Carré titre








BIOLOGIE J A L O N S

SAD, MAIS PAS TROP TRISTE
Renaud de Beaurepaire
 
Dépressions hivernales, dépressions saisonnières, dépressions photosensibles, SAD (Seasonal affective disorders), troubles comportementaux saisonniers, dérèglement des horloges internes, dépressions sans dépression, etc., les pathologies saisonnières se cherchent. En attendant de se trouver, elles ont élu leur gourou, en la personne de Norman E Rosenthal. Il n'en est pas moins le premier à avoir décrit les SAD, en 1984. Schématiquement, les SAD se présentaient alors de la façon suivante :
1) survenue d'un état dépressif en automne ou en hiver, au moins pendant 2 ans, non secondaire à un stress psychologique,
2) la clinique est atypique, avec une dépression marquée par trois symptômes majeurs, fatigue, hypersomnie et prise de poids (par une prise alimentaire augmentée portant surtout sur les hydrates de carbone),
3) ces troubles sont électivement sensibles à la photothérapie (c'est-à-dire qu'ils sont guéris par une exposition à une forte lumière),
4) l'hypothèse physiopathologique la plus généralement envisagée était que le manque de lumière conduit à une augmentation de la sécrétion de mélatonine, avec une désorganisation des horloges internes (des rythmes circadiens) et les effets propres d'une mélatonine sécrétée de façon excessive (la somnolence, puisque la mélatonine est somnogène).
 
Évidemment, ces critères sont tous plus ou moins tombés les uns après les autres. Pas de chance avec l'hiver, puisque des études épidémiologiques faites plus tard ont montré que, globalement, la dépression est plus fréquente au printemps ou à la fin de l'été que l'hiver (voir par exemple Thompson et Isaacs 1988), ce qui ne remet pas en cause l'existence des SAD, mais peut jeter un doute sur un lien de cause à effet entre un manque de lumière et la survenue d'une dépression. Pas beaucoup de chance non plus avec les symptômes dépressifs, puisque, à force d'être atypique, on a fini par admettre qu'il ne s'agissait pas tant d'une dépression que d'un syndrome comportemental hivernal (faim, fatigue, sommeil) où la dépression n'avait pas véritablement sa place, autrement dit les SAD ne sont pas nécessairement tristes (quand on regarde en détail les études sur les SAD, on s'aperçoit que les Hamilton, en moyenne, dépassent rarement les scores de 13 à 15, ce qui est vraiment limite pour parler de dépression). Pas de chance - ou trop de chance ? - avec la photothérapie, quand on s'est aperçu que dans les dépressions non saisonnières, à condition qu'elles aient des scores faibles (ceux qu'on vient de voir), la photothérapie est tout aussi efficace que dans les dépressions saisonnières. Quant à la mélatonine, aucune chance.
 
LA MÉLATONINE
La mélatonine ! Ou l'histoire d'une petite hormone sans grande importance qui est soudain devenue, par on ne sait quelle alchimie des temps modernes, par on ne sait quel noeud de coïncidences scientifico-délirantes, le lieu de projection de toute une génération de niaiseries médiatisables. Son origine peut-être, d'être sécrétée par la pinéale, siège anatomique de l'âme, résurgence fossile des compulsions mystiques d'un vieux philosophe, ou incroyable série de mensonges, orchestrés par des médecins malins qui savent bien que la crédulité et le rêve à bon marché sont les seuls vrais principes du commerce. La mélatonine a dû se demander ce qui lui arrivait. Et aujourd'hui, objet de trafics internationaux, de laboratoires clandestins, de saisies aux frontières, à l'origine de polémiques qui la dépassent totalement, la mélatonine, quelque part entre l'élixir de l'Abbé Soury et un polar de Nick Tosches, la mélatonine ne sait plus qui elle est. Sérieusement, à quoi sert la mélatonine ? A quelques petites choses probablement, mais quoi précisément ? La sécrétion de mélatonine est conditionnée par l'environnement lumineux, elle est faible le jour et forte la nuit. Il existe donc un rythme nycthéméral de sécrétion de mélatonine, et la question qui se pose est celle de la fonction d'une hormone qui est absente le jour et présente la nuit, question que l'on peut tourner de deux manières :
1) est-ce que la mélatonine ferait la nuit quelque chose que la lumière fait le jour, quelque chose qui serait indispensable à l'organisme, autrement dit la mélatonine libérée dans l'organisme est-elle un équivalent de la lumière, la mélatonine est-elle la lumière nocturne de l'organisme ?
2) question inverse, la lumière a-t-elle des effets plus ou moins toxiques ou délétères, et la mélatonine sécrétée la nuit serait-elle là pour réparer ces effets ?
 
Il est possible que la mélatonine soit impliquée dans ces deux catégories d'effets, mais on ne sait toujours pas jusqu'à quel point l'analogie, ou l'opposition, lumière/mélatonine peut être poursuivie. La mélatonine pourrait tout simplement informer l'organisme qu'il fait nuit. La mélatonine et la lumière ont chacune un rôle dans l'organisation des rythmes circadiens, l'alternance lumière externe/mélatonine interne participant au réglage du système des horloges, les unes environnementales, les autres endogènes. Et la mélatonine a aussi un rôle antitoxique, elle protège contre les radicaux oxygènes, et elle semble capable de protéger l'ADN dans le noyau cellulaire contre diverses agressions toxiques (d'où l'idée qu'elle peut réparer les effets de la lumière car on sait que les UV ont une action toxique sur l'ADN). A côté de cela, la mélatonine a, in vitro ou chez l'animal, de nombreux effets qui pourraient faire imaginer qu'elle favorise les défenses immunitaires, inhibe le développement de certains cancers, et s'oppose aux processus de vieillissement, mais toutes ces données sont encore expérimentales, et rien n'a été véritablement démontré chez l'homme. Une seule utilisation thérapeutique a été démontrée chez l'homme, c'est son utilisation comme hypnogène. Donnée à petite dose une heure ou deux avant le coucher, elle favorise le sommeil chez les gens normaux et chez ceux qui présentent des insomnies légères ou transitoires (par exemple désynchronisations du travail de nuit, changements de fuseaux horaires, ou insomnies des personnes âgées). Quant à savoir si elle sera utile dans les insomnies plus graves, cela reste à prouver.
Qu'en est-il de la mélatonine dans les SAD ? La question pourrait en fait être : pourquoi faut-il toujours que quand des chercheurs ont envie de trouver une chose, ils la trouvent infailliblement ? Donc on a cherché des anomalies de sécrétion de la mélatonine dans les SAD, et on en a trouvé. L'expérience qui est censée avoir tout démontré a consisté à créer des "conditions expérimentales de dépression saisonnière" chez huit contrôles jeunes et sains, ce qui a été fait en allongeant simplement la longueur de la nuit (qui passait brutalement de 8 à 12 heures) ; le résultat a été que les sujets sont restés spontanément 3 heures de plus au lit, ce que l'on a interprété comme un "état de mini-hibernation " ; or la sécrétion de mélatonine est modifiée chez les animaux qui hibernent, d'où on a conclu que la mélatonine a un rôle dans la dépression hivernale qui est justement marquée par une grande fatigue, assimilée en la circonstance à un état de mini-hibernation ; et cela d'autant plus que, coup de chance, l'un des 8 participants à l'étude s'est senti tout d'un coup très mal, très triste, ce qui a été attribué à une dépression mélatonine-dépendante (Wehr 1991, exemple cité par Reiter dans son livre pour démontrer le rôle d'un excès de mélatonine dans les SAD). Évidemment, c'était un peu ennuyeux parce que dans a peu près toutes les études, il est montré que la mélatonine est normale, ou même basse, dans les états dépressifs et dans les SAD (voir par exemple Checkley et coll 1993). Il semble seulement exister un retard de phase dans la sécrétion de mélatonine chez les SAD, mais la signification de ce retard de phase est mal comprise, car il est inconstant et indépendant de la gravité des symptômes dépressifs (Lewy et coll 1986 ; Wirz-Justice et coll 1993).
 
LES HORLOGES
La propriété la plus généralement reconnue à la mélatonine est celle d'être un synchroniseur des rythmes biologiques. On a vu qu'il existe souvent un retard de phase dans la sécrétion de mélatonine dans les SAD, et même si cela n'a apparemment que peu de lien avec la clinique, on peut toujours penser que les cliniciens se trompent, et qu'une anomalie de sécrétion de la mélatonine serait à l'origine d'un trouble de l'organisation des rythmes dans les SAD, d'où l'hypothèse selon laquelle une désynchronisation de la sécrétion de mélatonine serait au cœur de la physiopathologie des SAD. Et d'où aussi l'hypothèse qui voudrait que les horloges internes soient directement impliquées dans la physiopathologie de la dépression.
Qu'est-ce qu'une horloge interne ? C'est une montre molle. Molle parce que plastique, pouvant en permanence être remodelée par des informations multiples, en permanence remise à l'heure. Une horloge a deux propriétés. La première est qu'elle a une activité pacemaker, autrement dit un tic-tac spontané. La seconde est que cette activité a un rythme, circadien généralement, mais qui peut être autre. Au cœur des horloges, il y a des gènes, des gènes programmés pour s'exprimer de façon cyclique, dont on peut modifier l'expression pour obtenir des décalages, mais qui continuent toujours à s'exprimer de façon cyclique.
Il y a plusieurs horloges internes. On les met en évidence d'une façon très simple : on les prélève du cerveau, et on les met en culture in vitro. Les horloges continuent à fonctionner, c'est-à-dire qu'in vitro elles gardent leur rythme. La principale horloge est située dans le noyau suprachiasmatique. In vitro, les neurones du noyau suprachiasmatique ont une activité spontanée qui varie au cours du nycthémère, et qui peut être modulée par de nombreux facteurs, sérotonine, peptides, glutamate, NO etc., ainsi que par la mélatonine. Le noyau suprachiasmatique est la structure du cerveau qui contient le plus de récepteurs à la mélatonine. Il y a aussi des horloges dans la pinéale et dans la rétine, mais leur rôle fonctionnel semble beaucoup moins important que celui du noyau suprachiasmatique. In vitro, la mélatonine peut changer les rythmes de fonctionnement du noyau suprachiasmatique, mais beaucoup d'autres molécules en sont aussi capables, indépendamment de la mélatonine. Ce qui veut dire que la mélatonine n'a pas un rôle essentiel dans le fonctionnement des horloges. On pense qu'elle agit comme un cofacteur, facilitant l'action de diverses molécules sur le noyau suprachiasmatique, mais pas indispensable à ces actions. Disons, pour parler de façon imagée, que la mélatonine est comme une huile dans la mécanique de l'horloge, et que sans huile l'horloge grince peut-être, mais marche toujours.
Le noyau suprachiasmatique reçoit une forte innervation sérotoninergique qui vient du raphé. Il existe aussi une connexion entre la rétine (c'est-à-dire la lumière) et le raphé qui permet de construire un circuit rétine-raphé-noyau suprachiasmatique, circuit qui s'ajoute à la route classique directe rétine-noyau suprachiasmatique, et à une autre connexion, qui passe par le noyau géniculé latéral. Tout cela indique que l'influence de la lumière sur le fonctionnement du noyau suprachiasmatique se fait par au moins quatre voies, la voie classique directe, la voie qui passe par le noyau géniculé, la voie sérotoninergique qui emprunte le raphé, et la voie "paracrine " qui est celle de la mélatonine, puisqu'il n'existe pas de connexion nerveuse entre la pinéale et le noyau suprachiasmatique, la mélatonine ne venant agir sur le noyau suprachiasmatique qu'en diffusant à partir de la pinéale. Si bien que les théories qui voudraient qu'une désynchronisation de la sécrétion de mélatonine soit au cœur de la physiopathologie des SAD n'est pas très plausible, car le noyau suprachiasmatique, synchroniseur principal, a bien d'autres moyens de se synchroniser.
 
 
LA SÉROTONINE
La mélatonine est sous dépendance sérotoninergique, et de plusieurs façons. La synthèse de mélatonine dans la pinéale est dépendante à la fois de la disponibilité en sérotonine (la mélatonine est un métabolite de la sérotonine) et du tonus noradrénergique (par les terminaisons ß-noradrénergiques du circuit rétine - noyau suprachiasmatique - noyau paraventriculaire de l'hypothalamus - colonne intermédio-latérale - ganglion cervical supérieur - pinéale). Une baisse de sécrétion de mélatonine dans la dépression, ou un retard de sécrétion de mélatonine dans les SAD, sont probablement à situer dans les défauts de disponibilité ou de sécrétion en neurotransmetteurs qui sont caractéristiques de la dépression en général. Ensuite, l'effet même de la mélatonine sur le noyau suprachiasmatique (son effet synchroniseur) parait être sous dépendance sérotoninergique. Les récepteurs à la mélatonine dans le noyau suprachiasmatique ont un cycle parallèle à celui de la lumière, et ce cycle des récepteurs peut être bloqué par des antagonistes 5-HT1A. Les récepteurs à la mélatonine sont donc soumis à un contrôle 5-HT (Recio et coll 1996). Tout cela montre que les troubles de la sécrétion de mélatonine n'ont rien de causal dans la dépression, mais sont bien plus probablement la conséquence d'un défaut de neurotransmetteurs. On a déjà vu que le noyau suprachiasmatique est dépendant d'une innervation sérotoninergique pour être informé de l'environnement lumineux. Or avec la sérotonine on est sur un terrain bien plus familier qu'avec la mélatonine quand il s'agit de dépression.
Il existe en fait de nombreux éléments qui amènent à penser que la sérotonine a un rôle essentiel dans la physiopathologie des SAD. Ces éléments peuvent être classés en 4 catégories d'arguments : la première est que les symptômes atypiques des SAD sont ceux d'un défaut de sécrétion de sérotonine, la seconde est qu'il existe des changements saisonniers dans la teneur en sérotonine dans le cerveau, la troisième est que des tests hormonaux et comportementaux montrent des anomalies des récepteurs sérotoninergiques dans les SAD, et la dernière est l'efficacité des antidépresseurs sérotoninergiques.
Le premier argument (les liens entre sérotonine et symptômes) découle d'abord de l'expérimentation animale, par laquelle il a été montré qu'un déficit central en sérotonine s'accompagne d'une boulimie. On peut noter ici qu'il n'existe qu'un seul véritable modèle animal de SAD, la grouse de l'Arctique, qui a une prise alimentaire saisonnière, dépendante de l'environnement lumineux. Mais chez l'animal un déficit en sérotonine n'explique ni l'hypersomnie ni la fatigue, car un animal déplété en sérotonine est agité, insomniaque, et agressif (on peut quand même garder l'agressivité, parce que les patients SAD seraient facilement irritables). D'un autre côté, les liens entre les symptômes et le manque de sérotonine sont moins clairs chez l'homme, et selon certains auteurs, une déplétion en sérotonine chez l'homme, quand elle est évaluée par la disponibilité centrale en tryptophane, produit les symptômes caractéristiques de la dépression hivernale (Maes et coll 1990). Les changements saisonniers dans la teneur cérébrale en sérotonine dans le cerveau (second argument) sont une notion connue depuis longtemps (Brewerton 1989). Ils ont été notamment mis en évidence par les variations saisonnières du tryptophane plasmatique (qui est plus bas au printemps), sachant que les taux de tryptophane plasmatique (ainsi que le rapport tryptophane sur acides aminés neutres, lui aussi abaissé au printemps) détermine la teneur intracérébrale en tryptophane, acide aminé indispensable et précurseur de la sérotonine (Maes et coll 1995). Il existe aussi des variations saisonnières du recaptage de la sérotonine dans les plaquettes (Malmgren et coll 1989), certains auteurs ne retrouvant ces variations saisonnières chez les femmes (Soria et coll 1996). Et l'étude la plus classique dans ce cadre est celle de Carlsson et coll, qui, à l'anatomopathologie de cerveaux de personnes décédées de maladies ni neurologiques ni psychiatriques, ont observé que la teneur en sérotonine dans l'hypothalamus est toujours plus basse l'hiver que l'été.
Troisième argument, les tests hormonaux et comportementaux qui montrent des anomalies des récepteurs sérotoninergiques dans les SAD. Ces tests sont les mêmes que ceux qui sont employés dans les dépressions non SAD, ils consistent à stimuler avec un agoniste sérotoninergique la sécrétion d'hormones qui sont supposées être sous dépendance sérotoninergique. Ainsi, utilisant un agoniste 5-HT2C, le m-CPP,
des auteurs ont montré que les réponses de la prolactine et du cortisol sont augmentées dans les SAD
(Garcia-Borreguero et coll 1995). Utilisant un autre agoniste sérotoninergique, la fenfluramine (qui libère de la sérotonine dans la synapse), d'autres auteurs ont retrouvé des réponses diminuées de la prolactine et du cortisol dans les SAD (Coiro et coll), et enfin des auteurs ont retrouvé des réponses normales des mêmes hormones après fenfluramine (Yatham et Michalon 1995) et après un précurseur de la sérotonine, le
5-hydroxytryptophane (Jacobsen et coll 1987). Des résultats contrastés qui ne sont pas sans rappeler ceux qui sont retrouvés dans les dépressions non SAD. Sur le plan comportemental, des auteurs ont retrouvé que l'administration de m-CPP produit chez les patients SAD un effet euphorisant qu'il ne produit pas chez des sujets normaux. Ces auteurs concluent que les patients SAD ont des récepteurs 5-HT2C hypersensibles (Joseph-Vanderpool et coll 1993).
Enfin, le dernier argument est l'efficacité des antidépresseurs sérotoninergiques dans les SAD. Il n'existe cependant aujourd'hui que peu de données véritablement convaincantes sur ce point. Une étude de Lam et coll, faite en 1995, a montré un effet de la fluoxétine, mais, peut-être du fait de la petite taille de l'échantillon, les résultats n'étaient pas très significatifs. Une étude a montré l'efficacité de la fenfluramine (O'Rourke et coll 1989), mais étant donné que la fenfluramine est d'abord un anorexigène, et que les SAD sont surtout marqués par une hyperphagie, la portée de ces résultats est limitée. Il a aussi été montré que le tryptophane peut améliorer les SAD (McGrath et coll 1990). Des études ont montré une efficacité des ß-bloquants (par exemple Schlager 1994) ce que d'aucuns expliquent par un effet sur la mélatonine (on est en droit d'être sceptique), et d'autres par l'effet antagoniste des ß-bloquants sur les récepteurs 5-HT1A (sceptique aussi). Le moclobémide, un IMAO-A, s'est avéré être efficace dans les SAD (Lingjaerde et coll 1993), mais l'effet des IMAO n'est pas sélectif sur la sérotonine. Les résultats les plus significatifs, obtenus avec de la sertraline (Moscovitch et coll 1995), ont été rapportés par Blashko à la conférence de consensus de Tromsø, dont il sera question plus loin. En fait, l'élément certainement le plus étonnant dans ce chapitre est le mécanisme par lequel la lumière pourrait avoir un effet antidépresseur.
 
LA LUMIÈRE
Une lumière vive (généralement de 2500 à 4500 lux) donnée 1 à 2 heures par jour (quelle que soit l'heure du jour) pendant 1 à 2 semaines, a un effet thérapeutique dans les SAD (et aussi dans les dépressions non SAD à condition qu'elles ne soient pas trop graves [Yamada M. et coll, 1995 ; Terman et coll 1996]). Le mécanisme biologique de l'effet antidépresseur de la lumière a donné lieu à de nombreuses hypothèses et discussions (pour revue, voir Wirz-Justice 1995). Mais plus les données expérimentales s'accumulent, plus l'hypothèse d'un effet de la lumière sur les systèmes sérotoninergiques se confirme. On a vu le circuit rétine-raphé-noyau suprachiasmatique, circuit par lequel la lumière agit directement sur l'innervation sérotoninergique de la principale horloge circadienne (la projection du raphé vers le noyau suprachiasmatique est décrite comme une des projections les plus denses en sérotonine du cerveau, et la connexion dans le noyau suprachiasmatique se fait au même endroit que la projection rétine- noyau suprachiasmatique, ce qui fait penser que la sérotonine exerce un contrôle sur le signal lumineux dans l'horloge [Azmitia et Segal 1978]).
Certains travaux ont amené à penser que l'effet de la lumière sur ce système sérotoninergique (éventuellement étendu à d'autres projections sérotoninergiques issues du raphé) pouvait avoir un effet antidépresseur. Il a d'abord été montré chez l'animal que les agonistes sérotoninergiques peuvent avancer l'horloge circadienne quand ils sont administrés pendant la journée (Lovenberg et coll 1993), alors qu'ils n'ont pas d'effet sur l'horloge quand ils sont donnés la nuit, mais par contre, donnés la nuit, ils peuvent bloquer les effets synchroniseurs de la lumière (Rea et coll 1994). Cet effet étonnant de la sérotonine (sans action apparente la nuit, mais bloquant l'effet de la lumière qui désynchronise les rythmes quand on l'allume pendant la nuit) indique des interactions entre lumière et sérotonine selon un rythme circadien, avec des sensibilités circadiennes variables à l'une ou à l'autre. Récemment, Penev et coll ont montré que l'exposition à une forte lumière pendant le jour (plus forte que la lumière naturelle) peut bloquer l'avance de phase circadienne produite par les agonistes sérotoninergiques que l'on a vue précédemment. Autrement dit, il y a là une autre forme d'interaction, par laquelle une forte lumière serait capable d'avoir un effet plus puissant que celui d'un agoniste sérotoninergique, jusqu'à en masquer l'effet. Les auteurs de ces expériences (Panev et coll 1997) interprètent ces leurs résultats en disant qu'une forte lumière peut agir comme une puissante "drogue " qui pourrait être l'équivalent d'un antidépresseur. Tout le monde peut ne pas suivre ces auteurs dans leurs conclusions, mais il aussi été montré que la déplétion en tryptophane bloque les effets antidépresseurs de la lumière, ce qui confirme bien que la lumière agit par un mécanisme sérotoninergique
(Lam et coll 1996). Lumière ou antidépresseurs, on retombe toujours infailliblement sur la sérotonine et sur la théorie sérotoninergique de la dépression (et on s'éloigne de la mélatonine).
Cela conduit certains auteurs à une théorie hypothalamique des SAD (voir Wirz-Justice 1995). Les noyaux suprachiasmatique et paraventriculaire de l'hypothalamus sont impliqués dans les fonctions végétatives (prise alimentaire, sommeil, activité motrice, et d'une façon générale dans le réglage des commandes de conservation ou de perte d'énergie) et un trouble de l'innervation sérotoninergique de ces structures pourrait être à même de rendre compte de la clinique des SAD. Si l'innervation sérotoninergique de certains éléments de ces structures dépend de la lumière, on comprend qu'un manque de lumière (l'hiver, certaines habitudes de vie) conduise à l'apparition d'un syndrome comportemental qui se situe sur le versant de la conservation d'énergie, comme dans l'hibernation. D'où le SAD comme syndrome comportemental hypothalamique, mais pas comme dépression. Et correction d'un syndrome comportemental par la lumière, mais toujours des questions sur un véritable effet antidépresseur de la lumière. Le mécanisme de l'effet sélectivement antidépresseur de la lumière cherche toujours son support biologique. Ce qui ne va pas sans rappeler le statut des antidépresseurs eux-mêmes pour lesquels on décrit toutes sortes d'effets chez l'animal (effet antistress, effet antianhédonique, effet désinhibiteur) alors que le mécanisme de l'effet proprement antidépresseur, le plus psychique, échappe toujours.
 
TROMSØ
18-19 janvier 1997. Jours sans lumière à Tromsø, nord extrême de la Norvège, nuit arctique, silence polaire, immensités noires et mates de neige et de glace, etc., et il sont tous là, ou presque, au Rica Ishavshotel, pour le "SAD'97, Consensus, Controversies and Clinical Management" . C'est Thompson qui traite de la biologie, il ne dit rien de particulier, il suscite la réflexion, il est là pour susciter. Rosenthal dirige. Une je-souffrais-d'un-SAD-dire-que-je-ne-le-savais-pas-merci-docteur-Rosenthal raconte sa vie. Blashko, impeccable, présente l'étude qui montre que la sertraline est efficace dans le traitement des SAD, il dit comme ça, l'air un peu ailleurs, "les patients trouvent que la photothérapie est ennuyeuse et contraignante, et qu'elle fait perdre beaucoup de temps" . Les IRS, donc ? Les SAD sont en marche.
 
 
RÉFÉRENCES
 
Azmitia EC, Segal M.
An autoradiographic analysis of the differential ascending projections of the dorsal median raphé nuclei in the rat.
J Comp Neurol 1978 ; 179 : 641-668
 
Brewerton TD.
Seasonal variation of serotonin function in humans. Research and clinical implications.
Ann Clin Psychiatry 1989 ; 1 : 153-164
 
Carlsson A et coll.
Seasonal and circadian monoamine variations in human brains examined post-mortem.
Acta Psychiatr Scand 1980 ; 61 (supp.280) : 78-85
 
Checkley SA et coll.
Melatonin rhythms in seasonal affective disorder.
Br J Psychiatry 1993 ; 163 : 332-337
 
Coiro V et coll.
Abnormal serotonergic control of prolactin and cortisol secretion in patients with seasonal affective disorders.
Psychoneuroendocrinology 1993 ; 18 : 551-556
 
Garcia-Borreguero D et coll.
Hormonal responses to the administration of m-chlorophenylpiperazine in patients with seasonal affective disorder and controls.
Biol Psychiatry 1995 ; 37 : 740-749
 
Jacobsen FM et coll.
Neuroendocrine response to 5-hydroxytryptophan in seasonal affective disorder.
Arch Gen Psychiatry 1987 ; 44 : 1086-1091
 
Joseph-Vanderpool JR et coll.
Seasonal variation in behavioral responses to m-CPP in patients with seasonal affective disorder and controls.
Biol Psychiatry 1993 ; 33 : 496-504
 
Lam RW et coll.
Multicenter, placebo controlled study of fluoxetine in seasonal affective disorder.
Am J Psychiatry 1995 ; 152 : 1765-1770
 
Lam RW et coll.
Effects of rapid tryptophan depletion in patients with seasonal affective disorders in remission after light-therapy.
Arch Gen Psychiatry 1996 ; 53 : 41-44
 
Lewy AJ et coll.
The use of plasma melatonin levels and light in the assessment and treatment of chronobiologic sleep and mood disorders.
J Neural Transm 1986 ; 21 (supp) : 279-289
 
Lingjaerde O et coll.
Treatment of winter depression in Norway. II. A comparison of the selective
monoamine oxydase A inhibitor moclobemide and placebo.
Acta Psychiatr Scand 1993 ; 88 : 372-380
 
Lovenberg TW et coll
A novel adenylate cyclase-activating serotonin receptor (5-HT7) implicated in the regulation of the mammalian circadian rhythms.
Neuron 1993 ; 11 : 449-458
 
Maes M et coll.
Symptoms profiles of biological markers in depression : a multivariate study.
Psychoneuroendocrinology 1990 ; 15 : 29-37
 
Maes M et coll.
Seasonal variation in plasma L-tryptophan aviability in healthy volunteers - relationship to violent suicide occurrence.
Arch Gen Psychiatry 1995 ; 52 : 937-946
 
Malmgren R et coll.
Aberrent seasonal variations of platelet serotonin uptake in endogenous depression.
Biol Psychiatry 1989 ; 25 : 393-402
 
McGrath RE et coll.
The effect of L-tryptophan on seasonal affective disorder.
J Clin Psychiatry 1990 ; 51 : 162-163
 
Moscovitch A et coll.
A double blind, placebo-controlled study of sertraline in the treatment of
outpatients with seasonal affective disorders.
APA, Miami, 1995
 
O'Rourke D et coll.
Treatment of seasonal depression with d-fenfluramine.
J Clin Psychiatry 1989 ; 50 : 343-347
 
Panev PD et coll.
Serotonin on the spotlight
Nature 1997 ; 385 : 123
 
Pierpaoli W, Regelson W.
Le Miracle de la Mélatonine. Traduction française de J Duriau.
Robert Laffont, Paris, 1995
 
Rea MA et coll.
Serotonin modulates photic responses in the hamster suprachiasmatic nuclei.
J Neurosci 1994 ; 14 : 3635-3642
 
Recio J et coll.
Serotonergic modulation of photically induced increase in melatonin receptor density and fos immunoreactivity in the suprachiasmatic nuclei of the rat.
J Neuroendocrinology 1996 ; 8 : 839-845
 
Reiter R, Robinson J.
Mélatonine - Faux Miracle ou Vraie Révolution ? Traduction française de
F Fauchet.
Editions générales FIRST, Paris, 1995
 
Rosenthal NE et coll.
Seasonal affective disorder : a description of the syndrome and preliminary
findings with light therapy.
Arch Gen Psychiatry 1984 ; 41 : 72-80
 
Schlager DS.
Early-morning administration of short-acting ß-blockers for treatment of winter depression.
Am J Psychiatry 1994 ; 151 : 1383-1385
 
Soria PR et coll.
Seasonal variability in blood platelet 3H-imipramine binding in healthy controls : age and gender effects.
Biol Psychiatry 1996 ; 40 : 981-985
 
Terman M et coll.
Predictors of response and nonresponse to light treatment for winter depression
Am J Psychiatry 1996 ; 153 : 1423-1429
 
Thompson C, Isaacs G.
Seasonal affective disorder - a british sample.
J Aff Dis 1988 ; 14 : 1-11
 
Wehr TA.
The durations of human melatonin secretion and sleep respond to the changes in daylengh (photoperiod).
J Clin Endocrinol Metab 1991 ; 73 : 1276-1280
 
Wirz-Justice A.
Biological rhythms in mood disorders. In : FE Bloom, DJ Kupfer (eds) Psychopharmacology : The Fourth Generation of Progress.
Raven Press, New York, 1995, pp 999-1017
 
Wirz-Justice A et coll.
Light therapy in seasonal affective disorder is independant of time of day or
circadian phase.
Arch Gen Psychiatry 1993 ; 50 : 929-937
 
Yamada M. et coll.
Clinical and chronobiological effects of light therapy ??? ??? seasonal affective disorder
Biol. Psychiatry 1995 ; 37 : 866-873
 
Yatham LN, Michalon M.
Hormonal responses to dl-fenfluramine challenge are not blunted in seasonal
affective disorder.
Psychoneuroendocrinology 1995 ; 20 : 433-438

haut de page

DÉPRESSION N°7 Mai/Juin 1997