AU SOMMAIRE

  • Editorial
  • Hôpital/ambulatoire: le nouvel équilibre
  • Psychiatrie : s'adapter ou changer de structure
  • L'opinion de la MNASM : en 9 points
  • l'OMS et la santé mentale
  • NUMÉRO SPÉCIAL
    Hôpital/ambulatoire: le nouvel équilibre
    Un rapport et des pré-supposés
     
    Le rapport des Docteurs Eric Piel et Jean-Luc Roelandt : "De la psychiatrie vers la Santé mentale" vient d'être diffusé à un moment où s'amplifie la crise des mentalités et des attentes dans un domaine, la santé mentale, dont l'importance ne cesse de s'affirmer, bien au-delà de son champ strict.
    On pourra relever que les auteurs ont négligé certains aspects (la psychiatrie infanto-juvénile,
    le rôle du secteur privé, ou encore l'importance croissante de la question des personnes âgées).
    Il n'en demeure pas moins que ce rapport possède pour premier mérite d'effectuer une large synthèse des voies ouvertes par ses prédécesseurs (du rapport Zambrowski au rapport 2001 de l'IGAS : "institutions sociales face aux usagers", en passant par les rapports Joly du Conseil Economique et Social, Demay, Peigné, Massé, Cléry-Melin, etc.). Il s'inscrit dans la continuité de "la sectorisation
    qu'il propose de mener à son terme, afin d'accéder à un dispositif élargi de santé mentale",
    en proposant un modèle global de portée nationale.
    Il s'appuie également sur une vision qui se veut stratégique et politique, pour inscrire avec force cette perspective d'évolution au sein d'un débat qui doit être, avant tout, de société.
    La Mission Nationale d'Appui en Santé Mentale qui a été régulièrement consultée par les auteurs du rapport pour donner un avis ou préciser un commentaire, en a largement débattu lors de son séminaire des 16 et 17 octobre 2001. C'est sans surprise que les membres de la MNASM ont constaté qu'ils partageaient avec Piel et Roelandt un certain nombre de présupposés, à savoir :
    1) Le système actuel de facto de la psychiatrie, peu intégré au système de santé général et
    marqué par un fort hospitalocentrisme, répond mal, pour ces deux raisons principales, aux besoins
    qui s'expriment et qui sont marqués à la fois par une sensibilité plus grande aux troubles mentaux,
    une plus grande diversité de la nature et des lieux de leur expression, et auxquels répondent mal les prises en charge sanitaires et sociales.
    2) Le passage d'une prépondérance de l'hôpital à une prépondérance de l'ambulatoire est considéré comme la disposition globale nécessaire à la création d'un véritable système de la santé mentale intégré à la santé générale.
    3) Les diverses solutions proposées se doivent de constituer une vision positive de l'économie politique de la santé et donc s'inscrire dans une conception citoyenne de la sauvegarde de la santé de chacun.
    Le débat, au sein de la MNASM, a porté sur deux parties distinctes du rapport : d'une part la psychiatrie dans son mouvement vers la santé mentale, d'autre part, la place de la santé mentale dans la société.
    Ce numéro spécial de PLURIELS donne l'opinion de la MNASM sur les moyens d'accompagnement du passage de la psychiatrie à la santé mentale. Un prochain numéro débattra du nouveau paysage de la santé mentale, dans le système de santé, et dans la société.
    R. Lepoutre *


    éditorial
    UNE POLITIQUE D'ENSEMBLE
    Le mouvement en cours, d'une psychiatrie solidement ancrée sur la prise en charge des pathologies mentales les plus lourdes
    et les plus invalidantes, et peu préoccupée, en amont et en aval,
    de prévention et de réinsertion,
    vers un système de santé mentale "citoyenne" exige que l'une comme l'autre (et tant la psychiatrie que la santé mentale) bénéficie d'un plan descriptif plus clair de son objet de ses métiers et de ses outils. Loin d'un horizon aperçu au bout d'une ligne droite, le chemin qui va de "la psychiatrie vers la santé mentale" est en fait constitué d'une multitude de chemins, la psychiatrie,
    en tant que dispositif de soins spécialisé, constituant l'un d'entre eux, parmi d'autres qui doivent être explorés avec le même souci et la même exigence de programmes précis et évalués, qu'il s'agisse d'évaluation des besoins, de meilleure intégration d'une dimension santé mentale dans les soins de santé primaires ou des mesures concrètes
    à mettre en œuvre pour promouvoir le droit des usagers et de leurs représentants.
    Faire sur ces sujets un certain nombre de propositions structurantes pertinentes, fortes, et accessibles constitue un des intérêts majeurs du rapport des docteurs
    E. Piel et J.L. Roelandt. Redonner une cohérence d'ensemble, mettre en perspective un abord souvent thématique, ciblé, de la santé mentale, autant de nécessités qui s'imposent pour dépasser la situation actuelle, trop souvent perçue comme une sorte de psychiatrie de liaison généralisée, où le principal, et souvent unique, exécutant appelé en première ligne, en ordre dispersé, est constitué par le service public de psychiatrie. Il faut aussi semer des petits cailloux blancs sur d'autres chemins... sans se perdre. Il s'agit donc bien d'une politique d'ensemble. Ceci conduit à écarter d'emblée, toute solution, tout cadre juridique spécifique à la psychiatrie,
    qui risquerait d'aller à l'encontre d'une évolution à l'évidence, globale, celle d'un système de soins vers un système de santé.
    Catherine MARTIN LE RAY *


    AVANT PROPOS
    Psychiatrie :s'adapter ou changer de structure
    L'organisation de la psychiatrie, qui doit faire face à une nouvelle demande, plus complexe, doit-elle seulement s'adapter ou changer structurellement ?
    Outre le renforcement de la place des usagers et des associations de famille, la refonte des formations, et un investissement conceptuel sur la santé mentale qui doivent faire l'objet de programmes précis élaborés en articulation avec la réorganisation de la psychiatrie, cette dernière question, qui constitue la plus grande partie du rapport, nous inspire les commentaires suivants, notre souci, en tant que Mission Nationale d'Appui en Santé Mentale, étant de :
    - dégager les points de convergence pour obtenir des résultats applicables et appliqués (acceptabilité maximale),
    - dégager les outils les plus opérationnels pour obtenir des résultats applicables et appliqués (faisabilité maximale).
    La question de la réorganisation de la psychiatrie se résume en une option préalable :
    - faut-il créer, ou non, un dispositif spécifique à la psychiatrie (option du rapport) ?
    Ensuite, un choix largement ouvert pour lequel il ne nous appartient pas de définir les modalités juridiques, mais qui, à notre sens, doit respecter un certain nombre de principes généraux et de contraintes :
    - ces propositions ne doivent pas ignorer le rôle central joué par l'hôpital général, davantage par défaut des autres acteurs que par choix librement consenti,
    - pas plus que l'organisation sectorielle de la psychiatrie depuis 40 ans n'a entraîné dans son sillage le reste de la santé, il serait illusoire de penser qu'une organisation spécifique à la psychiatrie aujourd'hui préfigurerait une évolution modélisable pour l'hôpital général,
    - elle ne peut se réaliser (acceptabilité et faisabilité) qu'en utilisant au maximum les dispositifs déjà mis en place dans le cadre de la nouvelle loi hospitalière et de la refonte de la Loi de 1975.


    L'opinion de la MNASM
    1. La question de la santé mentale et d'une logique communautaire du soin et des actions de santé
    Contrairement aux apparences, il ne s'agit pas d'un débat théorique et abstrait, réservé aux seuls initiés, mais d'une réflexion centrale. Car d'un modèle dominant découlent des conceptualisations, des organisations, des théories et des pratiques du soin dominantes. En témoignent les réactions d'hostilité émanant des professionnels (surtout les psychiatres), violentes parfois, observées par certains d'entre nous lors de la présentation ou suite à la lecture du rapport. Elle concerne cette vision communautaire globale qui le parcourt, beaucoup plus que l'énoncé de certains commentaires ou propositions pourtant assez radicaux. Il faut se souvenir que les doctrines inaugurales de la politique de secteur prescrivaient une voie de passage originale, par leur combinaison même, entre la médecine mentale et la logique communautaire du soin. On peut toutefois se demander si cet équilibre subtil et nouveau n'a pas été rapidement mis en cause, mais sans qu'il soit explicitement dénoncé. Est-ce qu'il n'y a pas eu une assimilation hâtive et sans nuances entre cette approche significativement psychosociale, contenue en germe dans la doctrine de secteur (mai 68 et l'anti-psychiatrie) ? Est-ce que cela n'a pas favorisé une sorte de collusion objective entre le modèle médical préexistant et contesté (la neuropsychiatrie) et le développement concomitant et indispensable de l'approche psychodynamique (et son corollaire, la psychothérapie institutionnelle) dans le service public, laquelle était en quête d'identité et de reconnaissance à cette époque ? Est-ce que cela n'a pas servi à mieux refouler un modèle communautaire, au double motif de la négation supposée du fait psychopathologique et de la dilution sociologique ? Durant cette période, il est intéressant de remarquer que le débat intellectuel recouvrait aussi des clivages politiques : les représentants de la neuropsychiatrie étaient assimilés, à tort ou à raison, à la droite classique, les psychanalystes et les partisans de la psychothérapie institutionnelle (comme certains instigateurs de la politique de secteur proprement dite) étaient plus marqués à gauche et proches du PCF. L'alternative communautaire de mai 68, remarquable par sa dimension européenne, était plus caractérisée par des positions ou des mouvements gauchisants, très attaqués par le PCF. En France, l'anti-psychiatrie a, semble-t-il, été identifiée à Maud Mannoni, psychanalyste, et à son école expérimentale de Bonneuil, alors qu'à la même époque, avec des présupposés très différents, des réseaux alternatifs à la psychiatrie se constituaient en Italie (Basaglia), en Angleterre, en Belgique... Pour la plupart, ils étaient très hostiles à l'institution hospitalière psychiatrique. D'après nous, c'est ce débat qu'ouvrent de nouveau le questionnement sur la santé mentale et l'approche communautaire du soin et de la santé, et le rapport Piel-Roelandt, sous une forme actualisée. De ce point de vue, on peut se demander rétrospectivement si "la politique de secteur" n'est pas restée le programme officiel, certes consensuel en apparence, de la plupart des acteurs professionnels et des pouvoirs publics, mais comme la "ligne du parti", qui peut recouvrir des politiques et des pratiques ambivalentes, voire très différentes. On s'aperçoit, en effet, que l'approche psychosociale élargie, même intégrative, et la remise en question plus radicale de l'institution hospitalière (cf. certains textes de L. Bonnafé et de Philippe Paumelle) soulèvent toujours autant de résistances brûlantes. On peut remarquer également que le développement très significatif des approches psychothérapiques, s'il a considérablement humanisé, enrichi et augmenté l'efficacité des pratiques, n'a pas substantiellement modifié la posture globale du dispositif, à propos duquel beaucoup s'accordent à reconnaître qu'il reste trop marqué par l'hospitalo-centrisme. Enfin, le fonctionnement de l'Etat a accordé une importance organisationnelle et budgétaire prépondérante, pour la psychiatrie, à la Direction des Hôpitaux par rapport à ses homologues de la Santé et de l'Action Sociale. Ceci a peu permis de modifier l'équilibre global d'une pratique psychiatrique maintenue ou revenue subrepticement à ce que lui commandait son "programme génétique" : la médecine, et exclusivement elle...
    Notre constat rejoint ainsi celui des rapporteurs et de l'OMS à propos de la santé mentale : la santé en général ne peut se réduire aux soins physiques ou psychiques, ni les séparer, ou se limiter à l'absence de maladie pour un patient donné, mais doit inclure les facteurs environnementaux qui la facilitent ou la restreignent, ce qui comporte le contexte social dans lequel la santé comme équilibre global peut émerger et se maintenir. Il en est de même pour la santé mentale, qui ne peut se réduire aux soins médico-psychiatriques ou psychologiques individuels et à l'absence de troubles, mais doit également inclure l'environnement familial et social du patient qui constitue un partenaire et une ressource indispensables pour la prévention, le dépistage précoce, l'assistance et le traitement des troubles mentaux, sans que cette approche implique un quelconque réductionnisme sociologique, dilution du fait psychopathologique(voir note 1, p.3). Ces ressources ont plus de chances d'être faiblement disponibles à partir de réponses préférentiellement hospitalières, qui ont pour caractéristique principale, par leur nature même, de séparer le patient de son milieu. Elles ont plus de chances d'apparaître et d'être mobilisées au sein du réseau ambulatoire naturel. Autrement dit, une psychiatrie hospitalo-centrée comporte plus de probabilités d'être biomédicale, parfois bio-médico-psychologique, plus rarement biomédico-psycho-sociofamiliale. Une psychiatrie ambulatoire, accessible dans la Cité et prenant en compte la famille, aura pl-us de chances de développer une approche globale de la personne (et non uniquement du Sujet), bio-médico-psycho-socio-familiale. Pour être totalement juste, notons également que les conditions rappelées ci-dessus sont favorisantes et non déterminantes.
    On peut trouver des pratiques globales, psycho-socio-familiales, au sein de réponses hospitalières, et des approches exclusivement médicales dans des interventions ambulatoires. C'est dans cette conception holistique qui ne sépare pas l'individu de son environnement et le traite dans et avec sa communauté qu'on passe de la psychiatrie à la santé mentale.
    Les conséquences sont à la fois théoriques, organisationnelles et pratiques. Elles impliquent donc logiquement et nécessairement d'assurer la suprématie du virage ambulatoire de la psychiatrie de façon
    définitive(2).
    (1) Il faut ainsi consacrer définitivement dans les concepts, les organisations et les pratiques, la fin du dualisme cartésien qui sépare le corps et l'esprit et leurs médecines respectives, comme le monisme réducteur à tentation souvent hégémonique des "grandes théories" : celles du corps à travers le cerveau, dont les neurosciences sont les représentantes. Elles sont censées véhiculer une espérance "certaine" de résultats, mais celle-ci est constamment retardée. Cela ne les empêche nullement d'être fortement respectées sur le plan intellectuel et budgétaire, du fait de leur statut "scientifique" jamais contesté, lorsqu'elles sont comparées aux autres. Il en est de même pour des théories "exclusivement" psychopathologiques, ou encore "purement" sociales du fait mental et de ses perturbations. Nous avons besoin de modèles, d'organisations et de pratiques intégratives qui lient, combinent et font dialoguer constamment tous ces apports. C'est dans cette interaction constante qu'on retrouve les progrès importants et incontestables de la discipline. Pour ne prendre qu'un exemple, on est passé de 300 à 240 jours de durée moyenne de séjour en psychiatrie hospitalière entre 1950 et 1970, et de 240 jours à 60 jours, de 1970 à 1990. Il est probable que cet effet positif, même s'il est un indicateur partiel et grossier, relève beaucoup plus de l'élévation du nombre de psychiatres et de l'impact de la sectorisation (1972) que de la pharmacologie seule. En effet, tous les neuroleptiques et anti-dépresseurs majeurs ainsi que la plupart des anxiolytiques efficaces ont été découverts et rapidement diffusés entre 1952 et 1960. Cette vision intégrative bio-médico-psycho-socio-familiale est portée davantage par le métier de médecin psychiatre s'il est correctement formé à cet effet ou par une équipe multidisciplinaire qui en combine effectivement les compétences nécessaires.
    (2) Rappelons la définition de la santé mentale proposée par le groupe de travail n°3: "urgences", dans le cadre de ses réflexions sur l'urgence psychiatrique, et reprise par le groupe travaillant sur l'offre de soins en psychiatrie (projet de rapport du groupe de travail DHOS/02/version 1) : ... la notion de santé mentale est une notion de santé publique qui recouvre un champ bien plus vaste que celui des pathologies mentales et de la psychiatrie, branche de la médecine ayant vocation de traiter les dites pathologies mentales. Les conditions de vie, d'hygiène, de nourriture, de travail sont aussi largement responsables de l'augmentation de la durée de vie que les progrès de la médecine.
    Aujourd'hui, les pouvoirs publics se préoccupent de la souffrance psychique, voire de la souffrance morale dans le cadre de la santé mentale. Ceci implique qu'il y a lieu de distinguer quelle est la nature des actions à mener et dans quel champ: politique, social, sanitaire, quels dispositifs et quels professionnels doivent être mobilisés, ainsi que leur part respective dans ce champ, et comment ils s'y coordonnent.
    Toute souffrance psychique, comme toute politique de prévention de celle-ci, ne ressort pas nécessairement ou exclusivement du champ sanitaire, et la prise en charge pourra souvent être sociale, avec une composante psychologique, voire éducative. Pour ne donner qu'un exemple, la politique de prévention du suicide ne peut se traiter, à l'évidence, uniquement dans le champ de la médecine, fût-elle psychiatrique.


    2. Ouvrir la psychiatrie
    à des influences extérieures
    Une partie importante des transformations proviendra de "l'extérieur" de la psychiatrie. C'est pourquoi nous souscrivons pleinement aux propositions des rapporteurs concernant le rôle des usagers et de leurs familles. Outre un progrès dans la démocratie sanitaire, objectif déjà essentiel par lui-même, leur influence croissante représente un levier majeur et durable pour les transformations à venir. Il en est de même pour tout ce qui concerne la formation, l'enseignement et la recherche, et l'information et la communication en général. Par contre, le développement d'une culture d'évaluation nous semble, également, complètement indispensable et, de ce point de vue, nous ne partageons pas l'avis péjoratif des rapporteurs concernant le PMSI, qui nous semble représenter un pas important dans cette direction. Nous partageons par contre l'idée de la nécessité d'un débat politique national créant les conditions d'émergence et de définition d'une action claire et soutenue, fortement accompagnée par les administrations, les professionnels et les usagers, susceptibles d'en décliner loco-régionalement les différentes solutions acceptables, conformes aux principes généraux.


    3. Peut-on œuvrer à des transformations importantes sans "revisiter" le concept de secteur ?
    Un autre point important concerne le secteur comme territoire pertinent et comme mode d'organisation. La mission confiée aux rapporteurs s'inscrit clairement dans cette référence, même si l'on peut argumenter subtilement que "mener la politique de sectorisation psychiatrique à son terme" contient, littéralement, une allusion sous-jacente à son dépassement.
    On peut comprendre le souci de ne pas heurter frontalement les principaux acteurs du champ et de s'inscrire dans la continuité d'une politique soutenue consensuellement par une majorité d'entre eux, en reconnaissant également que ce consensus recouvre des attitudes très contradictoires, comportant à la fois la revendication de la continuité (parfois sous la forme d'un retour à un supposé "âge d'or" du secteur) et d'une évolution forte. Pour autant, aucune transformation ne nous paraît devoir faire l'impasse sur la réflexion à propos de la place du secteur. Si ce concept demeure essentiel en tant qu'il se réfère à des principes de proximité-accessibilité, de continuité des soins et de travail communautaire, il importe aujourd'hui de ne plus l'appréhender comme un dispositif monopolistique et hégémonique susceptible de tout garantir à lui tout seul, ce qui pouvait se comprendre au début des années soixante, tant le secteur privé était inexistant et le cloisonnement majeur entre la psychiatrie, la médecine et la société en général. Si le secteur psychiatrique public continue dans la plupart des cas de jouer un rôle déterminant dans la promotion et dans la mise en œuvre d'une politique locale de santé mentale, il réussira d'autant plus dans cette fonction qu'il intègrera ou mieux, articulera avec lui (et non autour de lui), de façon non hégémonique, toute une série d'acteurs publics et privés, individuels, collectifs, institutionnels, issus des réseaux naturels socio-familiaux, sanitaires généraux ou spécialisés. C'est donc l'induction que peut susciter l'activité sectorielle, mais pas seulement elle, d'un mode souple de concertation et de complémentarité entre des dispositifs variés, en vue de garantir la cohérence continue des filières de prévention, de soins et de réadaptation, qui fonde le fonctionnement du secteur, et non le caractère géographique de son offre. Ce n'est pas seulement la révision de frontières, même élargies, qui permet d'atteindre cet objectif, mais le changement de mentalité des acteurs. "Mener la politique de sectorisation à son terme" ne fera donc pas passer ipso facto de la "psychiatrie à la santé mentale".
    Un autre point à considérer concerne la taille critique du territoire lui-même. Certes, une assise territoriale d'activité suffisamment limitée est indispensable, à la fois pour désigner la responsabilité, même si elle est partielle, d'acteurs identifiés sur un territoire donné, et également afin de maintenir pour tous les réseaux susceptibles d'être constitués autour de patients une taille humaine compatible avec une relation personnelle et effective des impliqués ainsi qu'avec l'exigence d'accessibilité optimale d'une offre diversifiée. Mais en même temps, on rappellera à quel point la taille critique d'un territoire pour 70 000 habitants, adapté à la France semi-urbaine stable des années soixante, n'est pas congruente avec la France urbaine et plus instable des années deux mille, en même temps qu'elle encourage fortement la fragmentation de l'offre, les féodalités sanitaires, la captivité de certaines clientèles et l'absence de libre choix. De plus, on observera que, dès que l'on veut dépasser l'offre en termes de structure pour réfléchir davantage en termes de finalités ou de programmes identifiables, dotables et évaluables, conditions modernes de l'existence d'une offre diversifiée et graduée, la taille critique d'un secteur standard est trop petite pour faire apparaître autre chose qu'une activité généraliste, et non l'interaction entre les ressources affectées et les résultats attendus et observés ou non. Il en est de même pour la mise en œuvre d'actions de formation, seules susceptibles de faire émerger ou d'acquérir les compétences/
    savoir-faire indispensables pour ces programmes, de façon à trouver le
    nécessaire équilibre adapté entre des actions de santé mentale polyvalentes et celles au bénéfice de clientèles ou de thèmes plus spécifiques.
    Il est donc crucial de passer d'une culture, d'un territoire et d'un mode
    d'organisation uni ou mono-sectoriels à des équivalents fortement inter ou
    supra-sectoriels, ce qui pose la question d'une redéfinition d'un territoire
    pertinent pour des activités de santé mentale.


    4. Existe-t-il un "territoire pertinent" ?
    Les dispositifs actuels comportent de nombreux niveaux institutionnels : région, département, commune, arrondissement, secteur sanitaire, établissement de santé, secteur de psychiatrie... et, depuis peu, dans le cadre de l'élaboration du SROS de deuxième génération, des bassins de vie. Chacun de ces niveaux entraîne une appréhension des besoins et une élaboration des réponses qui décrit une "réalité" spécifique et pousse à promouvoir ses intérêts propres. Chacun d'entre eux possède également ses défauts et ses limites puisqu'il est plus ou moins susceptible d'être appelé à contribuer à la mobilisation en vue de constituer un réseau de soins psychiatriques gradué, de l'urgence (amont) aux soins de réadaptation (aval). Comment ne pas souligner que la notion de niveau, donc de découpage, induit des féodalités? La tentation est alors grande de vouloir inscrire les coopérations nécessaires dans des liens obligés vouant toute démarche partenariale à l'échec. Nous avons vu également que le niveau territorial des secteurs de psychiatrie paraît souvent étroit, tant du point de vue géodémographique, pour la mise en mouvement des acteurs, que pour la taille critique nécessaire à certaines activités particulières ou à des actions thématiques ou programmatiques. Il suscite de fortes réserves émanant de la psychiatrie libérale comme du champ associatif. Le niveau inter-institutionnel des établissements, également indispensable, comporte, pour l'élaboration de coopérations et la mise en œuvre de leurs objectifs, le risque de privilégier des stratégies globales centrées sur les institutions elles-mêmes et sur des enjeux exclusivement internes, se traduisant par des neutralisations réciproques, limitant l'ouverture sur l'extérieur non institutionnel (les acteurs individuels) et des pseudo-partenariats attentistes. Se situer au niveau de la région et des départements, celui des décideurs de la planification, de l'allocation budgétaire et de l'organisation de l'offre de soins, comporte en revanche le risque de se trouver trop éloigné des acteurs de terrain qui, pour schématiser quelque peu, peuvent ne pas se sentir forcément engagés, voire même concernés par la dimension inévitablement macrosanitaire du schéma régional. Les professionnels rencontrés au sein des instances régionales et départementales exercent plutôt en qualité d'acteurs institutionnels et/ou d'experts. Ce sont les raisons pour lesquelles nous proposons une réflexion organisationnelle autour de bassins d'activités en santé mentale, superposables aux bassins de vie, niveau appréhendé et reconnu plutôt que juridiquement ou administrativement créé, dont la taille et les modalités de coopération interne peuvent varier en fonction du contexte locorégional. Il s'agit d'une option délibérément inter-institutionnelle, mais ne s'y réduisant pas, envisagée à partir de la cartographie hiérarchisée des SAU, et formée autour de la zone géodémographique constituant le bassin d'attraction de l'hôpital général de référence. Ce critère permet d'appréhender des territoires cohérents captant bien les habitudes de vie et de soins de la population, ce qui peut impliquer des périmètres différents. Cela n'annule pas les principes d'organisation sectorielle du travail de la psychiatrie publique, mais cela les englobe dans les lieux de résidence, les zones d'attraction d'un espace urbain dense et interconnecté ou au contraire rural, dans la prise en compte des bassins d'emploi (à la fois diffus et regroupés), ce qui implique un abord intégratif et, au minimum, des groupements d'activité sectorielle.
    On peut donner comme exemple les grandes zones urbaines denses qui possèdent une respiration géo-démographique au quotidien très particulière, ce qui accroît encore la complexité de l'approche en termes de Santé Publique. La superposition des découpages administratifs et sanitaires augmente le nombre des clés d'entrée de l'analyse. Cette complexité est accrue par le nombre des structures, leurs différences de taille, de finalités et de régimes juridiques. Si l'on prend l'exemple de Paris, le secteur privé à but lucratif est pratiquement absent pour l'hospitalisation alors que sa capacité de consultation est importante. Le secteur privé associatif sans but lucratif a développé une multiplicité de structures, particulièrement des hôpitaux de jour, dont la taille apparaît réduite. Cette densité du dispositif augmente l'opacité de l'offre et son manque de lisibilité externe, notamment pour l'usager. A l'intérieur de telles complexités, il revient à l'ensemble des acteurs institutionnels et professionnels de contribuer à l'établissement d'un réseau de filières de soins graduées, de l'urgence aux prises en charge au long cours, et de participer à des actions de Santé Publique définies par programme, en s'appuyant sur une assise de connaissances mutuelles, de concertation et d'élaboration qui incluent l'ensemble des acteurs concourant à la santé mentale, dans une fonctionnalité le plus souvent déconnectée en partie ou en totalité de l'aire traditionnelle d'intervention du ou des établissements auxquels sont rattachés les secteurs. Dans ce contexte d'élaboration collective, tant les secteurs que les autres structures concernées peuvent et doivent être sollicités en vue d'organiser le croisement d'une offre de soins structurée, à partir du concept central de Santé publique, autour de territoires à desservir (secteurs, intersecteurs, etc.) et de prises en charge plus focalisées qui expriment également la réalité et la nécessité d'une offre diversifiée et pour partie thématique.


    5. Faut-il créer un outil de gestion spécifique ?
    Un tel dispositif est proposé en partie par les rapporteurs pour garantir le maintien des moyens affectés à la psychiatrie, souvent "spoliés" au bénéfice du MCO, surtout lorsque les secteurs psychiatriques sont gérés par un hôpital général. Cet état de fait a constitué une entrave à une bonne intégration de la psychiatrie à l'hôpital général quand, de surcroît, les secteurs qui lui étaient rattachés étaient moins bien dotés que ceux gérés par les CHS.
    Pour autant, la solution proposée apparaît contradictoire avec la notion de pleine intégration de la psychiatrie au dispositif général de soins, dans une convergence pourtant rappelée vers le droit commun. Ce n'est pas en organisant activement un dispositif susceptible d'être clivé et
    jaloux de son autonomie que l'on peut raisonnablement espérer que les somaticiens cesseront de considérer l'organisation de la psychiatrie comme une "terre étrangère" et, à fortiori, favoriseront les articulations qui s'imposent pour répondre à des besoins souvent multiformes et intriqués. Cette proposition du rapport ne prend pas suffisamment en compte le rôle central joué par l'hôpital général, davantage il est vrai par défaut des autres acteurs (manque d'implication de la médecine générale, insuffisance des réseaux) que par choix librement consenti. Le maintien des moyens est déjà possible avec la comptabilité analytique (avec un tableau des effectifs pour que les tutelles puissent effectuer les contrôles nécessaires). Lorsque ceux-ci sont réellement effectués, avec des consignes claires, les outils déjà existants (contrats d'objectifs et de moyens, développement de pôles, etc.) devraient répondre à ce souci. Par ailleurs, la logique imposée par le PMSI oblige à isoler chaque année, dans les centres hospitaliers gérant des secteurs de psychiatrie, les moyens consacrés à la psychiatrie. La voie de la contractualisation nous semble davantage opératoire pour garantir la pérennité, si elle se justifie, de l'allocation de moyens au bénéfice du dispositif de santé mentale, quelle que soit l'entité chargée de sa gestion.
    En s'appuyant sur une analyse historique contestable selon laquelle c'est le rattachement à l'hôpital général et lui seul qui y a freiné le développement du secteur, les rapporteurs constatent la prééminence du dispositif hospitalier (spécialisé et général) limitant le développement d'une santé mentale communautaire, ce qui est une réalité. Indépendamment de la question des moyens dont le redéploiement autorise la création de structures et l'émergence de politiques alternatives, la logique actuelle reste effectivement hospitalocentrée.
    Le changement proposé de l'équilibre du dispositif hospitalier au profit d'une véritable suprématie de l'action communautaire ne peut qu'être approuvé, et les travaux de la MNASM abondent dans ce sens. Dans de nombreux rapports sur site auxquels elle a contribué figure, sur le modèle proposé, la création d'une instance de coopération (SIH ou GIP) afin de développer des programmes d'actions intersectoriels au profit de populations, de thématiques ou de zones géographiques avec, à chaque fois, le regret de ne pas y voir affecté davantage de compétences.
    Néanmoins, le principe généralisé de la gestion de la santé mentale, confiée à un EPS nommé service territorial de psychiatrie, peut être compris comme un retour, ou son risque par dérive, à la spécialisation des institutions avec, pour conséquence, la fin d'une participation organique, par les hôpitaux généraux, à la politique de santé mentale. Or cette participation demeure, malgré les difficultés constatées, un élément dynamisant et intégratif. Les établissements hospitaliers qui ont vécu et favorisé le métissage de la psychiatrie confrontée aux autres disciplines médicales, témoignent des progrès accomplis en matière d'urgence, de dépistage précoce, de prévention du suicide, etc., ce d'autant plus que ces tâches ont été accomplies par le même établissement et avec la même communauté médicale.
    L'histoire montre que la spécification des institutions sanitaires demeure souvent accompagnée d'une dévalorisation que les lazarets ou les sanatoriums ont connue. Même les Centres de Lutte contre le Cancer n'échappent pas totalement à cette logique. Et l'on voit mal comment les EPS, successeurs des asiles, pourraient échapper à l'image négative qui s'attache aujourd'hui à ce type d'institution.
    Le rapport propose un triumvirat où se côtoient un directeur médecin, un directeur administratif et un directeur des services de soins infirmiers. S'il est évident que ces professionnels doivent travailler ensemble, on voit naître la tentation du retour au médecin-directeur assisté d'un directeur administratif, à l'image des hôpitaux PSPH. Dans le rapport présenté, l'un des reproches majeurs concerne la gestion des secteurs par les directions hospitalières. Or, les hôpitaux les plus ouverts aux changements sont ceux où le directeur s'est engagé pleinement aux côtés des médecins.
    Faut-il continuer à despécifier la psychiatrie ou au contraire la respécifier pour éviter une dilution des moyens ? Le STP, dont le souci principal concerne une approche plus classique des malades, et qui est moins marqué par les champs nouveaux de la santé mentale, apparaît en rupture avec la logique du rapport. Certes, l'inadéquation de l'offre aux besoins, (pas uniquement en termes géographiques, mais également de modes de réponse) est soulignée, et la fin du "tout sanitaire" ou du "tout pour le sanitaire", comme de l'hospitalocentrisme, est proposée, au nom d'une exigence de meilleure prise en charge, au meilleur coût et pour une plus grande transparence. Mais les questions concernant la psychiatrie sont-elles si différentes aujourd'hui que dans les années soixante?
    Le secteur comme spécificité de la psychiatrie par rapport au reste de la médecine représente une valeur et une revendication communes, vécues par beaucoup de professionnels du champ comme une distinctive garantie d'indépendance, pour ne pas dire d'autonomie. La psychiatrie à l'hôpital général, la psychiatrie de liaison et surtout "les politiques ciblées", ne peuvent être perçues comme antagonistes d'une politique de secteur. Le modèle hospitalier classique est donc critiquable et critiqué. Mais on ne peut pas à la fois relever que le secteur "idéal", dans une pratique qui n'est pas coupée de son contexte social, constitue un modèle, y compris pour le reste de la Santé, et engager la psychiatrie vers un fonctionnement éloigné d'un tel idéal. L'évolution doit être conjointe et s'enrichir mutuellement de ce que chacun apporte pour parvenir à une politique de Santé globale. Mais de quelle politique s'agit-il ? On en revient à cette question, avec la certitude que seule une politique d'ensemble prime. Comment faire pour minimiser les réactions d'autodéfense qui bloquent l'évolution ? C'est tout le problème. Le malade mental est un malade comme un autre. La santé mentale n'est pas le seul domaine sanitaire où le problème du consentement peut se poser, où la société a le devoir de se protéger et où certaines affections sont chroniques etc. Mais si l'on veut que le malade mental soit effectivement un malade comme un autre, il faut que ses soins soient assurés, comme pour les autres, par des soignants comme les autres, au sein d'organisations comme les autres (ceci vaut aussi pour l'indistinction, préconisée dans le rapport, entre l'organisation des soins somatiques et psychiatriques au bénéfice des détenus). Une idée simple et un axe clair s'imposent : tout ce qui va dans ce sens est à promouvoir, tout ce qui s'en éloigne est à rejeter (la déclinaison en termes opérationnels est infinie). Même si le réseau territorial de santé mentale est proposé en vue de regrouper l'ensemble des partenaires concernés et d'élaborer un projet territorial de santé mentale (déclinaison des politiques sanitaires, médico-sociales et sociales en santé mentale, définies au niveau national, régional et départemental), la
    situation actuelle est déjà suffisamment complexe pour ne pas ajouter un niveau supplémentaire d'organisation ni un nouvel outil de décision. Elle n'empêche pas non plus les évolutions intégratives fortes qui sont nécessaires. Lorsqu'on connaît la tendance spontanée des organisations à se bureaucratiser et à se fermer sur ellesmêmes, on peut craindre qu'il n'en soit de même avec le RTSM. Dans ce cas on courrait donc le risque, malgré les bonnes intentions, de recréer un nouveau dispositif spécialisé, certes ouvert sur les secteurs social et médico-social, mais peu enclin, du fait de la pesanteur de sa spécification, à poursuivre son articulation (et sa co-évolution) avec le dispositif sanitaire de droit commun et surtout l'hôpital général, alors que de nombreuses raisons techniques et socioculturelles militent en faveur de ce rapprochement. Rappelons que l'argument principal de cette option réside dans le souci de maintenir des moyens de la psychiatrie par une organisation spécifique plutôt que par la force de sa légitimité, même si l'on peut comprendre ces craintes à partir de l'héritage du passé.
    A l'opposé, si le RTSM se montre pleinement articulé et co-évolutif avec le dispositif sanitaire de droit commun, cela justifierait d'aller jusqu'au bout de la transformation radicale de l'ensemble du dispositif sanitaire et médico-social, sous l'influence de contraintes fortes de Santé Publique amenant une complémentarité entre les activités psychiatriques et non psychiatriques, entre l'offre institutionnelle et ambulatoire, entre les secteurs public et privé, entre les réseaux sanitaires, médico-social et social (Agences Régionales de Santé, voire de Santé et du Social, nouvelle organisation fédérée autour du bassin de Santé ou de la Conférence sanitaire de Secteur). Une telle transformation impliquerait l'existence d'une période de transition longue et susciterait des résistances politiques fortes (du fait de la "quasi-nationalisation", par une telle mise en réseau contraignante, de l'ensemble des dispositifs sanitaire, médico-social, voire social). Même si l'on ne peut écarter une telle évolution en raison de la pression constante à rationaliser tous les dispositifs qui concourent à la santé pour mieux en contenir l'inflation des dépenses, une telle transformation, dans le meilleur des cas, ne peut émerger que comme un processus lent et un aboutissement, et n'est guère plausible comme préalable. Notre expérience de terrain tend à montrer que l'articulation entre les dispositifs sanitaire, médico-social et social n'appelle pas une assemblée importante et ingérable. Leur séparation de droit et de fait ne stérilise pas, aujourd'hui, les tentatives de rapprochement en exigeant d'emblée un niveau organisationnel nouveau et spécifique. Les solutions (par ailleurs indispensables et urgentes) passent plus par un système de type "guichet unique", d'actualité pour d'autres sujets, et par la coordination des acteurs (modification de la Loi de 1975, rapprochement Santé-Justice, politique de la ville, etc.) ainsi que par l'établissement d'une planification convergente sinon conjointe entre l'État, l'Assurance Maladie et les collectivités locales. La logique de réseau, nécessaire désormais à une approche complexe (au sens d'Edgar Morin et d'Henri Atlan) des soins et de la santé doit, pour pouvoir réussir, être encouragée et accompagnée par une évolution homologue des grands acteurs institutionnels, administratifs et de planification au niveau loco-régional et certainement aussi, par une articulation au minimum transversale des administrations de l'Etat concourant à la médecine, la santé et l'action sociale. Faute de quoi, et c'est ce qu'on observe effectivement sur le terrain dans de nombreux cas, l'exigence croissante de décloisonnement des niveaux local et du patient rencontrera le cloisonnement institutionnel maintenu (exemple : les sources de financement), ce qui amoindrira nettement l'adéquation et donc
    l'efficacité des réponses.


    6. Un enjeu majeur et un levier incontournable :
    la place de l'hospitalisation temps plein par rapport au reste du dispositif
    Nous sommes bien entendu pleinement en accord avec les rapporteurs pour considérer que le processus de désintitutionnalisation reste, en France, partiellement inachevé. La réussite de son approfondissement constitue un défi majeur si l'on veut en obtenir la plus grande partie des moyens nécessaires à l'accomplissement d'un véritable virage en faveur de l'activité ambulatoire. En même temps, force est de constater qu'en zone urbaine la pression sur les lits temps plein n'a jamais été aussi forte. Les taux d'occupation augmentent et tendent à se saturer, et le nombre de primo-admissions croît d'année en année, ce qui est en rupture avec la période des années soixante jusqu'au début des années quatre vingt dix. Si rien n'est fait pour analyser et corriger ce phénomène, la pression conjointe des professionnels et des familles, parfois des usagers, suscitera et obtiendra
    la création de lits temps plein supplémentaires, ce qui augmentera d'autant la part, déjà excessive, de l'hospitalisation au sein du dispositif global et réduira proportionnellement, et peut-être définitivement, la possibilité de transférer des moyens dans la communauté. C'est pourquoi cette question est un enjeu prioritaire. Une partie du problème concerne le changement évolutif des pratiques touchant le recours à l'hospitalisation, processus influencé par la formation des acteurs et inscrit dans une temporalité longue. Il en est de même pour la demande des familles et des usagers, qui s'accroît régulièrement et ne bénéficie pas en général de réponses alternatives à l'hospitalisation. Comme n'importe quel autre malade lorsqu'il en exprime le choix, celui qui présente une souffrance psychique se trouve en général mieux hors de l'hôpital qu'à l'intérieur. Cette règle, constamment ressassée par les
    associations d'usagers, doit pouvoir s'appliquer et l'hospitalisation, toutes les fois où c'est possible, doit devenir l'exception. Le temps est venu depuis longtemps de renverser la charge de la preuve et de demander la justification d'une hospitalisation prolongée, d'un nombre de lits supérieur à la moyenne etc., de ne plus maintenir par principe des moyens proportionnels au volume de l'hospitalisation. Enfin, on remarquera (ceci est vérifié par notre pratique empirique de terrain ainsi que par l'enquête HID/DREES/ 2001) que le nombre de séjours "inadéquats" en psychiatrie, un jour donné, représente peu ou prou 25% de l'ensemble des lits temps plein occupés. Même dans une évaluation basse, cela représente près de 15 000 patients. S'ils sortaient tous dans des conditions correctes et réussies, ils libéreraient, sur la base d'une DMS d'un mois, une capacité pour 180 000 admissions annuelles. L'idée générale est qu'il doit exister suffisamment de capacité d'amont et d'aval pour réserver l'hospitalisation temps plein aux patients aigus nécessitant des soins intensifs 24h/24 d'une certaine durée, faute de quoi la saturation actuelle des lits observée en zone urbaine se maintiendra ou s'aggravera. Plutôt que de parler de moratoire des admissions ou de fermeture des hôpitaux psychiatriques, il vaudrait mieux évoquer la mise en œuvre d'une politique ambitieuse d'alternatives par l'ouverture de places. Autrement dit, le dépérissement souhaitable des hôpitaux psychiatriques, en particulier de ceux éloignés de leur zone de desserte, devrait être nécessairement précédé et accompagné de mesures fortes et durables qui contiennent les besoins en hospitalisation plein temps :
    * MESURES EN AMONT, par l'ouverture de lits de courte durée à l'hôpital général, (dans la communauté ou au sein d'une structure psychiatrique si elle est située dans sa zone de desserte), par une optique ambitieuse d'alternative à l'hospitalisation et par une politique active de l'urgence et de la crise, hospitalière comme ambulatoire, dans le but de filtrer les admissions en amont. Ceci est en accord avec les préconisations des rapporteurs (centres d'accueil intersectoriels associés à des équipes mobiles 24h/24). Ce centre d'accueil intersectoriel (CAI) doit allier la mise en œuvre de réponses intensives et de durée brève (au maximum 72 heures) et la possibilité d'une observation ou d'un traitement initial sous contrainte juridiquement simplifié (les rapporteurs préconisent l'application du rapport Strohl) afin de permettre la mise en œuvre d'une réforme adéquate de la Loi du 27 juin 1990. En même temps, le CAI est un instrument précieux pour ouvrir l'hôpital général au travail de crise et non plus au tri et à l'orientation brève et aussi favoriser l'accueil et la prise en charge davantage déstigmatisée de la psychiatrie aiguë. Pour qu'il ne soit pas qu'une zone de dégagement par les urgences des patients perturbateurs, ce centre doit être au carrefour d'un certain nombre d'interventions coordonnant les disciplines médicales par la psychiatrie de liaison, la psychiatrie ambulatoire et les urgences, et le travail social ou médico-social effectué à l'hôpital. Un cahier des charges, réglant les critères d'inclusion et d'exclusion des patients, les droits et devoirs de l'ensemble des partenaires impliqués, les questions organisationnelles, hiérarchiques, financières et budgétaires ainsi que le traitement des informations, doit être clairement établi afin que l'ensemble des interventions de la psychiatrie à l'hôpital général forme un tout cohérent, qui évite les actions en ordre dispersé. Un autre enjeu important concerne la localisation de tels centres :
    - ils peuvent être situés à l'hôpital général (bien des arguments y conduisent), mais actuellement ce dernier n'est souvent pas prêt, fonctionnellement, architecturalement et/ou "psychologiquement", d'où la nécessité d'une période de transition. Cela soulève par ailleurs la question de sélectionner exclusivement les SAU parmi ces hôpitaux d'implantation, pour limiter la dissémination de réponses très consommatrices en temps médical. Mais en même temps cette stratégie de concentration de telles réponses n'est pas sans risques (pour la sécurité par exemple).
    - la localisation peut être "au choix" mais, dans ce cas, elle privilégiera dans les faits une implantation dans les structures psychiatriques, qui accueillent déjà des patients aigus, et renforcera de nouveau la stigmatisation de la réponse au lieu de la banaliser. D'où la nécessité d'un échéancier et d'un aboutissement clairs : implantation à l'hôpital général, près des services d'urgence. Cette proposition ne doit pas être vécue comme une machine de guerre contre l'hôpital général mais comme la reconnaissance de sa place réelle, dont le caractère central témoigne davantage des dysfonctionnements de notre système de soins que de principes d'organisations cohérents. De ce même point de vue, il semble difficile de développer des organisations multiples, voire parallèles. Les interventions à domicile ne peuvent être découplées du SAMU, des centres d'accueil de 72 heures, ni dissociées des urgences ou encore des cliniques hors Centre Hospitalier général. Là encore, pour limiter une consommation excessive en temps médical, une astreinte médicale mobile multi-sites pourra être envisagée, si elle est compatible avec le niveau d'encadrement, l'activité et les distances. Reconnaître la juste place de l'hôpital au sein d'ensembles d'activités plus vastes ne doit pas conduire à sa négation. Cette intégration est indispensable si l'on veut faire prévaloir la santé communautaire, autrement dit les besoins des utilisateurs sur les intérêts seuls des professionnels et des institutions. Si l'on adopte ce point de vue très volontariste, la santé mentale, loin d'être une organisation particulière, peut, en intégrant pleinement l'hôpital général, préfigurer une nouvelle organisation des soins dont l'hôpital ne constituerait plus le pivot ni même le pilote, mais l'un des éléments.
    * MESURES EN AVAL, par l'ouverture et la prise en charge de places médico-sociales et sociales de longue durée dans la communauté, ce qui évitera au segment hospitalier de "bouchonner". On évitera ainsi le dysfonctionnement majeur qui consiste à rendre l'accès à l'hôpital difficile pour les patient aigus qui le nécessitent absolument et de façon urgente, tandis que de nombreux patients y séjournent de façon nettement moins indispensable. En même temps, on remarquera l'extrême difficulté, pour n'importe quel dispositif hospitalier, de créer ces places en les finançant intégralement et en se modernisant simultanément, de
    façon forcément très coûteuse.


    7. Renforcer le dispositif ambulatoire, mais pour faire quoi ?
    Les précautions à prendre
    L'existence d'un réseau ambulatoire fort répond à deux impérieuses nécessités. La première tient au fait que l'essentiel de l'évolution de la discipline se situe depuis une cinquantaine d'années au sein du processus de désinstitutionnalisation. Rappelons que celui-ci correspond à un gigantesque transfert de la charge du soin des professionnels et de l'hôpital vers la communauté et la famille, et qu'il doit être massivement accompagné et soutenu par les professionnels pour réussir. L'existence d'un tel réseau ambulatoire fort, accessible, fiable et prévisible, persistant et diversifié, correspond donc au cœur des besoins constamment exprimés par les usagers et leurs familles. Toutes les fois où, en France et dans les autres pays, la désinstitutionnalisation s'est réduite à une déshospitalisation, on a vu se développer le phénomène de judiciarisation des malades mentaux, de porte tournante hospitalière, d'errance des patients les plus exclus, et de maintien ou d'augmentation de la capacité hospitalière. Le virage ambulatoire réalise donc l'une des réponses aux besoins les plus importants et la condition majeure de réussite et de consolidation de la désinstitutionnalisation (dont on a vu qu'elle créait aussi les conditions propices à un transfert de ressources de l'hôpital vers la communauté). La deuxième raison, nous l'avons déjà évoquée, tient au fait que la posture ambulatoire prédominante de l'offre crée les conditions nécessaires (mais non suffisantes) d'une approche plus ouverte vers la santé mentale.
    Si l'on ne peut qu'approuver la proposition, très fortement restructurante, d'affecter plus de ressources à l'activité ambulatoire qu'à l'offre hospitalière, elle doit être vue comme un aboutissement et respecter des délais (rappelons qu'un prélèvement annuel de "simplement" 2 à 3% sur un budget hospitalier peut mettre un établissement en grande difficulté ou créer des problèmes sociaux graves). Cette répartition peut constituer un objectif-cible afin de traduire dans les faits un réel déplacement du centre de gravité de l'hospitalisation plein-temps vers le Centre Médico Psychologique, pivot et quartier général du dispositif ambulatoire. Mais une telle évolution devra s'accompagner de la promotion et de la mise en œuvre de "programmes de base" sectoriels (et supra-sectoriels), dans la communauté, identifiés, dotés et évalués, privilégiant le savoir-faire et la mobilité des professionnels. Faute de quoi l'augmentation des ressources ambulatoires se traduira par la demande et la prolifération parfois peu évaluée de nouveaux CMP-CATTP et hôpitaux de jour, la logique d'équipement prenant le pas, comme souvent, sur une logique d'objectifs ou de finalités.


    8. A propos du financement
    Il nous paraît logique que le financement nécessaire provienne en grande partie des gains de productivité hospitalière ou d'une réduction de capacité. Mais celle-ci, dans le meilleur des cas, ne pourra être obtenue qu'à terme, si les pratiques et des incitations fortes le permettent, en espérant endiguer la progression des admissions hospitalières dans les zones urbaines (plus de 50% en dix ans), en rupture avec la période des années quatre-vingt, et au prix de la création de lits et places d'amont et d'aval. Simultanément, de nombreuses structures hospitalières devront se rénover ou se délocaliser en tenant compte de la mise aux normes de plus en plus exigeantes et coûteuses. L'hôpital pourra-t-il entreprendre un tel programme et financer en même temps le quadruplement des ressources du dispositif ambulatoire ? Ne serait-il pas plus logique de revoir le financement de l'ambulatoire à partir de ressources nouvelles ou par le biais d'une avance sur investissement, en attendant la rationalisation espérée du dispositif hospitalier, dont on sait toutefois que le retour peut-être aléatoire ?
    De nombreuses réformes préconisées par le rapport, que nous approuvons, peuvent être entreprises et mises en œuvre sans changer la réglementation et l'organisation actuelles. On ne peut affirmer que le coût final (80% des dépenses sont liées au personnel) sera nettement supérieur au coût actuel du fonctionnement de la psychiatrie générale au sein du dispositif national de psychiatrie. Par contre la remise à niveau de la psychiatrie infanto-juvénile et le développement d'une véritable psychiatrie en milieu pénitentiaire nécessiteront des ressources additionnelles significatives. Dans l'idéal, on devrait arriver à transférer une partie notable du personnel hospitalier dans la communauté au profit, du travail ambulatoire. Le problème de faisabilité financière principal concernera le surcoût important de transformation-transition, qui devra être financé au préalable, soit par des ressources nouvelles, soit par une avance sur investissement. Ce surcoût s'explique par la nécessité de création par anticipation des centres d'accueil intersectoriel et des équipes mobiles ainsi que des places médico-sociales et sociales pour les "sortants" de la psychiatrie, faute de quoi aucune modernisation hospitalière ne pourra réussir et donc aucune ressource ne pourra en être dégagée de façon significative (3). Il faut y rajouter le coût simultané des rénovations institutionnelles nécessaires et des délocalisations définitives, le coût social des transferts de personnel et de la perte d'activité des sites psychiatriques restructurés, le coût de formation nettement accru pour toutes les catégories de personnel pendant une certaine durée, celui du changement dans l'équilibre des métiers dans le poids de la rémunération consécutive. Ceci implique une avance significative sur investissement dont on sait que le retour n'est jamais garanti même s'il doit être clairement contractualisé. Enfin, une telle politique devra garantir l'affectation intégrale à l'activité ambulatoire des recettes prélevées sur la partie hospitalière du dispositif.
    (3) Deux options sont possibles à cet égard : l'une consiste à respecter l'aspect régionalisé de cette modernisation hospitalière, en laissant chaque région maîtresse de la forme, du rythme, du lieu et des modalités de financement des transformations. L'autre consiste à englober les 120 CHS principalement concernés dans un vaste plan national de restructuration. Chacune des stratégies présente des avantages et des inconvénients.


    9. Des propositions organisationnelles limitées mais structurantes
    Si nous retenons, avec les rapporteurs, l'importance du débat national et de l'engagement du politique, le développement de l'influence des usagers et des familles, de la formation des acteurs, de l'évaluation et de la communication, le levier pratique principal concerne le financement préalable de la forte structuration d'amont et d'aval du dispositif hospitalier, pour en contenir le périmètre à des conditions acceptables, seule susceptible d'amorcer le transfert d'une partie notable des ressources vers l'activité ambulatoire.
    Un premier outil concerne l'articulation en réseau des administrations centrales de l'Etat au sein des Ministères de la Santé, de l'Emploi et de la Solidarité, en renforçant le développement continu des actions transversales concernées par la santé mentale. Une cellule opérationnelle consultative nationale, constituée de représentants des administrations centrales transversalisées, des administrations régionales, de professionnels et de représentants d'usagers, pourrait servir d'appui technique et stratégique aux administrations régionales. (Commission des Maladies Mentales revue et corrigée, MNASM plus comité de pilotage revue et corrigée, Comité Consultatif National de Santé Mentale revu et corrigé, etc.).
    Un autre outil concerne l'articulation en réseau des administrations régionales et départementales autour des Agences Régionales de l'Hospitalisation.
    Une cellule opérationnelle consultative régionale à visée méthodologique et de synthèse, à l'initiative et sous couvert de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation, pourrait être chargée d'aider à piloter les multiples travaux nécessaires à l'application d'un SROS désormais unifié mais identifiant, sans le spécifier comme niveau d'organisation de décision, un volet santé mentale, d'en suivre et d'en accompagner la réalisation, afin de maintenir une vision régionale.
    Une méthode générale consisterait à faciliter tous les modes de coopérations, informels et formels (SIH, GIP, synchronisation de contrats d'objectifs et de moyens, conventions...), entre tous les acteurs privés et publics, psychiatriques et non psychiatriques, individuels, institutionnels et administratifs concourant à la santé mentale, sans faire de cette, formalisation un but en soi. Une lettre régionale pourrait être régulièrement adressée à l'ensemble des professionnels concernés et aux usagers, dans un souci d'information et d'échange des expériences. Ceci permettrait de recevoir une information actualisée sur la politique suivie, les réalisations et la nature des projets en cours.
    L'évaluation de la mise en œuvre du SROS commence par celle du respect du calendrier établi et des procédures et moyens mis en œuvre à propos des objectifs poursuivis, et les mesures de l'impact escompté sur la santé de la population.
    Ce comité régional de suivi du SROS pourrait être composé de représentants des établissements de santé publics, privés et associatifs, mais aussi de la psychiatrie libérale et des usagers. Il serait le lieu de concertation pour répartir les tâches évoquées ci-dessus et analyser les raisons des éventuelles difficultés rencontrées, comme structurer les informations et les échanges avec les représentations institutionnelles nécessaires.
    Dans le cadre des bassins d'activité en santé mentale pourrait être constituée une commission consultative composée de représentants de niveaux multiples, émanation des CDSM. Dans ces commissions seraient définis les plans de travail à suivre pour appliquer toutes les dispositions du SROS. Les conditions selon lesquelles devront être menées les négociations entre des établissements de santé destinés à développer des complémentarités seraient alors proposées, après débat au sein de la commission(4).
    Un dernier outil concerne la responsabilisation et le management des acteurs. On ne peut les mobiliser qu'en s'appuyant sur leur motivation de soignants, par l'élaboration et la mise en œuvre coopérative et articulée de référentiels d'objectifs et d'actions auxquels ils contribuent, dans le cadre géo-démographique le permettant. Alors qu'il semble difficile de mobiliser les équipes autour du seul enjeu économique, le devoir de s'organiser collectivement en vue de la mise en œuvre d'un dispositif local de santé mentale se présente différemment.
    Une telle responsabilisation implique la clarté à propos des contraintes établissant le champ des possibles pour chacun des bassins d'activités de santé mentale : allocations et transferts de ressources notamment (mais formulés sous forme de nombre de postes médicaux et non-médicaux, et pas seulement de données financières), doivent être indiqués clairement pour permettre aux acteurs de "réfléchir avec", de ne pas demeurer dans l'hypothèque globale de toute nouvelle perspective ou au contraire dans l'évitement de tout engagement ou de toute participation, souhaité comme aussi prolongé que possible.
    Il peut être adressé à tous les médecins assurant une responsabilité institutionnelle de premier plan ainsi qu'aux chefs d'établissement, une lettre d'objectifs portant sur la pleine participation de chacun et sur le calendrier. On peut envisager également la constitution temporaire de binômes médico-administratifs, chargés de mission par bassins d'activités. Ces derniers, de manière évidente, devront travailler étroitement avec l'organisation de leur bassin d'activité en santé mentale.
    (4) La multiplication du nombre de commissions consultatives, souvent peu opérationnelles ou parfois même non réunies malgré les préconisations réglementaires (conseil local de secteur, CDSM), pose des problèmes de confusion et de déperdition d'énergie, et en définitive de simplification sous couvert des ARH.


    L'OMS et la santé mentale
    L'OMS exhorte à développer une politique de santé mentale fondée sur les soins dans la communauté.
    Selon l'agence Reuters, l'organisation mondiale de la santé (OMS) exhorte les gouvernements à développer une politique de santé mentale, fondée sur des soins dans la communauté, dans son rapport 2001 sur la santé dans le monde, rendu public le 4 octobre 2001.
    Le rapport, sous-titré "Nouvelles conceptions, nouveaux espoirs" souligne que des "solutions abordables" sont possibles pour améliorer la prise en charge des troubles mentaux et neurologiques.
    "Chaque pays, quelles que soient ses ressources, peut faire quelque chose pour améliorer la santé mentale de sa population. Il a simplement besoin de courage et de s'engager à prendre les mesures nécessaires", estime l'OMS.
    Les pays "doivent (...) se tourner vers les soins communautaires et intégrer la santé mentale dans les soins de santé primaires et le système général de santé", en évitant d'avoir recours aux "grands établissements spécialisés".
    L'OMS recommande une formation des médecins généralistes à la psychiatrie, soulignant que plusieurs pays en développement (Afrique du Sud, Brésil, Colombie, Iran, Inde, Pakistan, Malaisie, Nigéria) ont développé cette approche.
    Elle cite aussi, du côté des pays riches, l'exemple de l'Australie qui, en 5 ans (1993-1998) a diminué le nombre de lits en institutions psychiatriques de 42%, a augmenté de 34% le nombre de lits d'urgence dans les hôpitaux généraux et a augmenté la part des soins communautaires de 29 à 46%.
    Le rapport se montre très critique envers les soins en hôpitaux psychiatriques fermés, qui "entraînent une perte des aptitudes sociales, des contraintes et une discipline excessives, la dépendance, la dépersonnalisation et des possibilités réduites en réadaptation".
    Au final, ils "ne représentent plus la meilleure option pour les malades et leur famille" et "vont également souvent de pair avec la violation des droits de l'homme".
    L'OMS recommande une transition en douceur, avec, parallèlement à un abandon des grands établissements psychiatriques, la mise en place d'alternatives de soins communautaires.
    Ce schéma est très proche de celui préconisé pour la France par les psychiatres Eric Piel et Jean-Luc Roelandt, lui-même expert auprès de l'OMS pour la santé mentale, notent les observateurs.
     
    Trois scénarios de transition
     
    Le rapport propose 3 scénarios d'action, suivant la situation initiale du pays.
    Pour les pays pauvres ou aux ressources très limitées, tout le personnel de santé doit être formé, les médicaments essentiels doivent être disponibles dans toutes les structures de santé.
    Pour les pays aux ressources modestes, les hôpitaux psychiatriques de type carcéral doivent être fermés et les soins de santé mentale doivent être intégrés dans les soins généraux.
    Pour les pays les plus riches, la prise en charge doit être améliorée au niveau des soins primaires, l'accès aux nouveaux médicaments doit être facilité et les structures de soins communautaires avec une prise en charge à 100 % doivent être mises en place.
     
    450 millions de personnes souffrant de pathologies mentales
     
    Une personne sur quatre présente un ou plusieurs troubles mentaux ou du comportement, au cours de sa vie, dans les pays développés comme dans ceux en développement, souligne l'OMS dans son rapport.
    Environ 450 millions de personnes souffrent actuellement de ces pathologies, dont 121 millions de dépression, 70 millions de dépendance alcoolique, 50 millions d'épilepsie et 24 millions de schizophrénie. Les tentatives de suicide concernent chaque année 10 à 20 millions de personnes, dont 1 million parviennent à mettre fin à leurs jours.
    L'OMS a passé en revue la dépression, la schizophrénie, la maladie d'Alzheimer, l'épilepsie, le retard mental, les troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives (tabac, alcool, opioïdes, cannabis, hypnotiques, cocaïne, hallucinogènes, solvants volatils) et les troubles de l'enfance et de l'adolescence (dyslexie, autisme, troubles déficitaires de l'attention, troubles des conduites, troubles émotionnels).
    "Il existe des traitements mais près des deux tiers des personnes, que l'on sait souffrir d'une pathologie mentale, ne vont jamais se faire soigner auprès d'un professionnel de la santé", en raison du rejet social et de la discrimination, les deux entraînant des négligences.
    L'OMS souligne qu'un traitement adéquat permet de "vivre des vies productives", même dans le cas de maladies chroniques ou de longue durée.
    "Les rechutes peuvent disparaître pour plus de 80% des schizophrènes après un an de traitement par des neuroleptiques associés à une intervention familiale. Il est possible, de guérir jusqu'à 60% des cas de dépression en associant judicieusement les antidépresseurs et la psychothérapie. Près de 70% des épileptiques n'ont plus de crises une fois qu'ils sont traités avec des anticonvulsivants simples et peu onéreux".
    Un nombre limité de médicaments suffisent à traiter la majorité des troubles mentaux, souligne l'OMS. "De nombreuses spécialités arrivent en fin de période de protection conférée par leur brevet, ce qui offre aux pays en développement la possibilité d'accéder à des marques génériques moins coûteuses".
    Pourtant, environ 25% des pays ne disposent pas des trois médicaments les plus couramment prescrits pour traiter l'a schizophrénie, la dépression et l'épilepsie au niveau des soins de santé primaires.
    L'OMS a lancé en 2000 une cartographie des ressources pour la santé mentale dans le monde (191 pays), baptisée Atlas. Le premier recueil de données, d'octobre 2000 à mars 2001, est disponible sur 185 pays.
    Actuellement, 40% des pays n'ont pas explicitement de politique de santé mentale, 33% n'ont pas de programme, 33% n'ont pas de politique traitant spécifiquement de la drogue ou de l'alcool. Budgétairement, 33% des pays signalent ne pas avoir de poste spécifique "santé mentale" dans le budget de la santé, 33% affectent moins de 1% de leur budget public pour la santé à la santé mentale et le dernier tiers y consacre moins de 5%.
    L'OMS recommande aussi de mener des campagnes de sensibilisation sur la santé mentale, d'associer les communautés, les familles et les consommateurs à l'élaboration des politiques, d'adopter une législation au niveau national spécifique à la santé mentale, de développer les ressources humaines et de soutenir la recherche. *


    La Lettre de la Mission Nationale d'Appui à la Santé Mentale * Directeur de la publication : G. Massé * Comité de rédaction : Jean-Pierre BATARD, Directeur Adjoint EPS Maison-Blanche ; Christian BONAL, MNASM ; Martine MANDO-POULOS CLEMENTE, Directrice adjointe du CH d'Arpajon ; Mme ERMATINGER BODEN-HAUSEN, UNAFAM ; Jean FURTOS, Praticien Hospitalier ; Marcel JAEGER, Directeur de Buc-Ressources ; Alain JOURDAIN, Enseignant chercheur à l'ENSP ; Serge KANNAS, MNASM ; Raymond LEPOUTRE, MNASM ; Catherine MARTIN LE RAY, MNASM ; Jean-Claude MIE, Directeur de l'EPS de Perray-Vaucluse ; Françoise MOUGEOTTE, FNAPSY ; François MOUSSON, Infirmier général ASM 13 ; Eric PIEL, Praticien Hospitalier ; Sarah SARAGOUSSI, Chargée de mission, Hôpital Esquirol.
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