JOURNAL TUNISIEN DE PSYCHIATRIE Janvier 1998 Volume 1, Numéro 2 |
LE PROFIL EPIDEMIOLOGIQUE ET CLINIQUE
DE LA TOXICOMANIE AUX OPIACES
TRABELSI I, DALI G,
ABASSI O, ZGHAL A, LABBANE R
Abstract:
This is a preliminary study about 30 opiate substances addictive patients, hospitalised, within the last five years, in the "psychiatry C" service on the RAZI HOSPITAL in Tunis.
Our proposal was to define the epidemiological and clinical features of these patients.
It appears, that the most common profile is a man aged of 29 years, unmarried with an anti-social personality, having begun his opiate substances addictive behaviour after the age of 19 years, consuming more, than one kind of drugs, his first product was marijuana or heroine.
Résumé:
Il s'agit d'une étude rétrospective, sur une durée de 5 ans de 1993 à 1997, portant sur 30 patients toxicomanes aux opiacés hospitalisés au service de psychiatrie C à l'hôpital RAZI de Tunis.
Nous- nous proposons de définir un profil épidémiologique et clinique type de ses patients, ceci n'étant qu'une pré-enquête rentrant dans le cadre d'une thèse de médecine.
Le profil type semble être un homme âgé de 29 ans, célibataire, de personnalité antisociale, de niveau scolaire primaire, poly-intoxiqué, son premier produit était de l'héroïne ou du cannabis, ayant commencé à consommer des opiacés après l'âge de 19 ans, à l'étranger le plus souvent, ayant séjourné au moins une fois en prison et pensant pouvoir arrêter seul.
*I/ INTRODUCTION :
La toxicomanie aux opiacés níest pas un fait nouveaux, elle existe depuis des millénaires.
Elle síavère, de plus en plus, ne pas être une maladie univoque mais un grave trouble des conduites qui ouvre sur une variété infinie de troubles de la personnalité, de difficultés existentielles et de maladies mentales caractérisées.
La toxicomanie aux opiacés est une toxicomanie complète et des plus graves, elle pose de lourds problèmes sociaux, médicaux, économiques, légaux et psychologiques.
Rado, élève de Freud, résumait sa pensée par une phrase pathétique et lapidaire : " le drogué ne souffre pas de son mal il en jouit ".
II/ HISTORIQUE :
La culture du pavot remonte à la plus haute des antiquités ; Les sumérien, ancêtres des Irakiens, connaissaient déjà líopium sous le nom de HULL signifiant joie et ce níest quíen lían 1000 que líopium apparaît en Chine.
Dés le moyen âge, líopium est mentionné dans toutes les pharmacopées du Maghreb, líutilisation des opiacés, cependant, níavait pas de caractère de transgression ni de potentiel destructeur et ce níest quíau 19éme siècle quíun usage irréfléchi apparaît en tant que phénomène.
Cíest toujours au 19éme siècle que les principaux alcaloïdes sont extraits des plantes médicinales traditionnelles corrélativement à líaccélération des progrès en matière de chimie organique.
Líinvention de la seringue hypodermique, en líannée 1840, va révolutionner les méthodes et les voies díadministration de ces substances permettant, en 1853, à Alexandre Wood ( médecin anglais ) de pratiquer, la première fois, une injection de Chlorhydrate de Morphine ; celle-ci sera díune grande utilité dans les hôpitaux lors des guerres tant pour ses effets antalgiques que pour lutter contre la dépression des soldats.
Séduisante, aussi bien pour les soignés que pou les soignants, son usage abusif va síétendre au corps social.
Ainsi au début du siècle, seul les abus étaient désapprouvés, et líusage des drogues opiacés faisait partie díun monde romantique et était source díinspiration et de créativité, il síagissait alors de L ëopium par la bouche.
Líusage de la seringue va faire le lit díune autre forme de toxicomanie aux opiacés, et cíest dés líannée 1870, que les constatations díutilisation pathologique feront leur apparition dans les écrits médicaux.
Enfin cíest en 1885 quíapparaît le terme de TOXICOMANIE AUX OPIACES.
III/ CLASSIFICATION
Les opiacés sont regroupés en :
Alcaloïdes de líopium.
Morphinomimetiques de synthèse.
Antagonistes morphiniques.
Líopium est un exsudat sec obtenu par incision de la capsule du pavot, contenant une vingtaine díalcaloïdes appartenant à deux grands groupes chimiques :
Les dérivés du PHENANTRENE ( tel que la Morphine* , Héroïne* , Codéine* )
Les dérivés de LíISOQUINOLEINE : qui sont non toxicomanogènes.
On distingue trois familles de Morphinomimetiques de synthèse :
Les dérivés de la PIPERIDINE : ( tel que le Dolosal* , le Phentanyl* et le Palfium* ).
Les dérivés du DYPHENYLMETHANE : ( tel que LíAntalvic* et la Méthadone* ).
Les dérivés du MORPHINANE.
IV/ MODE DíACTION :
Les opiacés se fixent sur des récepteurs stéréospécifiques du cerveau et de différents organes ( surtout le tube digestif )
Ces sites sont nombreux dans le système Limbique, Le Thalamus, LíHypothalamus, le Striatum et les Voies de la douleur.
En 1973, trois types de récepteurs ont été distingués, à savoir mu, kappa et sigma.
Les récepteurs mu, sont les récepteurs de la morphine, et leur stimulation reproduit les effets de celle-ci.
Les récepteurs kappa sont responsables des effets sédatifs et analgésiques.
Les récepteurs sigma sont responsables díune activité psychodysleptique, dépressive respiratoire et vasomotrice.
En outre des substances endogènes ou endomorphines ( Enképhalines, Endorphines ) ont été mises en évidence, et dont la fixation sur des récepteurs spécifiques reproduit des effets similaires à ceux des morphiniques.
V/ LES EFFETS PHARMACOLOGIQUES
Les drogues toxicomanogènes possèdent 5 propriétés principales, elles induisent :
Le Plaisir.
Une Tolérance.
Un Syndrome de Manque.
Une Neuro-psycho-toxicité.
Un renforcement ( lié à la mémoire inscrite par la drogue dans le cerveau )
Sur le système nerveux central : elles sont responsables díune euphorie passagère puis díune sensation de bien-être.
Sur le système nerveux autonome : elles entraînent des manifestations parasympathiques.
Sur le système respiratoire : elles induisent une bradypnée avec risque díapnée.
Sur le cúur elles sont responsables díune bradycardie et de troubles du rythme.
Sur líúil elles induisent un myosis díorigine centrale.
Sur le système digestif elles entraînent des vomissements et une constipation ( à long terme ).
LES ACCIDENTS DE SURDOSAGE se caractérisent par un coma, un myosis et une bradypnée.
LE SYDROME DE MANQUE ( survenant 8 à 12 heures après la dernière prise ) se caractérise par une mydriase, une rhinorrhée, une sudation, une piloéréction, des troubles digestifs, une hyperthermie, des tremblements etc.
VI/ MATERIEL ET METHODE
Il síagit díune étude rétrospective portant sur 30 patients, hospitalisés au service de psychiatrie C et le service de psychiatrie légale, sur une durée de 5 ans ( de 93 à 97 ).
Elle est basée sur un questionnaire, comprenant 42 items, rempli par le médecin traitant, et détaillé comme suit :
4 items sur líidentification du patient.
5 sur sa situation familiale.
5 sur sa situation socioprofessionnelle.
13 sur líaspect clinique de la toxicomanie
4 sur les complications médico-chirurgicales.
6 sur les motifs et modalités díhospitalisation.
3 sur les aspects médico-légaux.
2 sur les antécédents personnels et familiaux.
1 sur les conduites addictives autres.
Ceci níétant quíune pré-enquête rentrant dans le cadre díune thèse, nous níavons pas pris de groupes témoins.
VII/ LES RESULTATS :
1/ le profil épidémiologique :
La moyenne díâge des patients est de 29,6 ans.
Il síagit díun homme dans 96,7 % des cas, qui nía pas terminé ses études primaires dans 56 % des cas ( ayant suivi des études supérieures dans 14 % des cas.), célibataire dans 86,7 % des cas.
La moitié des patients ont exercé, au moins, une profession à un moment ou líautre de leur vie, mais plus de 80 % díentre eux ne percevaient plus un salaire au moment de leur hospitalisation.
39,6% de nos patients ont fait, au moins, un séjour en prison.
85 % díentre eux sont tabagiques, 72 % boivent de líalcool et 69 % consomment les deux à la fois.
2/ les modalités de líhospitalisation
Líhospitalisation était sous le mode libre dans plus de 76 % des cas, par le biais des urgences dans plus de 80 % des fois.
Dans 33,3 % des cas le motif d'admission était un état de manque, dans 26,4 % il s'agissait d'une hétéroagressivité avec dangerosité.
Il est à noter qu'il n'y a eu que 6,6 % de demande de sevrage, et que seulement 6,6 % ont été hospitalisé sous le mode d'office.
Le séjour à l'hôpital n'a pas dépassé les 12 jours dans plus de 70 % des cas; 46 % de ces patients n'ont pas bénéficié d'examens complémentaires, bénéficiant: d'un examen HIV seulement dans 40 % des cas, d'une sérologie pour l'hépatite dans 27 % des cas et d'un EEG dans 12 % des cas.
3/ les modalités de la toxicomanie:
L'âge du début de la toxicomanie est supérieur à 19 ans dans plus de 68 % des cas, avec une ancienneté supérieure à 3 ans avant la première admission.
L'effet recherché était l'euphorie dans plus de 66 % des situations, antidépresseur dans 22 % des cas.
73 % des patients pensaient pouvoir arrêter seules, 43 % n'ont jamais essayé de se sevrer, 30 % ont tenté une fois alors que 27 % ont fait plusieurs tentatives.
Le sevrage a eu lieu dans 66 % des cas à l'hôpital, et dans 34 % en ambulatoire.
* le pays de début de la toxicomanie aux opiacés:
* Polytoxicomanie:
Il s'agit d'une polytoxicomanie dans 66 % des cas, les associations sont multiples, les plus fréquentes étants : Héroïne-Hachisch (14 %), Héroïne-Artane (10 %), Héroïne-Cocaïne (8 %), etc. 30 % des patients consomment de l'héroïne seule.
* le premier produit:
Il s'agissait de l'haschich dans 40 % des cas, de l'héroïne dans 38 % des cas, autres dans 22 % des cas ( artane, cocaïne, colleÖ)
* le produit opiacé:
il s'agit de l'héroïne dans 93,3 % des cas, du palfium* et du dolosal *dans 3,3 % des cas et de l'efféralgan codeiné* dans 3,3 % des cas.
* le mode de prise:
40 % des patients ont seulement sniffé de l'héroïne, 23 % l'ont seulement utilisé en IV alors que 29 % ont essayé les deux voies et 8 % ont utilisé la voie orale (surtout pour les médicaments).
* le mode de procuration:
* les posologies:
la dose moyenne est de 2,5 grammes par jour d'héroïne, avec comme dose maximale 6 grammes par jour.
* les complications aiguës:
un seul cas de surdosage a été enregistré ( 3,3 % des cas).
* les complications chroniques:
7 % des patients ont été atteint d'une infection par le SIDA, 7 % présentaient des troubles sexuels et 4 % ont développé une pharmaco-psychose.
4/ la classification par le DSM IV
Sur l'Axe I: on a enregistré:
* 73 % de dépendance aux opiacés (dont 15 % avec troubles psychotiques induits, et 6 % avec troubles bipolaires).
* 21 % d'abus (dont 12 % avec schizophrénie paranoïde, et 6 % avec troubles psychotiques induits).
* 6 % de troubles psychotiques induits par le SIDA.
Sur l'Axe II: on enregistre le caractère: personnalité antisociale dans 43 % des cas, personnalité schizoïde dans 16 % des cas et de type borderline dans 6 % des cas.
VII/ COMMENTAIRES ET CONCLUSION:
Le profil type est: un homme de 29 ans n'ayant pas terminé ses études primaires, célibataire, ayant effectué, au moins, un séjour à l'étranger (Italie), ayant commencer à se droguer après l'âge de 19 ans avec une toxicomanie ancienne de plus de 3 ans, son premier produit ayant été soit de l'haschich soit de l'héroïne, poly-intoxiqué ( héroïne, haschich, cocaïneÖ), sniffant et s'injectant de l'héroïne, le trait antisociale est prédominant avec au moins un séjour en prison, pensant pouvoir arrêter seul et ayant déjà subi au moins une tentative de sevrage surtout en milieu hospitalier.
Il apparaît donc, l'originalité du toxicomane aux opiacés, dans sa recherche insatiable de nouvelles expériences, ses posologies parfois massives (6g), et sa polyintoxication.
Il apparaît aussi l'utilité et surtout la nécessité d'une prise en charge spécifique, bien codifiée et multidisciplinaire, surtout que 60 % des patients sont perdus de vue après leur séjour à l'hôpital.