, autistes, démunis, personnes âgées, toxicomanes, la mise en œuvre de réseaux.
    Une organisation nouvelle de la sectorisation, permettant le rapprochement des lieux d'hospitalisation de la population, complète ce dispositif. La Guadeloupe continentale compte désormais six secteurs adultes et deux intersecteurs, et les îles du Nord un secteur adulte et un secteur infanto-juvénile, neuf postes de PH sont créés et sept postes sont vacants.
    Le canevas est tissé, les moyens sont alloués, il faut désormais que les acteurs de ce secteur, qui ont largement porté la modernisation, soient renforcés pour mettre en œuvre ce projet.
    La modernisation de la psychiatrie vous intéresse ? La Guadeloupe a besoin de vous !


    Communiqué

    ETHIQUE ET SANTÉ MENTALE : UN SUJET SOUFFRANT, OBJET DE TOUS NOS SOINS

    C'est le thème de la XIe Journée d'Etude du Centre hospitalier Montperrin, qui se tiendra le vendredi 26 mai 2000, au Palais des Congrès, à Aix-en-Provence

    PROGRAMME
    COMMUNIQUÉ
    Matinée : modérateurs : Dr E. Baldo, Dr R. Defer
    9h Accueil et ouverture :
    Dr M. Bagayado (Président du CME) , Mr. J. François (Directeur du CH Montperrin)
    9h30/ Une éthique du respect : approche philosophique de la souffrance psychique
    10h30 Pr E. Fiat (Espace éthique de l'AP des Hôpitaux de Paris)
    11h/12h La place de l'éthique et du droit en psychiatrie J. Michaud (Comité consultatif national d'éthique)
    14h/16h Table ronde 1: L'éthique et la déontologie face aux contraintes économiques et aux
    nécesssités de la planification
    Modérateurs : Dr H. Moreau (CH Valvert) et Mr J. François (CH Montperrin)
    Orateurs : Mr J.J. Romatet (Directeur du CH de Bayonne), Dr A. Lopez (Directeur régional
    affaires sanitaires et sociales Auvergne)
    Table ronde 2 : Aspects spécifiques de la préoccupation éthique dans le champ de la psychiatrie
    Modérateurs : Dr N. Horassius (Aix-en-Provence) et Mme T. Dhomont (Aix-en-Provence)
    Orateurs : Pr J.M. Azorin (Psychiatre CH Sainte-Marguerite), Dr M. Benadiba (Pédopsy- chiatre CH Valvert)
    16h/17h Conclusion
    Inscription : Service du Dr d'Amore, secrétariat du secteur 13G20, CH Montperrin, 109 ave du
    Petit Barthélémy, 13617 Aix-en-Provence Cédex 1. Tél. : 04 42 16 16 65. Fax : 04 42 16 17 88.
    Droit d'inscription : 700 F (repas compris. Chèque à l'ordre de l'Association "Journée de Montperrin"). Prise en charge possible au titre de la formation continue. N° de déclaration de formation professionnelle : 93130830413. Les étudiants peuvent obtenir un tarif réduit (250 F) sur justificatif.


    L'ARTICULATION DU SOIN PSYCHIATRIQUE ET DE L'ACTION SOCIAL

    1/ Des constats
     
    Dans la rue comme dans nos établissements, nous rencontrons des formes très diverses de souffrance psychique et de maladies mentales :
    - des personnes en difficulté, pas seulement des sans domicile fixe, qui présentent ou ont présenté, de façon manifeste ou insidieuse, des maladies psychiatriques parfois sérieuses et qui sont ou non déjà prises en charge par la psychiatrie publique ;
    - des personnes présentant des troubles du comportement importants qui mériteraient une consultation spécialisée pour obtenir un diagnostic et une orientation vers des soins appropriés, psychiatriques ou autres ;
    - des personnes qui ne présentent ni pathologie mentale grave, ni troubles importants du comportement, mais qui nécessitent un soutien psychologique en liaison avec leurs difficultés sociales et personnelles ;
    - de surcroît, nos centres reçoivent des enfants accompagnant des "parents en détresse" et qui ont besoin d'un dépistage, d'un soutien et d'un suivi psychologiques.
    Pour répondre à ces différentes formes de souffrance psychique ou de maladies mentales, nos Centres d'accueil et d'hébergement ont mis en place des solutions intra-muros et extra-muros selon les problèmes et les ressources du partenariat local.
    Tout n'est pas du ressort de la seule psychiatrie publique de secteur : alcoolo-dépendance, toxicomanies, violences conjugales, pour ne prendre que trois exemples forts, ont parfois leurs propres circuits spécialisés de prise en charge, qui ne sont pas strictement confondus avec la psychiatrie publique de secteur. Des interventions de psychologues existent dans les établissements, sous différentes modalités, et répondent à certains besoins exprimés ci-dessus. Mais lorsque nécessaire, la psychiatrie publique est un partenaire indispensable.
     
    2/ Psychiatrie et secteur social
     
    Entre les deux, selon les sites, les relations vont du conflit aux conventions ou chartes écrites, en passant par l'absence de relations.
     
    Au stade du conflit
    Entre les deux, le sujet devient un mauvais objet qu'on se renvoit, chacune des deux parties soupçonnant l'autre de vouloir lui refiler les personnes qu'elle ne sait pas ou ne veut pas traiter.
    Les psychiatres ne seraient que des prescripteurs forcenés de médicaments psycho-actifs ne s'intéressant qu'à ce qui peut rentrer dans les classifications des manuels les plus à jour du diagnostic psychiatrique, hors de toute référence analytique ou sociologique ; les psychothérapeutes et les psychanalystes attendraient obstinément et en silence que la personne exprime verbalement sa demande ou sa souffrance. Les travailleurs sociaux auraient tendance à psychiatriser tous les problèmes sociaux, soit en se prenant pour des "psy", soit en demandant obstinément au secteur psychiatrique de redéployer des moyens, supposés surabondants, afin de leur venir en aide.
     
    Les raisons des conflits
    * Un manque de langage commun et d'une reconnaissance réciproque des outils de l'autre : qu'est-ce qu'un CHRS ? Un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, pas un centre hospitalier régional spécialisé.
    * Des malentendus autour du secret professionnel et du secret médical : c'est toujours une source de difficultés lorsque le sanitaire et le social se rapprochent pour s'occuper d'un même public. Un travail sur ce que peut apporter le nouveau code pénal sur ce point est certainement souhaitable (secret par profession, fonction, mission, etc.).
    * Des sorties d'hospitalisation psychiatrique insuffisamment préparées pour les personnes ayant besoin d'un hébergement social, tant au point de vue du suivi social, que du point de vue du suivi thérapeutique.
    * Des hospitalisations en psychiatrie, ou des retours en hospitalisation en situation de crise difficiles à obtenir dans certains cas de la part des CHRS et autres établissements sociaux.
    * Des difficultés de mise en œuvre et d'interprétation autour de l'Hospitalisation sur Demande d'un Tiers, tiers qui peut être un directeur d'établissement d'accueil ou d'hébergement social.
    * Une pratique de secteur inadéquate pour les personnes SDF et/ou en errance, du fait de leur absence de domicile et d'une application trop "cadastrale" de la notion de secteur, préjudiciable à leur suivi psychiatrique.
    * Dans certains sites, des structures d'hébergement ou d'accueil sont quasiment exclues des pratiques sociales des CMP, qui devraient pourtant être intégrées dans le tissu social et à proximité des besoins.
    * Enfin, une inadaptation des cadres conceptuels de la "grande exclusion", tant du côté de la psychiatrie que du côté du social : l'équilibre entre pragmatisme et théorisation est parfois délicat à trouver.
     
    Des collaborations en progrès
    Depuis quelques années, dans le réseau de la Fnars, des relations plus élaborées entre soins psychiatriques et fonction sociale, se développent. Quelques éléments des textes élaborés dans le cadre de ces collaborations permettent de mettre l'accent sur quelques points importants :
    * charte entre les CHRS et les CHS du Rhône (extraits) : "nous nous engageons à porter une attention particulière aux personnes présentant des problèmes de santé mentale, d'hébergement et de réinsertion sociale, et à rechercher, élaborer et entretenir des modalités de travail en commun"... "nous nous engageons, dans nos compétences et missions respectives, afin d'autonomiser les personnes accueillies, à nous apporter des appuis techniques réciproques".
    Nous rappelons que l'organisation de la sectorisation psychiatrique ne doit pas être un obstacle au libre choix de son thérapeute, que l'on soit avec ou sans domicile. Elle doit rester un outil favorisant la continuité des soins ;
    * convention CHRS-secteur psychiatrique (morceaux choisis) : "le Centre Hospitalier de (...) apporte son concours à l'Association (...) pour assurer un soutien aux publics qu'elle accueille. L'équipe de secteur appelée à intervenir au CHRS comprend, sous l'autorité du Praticien Hospitalier Chef du secteur : des médecins hospitaliers, des infirmiers du secteur psychiatrique, un psychologue, etc. Les interventions du secteur peuvent prendre la forme : de réunions entre l'équipe de secteur et celle du CHRS, d'interventions du psychiatre du secteur à titre de consultant auprès des hébergés du CHRS à la demande de l'équipe éducative de celui-ci et dans ses murs, de "visites" effectuées par les infirmiers du secteur psychiatrique (par "visite", on entend "demande ponctuelle présentant une certaine urgence"). L'équipe éducative du CHRS assure l'accompagnement social des hébergés. La collaboration de l'infirmièr(e) de secteur est parfois sollicitée lors de l'élaboration des projets individuels des personnes suivies par lui dans le cas d'actions éducatives ou d'insertion liées à la santé menées par le CHRS".
    Les comptes-rendus de visite (en CHRS) de l'infirmière de secteur ne sont pas intégrés dans le dossier social des personnes concernées, elle tient une fiche par patient, confidentielle et sous sa responsabilité, et un cahier de transmission. Les modalités de consultation, d'hospitalisation, de sortie de l'hôpital, de retour en CHRS et de retour à l'hôpital sont également définies. Parfois les modalités de soutien de l'équipe de travailleurs sociaux sont également définies (supervision au sens large). Enfin, la collaboration "dans la rue" est aussi envisagée, particulièrement dans les grands centre urbains. Certaines conventions rappellent que la charte du patient hospitalisé s'applique aussi aux personnes en grande difficulté sociale... D'autres modalités de collaborations existent, notamment autour de la gestion de logements adaptés à la vie dans la cité des personnes malades mentales. Ce seul sujet demande une réflexion qui sort du cadre de cet article.
     
    Conclusion
    Des collaborations réussies sont possibles. Elles débutent souvent par la bonne volonté de quelques individus. Les textes viennent ensuite pour consolider ces collaborations, pour conceptualiser, pour engager les institutions au-delà des individus. Des modalités d'évaluation et de régulation sont indispensables pour éviter usure, routine et effets pervers éventuels. Pour vaincre les résistances des individus et des institutions, il reste à trouver le bon interlocuteur. La Fnars peut inciter de diverses manières ses adhérents à travailler autrement. La Ddass ou la Drass se sont déjà montrés sur ce sujet des médiateurs efficaces dans certains sites. Au sein de la psychiatrie publique, qui peut inciter le médecin chef de secteur réticent à mieux collaborer avec le social ? C'est une question que la Fnars se pose de façon aiguë dans quelques sites...

    Pierre Belmant
    Chargé de Mission FNARS

    N.B. : La Fédération Nationale des Associations d'Accueil et de Réinsertion Sociale fédère 650 associations et près de 2000 centres et services. La Fnars, depuis plusieurs années, a développé une réflexion sur les relations entre ses établissements et la psychiatrie de secteur.


    QU'EST-CE QUE LA CLINIQUE PSYCHOSOCIALE ?

    Nous qualifions de Clinique Psychosociale une qualité de souffrance psychique qui apparaît sur les lieux du travail social. Sa caractéristique première est qu'elle peut empêcher le travail social, le rendre à la limite impossible, d'où les interpellations réitérées du dispositif de psychiatrie publique. Nous n'envisagerons pas la psychopathologie en rapport avec la précarité qui apparaît hors des lieux du travail social, comme celle décrite par les médecins du travail. Nous n'envisagerons pas non plus, en tant que telle, la pathologie mentale dûment authentifiée, qui mérite en principe un soin spécifique mais qui peut aussi se manifester dans les filières du social comme souffrance psychique, rentrant alors dans le cadre de la clinique psychosociale.
     
    Epistémologie de la clinique psychosociale
    1) Authentifier la pertinence d'une clinique psychosociale revient en effet à entendre l'interpellation des praticiens du travail social d'une oreille réflexive qui n'exclut pas l'action. Répondre signifie aussi ne pas la réduire à la seule question de l'accès aux soins ; il convient d'apprendre à mieux définir le rôle propre de chacun, rôle non figé, susceptible de variations en fonction des situations, des acteurs, des histoires locales.
    2) Il y a peut-être quelque indécence, penseront certains, à parler de clinique en dehors du champ thérapeutique, ou alors la société entière deviendrait-elle malade et à soigner? La clinique médicale, qui s'est construite au lit du malade, ne concerne plus directement des patients alités dans la plus grande partie de la clinique psychiatrique et psychothérapique (quoique le divan du psychanalyste...). Il s'agit davantage, maintenant, de sujets "couchés" par la souffrance en leur être intime et social, et cette souffrance peut empêcher de vivre, elle peut même empêcher de souffrir et conduire à la désubjectivation. Dans ces cas, le qualificatif le plus couramment employé est celui de "personne cassée", d'où la proposition de reconnaître une "clinique de la casse".
    3) Il convient d'admettre que le sujet, celui dont on parle autour "d'une clinique du sujet", est d'abord et toujours un sujet social : il n'existe qu'en apparaissant sur la scène sociale, sur la scène familiale, puis sur les scènes extra-familiales. Il y apparaît par la parole et par l'action. C'est pourquoi la notion d'environnement tant prônée par Winnicott, reste valide toute la vie durant : environnement primaire et contexte familial précoce, environnement secondaire et contexte social, le primaire et le secondaire restant en interaction continue.
    4) S'il y a apparition, il peut aussi bien y avoir disparition du sujet social, ce qui définit assez précisément l'exclusion, que l'on peut alors appeler "une damnation sociale". Le pire, c'est une non reconnaissance elle-même déniée, ce qui en fait une violence silencieuse dont on ne voit que les débordements et les paroxysmes (urgence...).
    5) La notion de précarité n'est pas seulement économique, elle renvoie à la vulnérabilité naturelle du sujet devant la possibilité de l'exclusion, c'est-à-dire de sa non-reconnaissance en tant qu'être humain digne d'existence. Il est des époques où cette vulnérabilité expose excessivement à ce risque et d'une manière massive ; ce qui peut être abordé par ses enjeux psychiques et psychopathologiques.
    6) Les clochards et gens de la rue constituent la population la plus visible en ce domaine. Ils ont particulièrement droit à apparaître par la parole et par l'action sur la scène du travail social et du soin, et pas seulement là, d'ailleurs. Cependant il ne faut pas se laisser fasciner par cette visibilité ni en jouir d'une manière romantique : nous vivons dans une société en voie de précarisation GÉNÉRALISÉE où la perte possible ou avérée des objets sociaux obsède. Ces objets sont représentés d'abord par le travail, l'argent, le logement.
    7) Qu'est-ce qu'un objet social ?
    C'est quelque chose de concret dans une société donnée, qui fait fonction d'idéal et donne les sécurités de base au niveau de la reconnaissance d'existence qu'il assure. Un objet social perdu, cela peut certes entraîner un processus psychique de deuil, mais également représenter l'effondrement de l'environnement entier. Toute une partie du travail social consiste à proposer des objets sociaux substitutifs - hébergement, minima sociaux, stages, contrats de travail dits précaires.
     
    Particularités de la clinique psychosociale
    Deux cas de figure :
    * 1er cas : Le travail social procure un ou plusieurs objets sociaux substitutifs dans le cadre d'une relation personnalisée, au nom de la République. Ses effets sur la vie psychique s'avèrent positifs : les symptômes, s'ils existent, sont réversibles, par exemple, la " triade de l'exclusion" décrite par Jean Maisondieu (honte, désespérance, inhibition). L'anticipation d'un avenir reste possible, le contrat narcissique tient bon. Ces situations sont probablement les plus nombreuses, elles peuvent être facilitées par le travail avec les psy.
    * 2ème cas. Le travail social n'empêche pas une évolution grave sur le plan psychique ; pour ne pas souffrir, un sujet est capable de s'exclure de lui-même (syndrome d'auto-exclusion) au sein même de la situation d'exclusion sociale. C'est par là qu'on entre dans la clinique de la casse : casse du narcissisme, casse de la trajectoire historique et des générations, casse du projet, casse de la relation, errance et incurie. La réversibilité devient problématique. La destructivité et la paradoxalité dominent une pratique de la relation d'aide, qui laisse démunis les "intervenants du front" en l'absence de certaines conditions de survie psychique.
    On ne peut s'étonner si l'enjeu de reconnaissance qui se joue autour des situations de précarité se rejoue fortement entre les intervenants sociaux et les psy : peuvent-ils se reconnaître réciproquement comme tiers dans leur pratique professionnelle, sans fusion ni confusion ? De nombreuses expériences dans notre pays témoignent d'une telle pratique. Le débat reste cependant ouvert pour nombre d'équipes de secteur psychiatrique.

    Jean Furtos
    Psychiatre - ORSPERE

    Pour approfondir la notion de clinique psychosociale :
    1) Le rapport "Points de vue et rôles des acteurs de la clinique psychosociale", décembre 99, ORSPERE - CH le Vinatier, 95, boulevard Pinel - 69677 BRON Cedex (Rapport rédigé pour le Ministère de l'emploi et de la Solidarité, à la demande de la FNARS Rhône-Alpes).
    2) FURTOS J. : "Epistémologie de la clinique psychosociale, la scène sociale et la place des psy", In Pratiques en Santé Mentale, n°1, 2000, p. 23 à 32.


    NAISSANCE D'UN BULLETIN "SANTÉ MENTALE ET PRÉCARITÉ"

    En mars-avril 2000 parution du 1er numéro de Rhizome, bulletin national à publication trimestrielle destiné aux secteurs de psychiatrie et à ses partenaires sociaux.
    Son objectif premier est de mettre en débat le thème psychiatrie, santé mentale et précarité abordé par ce numéro spécial de Pluriels.
    Rhizome se veut un outil de débats, d'échanges, d'information et d'élaboration. Le numéro zéro sera axé sur le thème de l'interpellation de la psychiatrie par ses partenaires du champ social et par le politique. Ce bulletin est soutenu par la Direction des Affaires Sociales et coordonné par l'ORSPERE. *


    UNE EXPÉRIENCE D'APPROCHE DE L'ERRANCE

    Les situations de précarité traversent la plupart des histoires de vie suivies en psychiatrie. D'une certaine façon la politique de secteur, en rapprochant l'équipe de soin du territoire, implique une prévention des ruptures du lien social. L'orientation du 1er secteur de Paris s'est appuyée sur cette perspective en créant un centre d'accueil et de crise, ouvert 24h sur 24, recevant le tout venant sans rendez-vous préalable, intégré à la vie de quartiers, véritable interface entre le social et le soin. Le fondement théorique de cette démarche est non seulement la dimension sociale du symptôme mais aussi la reconnaissance du sujet en souffrance dans sa globalité. Elle introduit une approche clinique qui s'intègre à un réseau en partant des demandes de changement du patient, en lien avec son environnement. Les limites du cadre institutionnel s'en trouvent repoussées sinon subverties.
    Accueillir le tout venant comprend également les tiers qui viennent demander des soins pour leurs proches, leurs patients, leurs usagers. Il nous est d'emblée apparu que ces tiers étaient une partie de l'histoire du patient, et leur écoute contextuelle est indispensable pour connaître la situation qui fait symptôme et crise.
    C'est dans cette dynamique que nous avons rencontré les associations de rue qui nous amenaient des personnes errantes en souffrance sur le plan psychique.
    Cette approche indique que la population d'un secteur ne peut être comprise comme étant seulement constituée par les habitants ayant un domicile sur le territoire. Elle confronte l'équipe de soin à l'ensemble des problèmes sociaux et résultats des politiques qui y sont à l'œuvre, l'amenant à définir précisément ce qui relève de ses compétences et indications d'interventions. Ce travail sur les limites renvoie au sujet et à sa singularité, mais aussi à la notion de service public de santé mentale qui ouvre sur l'ensemble des formes de souffrance psychique. Il faut donc se garder de deux dérives : celle de l'illusion d'être une solution globale aux exclusions engendrées par la crise sociale, et celle de nier que la clinique ait à voir avec cette crise.
    L'accueil des errants en grande précarité s'est mis en place de façon progressive avec deux périodes différentes :
    - celle de la venue vers le centre d'accueil,
    - celle du mouvement de l'équipe vers eux.
    1/ La première est la venue, accompagnée par les associations, moment de rencontres et de conflits, car les intervenants sociaux attendent une prise en charge immédiate, en urgence, et une solution. Ils expriment fortement leur désarroi et des vécus d'impuissance à aborder la dimension psychique en crise. Les entendre, passer du temps à expliquer notre fonctionnement, a été un travail de reconnaissance réciproque, qui a permis l'instauration d'une confiance pour la suite. L'échange avec ces errants s'est avéré d'emblée problématique, ceux-ci récusant toutes les institutions et particulièrement la psychiatrie. Ils présentent, en outre, un défaut de perception des repères symboliques de la vie sociale traduisant leur marginalité dans leurs rapports au monde. Le temps social et la notion d'espace sont profondément altérés, rendant impossible la venue aux rendez-vous fixés et leur accompagnement, mais aussi l'utilisation de l'espace du centre. L'organisation autour de la survie l'emporte sur tout le reste, rendant le soin et l'urgence secondaires. Les rapports sociaux sont dominés par la méfiance, la violence. et les conduites addictives, et la moindre prescription ou intervention fait intrusion persécutoire entraînant la rupture. Seuls ceux qui connaissent déjà le circuit psychiatrique arrivent à utiliser le lieu dans la recherche de prestations vitales tout en le dénonçant pour les mauvais traitements vécus auparavant. Dans cette rencontre, peuvent apparaître une trace d'un traumatisme initial et de ses répétitions, des sentiments de perte, d'appartenance, des vécus dépressifs, abandonniques et persécutoires, et parfois des délires. Il est manifeste, cependant, que la majorité d'entre eux n'a pas de pathologie avérée et que la rue en soi ne rend pas psychotique.
    Face à eux, les soignants sont eux-mêmes en grande difficulté, l'angoisse liée à la dégradation de l'autre, la compassion, l'absence de repères psycho-pathologiques rendent problématique l'échange. Le résultat en est souvent le rejet par incompréhension devant cet indicible insupportable.
    Dans la pratique, peu d'errants engagent une démarche de soins. Ceux qui s'accrochent au lieu le font dans une continuité erratique faite de passages imprévus, laissant à chaque fois une trace, un morceau d'histoire de vie, un vécu de détresse qui finit par constituer une trame. Le refus des médicaments est la règle.
    Le résultat le plus probant de cette période est donc la connaissance réciproque établie avec les associations et les travailleurs sociaux, qui s'établit par l'instauration de réunions régulières. Ces rencontres inaugurent un réseau d'intervenants qui se parlent, révèlent leurs compétences et leurs limites, expriment détresse et besoin de soutien. C'est ce temps pris en commun qui permet d'élaborer ensemble une autre démarche.
    2/ Celle-ci va être le mouvement d'aller vers les errants, vers les lieux associatifs qui les accueillent comme des terres d'asile. Cette décision est prise devant le constat de l'impossibilité pour ces errants de venir dans les lieux de soins autrement que par des mesures de police qui ruinent une perspective de confiance thérapeutique, aggravant la récusation de la psychiatrie. La dimension d'interface du lieu d'accueil aussi est déplacée vers le social.
    La demande des associations de participer dans la rue ne nous a pas paru souhaitable du fait de l'intrusion et de la stigmatisation que cela soulève. Aussi nous avons proposé une permanence régulière (tous les 15 jours) sur les lieux d'une association, "Aux Captifs", située rue St Denis, espace de médiation, lieu d'un tiers.
    Le projet est d'établir un temps d'écoute, de premier contact, qui n'engage pas une démarche de soins, mais permet un début de dialogue. Durant ce temps il n'y aura pas d'actes soignants, pas de prescriptions ; il ne s'agit pas de réaliser une action de dispensaire. Nous avons donc un statut d'invité par l'association.
    Dès notre première venue, dans un temps où les personnes à la rue viennent à la recherche d'aides, la présentation du projet déclenche une série d'interpellations violentes, agressives, faites de dénonciations, de récusations, d'incompréhensions : "qu'est-ce que vous faites là !" Nous répondons en expliquant notre désir d'aide, notre démarche de connaissance des difficultés des habitants, quels qu'ils soient, avec ou sans logements. Cela semble sur le moment peu entendu mais au moment de partir nous avons un retour : "Merci quand même d'être venus et de vouloir connaître notre réalité". Cette scène va se reproduire pendant plusieurs mois et notre persévérance va être reconnue comme un premier signe que l'on peut nous accepter. Quelque chose qui ressemble à un temps commun se définit dans une grande effervescence, un mouvement perpétuel de gens qui passent, avec quelques fidèles. Le groupe se constitue avec quelques règles pour se parler sans brouhaha ni violence. Nous sommes alors instruits des modes de vie dans la rue, la galère, les lieux de squatt, les pratiques de survie, les trafics pour survivre, et nous faisons la connaissance de la vie marginale de ces "zonards", comme ils se nomment, la plupart ayant par ailleurs un pseudo, un "nom de guerre".
    D'invités par l'association nous devenons des soignants reconnus sinon acceptés. Quelque chose commence à nous être adressé. Le groupe se reconnaît comme espace de parole qui établit une appartenance. Ces sujets en désaffiliation sociale redécouvrent un mode de réaffiliation à une communauté passagère dont nous sommes le centre. L'expression de relations intersubjectives apparaît possible, la personnalisation des quelques soignants qui réalisent cette permanence, la mémoire de ce qui s'y passe au fil du temps redonne consistance aux récits partagés, et ouvre un avenir potentiel. Ces liens personnalisés vont permettre des visites de quelques uns au centre d'accueil, premiers pas vers l'engagement d'une relation ailleurs, sur un lieu de soins.
    Après 3 ans d'existence de ce groupe, cette démarche personnalisée appelle une grande prudence, car la demande de s'en sortir concerne l'ensemble des difficultés de l'errant, et le moindre faux-pas entraîne une déception immédiate qui rompt la relation.
    Nous sommes aujourd'hui dans une demande du groupe d'évolution vers un groupe thérapeutique, un lieu où chacun parlerait de ses difficultés, adressées à des soignants reconnus, un lieu qui ne soit plus seulement de passage.
    Cette démarche d'approche a ouvert un espace d'élaborations cliniques, de rencontres personnalisées où s'échangent des histoires de vie et de mort, de vécus partagés qui fondent une histoire commune. La question de ce qui fait inscription psychique et souffrance dans l'errance, dans la déliaison, le clivage avec les objets sociaux (dont la récusation est une expression), nous a permis de travailler la place du traumatisme et de la position mélancolique. La passivité absolue et les vécus de cruauté de la société paraissent renvoyer à la désintrication des pulsions de mort rendant tout travail du deuil impossible ; le sujet semble réduit à sa déjection, à la jouissance de sa déchéance jusqu'à l'abandon de son propre corps. L'approche de ce qui maintient le lien d'humanité est au centre de notre démarche, et semble produire des liens vivants qui permettent le deuil partiel possible des traumas antérieurs. Cette démarche demande du temps, d'accepter nos propres sentiments de souffrance et un travail d'équipe, tant du côté de l'institution soignante que de celui des partenaires sociaux. Sortir la personne de sa situation de détresse globale nécessite de produire du lien en réseau avec elle. Ce lien est l'objet de cette approche clinique.

    Jean-Pierre Martin

    Centre psychothérapeutique
    1er secteur de Paris


    (2) Dans un groupe de travail de l'ORSPERE, J. Furtos indiquait qu'une caractéristique de ces publics en situation de désaffiliation était d'adresser au médical une demande de réparation sociale, et au social une demande de prise en charge thérapeutique. Ce qui permet certes de mettre tout le monde dans un même bain d'échec, mais aussi au sujet de faire entendre que ce qu'il cherche est quelque part entre les deux.



    EXCLUSION ET SANTÉ MENTALE

    Comme le relève le Haut Comité de Santé Publique, toutes les études épidémiologiques vont dans le même sens : "plus on est pauvre, plus on est malade et plus on meurt jeune ; partout on constate que le plus fort prédicteur de la maladie physique et/ou mentale et de la mortalité prématurée est le niveau socio-économique du foyer".
    Par la loi contre les exclusions du 29 juillet 1998, les pouvoirs publics ont voulu prendre en compte ce problème. La mise en place dans chaque région d'un programme régional pour améliorer l'accès à la prévention et aux soins (PRAPS), créé par l'article 71 de la loi, est le dispositif essentiel pour remédier aux inégalités les plus flagrantes d'accès à la prévention et aux soins. Ces programmes sont pilotés par les Directions Régionales des Affaires Sanitaires et Sociales (DRASS). Un coordonnateur dans chaque DRASS peut être contacté, par exemple pour recevoir la revue PRAPS, et être ainsi régulièrement informé sur le sujet. L'élaboration et le fonctionnement des PRAPS reposent sur une large concertation de tous les acteurs concernés d'une même région. C'est le gage de leur qualité. Tous les acteurs travaillant en santé mentale sont donc aussi appelés à participer à ce programme.
    Une circulaire, en préparation, relative à l'évolution du dispositif de soins en santé mentale, rappelle d'ailleurs qu'une attention particulière doit être portée aux populations en situation de précarité et d'exclusion. En effet, ces populations ne présentent pas davantage de maladies mentales que la population générale, mais elles ne sont prises en charge que dans environ 30% des cas. Ces personnes, en situation de précarité, présentent dans tous les cas une grande souffrance psychique.
    L'objectif est donc que, dans le cadre d'une action coordonnée (avec les PRAPS), les professionnels de la santé mentale puissent proposer des actions pour, d'une part, soutenir les professionnels au contact des personnes en situation sociale précaire, et d'autre part faciliter l'orientation et la prise en charge des personnes accueillies, en tant que de besoin, en développant des modalités de travail en partenariat au plus près des besoins locaux.
    Des moyens budgétaires ont été dégagés pour faciliter la mise en œuvre d'actions réalisées par les différents acteurs sanitaires et sociaux, dans le cadre de ces programmes. Par exemple, l'année dernière, 78 projets répondant à des actions permettant de diminuer la souffrance psychique des jeunes, et représentant un budget de 9,5 millions de francs ont pu être financés.

    Anne-Marie GALLOT

    Jean Paul DUPRE

    Direction Générale de la Santé


    ET LE SECTEUR ?

    Attirer l'attention des professionels de la santé mentale sur les difficultés de prise en charge d'une population spécifique, "les exclus", revient à interroger l'organisation sectorielle de la psychiatrie adulte sur l'exercice de ses missions.
    Parmi l'ensemble des patients, avec la gratuité de chaque prise en charge, cette population n'aurait, a priori, pas dû souffrir des difficultés rencontrées en matière somatique. Ce numéro de Pluriels montre qu'il n'en n'est rien et, dès lors, la question de la pertinence de l'organisation sectorisée, ou du défaut d'achèvement de celle-ci, reste posée. Le développement d'actions coordonnées, avec les Praps, par les professionnels de la santé mentale, peut apparaître comme une réponse destinée à conforter le secteur.


    DERNIERE HEURE : APPEL À INITIATIVES

    La MNASM et la FNARS organisent un forum
    le 20 octobre 2000
    sur le thème :
    PSYCHIATRIE ET TRAVAIL SOCIAL :
    HOMMES, OUTILS, EXPÉRIENCES
    * initiatives sur le terrain
    * conventions et aspects juridiques
    * éthique et responsabilités
     
     
    Cette réunion qui sera accueillie à Buc-Ressources par le Centre de Formation des travailleurs sociaux, fait écho à ce numéro de Pluriels. Il s'agit de faire dialoguer ceux qui, de plus en plus nombreux, et sans toujours se connaître, conduisent des expériences de travail en commun, sous forme ou non de réseau, entre travailleurs sociaux et spécialistes du soin.
    Le Forum, qui se tiendra en une journée, espère attirer le plus grand nombre d'initiatives les plus diverses.
     
    Pour y participer, nous vous invitons à vous faire connaître à :
     
    * La MNASM : 74 bis avenue Edison, 75013 Paris.
    Tél. : 01 45 85 73 63. Fax : 01 45 85 99 11.
    * La FNARS : 76 rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris.



    Pluriels

  • La Lettre de la Mission Nationale d'Appui à la Santé Mentale - Directeur de la publication : G. Massé - Comité de rédaction : G. Massé * Comité de rédaction : C. Bonal - E. Graindorge - S. Kannas - R. Lepoutre - J.-P. Mariani - C. Martin Le Ray - G. Massé - J.-C. Mie

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