Les facteurs de risque dans les tentatives de suicide
chez les malades mentaux

 

S. Benzineb, G. Khiari, Z. Hachmi

 

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Introduction

Les tentatives de suicide ( TS ) restent le plus grand souci du psychiatre dans la prise en charge quotidienne des malades, du fait de la gravité potentielle de ce geste, dont la fréquence dans la population psychiatrique est de 10%.

Cíest également un grand problème de Santé Publique ( ex : 11.000 décès/an en France, plusieurs dizaines de milliers díhospitalisation après TS ).

ï Grand intérêt des chercheurs pour les comportements suicidaires

ï Abondance des théories pour expliquer le "meurtre de soi"

ï Nombreuses Enquêtes-pilotes

Cependant, dans de nombreuses études, il y a un problème díéchantillonnage car elles níintéressent que des populations hospitalières et ignorent toutes les TS níayant pas motivé díhospitalisation sous-estimation de la prévalence réelle.

Líeffort des épidémiologistes pour mieux connaître le suicide, tenté ou accompli, est destiné à aider líaction de Santé Publique dans la prévention des TS, et surtout des récidives de TS.

Méthodologie

Etude rétrospective de la fréquence des conduites suicidaires dans deux sous-populations de malades mentaux hospitalisés entre le 1-1-94 et le 31-12-95 pour :

ï troubles de líadaptation quel quíen soit le type ( diagnostic DSM-III,R )

ï troubles de líhumeurë

Recueil de données socio-démographiques, cliniques et concernant líhospitalisation, puis saisie sur une base de données. Comparaison de la répartition de ces données à líintérieur de chaque sous-population entre le groupe des suicidants et celui des non-suicidants. Vérification de la significativité des résultats par le test classique du Khi-deux et les analyses de variance.

 

Résultats

884 malades ont été hospitalisés durant la période étudiée. Parmi eux, 108 (12,2%) ont fait une ou plusieurs TS, 73 (82,9%) níont pas díantécédent de TS, et pour les 43 autres (4,9%) cette donnée nía pu être précisée. (Fig1)

Les deux pathologies le plus nettement impliquées dans les conduites suicidaires sont les troubles de líadaptation et les troubles de líhumeur.(Fig2)

 

Les troubles de líadaptation :

La comparaison au sein de cette population des données socio-démographiques nía montré aucune différence statistiquement significative.

Données de líhospitalisation :

les modalités de líhospitalisation : elle síest faite à 20,4% à la demande du patient dans le groupe des suicidants (Fig3)

le nombre des hospitalisations à Razi au cours des 12 derniers mois était de même plus élevé ( 1.7 en moyenne contre 0.9 - p=0.003)

 

Données cliniques :

Les antécédents :

16.7% des suicidants rapportaient dans leur histoire familiale un antécédent de suicide ou de conduite suicidaire, ce qui était significativement plus fréquent par rapport au groupe témoin. (Fig4)

Le diagnostic :

Axe I : Nous avons relevé une fréquence accrue de signes dépressifs et de perturbations mixtes des émotions et des conduites, bien que cette différence ne soit pas statistiquement significative.(Fig5)

Axe II : En cas díATCD de TS, le diagnostic porté sur líaxe II est moins souvent " différé " (25% contre 45%) et plus volontiers de type Histrionique (34.3% contre 23.3% - p=0.002)

Axe IV : Le degré de stress ne varie pas significativement selon quíil y a eu ou non TS (en moyenne 2.8 contre 2.6)

AxeV: EGF - NS

 

Les troubles de líhumeur :

La comparaison au sein de cette population des données socio-démographiques nía montré aucune différence statistiquement significative.

Données de líhospitalisation :

les modalités de líhospitalisation : elle síest faite à 21% à la demande du patient dans le groupe des suicidants - NS (Fig6)

le nombre des hospitalisations à Razi au cours des 12 derniers mois était plus élevé en cas díatcd de TS( 1.4 en moyenne contre 0.9 - p=0.004)

Données cliniques :

Les antécédents :

7.3% des suicidants rapportaient dans leur histoire familiale un exemple de suicide ou de conduite suicidaire contre 5.4%, ce qui níétait pas significativement différent.

Le diagnostic :

Axe I : La répartition différait de manière très significative (p<0.0001) avec une fréquence accrue chez les suicidants de troubles bipolaires dépressifs ou NSp, díépisodes isolés de dépression majeure. (Fig7)

Axe II : La différence observée était également significative (p=0.002) avec plus de personnalités pathologiques de type Histrionique et Obsessionnel-Compulsif.

Axe IV : Le degré de stress varie significativement selon quíil y a eu ou non TS (en moyenne 2.3 contre 1.8 - p=0.02)

AxeV: EGF - NS

Discussion

ï Taux de TS dans la population générale [littérature] :

ñ 1,7 % pour les hommes

ñ 3,1 % pour les femmes

ï Incidence annuelle des TS dans la population générale [litt.] :

ñ 2 % pour les hommes

ñ 3 % pour les femmes

ï Taux de TS dans la population des malades mentaux [litt.] : 10 %

A noter que, toujours selon les données de la littérature, 40 à 80 % des TS entrent dans le cadre díune pathologie psychiatrique

Le chiffre de 12,2 % de suicidants parmi líensemble de notre population psychiatrique est compatible avec le chiffre sus-cité.

ï LES DONNEES SOCIO-DEMOGRAPHIQUES :

Il est reconnu que les facteurs sociaux défavorisants (isolement social, célibat, chômage... ) constituent des facteurs de risque suicidaire pour la population générale.

Les différences entre les groupes de suicidants et de non-suicidants dans nos deux sous-populations ne sont pas significatives concernant ces données. Ceci peut être dû au fait que les mauvaises conditions socio-économiques sont plus un facteur de risque dépressif que suicidaire.

ï LES DONNEES DE LíHOSPITALISATION :

Dans notre étude, et dans les deux sous-populations, líhospitalisation se fait le plus souvent à la demande du patient lui-même quand celui-ci a des ATCD de TS. Ceci trouve probablement son explication dans le fait que ces patients sont marqués par cette mauvaise expérience et redoutent de recourir à nouveau à cette extrémité.

Concernant le nombre des hospitalisations au cours des 12 derniers mois, il síest avéré plus élevé dans le groupe des suicidants et ce, dans les deux sous-populations. Ceci peut être la conséquence de la gravité relative des formes cliniques aboutissant à des TS, nécessitant de ce fait des hospitalisations itératives.

ï LES DONNEES CLINIQUES :

Contrairement à ce quíon aurait pu attendre, nous avons trouvé beaucoup plus díATCD familiaux de TS chez les suicidants de la sous-population des troubles de líadaptation par rapport à celle des troubles de líhumeur.

En ce qui concerne le diagnostic, il était attendu de compter le plus de patients suicidants parmi ceux dont le tableau clinique comportait le plus díéléments dépressifs.

Conclusion

Le but de ce genre díenquêtes est essentiellement préventif. Dans ce cadre, que pouvons-nous retenir de cette étude ?

Le fait quíun patient ait été hospitalisé plus díune fois au cours des 12 derniers mois doit imposer une surveillance rigoureuse.

Enfin, il est fondamental díaccorder líimportance et le crédit nécessaires à toute plainte accompagnée díune demande díhospitalisation émanant de patients présentant des troubles de líhumeur ou de líadaptation et ayant des antécédents de tentative de suicide.

Références :

Davidson F., Philippe A. Suicide et tentative de suicide aujourdíhui. Etude épidémiologique. DOIN. Ed Inserm, 1986.

Douki S., Moussaoui D., Kacha F. Manuel de psychiatrie du praticien maghrébin. Ed Masson, 1987.

Diekstra R.F., Gulbinat W. The epidemiology of suicidal behaviour : a review of three continents. World Heath Stat. Q. 1993, 46(1), p 52-68.

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