LE SERIAL KILLER SCHIZOPHRENIE
A PROPOS D'UN CAS

 

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R. RIDHA - T. BEN ABLA - G. KHIARI
Z. HACHMI - F. HAFFANI

 

INTRODUCTION

Suscitant l'effroi, la révolte, l'incompréhension mais aussi la fascination et l'intérêt, les "serial Killer" ou tueurs en série ne cessent de défrayer la chronique et d'inspirer les plus pervers des thrillers à succès.

De Jack l'éventreur à Dutroux le pédophile meurtrier belge, les criminels semblent se multiplier dans les pays développés, hanter les fantasmes et menacer la quiétude de la population occidentale.

Mais ils restent pour nous des personnages fictifs, étrangers à notre quotidien. Nous n'avons recensé en effet parmi les malades mentaux criminels hospitalisés dans le service de psychiatrie légale de l'hôpital Razi depuis sa création, qu'un seul cas de "serial killer" et il s'agit d'un cas original échappant à la description classique des grands multi-assassins telle qu'elle est rapportée dans la littérature.

PRESENTATION DU CAS

Il s'agit de Mr M.B, âgé de 42 ans, originaire de Béjà et domicilié à Jbel Lahmar, en hospitalisation d'office depuis le 7 Mars 1988 pour meurtres en série suivis d'émasculation". La reconstitution de la biographie de l'intéressé a été difficile et encore plus celle des crimes qu'il a commis.

Nous avons appris par le père du malade, par les données de l'expertise pénale pratiquée en 1986 et à travers les propos décousus du patient, qu'il est le benjamin d'une fratrie constituée de 3 garçons et 2 filles, qu'il n'a jamais été scolarisé et que depuis l'âge de 14 ans environ il avait commencé à présenter des troubles des conduites : il fuguait, "fréquentait des m milieux sordides et dévoyés où le sexe et la violence se côtoyaient".

Le patient rapporte que durant cette période de son adolescence où il vivait quasiment dans la rue, il avait été agressé sexuellement par un vieux monsieur qui aurait abusé de lui après l'avoir enivré. Les rapports sexuels se seraient par la suite répétés et toujours contre son gré. Il fait remonter à cet événement traumatisant la haine qu'il vouera plus tard à tous les vieux et son désir de vengeance.

Le patient sera hospitalisé pour la première fois à l'hôpital Razi en Décembre 1979 à l'âge de 25 ans. Les membres de sa famille avaient alors remarqué des bizarreries du comportement et une agressivité immotivée quand il lui arrivait de faire de brefs séjours chez ses parents. Nous n'avons malheureusement pas retrouvé son ancien dossier, mais nous savons qu'il a été réhospitalisé à trois reprises entre juin et juillet 1980 et qu'à chaque séjour il refusait les neuroleptiques prescrits et qu'il s'évadait.

Les passages à l'acte criminel débuteront à cette même période (Mai 1980) et se prolongeront jusqu'à Octobre 1984, date de son arrestation. Les rapports d'enquête mentionnent cinq victimes, dont l'une survivra miraculeusement à ses blessures.

Lors des deux premiers crimes commis en 1980, le patient avait utilisé une arme improvisée (une grosse pierre), avec laquelle il fracassait le crâne de ses victimes, les attaquant par surprise et s'acharnant sur elles sauvagement jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Sa technique s'est par la suite perfectionnée, et c'est avec un couteau qu'il a poignardé puis émasculé les trois autres victimes.

Il s'agissait dans tous les cas d'hommes seuls, vieux et sans défense : mendiants, clochards, gardiens de cimetière que le patient rencontrait au hasard de son errance et de ses déambulations nocturnes.

J'ai fait la connaissance de ce patient en 1996, soit douze ans après son arrestation et huit ans après son hospitalisation à l'annexe. C'est un homme assez menu, au regard fuyant, à l'air inoffensif. Il me rapporte à chaque entretien avec un certain maniérisme, des versions des faits différentes incohérentes et contradictoires.

"Il a reconnu son agresseur sexuelle en la personne d'un gardien de cimetière et la tué puis émasculé pour se verger de lui ..."

"Il n'a tué qu'un seul homme, mais si je lui montrais leur photo, il reconnaîtrait sûrement ses autres victimes, lesquelles seraient au nombre de dix ou onze..."

"En fait, à cette période, il avait des visions terrifiantes, il voyait des avions, des maisons gigantesques, des femmes immenses, se sentait dirigé par des appareils et des savants, il avait pour mission de purifier le monde..."

"A chaque fois qu'il rencontrait un vieillard dans la rue, il voyait défiler devant ses yeux des scènes obscènes de sodomisation, de violence sexuelle où il était la victime impuissante de cet homme sadique et pervers. Des voix intérieures le poussaient alors à tuer et il passait à l'acte de manière impulsive...".

Aujourd'hui il n'est plus sûr de rien, il ne sait même plus s'il a réellement été victime de viol dans son adolescence, "Cela me dit-il a dû m'être suggéré au cours de l'enquête de police". Quant au père du patient, il ne nous a pas été d'un grand secours, nous confondant avec les autorités judiciaires et réclamant sans cesse la sortie de son fils.

Il banalisait voire occultait certains faits, nous décrivant ce dernier comme un "ange" qui ne ferait pas de mal à une mouche, puis se sentant plus en confiance, il nous avoue que c'est lui qui a caché l'arme du crime mais uniquement par peur que son fils s'en serve contre quelqu'un.

DISCUSSION

L'analyse criminologique de notre cas est intéressante, elle montre en effet que ces passage à l'acte meurtrier se rapprochent des crimes commis par les schizophrènes tout en se distinguant par certains aspects, de même qu'ils ressemblent aux meurtres des "Serial Killer" pervers multi-assasins mais sans leur être là aussi tout à fait semblable.

A - Les critères classique de l'acte meurtrier du malade mental schizophrène :

1 - Présence de signes d'aliénation antérieure au crime

2 - L'acte meurtrier est souvent contemporain de la période d'état

3 - Il est en relation avec le délire et se déroule généralement dans un contexte hallucinatoire

4 - Il survient de façon impulsive et incoercible

5 - Le crime est souvent immotivé, bizarre, étrange et inexplicable

6 - La victime fait partie de l'entourage immédiat du patient, il s'agit le plus souvent de l'un des parents

7 - Le crime s'effectue avec une arme improvisée sans préparation et sans complices

8 - Une indifférence totale lui succède

9 - En cas de meurtre de plusieurs personnes, il s'agit plutôt d'un meurtre collectif, le malade tuant par exemple à l 'aide d'une arme à feu plusieurs victimes à la fois, il fonctionne en "Mass murderer" et non en "Serial Killer".

B - Le "Serial killer" organisé

1 - C'est un pervers sexuel dangereux, pédophile, meurtrier en série

2 - Ses crimes sont toujours sous-tendus par une volonté de nuisance, une recherche du plaisir dans l'exécution du mal, plutôt que dans les conséquences réelles de l'acte

3 - Il s'agit d'un individu entraîné, adroit, quasiment imprenable. Il se caractérise par une intelligence élevée, une bonne insertion sociale et une vie sexuelle apparemment normale

4 - La victime, généralement inconnue mais choisie, est torturée avec le meurtre, les conduite sadiques sont souvent associées dans leur expression criminelle : viol suivi de meurtre, d'incendie volontaire, meurtre avec mutilation sexuelle

5 - Le cadavre de la victime est caché après le crime et le meurtrier s'intéresse au déroulement de l'enquête

6 - sa carrière criminelle est longue.

C - Le "Serial killer" inorganisé :

Notre patient correspond plutôt au "Serial killer" inorganisé décrit par Ressler et dont le profil psychologique est marqué par :

1 - Une intelligence médiocre

2 - Une marginalité sociale et une vie solitaire

3 - Une incompétence sexuelle

4 - Son meurtre est effectué de façon impulsive sans dialogue préalable avec la victime et en l'absence de torture préliminaire

5 - Les actes de barbarie sont effectués en post-mortem et le corps est abandonné sur place, sans camouflage et sans intérêt pour le déroulement de l'enquête

6 - Sa carrière criminelle est brève.

CONCLUSION

Nous terminerons sur une hypothèse psychopathologique qui pourrait nous éclairer sur le sens des passages à l'acte meurtrier de notre patient et le différencier de celui qui sous-tend le crime du pervers.

Si la reproduction du crime correspond chez le pervers "Serial killer" à une répétition du plaisir, elle correspondrait chez notre malade à la répétition du meurtre d'un père dont l'image est construite autour d'une figure imaginaire de tyran obscène menaçant son fils de mort et d'émasculation, image insaisissable et remplaçable à l'infini.

 

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