Sous l'égide de l'IPA (2000) : Une revue ouverte des études de résultat en psychanalyse

Rapport préparé par le comité recherche de l'IPA à la demande du Président

Translated from the original English language version with permission of the International Psychoanalytical Association. For details of how to purchase the printed, English language edition of An Open Door Review of Outcome Studies in Psychoanalysis please visit the IPA’s website http://www.ipa.org.uk or email: Publications@ipa.org.uk"

Traduit à partir de la version originale en langue anglaise avec l'autorisation de l'Association Internationale de Psychanalyse. Pour obtenir des détails sur les modalités d'achat de l'édition en langue anglaise de "An Open Door Review of Outcome Studies in Psychoanalysis" veuillez visiter le site Internet de l'API http://www.ipa.org.uk ou adresser un email à : Publications@ipa.org.uk

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2ème partie : arrière plan épistémologique et méthodologique

Section A : réflexions sur les problèmes de recherche psychanalytique - le point de vue francophone

Cette partie, écrite par Roger Perron, a été publiée en français dans le Bulletin de la Société psychanalytique de Paris, n° 50, juillet-Août 1998, p 39-51.

Dans un rappel de l’état de la question au sein de l’A.P.I., qui a lancé un grand chantier avec l’objectif de réunir « une réponse organisée, cohérente et crédible aux affirmations fréquentes selon lesquelles il n’y a pas de preuves de l’efficacité de la psychanalyse ou des thérapies d’orientation psychanalytique », l’auteur fait part de ses réserves sur la conception de la recherche qui prévaut dans ce mouvement (méthodologie et théorie). La psychanalyse française est partagée depuis ses débuts sur deux notions de “l’efficacité“ et à partir de là sur deux courants. Le premier s’appuie sur la tradition médicale dont le but essentiel est de soigner des troubles psychiques (des maladies ?) ; le second (dans un contexte plus “humaniste“) vise à favoriser un meilleur développement personnel. Le mouvement « recherche » de l’A.P.I. est engagé dans une voie qui suppose une “scientificité“ parfois bien naïve quand aux vues théoriques (sur le processus de la cure par exemple), à la méthodologie (procédures quantitatives) et à la pratique (enregistrements de séances d’analyse).

Le texte développe les réflexions sur les problèmes de la recherche en psychanalyse où, parmi les éléments présentés, on trouve :

- La distinction de deux grands types de recherches : celles où prévaut l’attitude clinique, et celles qui utilisent des procédures d’objectivation et de systématisation formelle ;

- La recherche clinique, selon le modèle traditionnel en médecine, est centrée sur le cas individuel : on s’efforce de comprendre la spécificité du fonctionnement global de l’individu en cause ;

- C’est de la démarche clinique qu’ont été jusqu’ici issus tous les grands modèles théoriques proposés par Freud ; et c’est sur la base de la clinique que se sont développées les controverses suscitées par ces modèles ;

- L’histoire des théories se fait en général au niveau politique bien plus que sur des critères « scientifiques » dont nous ne disposons pas ;

- Les démarches d’objectivation et de systématisation sont inapplicables au matériel et au processus de la cure : toute procédure qui tente de les y introduire a pour résultat de « tuer » son objet même. La psychanalyse porte sur des "faits psychanalytiques". C’est la théorie qui prime dans la constitution et la construction des faits psychanalytiques ;

- Pour la cure classique, seule est utilisable la démarche clinique.

- Les mêmes objections sont avancées dans le cas des psychothérapies psychanalytiques, mais de façon plus nuancée (caractère parcellisant de la démarche objective, limitation du traitement statistique, ”juges” dont l’objectivité risque de n’être qu’apparente) ;

- Des études sur l’intervention du psychanalyste dans d’autre démarches thérapeutiques peuvent être envisagées. Elles peuvent concerner l’étude comparative des techniques thérapeutiques et éducatives effectivement utilisées, l’étude du déroulement de ces actions et l’évaluation de leur issue. Les difficultés portent sur : les critères de changement (qui ne doivent pas se limiter aux symptômes, le choix du ou des “juges“, avec la prise en compte d’une possible aggravation en dehors du traitement). Les études peuvent aussi porter sur l’histoire de la psychanalyse, le fonctionnement des institutions ;

En définitive, le texte initialement très négatif par rapport à la démarche de recherche réserve ce jugement à la cure psychanalytique classique et suggère même l’institution de Commissions recherche au niveau des régions et des sociétés elle-mêmes. Il s’agirait également de mettre en place un groupe de travail chargé d’élaborer les vues, les assises théoriques et épistémologiques, les objectifs de recherche, les méthodes, les implications pour la pratique ...

Section B : Réflexions sur les problèmes de recherche psychanalytique - une perspective anglo-saxonne.

(P. Fonagy : traduction Jean-Michel Thurin et Michael Villamaux ©)

Avant-propos

En contraste avec la contribution francophone, cette perspective alternative, rédigée par Peter Fonagy, n’est pas présentée sur la base d’un échantillon significatif de vues de collègues psychanalystes dans les pays anglophones. Cela ne tient pas à un manque d’opportunité et ne reflète certainement pas une absence de concertation. Plutôt, la raison pour laquelle les perspectives présentées ici sont seulement celles de l’auteur tient à ce qu’actuellement le message radical concernant la psychanalyse proposé est clairement seulement tenu par une petite minorité de psychanalystes, ou en tout cas c’est ce que croit l’auteur courant (Schachter & Luborsky, 1998). Il n’est pas impossible qu’il y ait du changement dans l’air. Les nouvelles générations de psychanalystes qui ont reçu leur éducation professionnelle depuis la révolution des sciences biologiques et cognitives dans les années 1970 et 1980 sont probablement plus enclins à éclairer les principes généraux et les compréhensions spécifiques que ces disciplines avançant rapidement ont apporté avec elles. Tristement, comme pour Freud, pour beaucoup des psychanalystes formés initialement dans les années 50 et 60, il n n’y avait pas de véritable corps de connaissance traitant réellement les problèmes de fonctionnement mental - autre que la psychanalyse.

La situation dans laquelle la psychanalyse a à exister aujourd’hui a radicalement changé des conditions qui prévalaient il y a 30 ou 40 ans. Il y a deux aspects majeurs de ce changement : (a) il y a eu des avancées majeures dans les sciences fondamentales sous-tendant le travail clinique dans le champ de la santé mentale ; (b) il y a eu un rapide développement d’approches relativement « efficaces » dans le traitement de beaucoup des troubles mentaux qui auparavant étaient le domaine unique des psychanalystes cliniciens. Derrière la première catégorie, on pourrait discerner la révolution biologique, particulièrement notre compréhension accrue de la fonction cérébrale et derrière la seconde la révolution cognitive en psychologie.

Ce résumé est divisé en trois parties. La première examinera les problèmes épistémologiques courants de la psychanalyse incluant quelques indications préoccupantes d’une fragmentation dans notre discipline. La seconde considèrera une approche épistémologique alternative, qui, si elle est adoptée, pourrait finalement changer radicalement le statut de la psychanalyse comme discipline. La troisième partie considèrera quelques uns des problèmes philosophiques et des difficultés qui entravent des études d’efficacité de la psychanalyse. Nous conclurons que les études d’efficacité sont nécessaires - mais elles constituent la bonne réponse à une mauvaise question et de la sorte elles ne donneront pas entièrement des résultats satisfaisants.

Les problèmes épistémologiques courants de la psychanalyse.
Crise ! Quelle crise ?

Nous sommes devenus presque habitués à nous soucier à propos du futur de la psychanalyse. Pour la plupart, quand nous nous interrogeons à propos du futur de notre discipline, nous avons tendance à nous focaliser sur le manque de patients, le manque de candidats psychanalystes appropriés, les critiques persistantes et de mieux en mieux reçues concernant la théorie et la pratique psychanalytiques, et le renforcement d’approches thérapeutiques alternatives (particulièrement la psychiatrie biologique et la thérapie cognitivo-comportementale). Plus inquiétante encore est peut-être l’éclosion d’approches psychothérapiques d’orientation plus ou moins psychanalytique, qui envahissent insidieusement notre pratique. Ce sur quoi j’aimerais insister est bien pire que chacun de ces éléments, et peut même être responsable de quelques uns de nos autres problèmes - la base de connaissance de la psychanalyse.

La fragmentation de la base de connaissance psychanalytique

L’étude de l’Index de Citation

Mes collègues et moi avons examiné le Social Science Citation Index (Fonagy, 1996). Nous étions curieux d’explorer selon quelle fréquence l’article moyen de l’International Journal of Psychoanalysis et le Journal de l’Association Psychanalytique Américaine étaient cités dans d’autres journaux majeurs (médicaux ou non-médicaux). D’un bout à l’autre, les nombres de citation sont en déclin, même en prenant en compte la tendance pour les articles les plus récents d’être cités moins fréquemment à travers l’index de citation en entier. Cela signifie que l’ipact scientifique de la psychanalyse de la psychanalyse sur les autres disciplines est peut être sur le déclin. Cette tendance est même plus claire quand nous regardons le nombre de citations attendu de tous les articles sélectionnés de la première partie de l’International Journal durant la dernière décade. A quoi est dû ce manque apparent d’intérêt ? Est-ce que les non-analystes (ceux qui publient dans des journaux psychiatriques ou littéraires) sont moins intéressés par ce que nous écrivons ? Quand nous avons examiné ces journaux, la tendance indiquant un intérêt décroissant a disparu. Certes les taux de base ne sont pas très élevés mais ils ont pratiquement toujours été les mêmes. Les résultats surprenant ont surgi quand nous avons examiné le nombre de fois qu’un article paru dans l’International Journal pouvait être cité dans des journaux psychanalytiques. Il semble que c’est là que se situe le déclin d’intérêt pour la psychanalyse. Pour les autres psychanalystes !

Qu’est-ce que cela implique ? Si ces observations doivent être crues, l’implication claire est que nous ne tenons plus suffisamment compte des publications des autres pour vouloir les référer dans nos publications. Nous ne sommes plus en train d’accumuler de la connaissance - mais plutôt (pour exagérer quelque peu ce point) nous développons la discipline dans nos propres directions, qui s’appuient sans aucun doute sur les classiques, mais de façon de plus en plus large et croissante, en ignorant les contributions contemporaines.

Il y a des tendances statistiques et je suis sur qu’elles pourraient être interprétées de différentes façons. Il est probable que la psychanalyse n’est pas la seule discipline manifestant cette tendance et que, au moment où nous avons précisé nos interprétations sur le fait que des articles récents semblaient être moins souvent cités, il ait pu exister certaines disciplines incluant la psychanalyse qui aient été caractérisées par la même tendance. Il est possible que le déclin soit spécifique à l’IJPA et au JAPA et qu’il soit en fait un artefact de l’émergence et de l’influence croissante de nouveaux journaux durant la période pendant laquelle l’étude a eu lieu. Dans ce cas, la tendance au déclin exprimerait essentiellement le déclin du marché des « journaux classiques ». Cependant, la réduction absolue en citations reste une observation importante, même si elle suggère qu’une cause de la fragmentation peut être la grande multiplication de canaux de communication. Par contraste, cela peut être que ce phénomène est spécifique des journaux de langue anglaise et qu’un effet similaire ne pourrait être démontré dans la littérature espagnole, française ou allemande. De façon plus contrariante, cela pourrait être que les articles récents sont véritablement de moins bonne qualité ; cela pourrait être que les gens, tout simplement ne lisent pas les journaux. Des études conduites par l’Association Américaine de psychologie ont montré que la plupart des psychologues en pratique clinique lisent moins qu’un nouvel article par an. Je crains que l’explication la plus probable soit que ce phénomène signale le problème épistémologique majeur d’une fragmentation conceptuelle et dela perte d’un paradigme organisant.

Implications et causes possibles

Il semble à peu près évident que de moins en moins de publications anglaises sont suffisamment accueillies avec enthousiasme pour mériter d’être citées. Les conséquences sont claires. Nous avons jusqu’à présent rencontré des difficultés pour communiquer entre professionnels (e.g. Wallerstein, 1992), mais ces difficultés sont négligeables, comparées aux problèmes auxquels nous risquons de nous trouver confrontés dans les années à venir. On pourrait rétorquer que les écoles psychanalytiques les plus importantes apparues durant les 50 dernières années du 20ème siècle et qui ont organisé notre discipline, sont battues en brèche. Les psychologues du Moi ne sont plus des psychologues du Moi, les Winicottiens ne sont plus uniquement des Winicottiens, les psychologues du Soi sont dispersés, les Kleiniens-Bioniens ont de moins en moins en commun avec ces deux géants de notre champ, les Anna Freudiens ne constituaient probablement qu'un improbable groupement même du temps d’Anna Freud, et les inter-personnels n’ont jamais eu un thème commun hormis les citations de Harry Stack-Sullivan. De ce point de vue, le livre de Victoria Hamilton The Analyst’s preconscious, qui explore en profondeur la structure conceptuelle des théories de plus de 80 éminents praticiens analystes, est d’une lecture éclairante (Hamilton, 1996).

Cette fragmentation et cette absence confuse d’hypothèses partagées est ce qui mène selon moi à une inévitable disparition de la psychanalyse, bien plus que n’importe quel autre défi externe auquel nous sommes confrontés. En l’absence d’un langage commun, nous sommes obligés d’occuper un espace intellectuel de plus en plus restreint. Cette fragmentation croissante de la base des connaissances psychanalytiques est après tout une caractéristique de la psychanalyse depuis ses débuts. Au final, nous devons protéger avec acharnement notre point de vue psychanalytique. Ainsi, quelle est la cause de cette tendance à l’entropie théorique de la psychanalyse ? Roger Perron, dans son analyse incisive et érudite de l’épistémologie (dans cette ouvrage) attire l’attention sur ce point lors de la discussion sur les avantages et les inconvénients d’une approche clinique psychanalytique. Il identifie le manque de puissance du critère fonctionnel (si un modèle est suffisamment utile à un nombre significatif de cliniciens) comme un inconvénient significatif de l’approche de la recherche en clinique. Je suis d’accord avec l’analyse de Perron et je suggérerais qu’un examen plus minutieux de ce problème soit mis en oeuvre.

Le statut logique de la théorie dans la pratique

Arguments de l’induction versus la déduction dans la construction de la théorie clinique

Le problème de la théorie clinique, rapporté à la pratique clinique de la psychanalyse est principalement une problème philosophique, habituellement considéré en philosophie de la science sous le terme de méthodologie. La corps du sujet de la méthodologie est défini en opposition à celui de logique (Papineau, 1995). Alors que la logique est la description formelle d’un raisonnement déductif valide, la méthodologie couvre tout le raisonnement que nous entreprenons qui tend à conduire à un raisonnement déductif. En faisant des jugements cliniques et en prenant des décisions, nous utilisons des arguments qui peuvent nous donner de bonnes raisons d’aboutir à certaines conclusions mais elles n’obligent pas à accepter la façon dont les arguments déductifs l’on été.

Tous les cliniciens psychanalystes travaillent avec des inférences déductives et ainsi, par définition, font de la recherche clinique. Dans le travail psychanalytique, nous sommes confrontés à un lot fini d’observations, basé sur une évaluation formelle et informelle, ainsi que sur l’évolution du processus de traitement. A partir d’un tel exemple, le psychanalyste se déplace ensuite vers des conclusions sur la façon dont le patient se comporte et la façon dont il formule pourquoi il ou elle le fait. En pratique, l’induction n’est pas simplement constituée de l’accumulation d’observations passées à propos d’un individu particulier, mais de formulations de cas passés réalisées par d’autres psychanalystes dans ce qu’il est convenu d’appeler des « théories cliniques » (Klein, 1976). Nous considérons que le théories se prêtent à soutenir des observations inductives parce que nous présumons que les théories impliquent que le nombre des observations sur lesquelles une inférence déductive est tout à fait considérable et cela donne du poids aux conclusions. En faisant de cette sorte, toutefois, nous générons simplement des arguments inductifs pour l’induction. Nous maintenons simplement que des arguments inductifs sont acceptables cliniquement parce qu’ils marchent. Même si nos prémices ne garantissent pas logiquement nos conclusions, ils fonctionnent normalement pour être vrais de toute façon. Arguer que les inductions sont généralement acceptables parce que notre expérience a montré qu'elles marchaient est, évidemment, un argument inductif. Même si nos observations habituelles ont tendu à les soutenir jusque là, qu’est-ce qui garantit qu’elles continueront à le faire ? Comme Bertrand Russel (Russel, 1997) l’a soutenu, il peut être difficile d'observer que les futurs passés se sont conformés aux passés passés. Ce que nous voulons savoir, c’est si les futurs futurs se conformeront aux futurs passés. Les arguments de co-occurrence passée ont peu de valeur prédictive (c’est simplement rhétorique, cela ne prouve rien).

Ainsi, implicitement, les psychanalystes ont donné aux "théories cliniques" un statut de loi et ont revendiqué l’explication du comportement des patients selon le Covering-Role Model de Carl Hempel (1965) : Etant donné que certaines conditions initiales sont satisfaites et concernées par une loi spécifique qui spécifie également les événements qui en seront la conséquence, un événement précis apparaissant avec les conditions initiales est considéré comme expliqué par la loi. Parce que la déduction est faite à partir d’une loi, ces explications sont appelées déductivo-nomologiques. Ce procédé a toutes les apparences d’un raisonnement déductif. Mais de telles explications ne nous sauvent pas du problème de l’induction, à partir du moment où "les lois" ont été, en réalité, induites par d’anciennes observations de résultats. Concrètement, de nombreuses lois cliniques sont, dans bien des cas, seulement probabilistes (Ruben, 1993), aussi ne permettent-elles que des explications sur la base de statistiques inductives plutôt que déductivo-nomologiques. Bien que nous sachions que les mauvais traitements sur des enfants peuvent provoquer des dysfonctionnements comportementaux, cela ne veut pas dire que cela sera inévitablement le cas (e.g. Anthony & Cohler, 1987). Le Covering-Role Model a, ainsi, des limites philosophiques cruciales et dont l’impact est bien illustré dans l’histoire des théories de la pratique clinique psychanalytique.

Le point central ici, est que la fonction clé de la théorie, pour les praticiens, est d’expliquer les phénomènes cliniques. En d’autres termes, c’est plus un système heuristique qu’un outil pour permettre une véritable déduction. Cette approche, par ailleurs très importante du point de vue de la pratique clinique, est d’une valeur limitée pour la construction et l’élaboration d’une théorie. La valeur des théories basées sur la recherche clinique se situe dans son rapport au travail clinique. Si faiblesse il y a, il faut la rechercher, dans la confiance considérable qui est faite en l’induction et aussi dans l’échec dramatique de ces théories pour faciliter la construction d’une base de connaissance, cohérente, intégrée et solide, laquelle devrait systématiquement évoluer et définir l’approche psychanalytique. Trois conditions devraient être réunies afin que la recherche clinique soit un socle méthodologique adéquate pour construire la théorie psychanalytique. Il serait nécessaire (a) d’avoir un lien logique étroit entre la théorie et la pratique. (b) d'utiliser un raisonnement déductif approprié en relation avec le matériel clinique et (c) d’utiliser des termes non ambigus. La première de ces trois conditions est une pré-condition essentielle pour nous permettre d’accepter que la théorie n’est pas issue de la technique. Afin d’être assuré qu’il n’y a pas de confusion possible entre la technique et la théorie, nous devons être capable de montrer que la technique est entraînée par la théorie. Ce qui signifie, que la technique a une relation spécifique et connue avec la théorie et aussi que la contamination des observations par la technique, même s’il n’est pas possible de la réduire, doit pouvoir au moins être spécifiée. La deuxième condition, qui concerne le raisonnement déductif, devrait être satisfaite si nous pouvons montrer que les observations peuvent nous permettre de confirmer ou d’infirmer les prémisses théoriques. La troisième condition est en rapport avec la possibilité d’étiqueter sérieusement les observations. Je vais essayer dans les chapitres suivant de démontrer qu’aucune des recherches menées actuellement n’utilise ces trois critères.

La pratique n’est pas entraînée par la théorie

Une des principales causes de l’insuccès de la recherche clinique est que, alors que nous pourrions espérer que cela soit autrement, en réalité la pratique psychanalytique n’est pas déductible logiquement de la théorie clinique psychanalytique. Alors que c’est un prémisse radical, et même un prémisse que je crois partiellement vrai, il n’est ni nouveau (e.g. Berger, 1985 ; Fonagy, 1999), ni sans confirmation de la littérature psychanalytique. Il y a des arguments puissants qui soutiennent l’idée générale que la pratique psychanalytique n’a pas de relation logique à la théorie. Nous pouvons simplement en mentionner six :

a) La technique psychanalytique s’est constituée largement sur la base de l’essai - erreur, plutôt qu’elle a été conduite par une théorie. Freud (1912) le reconnut volontiers quand il écrivit : « Les règles techniques que je mets en avant sont issues de ma propre expérience qui s’est constituée au cours de nombreuses années, après que des résultats malheureux m’aient conduit à abandonner d’autres méthodes (p 111)

b) Il est impossible de réaliser une quelconque relation réciproque entre la technique thérapeutique psychanalytique et quelque cadre théorique majeur que ce soit. Il est facile d’illustrer comment la même théorie peut générer différentes techniques, de la même façon que la même technique peut être justifiée par différentes théories. Par exemple, Gedo (1979) établit que : “les principes de la pratique psychanalytique ... [sont] basés sur des déductions rationnelles issues de notre conception la plus courante du fonctionnement psychique“ (p 16). Son livre prétend que les résultats défavorables des problèmes de développement peuvent être inversés “uniquement en faisant état avec ces résultats de toutes les vicissitudes développementales antérieures qui ont donné lieu ultérieurement à une désadaptation“ (p 21). Cependant, ce qui sonne comme une déduction, s’avère être une hypothèse après un examen plus précis. C’est une chose d’envisager et une autre très différente de démontrer qu’en thérapie les vicissitudes développementales demandent à être traitées de façon séquentielle. Beaucoup ont avec force recouru à l'usage de la métaphore développementale (Mayes & Spence, 1994) et, sans aller jusqu’à l’orientation d'une psychologie du moi à laquelle Gedo appartient, le soutien de cette forte assertion est limité (Kohut, 1984, pp 42-46). De façon contrastée, il est également frappant qu’en utilisant différentes approches théoriques on puisse arriver à des approches thérapeutiques tout à fait similaires (Wallerstein, 1989).

c) Le fait que nous ne sommes pas d’accord à propos de la façon dont le psychanalyste travaille suggère également que la pratique n’est pas logiquement occasionnée par la théorie. La nature de l’action thérapeutique de la psychanalyse est un thème invétéré pour les conférences de psychanalyses - qui a peut être commencé à la conférence IPA de Marienbad (Panel, 1937). Depuis cette période, à peu près tous les dix ans, il y a eu un congrès majeur sur ce thème soit à l’Association Américaine, soit à l’Association Psychanalytique Internationale et probablement une dans l’intervalle dans chacune des principales organisations. Si la pratique était logiquement contenue dans la théorie, nous aurions indubitablement une explication théorique claire de l’action thérapeutique.

d) La théorie et la pratique ont progressé à des niveaux différents, très modéré pour la pratique, comparativement aux grandes avancées de la théorie. Il est réaliste d’envisager le compte-rendu de l’ensemble des avancées techniques majeures en un seul volume (e.g. Clarkin, Kernberg, & Yeomans, 1999 ; Greenson, 1967 ; Kernberg, Selzer, Koenigsberg, Carr, & Appelbaum, 1989 ; Luborsky, 1984). Néanmoins, aucune personne ne peut espérer fournir, seul, un compte-rendu encyclopédique et intégré qui resterait fidèle aux énormes développements théoriques de ces 100 dernières années. La différence de niveau de progrès entre la théorie et la pratique est incroyable et sera difficile à comprendre si ce n’est en terme d’indépendance relative entre ces deux activités.

e) La théorie psychanalytique ne traite pas pour une large part de technique. A peine, un seul volume des 23 qu’écrivit Freud est consacré à la technique. Aussi, de quoi parle la théorie psychanalytique si elle ne parle pas de technique ? Elle était voulue comme et reste l’élaboration d’un modèle psychologique, lequel pourrait être appliqué à la compréhension des désordres mentaux et par extension, à d’autres aspects des comportements humains - la littérature, les arts, l’histoire, etc.

f) Le rôle de la théorie dans la pratique fait ressortir la nature inductive de la recherche clinique. La valeur de la théorie pour les psychanalystes est qu’elle permet l’élaboration de la signification des comportements en termes de stades mentaux. Aussi, il ne peut y avoir de questions sur la valeur de la théorie, cependant, c’est intrinsèquement contaminé par la pratique. Celle-ci est dirigée par ce qui est concrètement utile pour pratiquer, plutôt que par ce qui est vrai à propos du fonctionnement psychique. Aussi, le critère majeur pour mesurer la validité des découvertes en recherche clinique est contaminé par un ensemble de considérations sans soucis d’exactitude. Il est certain qu’en principe une théorie peut-être vraie mais avec peu de valeur pratique (e.g. les théorèmes mathématiques) ou fausse mais avec une grande pertinence pratique (e.g. la religion, la politique etc.). Le manque de lien entre la technique et la théorie pèse lourdement sur la recherche clinique. La théorie sert à justifier la pratique par l’utilisation d’analogies et de métaphores et nous devons en permanence garder à l’esprit que, ce que nous pratiquons est le produit d’une accumulation d’expérience clinique et ce que nous théorisons peut être un apport utile à notre pratique clinique - mais que cela ne peut être une justification épistémologique.

Les problèmes du raisonnement inductif expliquent la surabondance de théorisation

Le travail clinique et les observations cliniques constituent les principales sources de la construction de la théorie en psychanalyse. Il n’y a pas débat sur le fait que les traitements psychanalytiques produisent une perspective unique sur le comportement humain et qu’ainsi les théories psychanalytiques sont riches et imaginatives dans les compte rendus développementaux, cliniques et appliqués. La limitation qui s’impose est en partie logique et en partie psychologique. La stratégie épistémologique des cliniciens est, comme nous l’avons vu, nécessairement inductive. Ils sont prédisposés à trouver des configurations de l’interaction thérapeutique qu’ils peuvent expliquer en utilisant les constructions théoriques existantes. En observant le matériel clinique, les psychanalystes optent pour un raisonnement inductif en faveur d’un repérage d’exemples où ce qui précède n’est pas suivi par une conséquence. La stratégie épistémologique dominante, en capsulée dans le compte rendu de cas clinique, est devenue un inductivisme énumératif (quelquefois l’énumération exhaustive d’exemples correspondant aux prémisses).

D’un point de vue clinique, il s’agir d’une stratégie appropriée. Pour énumérer des exemples de l’influence d’une configuration inconsciente, ce n’est pas seulement un complément utile des interprétations (« chaque jour vous ressentez les choses ainsi, et vous faites de telle façon, et ainsi de suite »), mais aussi une aide pour le psychanalyste à se sentir sur un terrain plus ferme en travaillant de façon créative à élaborer une représentation du monde interne du patient.

Mais, en rappelant une fois de plus l’esprit de Bertrand Russel, cela ne suffit pas à montrer que des passés anciens se conforment à des futurs passés ; qu’une association qui a déjà été observée est un exemple de plus d’une famille connue d’associations. Ce que l’esprit du clinicien a le plus de mal à aborder, c’est l’identification d’exemples négatifs - quand A n’est pas suivi par B - qui peut le conduire à se questionner le prémisse selon lequel A est toujours suivi par B.

Les psychanalystes ne sont pas seuls avec ce problème. Tout le raisonnement humain est imparfait dans cette optique (Johnson-Laird & Byrne, 1993 ; Watson & Johnson-Laird, 1972). Même quand on nous le demande spécifiquement, nous sommes peu enclins à reconnaître la pertinence de la non observation de B suivant A quand nous évaluons le prémisse que A suit toujours B. Nous n’observons pas non plus, ni utilisons dans la construction de la théorie psychanalytique, les différents exemples où la réaction du patient n’est pas celle que nous pourrions attendre sur la base d’un prémisse spécifique.

Pour prendre un exemple délibérément simpliste, des signes de colère inconsciente avec un objet investi de façon ambivalente sont couramment identifiés dans des cas de dépression (Freud, 1915). Mais qu’en est-il des cas où la colère tournée vers l’intérieur n’apparaît pas conduire à la dépression ? Si de tels cas étaient traités avec une égale attention que ceux où le prémisse se retrouve clairement, le développement de la théorie pourrait, juste pourrait, être plus rigoureux. Demander à des cliniciens d’être attentifs à de tels exemples négatifs me semble, cependant, leur demander quelque chose de profondément contre thérapeutique et être spécifique d’une situation clinique où les buts de la thérapeutique et de la recherche ne peuvent pas être plus longtemps poursuivis à égale mesure. La limitation du raisonnement humain identifiée par Wason, Johnson-Laird et leurs collègues peut être une limitation centrale à la méthodologie de la recherche clinique.

Le polymorphismes délibéré des concepts psychanalytiques

Comme le matériel clinique est utilisé de façon limitée par des théoriciens qui sont eux-mêmes cliniciens, de nouvelles théories tendent à être développées et à être facilement confirmées. Malheureusement, ce procédé tend à se produire sans qu’il y ait une référence systématique aux élaborations précédentes, comme “supplément“ à la théorie initiale. Aussi, les nouvelles idées se chevauchent-elles, plutôt que d’être ré-intégrées dans les formulations initiales (Sandler, 1983). Cela donne très rapidement lieu à des formulations partiellement incompatibles, lesquelles doivent, néanmoins, être confrontées. Un seul exemple, Freud, en passant d’une topographie à un modèle structural, a complètement reconfiguré la nature et le rôle de l’objet. Comme, les psychanalystes parlaient encore avec leur patient de questions en rapport avec le modèle topographique (e.g. les rêves, diriger les fixations), et que dans un même temps, parce qu’il manquait quelque chose, ils abordaient des questions d’adaptation et de liens (utilisation des idées issues du modèle structural), ils ont été obligés d’élargir la définition de la notion d’objet.

Cette stratégie a été, par extension, utilisée pour traiter la plupart des cas où plusieurs champs de référence partiellement incompatibles ou partiellement applicables avaient besoin d’être utilisés point par point (Sandler, 1983). Je dois le répéter , cela n'est ni inhabituel, ni répréhensible. C’est le chemin trouvé, pour donner du sens, par le langage humain et en fait, par tous les systèmes conceptuels humains, qui ont à traiter avec la complexité des phénomènes. Rosch (1978), sur la base du travail de Wittgenstein (1969), a appelé de tels concepts “vagues, mal affutés“ (fuzzy-edged), des concepts polymorphes. Ils ne peuvent être définis par des traits distincts (un ensemble de traits nécessaires et suffisants), mais plutôt par des exemplaires identifiés d’une catégorie en terme de niveaux requis de similarité avec un prototype. Ainsi, “Chaise“ représente telle catégorie hétérogène qui ne peut être définie par chacune des fonctions qui s’y rattachent : leur structure, leurs propriétés, leur forme etc. Par exemple, qu’est ce qu’ont en commun un strapontin et un siège d’avion, lesquels diffèrent du siège d’un arrêt de bus ? De nombreuses personnes identifieraient les deux premiers objets comme des chaises mais plus rarement le troisième. Le problème du langage psychanalytique n'est pas, par essence, plus difficile que les problèmes de langage rencontrés dans la vie quotidienne.

Ce qui est décevant, c’est que les psychanalystes tendent à accepter que l’argument, selon lequel la complexité rend impossible toute définition sans équivoque, soit une bonne raison pour tenter rarement d’opérationnaliser et pour fréquemment choisir l’ambiguïté. Ici, je voudrais dire mon désaccord avec Roger Perron, qui dénie la possibilité d’élaborer des définitions sans équivoque pour nos concepts. Il ne fait plus de doute que tant que le même terme scientifique peut être utilisé avec des sens très différents, la tendance à la fragmentation sera renforcée, d’autant que l’utilisation d’un même terme dans des contextes vraiment différents rend impossible l’explication de différences importantes entre approches théoriques. Nous devons aller au-delà de la recherche clinique, si nous voulons dépasser le problème des sens multiples.

Un nouveau cadre épistémologique pour la psychanalyse
La perspective historique

La psychanalyse s’est développée de façon quelque peu différente dans la plupart des pays où elle a été pratiquée. Dépendant du contexte culturel particulier, elle s’est intégrée à un degré plus ou moins grand avec les services institutionnels de santé mentale tels que la psychiatrie, la psychologie, le travail social, etc. Dans certains pays, comme l’Angleterre, l’intégration entre la psychanalyse et l’organisation de santé mentale a été minimale. Dans d’autres, tels que la Scandinavie, l’Allemagne ou le Canada, l’intégration avec la psychiatrie a été large, avec des fonds d’état pour le traitement médical psychanalytique et même, dans quelques cas, un soutien financier pour la formation. Aux Etats Unis, les compagnies d’assurance se sont impliquées financièrement jusqu’il y a relativement peu de temps.

Une généralisation relativement honnête des tendances historiques internationales pourrait être que dans les pays où de hauts niveaux d’intégration entre les services de santé mentale étaient établis, la psychanalyse s'est développée plus vite, est restée sous domination médicale, a développé des corps professionnels politiquement puissants, mais s'est définie elle-même en distinction avec les autres branches de la médecine. En revanche, dans les pays où la psychanalyse a été rejetée par les responsables des professions de santé mentale (en particulier la psychiatrie), la psychanalyse est restée une profession plus petite, plus tournée vers l’intérieur, probablement plus créative, avec une plus grande influence sur les non-professionnels de la santé mentale. Sur le fond, bien que l’identité et l’épistémologie psychanalytique existent dans les deux groupes, ils sont plus puissamment établis comme indépendants et non reliés aux objectifs de la santé mentale dans le second groupe, tandis qu’ils sont plus discrètement et intriqués à la philosophie environnant la santé mentale dans le premier.

Ces différences ont été presque imperceptibles aux changements dans la santé mentale qui ont eu des effets très différents, et déjà profonds, sur les deux types de groupes psychanalytiques. L’accent sera mis ici sur les sociétés qui sont très intégrées avec la délivrance des services de santé mentale, car ce sont les groupes les plus affectés par la pression sollicitant une information sur les résultats.

D’abord, nous reprendrons les développements majeurs qui ont été les enjeux de la psychanalyse dans le champ de la santé mentale au cours du dernier demi-siècle et ensuite nous proposerons de reprendre la relation entre la connaissance psychanalytique et une investigation des autres champs de la santé mentale.

L'isolationnisme de la psychanalyse

Les psychanalystes ont essayé, au cours de ces 50 dernières années, de définir leur champ indépendamment de deux branches majeures de l’activité scientifique qui appartiennent à leur domaine : (a) la neurobiologie et (b) la psychologie. Nous allons explorer ces deux domaines :

Psychanalyse et neurobiologie

Les premières objections

Sauf exceptions, les psychanalystes depuis Freud n’ont jamais reconnu la pertinence de la neurobiologie pour les idées psychanalytiques. L’obligation de soigner les patients, associée à l’inadéquation des neurosciences, ont conduit la science psychanalytique à être à l’origine une forme de psychologie finalement uniquement préoccupée à ce que les traitement psychologiques soient prescris de la façon la plus systématique et organisée possible.
Le rejet de la biologie n’était pas arbitraire mais raisonné - pas politique mais conceptuel. Ce qui suit pourrait en être les raisons :

(a) Les psychanalystes ont été fortement influencés par l’échec de Freud à créer une neurobiologie psychanalytique (Freud, 1895) et ont opté pour un modèle purement mental, basé sur la verbalisation de l'expérience interne.

(b) Dans les année 40 et 50, la neurobiologie était dominée par la "mass action theory" (Lashley, 1923 ; 1929), laquelle soutenait, que le cortex était en grande partie indivisible d’un point de vue fonctionnel et qu'il n’était pas approprié d’étudier les comportements du point de vue du cerveau.

(c) Les "neuroscientistes" n’étaient pas concernés, pour une grande part d’entre eux, par les problèmes de santé mentale, ils concentraient leur centre d’intérêt sur le fonctionnement cognitif plutôt que sur la régulation des affects.

(d) Les psychanalystes se sont développés en opposition radicale à l’opinion dominante selon laquelle les désordres mentaux seraient le résultat d’une vulnérabilité de l’individu, à laquelle on ne pourrait pas remédier par la manipulation de l’environnement.

(e) Une distinction inutile, entre ce que l’on nomme les désordres fonctionnels et les désordres organiques a été acceptée à l’intérieur de la psychiatrie et dans d’autres professions en santé mentale, laquelle, bien que rarement examinée de ce point de vue, accepte finalement implicitement le dualisme corps-esprit.

Progrès en neurobiologie

Alors de façon générale il aurait pu être utile pour la qualité du soin du patient et le développement de la psychanalyse comme discipline, d’isoler la psychanalyse des sciences du cerveau en mettant particulièrement un accent inconditionnel sur les déterminants de l’inconscient, un certain nombre d'effets latéraux de l’isolationnisme ont créé des problèmes alors que les objections originelles vis à vis d'un lien plus étroit commençaient à s'estomper. Les 30 dernières années ont vu une avance révolutionnaire qui ont réduit toutes les raisons historiques d’un développement isolé de la psychanalyse (Westen, sous presse). Si Freud était vivant aujourd’hui, il aurait un ensemble considérable de connaissances et de théories à mettre sur le devant en re conceptualisant L’Esquisse et aurait beaucoup de mal à abandonner l’entreprise de développer un modèle neuronal du comportement. On connaît maintenant beaucoup de choses sur la façon dont les fonctions cérébrales, incluant le développement des réseaux neuronaux, la localisation de capacités spécifiques avec la tomographie fonctionnelle à émission de positons et on peut difficilement soutenir que les neurolinguistiques soient exclusivement concernés par les troubles cognitifs ou de soi disant troubles organiques (Kandel, 1998 ; LeDoux, 1995 ; LeDoux, 1997).

Si quelque chose a progressé, c’est bien la génétique, de façon encore plus rapide et en balayant les idées naïves à propos des troubles constitutionnels, à partir des mécanismes qui sous-tendent et soutiennent une interaction complexe gène-environnement (Plomin, DeFries, McLearn et Rutter, 1997). Pour donner juste un petit exemple des avancées que de tels progrès génèrent dans la délivrance du soin en santé mentale : l’efficacité des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (SSRIs) à la fois dans la dépression et dans le trouble obsessionnel compulsif (Joffe, Sokolov et Streiner, 1996 ; Piccinelli, Pini, Bellatuno et Wilkinson, 1995), les bénéfices indubitables pour les enfants souffrant de troubles de l’attention avec hyperactivité d’être traités par le methylphenidate (Fonagy, 1997b), la relative efficacité des neuroleptiques dans la psychose (Barbui et Saraceno, 1996 ; Barbui, Saraceno, Liberati et Garattini,, 1996), la reconnaissance croissante concernant le manque d’efficacité de périodes prolongées d’hospitalisation et - en contrepartie - les bénéfices du traitement dans la communauté (Holloway, Oliver, Collins et Carson, 1995 ; Johnstone et Zolese, 1998), la potentialité d’un diagnostic précoce via l’imagerie cérébrale de lésions traitables au niveau neurochirurgical (Videbech, 1997) etc. En fait, au cours des 15-20 dernières années, le champ des neurosciences s’est largement ouvert pour une large participation de ceux qui ont une compréhension adéquate des déterminants environnementaux du développement et de l’adaptation.

Les obstacles d’une intégration

Paradoxalement, la réponse des psychanalystes, à cette remarquable avancée des connaissances, fut défensive plutôt qu’enthousiaste. Malgré l’engagement individuel de nombreux analystes pour appréhender toutes les connaissances, même si cela peut provoquer douleur et anxiété, pour une large part, la réponse de la communauté psychanalytique fut inutilement rejetante et critique. Comme en réaction à un empiètement, la réponse fut de se retirer de plus en plus loin dans des zones de plus en plus spécialisées, plutôt que de chercher à se rencontrer et à se développer ensemble, en fonction de l’évolution des connaissances acquises sur le cerveau. L’idée dominante, que je qualifierais d’irrationnelle, semble être que la finesse d’investigation psychanalytique, si durement gagnée, serait d’une façon ou d’une autre “détruite“ plutôt qu’améliorée et enrichie par les nouvelles méthodes de recherche.

Un autre obstacle, généré par la dichotomie posée entre la biologie et le soin aux patients, a été la tendance anti-intellectuelle de certains groupes psychanalytiques (Kandel, 1998). Il y a une incompatibilité supposée entre une attention astucieuse et une attention fine à l’état mental du patient. C’est comme si notre observation d’une intellectualisation chez notre patient pouvait être d’une façon ou d’une autre être généralisée à notre propre pratique : parce que nous observons qu’un patient qui lit des documents scientifiques et qui parle de science plutôt que de ressentis ne fait pas d’analyse, nous pouvons supposer qu’un analyste qui lit des documents scientifiques, ne peut pas, de la même manière, ressentir et donc ne peut pas pratiquer l’analyse. Il y a un élément de vérité évident dans cette attitude dans la mesure où le fait de lire et de rester en contact avec la science doit un moment s’arrêter et laisser place à un temps dévolu au travail clinique. Cependant, exiger que les deux activités s’opposent entre elles, est clairement l’expression d’un parti pris, plutôt qu’un fait et est quelque-peu intéressé, de la part de ceux qui ne désirent pas s’engager dans de telles activités. Heureusement, la génération des cliniciens psychanalystes pour qui la formation professionnelle initiale englobait déjà une sensibilisation aux progrès scientifiques dont nous venons de discuter, ne peut ni comprendre, ni même avoir une certaine sympathie pour cette approche.

Aucune des principales avancées faites en psychiatrie ne le fut sans problème. Les IRS semblent avoir une composante placebo significative (Verkes et al., 1998) ; l’ADHD est sur-diagnostiqué, au moins au Etats-Unis (Goldman, Genel, Bezman, & Slanetz, 1998) ; il y a des problèmes de compliance avec les neuroleptiques (Kasper, 1998) ; il y a de très bonnes études de cas publiées qui montrent les loupés des soins communautaires ; l’imagerie cérébrale et la recherche en génétique sont actuellement d’une valeur pratique limitée. De tels arguments ne devraient pas s’opposer au développement de la psychiatrie, mais devraient être des opportunités pour appliquer la finesse psychanalytique dans les domaines de la révolution biologique où il y a d’importantes imperfections. Cela demande d’adopter une attitude différente : la collaboration plutôt que la confrontation. Avant d’expliquer les spécificités de cette collaboration, nous allons examiner les développements parallèles observés en psychologie.

L’isolement de la psychologie

Les objections originelles

L’attitude psychanalytique envers la psychologie est en miroir avec l’attitude des psychiatres psychanalystes vis à vis de la médecine expérimentale et du reste de la biologie. Le progrès en psychologie a été largement ignoré des psychanalystes, en dépit du fait qu’un ombre croissant de praticiens psychanalystes aient reçu leur formation de base dans le cadre de la psychologie clinique. De nouveau, il existe historiquement un certain nombre de raisons à cela :

a) la psychologie, jusqu’aux années 60 a été presque exclusivement concernée par le comportement et ses modèles étaient largement basés sur l’apprentissage chez l’animal (Skinner, 1953).

b) La psychologie a traditionnellement eu une attitude antagoniste à la psychanalyse, la voyant comme une rivale majeure, dominée par la médecine dans son offre de soin psychologique dans les organisations de santé mentale (Eysenck, 1952)

c) La psychologie a conservé une influence du positivisme dans son épistémologie plus longtemps que la plupart des autres disciplines des sciences sociales. En fait, sa libération du positivisme est au moins autant à devoir être mise au crédit du progrès dans des disciplines telles que la linguistique et la sociologie, autant que dans les progrès qu’elle a fait dans ses propres domaines (Chomsky, 1968).

d) Principalement comme conséquence des facteurs précédents, la psychologie clinique était fréquemment naïve dans son évaluation et traitement des troubles mentaux (Ullmann et Krasner, 1969 ; Wolpe, 1969) - une naïveté qui faisait horreur aux psychanalyste qui avaient combattu durement pour acquérir une perspective sophistiquée de la nature des processus et des phénomènes mentaux.

Les progrès en psychologie

Dans la même période où la révolution commençait dans les sciences du cerveau, la psychologie a entrepris une transformation radicale, passant d’une position en marge de l’étude de la pensée, à sa position actuelle, de leader reconnu dans l’étude scientifique des processus mentaux (Westen, 1999). La principale force d’entraînement à l’origine de ce changement fut :

(a) L’élaboration d’une métaphore informatique pour formaliser les processus psychologiques et l’utilisation d’un modèle informatique pour tester la pertinence des théories psychologiques (e.g. Schmajuk, Lamoureux, & Holland, 1998).

(b) L’arrimage à la technologie pour améliorer la qualité des observations, incluant du matériel d’enregistrement, des mesures physiologiques améliorées, des analyses génétiques ou endocrinienne (e.g. Plomin et al., 1997).

(c) Des méthodes d’analyse des données toujours plus sophistiquées, dont des techniques d’analyse causale et des méthodes spéciales pour analyser un grand ensemble de données (McClelland, 1997).

(d) En reconnaissant les limites de leur premières tentatives d’interventions psychologiques, les psychologues cliniciens ont travaillé dur pour proposer des traitements psychologiques adéquats, ces derniers étant rarement en opposition avec les autres traitements, mais plutôt utilisés comme un complément pour construire un pont avec des traitements pharmacologiques moins chers, souvent oubliés (Salzman, 1998 ; Thase, 1997).

(e) Contrastant avec l’attitude des psychanalystes, les psychologues embrassèrent et développèrent des projets dans des domaines proches et ont entrepris des collaborations à grande échelle (e.g. Offord et al., 1992 ; Rutter, Tizard, & Whitmore, 1981).

Les obstacles à une intégration

Les problèmes créés par la combinaison des parti-pris psychanalytiques contre les disciplines non-médicales en général et la psychologie en particulier, ont augmenté au cours des années. L’un des aspects du problème est l’abandon volontaire par les psychanalystes des opportunités leur permettant une contribution majeure aux sciences du comportement. Un bon exemple de cela est la controverse concernant les études développementales à laquelle Roger Perron fait référence. La tendance à réduire la perspective développementale psychanalytique à une simple métaphore ne rend pas compte des intentions de Freud comme il a pu l’indiquer dans ces propres études (voir Freud, 1909a ; 1919 ; 1920), tout comme chez certains des plus brillants cliniciens psychanalystes, incluant Anna Freud, René Spitz, Margaret Mahler, Esther Bick, Donald Winnicott - lesquels ont tous qui attribué une valeur à l’observation des jeunes enfants, tout particulièrement lorsqu’ils étaient en interaction avec des soignants. Ces travaux furent des sources importantes d’inspiration pour construire la théorie et tracer une ligne nette entre les études d’observation et la théorie psychanalytique comme une sorte de principe à ce moment particulier, paraît arbitraire, non-scientifique et contre-productif. Il n’y a pas de raisonnement perceptible, hormis des incompatibilités entre la théorie psychanalytique surgissant loin des observations psychanalytiques et celles entretenues par certains théoriciens. Exclure soudainement les observations parce qu’elles ne sont plus en accord avec l’idée préconçue, n’est certainement pas ce que Freud nous a appris de la science. Le modèle développemental scientifique n’a jamais été métaphorique - de même qu’il n’a jamais été fermé à la validation empirique (voir, par exemple, Westen, sous presse). Par exemple, alors que Anna Freud et Glover critiquaient Klein pour les extravagances développementales impliquées par sa théorie, des observations plus récentes sont, pour une bonne part, compatibles avec les revendications Kleiniennes - certainement celles présentées en termes de capacités cognitives du nourrisson (Gergely, 1991).

Il existe un domaine encore plus problématique concernant les thérapies psychologiques où l’attitude isolationniste des psychanalystes a indubitablement créé un problème à long terme. La pression pour des thérapies meilleur-marché, efficaces en relation au prix ont incité quelques psychiatres cliniciens à expérimenter des méthodes alternatives de traitement - des thérapies plus brèves, plus focalisées, des thérapies spéciales pour des groupes particuliers (par exemple Malan & Osimo, 1992 ; Sifneos, 1992). Ces expérimentations étaient, dans l’ensemble faiblement soutenues par l’établishment psychanalytique qui peut -être se sentait surtout préoccupé par l’apparente superficialité de la thérapie brève. L’espace fut rapidement occupé par les thérapies alternatives, avec souvent des bases d’observation et théoriques très limitées, empruntant de façon nettement plus légère et relativement ouverte aux découvertes psychanalytiques (par exemple, Ryle, 1994). Cela a atteint un point où certaines thérapies focales qui représentent une extension de la tradition cognitivo comportementale sont difficiles à différencer des thérapies psychanalytiques (Meichenbaum, 1997 ; Young, 1990). Nous avons essayé de montrer ci-dessus que la technique psychanalytique est seulement basée sur la théorie psychanalytique de façon illusoire. A la fois les découvertes et les effets des thérapies cognitivo comportementales et même la thérapie comportementale sont faciles à expliquer aussi bien en termes d’idées psychanalytiques qu’en termes de comportement ( Fonagy, 1989 ; Watchel, 1977). Il semble, ainsi, regrettable que les psychanalystes n’aient pas été plus vigoureux durant les 25 dernières années en expérimentant et en évoluant avec les nouvelles techniques psychothérapiques, mais se soient plutôt tenus rigidement au principe « d’une taille convient à tous ». Ils ont abandonné le champ de l’innovation technique aux psychologues qui, en partie à cause de l’opposition à la psychanalyse, sont venus à se définir eux-mêmes comme « neufs et innovants » en contraste avec les idées psychanalytiques.

Cette situation s’est modifiée quelque peu, mais seulement au cours des années très récentes. Beaucoup d’instituts américains de psychanalyse ont commencé à former les candidats à la psychothérapie, dont on attend seulement de certains qu’il aillent au bout de la formation psychanalytique. D’autres ont accepté directement l’enjeu des psychothérapies alternatives et sont d’autre part en train de travailler à en intégrer des éléments actifs dans des traitements d’orientation psychanalytique (Goldfried, 1995) ou sont en train de travailler à différencier les éléments actifs de chacun (par exemple, Jones, 1997). Il y a toujours un fossé important dans l’intégration de la psychanalyse et de la psychologie, particulièrement en prenant en compte les avancées majeures que les études expérimentales, contrôlées des processus mentaux humains ont apporté à la psychologie du langage, de la perception , de la mémoire, de la motivation, de l’émotion, du développement, des relations sociales, et ainsi de suite.

Le généticien Eric Kandel (1998), a soutenu de façon convaincante que « le futur de la psychanalyse, si elle doit avoir un futur, se situe dans le contexte d’une psychologie empirique, encouragée par les techniques d’imagerie, les méthodes neuro-anatomiques et la génétique humaine. Intégrées dans les sciences de la cognition humaine, les idées de la psychanalyse peuvent être testées, et c’est là que ces idées peuvent avoir le plus grand impact » (p 468)

Et la formation ?

En second lieu, beaucoup de psychanalystes, en particulier ceux qui ont été formés par des instituts où les psychanalystes ont limité leur engagement dans la délivrance de soin en santé mentale, peuvent paraître être désavantagés dans ce nouveau cadre de travail pour l’épistémologie psychanalytique. De façon importante, beaucoup de cliniciens extrêmement talentueux dans ces sociétés sont venus à la psychanalyse à partir de disciplines autres que la psychiatrie ou la psychologie - les arts, la philosophie ou l’éducation. Ils ont contribué énormément à la richesse de la discipline avec des géants tels que Erik Erikson, Anna Freud, Melanie Klein et des figures clés telles que Kit Bollas, Charles Hanly, et beaucoup d’autres. Ils ont rejoint une profession de santé mentale ouverte de façon appropriée par Freud à tous (Freud, 1926).

Le fait qu’aucun arrière plan scientifique ne soit nécessaire pour pratiquer la psychanalyse dans les premières décades du siècle, n’implique pas nécessairement que cela reste le cas. Les sociétés qui forment les individus sans bases concernant la santé mentale s’assurent normalement que ces individus acquerront une expérience de la santé mentale. Un cas similaire pourrait être fait pour s’assurer que ceux qui pratiquent la psychanalyse et qui sont ainsi dans une position de développer le sujet ont une base adéquate dans les domaines des sciences biologiques et sociales correspondantes. C’est peut être moins important qu’une initiative concertée pour identifier et chérir un groupe spécial de psychanalystes cliniciens susceptibles de poursuivre le développement de la science psychanalytique dans le cadre des nouvelles sciences (Kerrnberg, 1993).

La dialectique entre préserver la pureté et améliorer la qualité de l’observation

Roger Perron invoque implicitement l’importante dialectique entre l’impératif de faire des observations sérieuses et, en le faisant, d’opérer une distorsion des phénomènes à un tel point que la signification de ces phénomènes n’est plus possible. Son commentaire est restreint avec soin à l’étude du processus psychanalytique - celui du patient en psychothérapie intensive. Dans l’ensemble, je suis d’accord avec le Dr Perron dans son analyse, même si je ne partage pas ses conclusions.

Les enregistrements audio instaurent le risque que ce qui est observé ne soit plus la psychanalyse, de la même façon que la psychologie comparative a trouvé des conditions de laboratoire pour contraindre la gamme des comportements animaux qui pourraient être sujets à une scrutation scientifique (Hinde & Stevenson-Hinde, 1973. Je ne suis pas d’accord, cependant, avec le ton dogmatique de l’analyse de Perron et la certitude ce qu’il implique. Je ne crois pas que nous sachions jusqu’à quel point l’enregistrement sur bande peut ou ne peut pas interférer avec le processus psychanalytique. Nous concevons qu’il le puisse, mais cela ne signifie pas qu’il le fait. Même s’il le fait, il n’est pas certain qu’il le fasse de telle façon que cela devrait contrecarrer l’étude de certains aspects clés du processus.

Ce sur quoi nous pouvons raisonnablement être catégorique, c’est que les récits de vie, quelque soit la qualité du recueil, sont nécessairement sélectifs, ce qui clairement mine leur utilité scientifique (Brown, Scheflin & Hammond, 1998). Un élément central de notre théorie concerne les aspects non-conscients des fonctions psychiques. Notre théorie nous raconte que nous ne pouvons et ne devrions pas attendre d’un participant à un échange interpersonnel d’être non-biaisé, d’être aléatoire dans les erreurs et oublis dans le compte-rendu des séances. Je ne peux pas penser qu’un psychanalyste pourrait sérieusement défendre que le simple fait d’avoir soi-même participé à un processus analytique, garantisse la diminution des biais dans l’observation. Cependant, bien plus important que les biais, est le degré avec lequel chacun de nous peut prétendre prendre conscience de la finesse de l’interaction patient-analyste, uniquement à partir de l’observation participative. Nous savons que le gros de telles interactions est gouverné par des mécanismes non-conscients, vraiment inaccessible à l’introspection. Il existe des illustrations vraiment fondamentales de ces phénomènes - dont les plus frappantes sont certainement, les études de Rainer Krause (1997) sur les expressions faciales d’affect dans la psychothérapie en face à face et les travaux sur les interactions mère-nourrisson de Beatrice Beebe (1997) et de Ed Tronik (1989).

Des études imaginatives utilisant les avancées de l’enregistrement et des techniques de codage, tout particulièrement, les analyses linguistiques et phonétiques du langage, devraient, sans aucun doute, faire progresser notre compréhension des processus psychanalytiques (Fonagy & Fonagy, 1995). Interdire de telles procédures complètement, serait l’équivalent d’attacher nos mains derrière notre dos, pour affronter les autres pratiques thérapeutiques. Pour moi, le problème de l’enregistrement dépend fortement des questions qui ont été posées par la recherche. Aussi longtemps que l’on garde comme perspective qu’il s’agit d’une des fenêtres possible pour l’étude des processus psychologiques et de leur changement dans le cadre du traitement psychanalytique, et étant donné la bonne volonté du patient et du thérapeute pour accepter l’enregistrement, c’est dur de voir en quoi cela peut être mal. Si cependant, nous finissons par confondre l’enregistrement de l’analyse avec la psychanalyse elle même - i.e. amalgamer l’observation du phénomène avec le phénomène lui-même - nous sommes en difficulté à plus d’un titre et pas seulement par rapport à la validité de nos observations.

La psychanalyse est-elle une science ?

Il ne peut y avoir de question sur le fait qu’à ce jour la psychanalyse n’est pas une science. Tout simplement, elle ne réunit pas les principaux canons d’une telle activité. Beaucoup d’entre eux ont été listés par Roger Perron. La question est plus utilement posée en termes de notre vision de la psychanalyse. Est-ce que nous pourrions avoir pour objectif de la modifier de telle façon qu’elle puisse être plus acceptable pour la communauté des étudiants qui se considèrent eux-mêmes comme scientifiques ? Ou bien devrions nous nous contenter d’occuper une place moyenne entre l’art et la science, comme nous en avons l’habitude ? Comme d’habitude, il y a beaucoup d’arguments forts des deux côtés du débat. La plupart d’entre eux, cependant, sont posés en terme du plus grand respect qui devrait être accordé à notre discipline si elle réunissait les canons de la science, versus les sacrifices que nous aurions à faire pour y parvenir. Il y a toujours eu ceux qui ont fait entrer les eaux troubles de la philosophie de la science afin de montrer que selon tel ou tel cadre de définition la psychanalyse serait susceptible ou non de se qualifier (Shevrin, 1995).

Aussi importants que ces débats puissent être, je pense qu’ils manquent l’essence de la question pour trois raisons. D’abord, même si nous réunissons ces critères pour la scientificité, il n’y a aucune garantie que nos théories seront prises sérieusement. Il existe plein d’exemples de théories scientifiques qui ne préoccupent pas grand monde. La question est peut-être plus celle de la pertinence perçue que celle de la possession du label de la science. Ensuite, comme l’étude de Roger Perron l’a démontré, il y a évidemment une limite sur la façon dont la psychanalyse peut aller en réunissant ces critères avant qu’elle cesse d’être la psychanalyse. Troisièmement, les critères sont établis à partir des propriétés de disciplines généralement considérées comme étant des sciences mais il existe tout un ensemble d’exceptions. Quels sont les critères que la psychanalyse peut tenir sérieusement ? Et quels sont ceux qu’elle peut négliger ? Et qui décide lequel est lequel ?

Changer d’attitude envers le scientifique

Plutôt que de parler de science, je pense qu’il serait plus utile de parler de l’attitude ou de la culture qui caractérise la science, sans que ces dernières soient l’exclusivité de celle-ci. Dans ce qui suit, nous allons lister quelques aspects des changement dans l’attitude qui seraient requis, si les psychanalystes décidaient d’adopter une attitude “plus scientifique“ dans l’espoir de régler certains de ses problèmes épistémologiques.

Consolider la base d'évidence de la psychanalyse

Bon nombre des théories psychanalytiques ont été produites par des cliniciens qui n’ont pas testé empiriquement leurs hypothèses. Aussi, sans grande surprise, l’évidence des bases de ces théories est souvent peu claire. En questionnant l’évidence, je crois que nous ne retournons pas vers “l’opérationnalisme“, “le verificationisme“ ou tout autre résidu de la logique positiviste (voir, par exemple, Leahey, 1980 ; Meehl, 1986). En se focalisant sur l’exploration de domaines incompatibles avec des observations contrôlées et des hypothèses testables, la psychanalyse se prive du jeu croisé entre les données et la théorie qui a tellement contribué au développement de la science au 20ème siècle. En l’absence de données, les psychanalystes sont souvent obligé d’avoir recours soit à l’évidence indirecte de l’observation, soit à l’argument d’autorité.

La validation de variables impliquées par la théorie psychodynamique est un challenge formidable pour les chercheurs. De nombreuses variables appartiennent à la sphère privée, nombre d’entre elles sont complexes, abstraites et difficiles à opérationnaliser ou à tester avec précision. La psychodynamique rend compte de variables étiologiques qui ne peuvent probablement pas être facilement englobées dans le cadre d’un modèle psychologique empirique. Même lorsque les “constructs“ sont apparemment opérationnalisables, ils sont rarement formulés avec une finesse suffisante pour être analysés en profondeur. Par exemple, les concepts tels que la faille narcissique, le masochisme et la toute puissance, sont rarement définis avec une exactitude suffisante pour l’opérationnalisation.

Il y a un autre problème logique lié à la l’orientation d’une reconstitution adoptée par la plupart des cliniciens (voir la présentation d’ensemble de Perron). Au niveau le plus simple, les théories cliniques du développement sont basées sur les compte rendus d’individus ayant une symptomatologie courante qui tentent de raconter les événements qui leur sont arrivés durant leur enfance précoce, dont la plus importante part recouvre les stades pré-verbaux du développement. La psychanalyse a contribué de façon significative à notre sophistication courante à propos des sources de biais qui peuvent transformer les souvenirs de nos expériences précoces (voir Brewin, Andrews, & Gotlib, 1993). Le danger évident est celui de l’erreur logique de soutenir que quelque chose s’est produit de travers durant l’enfance, sinon ces individus ne seraient pas dans de telles difficultés. Ainsi, la plupart des théories développementales recourent à des erreurs variées d’omission ou d’enquête sur la part de la mère qui serait difficile à vérifier. Le contraire est aussi vrai ; la présence d’aspects de « santé » chez un individu par ailleurs sérieusement perturbé peut conduire les cliniciens à postuler des facteurs protecteurs tels que la présence d’un « bon objet » dans un environnement interpersonnel par ailleurs dévasté. Comme nous l’avons vu, il y a un biais majeur inhérent à l’inductivisme énumératif, que les théories cliniques du développement ont du mal à circonvenir.

Les illustrations cliniques ont une valeur énorme en résumant les thèmes centraux et récurrents émergeant dans un groupe particulier de patients. Elles ont aussi été utiles en générant des hypothèses qui peuvent être examinées à travers des techniques d’investigation plus formelles. L’intuition clinique, cependant, n’est pas vraiment utile pour résoudre des théories différentes concernant les variables externes de développement qui sont considérées placer un individu à un état de risque de trouble. La raison en est, comme nous espérons que ce chapitre l’a montré, que les observation de cliniciens fins et expérimentés ne convergent pas toujours vers des interprétations communes.

Il ne devrait pas, cependant, être trop facilement considéré que les données empiriques qui sont le plus utiles dans le contexte de la justification, qui permet un contrôle optimal des variables, minimise les menaces concernant la validité interne et maximalise les possibilités de l’inférence causale, sont aussi les plus favorables dans la construction d’une théorie psychologique. Westen (1991) insiste sur la relative pauvreté de théories riches dans la psychiatrie courante et la psychologie qui sont basées sur des études contrôlées. Et donc, beaucoup de théories psychologiques de la psychopathologie admettent explicitement leur dette aux idées psychanalytiques, qui ont inspiré des voies spécifiques d’investigation. Les données cliniques offrent clairement un support fertile à la construction théorique, mais pas pour distinguer les bonnes théories des mauvaises ou de meilleures. La prolifération de théories cliniques qui sont couramment en usage est la meilleure preuve que les données cliniques sont davantage profitables pour générer des théories et des hypothèses que pour les évaluer. La convergence de l’évidence émanant de différentes sources (clinique, expérimentale, comportementale, épidémiologique, biologique, etc.) produira le meilleur soutien pour les théories de l’esprit proposées par la psychanalyse (Fonagy, 1982)

Ainsi le futur travail psychanalytique devrait se déplacer de l’inductivisme énumératif et développer des liens plus étroits avec les données alternatives réunissant des méthodes disponibles dans la science moderne sociale et biologique. Réunir ces données, sans faire disparaître les phénomènes que de telles investigations ont pour objectif d’examiner attentivement, est un important enjeu pour la génération actuelle des analystes.

Passer d’une construction globale à une construction spécifique

D’une façon générale, les propositions théoriques de la psychanalyse manquent de spécificité. Par exemple, le modèle développemental de la psychanalyse a atteint un degré d’abstraction où il est possible d’identifier une relation stricte entre un pattern psychopathologique particulier et un niveau de développement particulier. Ainsi, à l’intérieur de chacune des principales orientations théoriques, il existe un modèle pour les troubles de la personnalité limite, pour la pathologie narcissique, pour les troubles de la personnalité anti-sociale et ainsi de suite. Dans le cadre de la psychopathologie moderne et de la psychiatrie, la tendance s’oriente vers la différentiation et la spécialisation. L’évidence se fonde rarement sur le lien entre des classes entières de troubles avec des entités pathogènes particulières, mais plutôt entre des entités pathogènes spécifiques en relation avec des sous-classes spécifiques à l’intérieur de groupes diagnostiques. Dans ce contexte, l’utilisation de l’étude de cas pour la recherche clinique n’a pas rendu service à la psychanalyse. Il est difficile de créer une nosologie spécifique qui utilise de nombreuses études de cas, toutes observées à partir d’une position avantageuse légèrement différente. De ce point de vue, les séries d’études de cas faites en référence à un schéma unique sont plus productives. Le travail de John Clarkin (1994) est un excellent exemple de la valeur de cette approche. Il a proposé une sous-classification des troubles la personnalité limite en combinant le DSM-IV et une théorie structuraliste de la relation d’objet.

Il existe une autre raison pour laquelle les constructions psychanalytiques sont souvent trop vastes. Par exemple, les relations d’objets sont souvent encore clairement considérées comme un phénomène singulier, de même qu’à un niveau descriptif, elles englobent de nombreuses fonctions subordonnées. Cela inclut, l’empathie, la qualité de la représentation de l’objet, la tonalité affective de la relation, la capacité à la maintenir et à l’investir émotionnellement, la compréhension des relations interpersonnelles et ainsi de suite. C’est compréhensible d’un point de vue clinique, mais cela est probablement contre-productif du point de vue de la recherche, de concevoir les relations d’objets, tout comme d’autres concepts proches, dans un sens aussi global. La catégorisation intelligente des formes de pathologie sera compromise à moins que nous soyons capables d’être plus précis à propos des aspects particuliers de la pathologie des relations d’objet, que nous considérons commun à un trouble spécifique.

De nombreuses théories actuelles ne parviennent pas à distinguer les composantes d’un processus de l’évolution développementale, et créent ainsi potentiellement des ambiguïtés. C’est une caractéristique générale regrettable de nos théories de ne pouvoir expliquer les troubles spécifiques qu’un individu est susceptible de développer en fonction des caractéristiques générales de ses expériences primaires. Nos modèles ne peuvent pas, de façon régulière, identifier les variables internes ou externes qui jouent un rôle dans l’émergence de symptômes spécifiques ou la nature de l’interaction entre ces différentes variables et d’autres facteurs. Aussi, nous pouvons rarement donner un sens aux tendances démographiques, comme la récente augmentation de la prévalence des troubles du comportement alimentaire ou la variation de la prévalence des désordres psychiques tout au long de la vie - par exemple, l’augmentation spontanée des troubles limites en milieu de vie (Stone, 1993). Les concepts psychanalytiques, comme nous l’avons vu, ont souvent plusieurs références (e.g. le narcissisme). Certains renvoient au développement du sujet (e.g. des expériences inadéquates de ‘mirroring’ et de ‘soothing’), d’autres sous-tendent des états mentaux (e.g. la sensation d’un soi fragile) et d’autres, encore, sont la manifestation de représentations (e.g. la perception d’un soi magnifique). Formuler cela dans des termes plus généraux semble nécessaire pour réussir à se démarquer d’un intérêt pour les formulations globales et se soucier des processus mentaux individuels, leur évolution, leur vicissitudes, et leur rôle dans le fonctionnement pathologique. Il pourrait y avoir un compromis entre la force explicative d’une part et la différentiation et l’exactitude d’autre part. En d’autres termes, l’analyse à un niveau globale offre apparemment une force explicative. Celle-ci sera perdue, si le niveau d’analyse devient l’étude d’un processus mental spécifique. Cependant, l’inexactitude de l’analyse en niveau globale, finalement, fragmente et empêche l’intégration des données provenant de différentes observations.

La prise en compte d’explications alternatives

En parlant de nouveau de façon générale, il existe dans la recherche clinique actuelle un manque notable d’explications alternatives quand des relations sont proposées entre l’observation clinique et la théorie. Il est très rare que les auteurs considèrent véritablement comment les observations qu’ils rapportent peuvent être expliqués par d’autres cadres théoriques que ceux qu’ils épousent. Il n’y a pas de tradition d’“études psychanalytiques comparatives“, où les modèles alternatifs sont placés côté à côte dans un contexte spécifique. En fait, c’est un fait général, s’il est pris en compte, que ceux qui n’ont pas été formés dans une tradition spécifique puissent se trouver sur un terrain précaire quand ils utilisent des constructions enracinées dans cette tradition. Il est difficile d’imaginer comment cela pourrait conduire à autre chose qu’une fragmentation. De la sorte, chaque cadre de travail, une fois établi, tend à se donner comme enjeu d’intégrer toutes les nouvelles données, les rendant progressivement peu maniables et accentuant le contraste entre des théories de fonctionnalité pratique faible.

Il y a deux facettes du problème. La première est que le principe de parcimonie ( le rasoir de Occum) est difficile à appliquer quand les explications sont rarement placées les unes à côté des autres. Par exemple, le concept de clivage a été largement utilisé depuis l’introduction de la notion par Freud (Breuer & Freud, 1895 ; Freud, 1923) et la popularisation que Fairbairn fit de cette idée (1952). Comme phénomène comportemental, le clivage est observé dans la plupart des psychopathologies sévères, en particulier les troubles de personnalité limite (American Psychiatric association, 1994 ; Perry, 1992 ; Westen, 1997). La utilisation du concept varie cependant, les uns rapportant ses origines à des états mentaux infantiles et au besoin de protéger le bon objet de l’attaque interne, les autres plaçant sous ce chapitre la séparation de l’état mental de la conscience (Roussillon, 1998). Le cadre conceptuel dans lequel le clivage est considéré influence profondément le type de phénomènes qui est utilisé pour l’explication. Déjà depuis la description de Hartmann (1964) de la « l’erreur génétique » nous comprenons que l’origine d’une défense du moi n’a aucune implication dans sa fonction et son usage courants. La prise en compte la plus parcimonieuse du phénomène de clivage pourrait être qu’il s’agit d’une réponse cognitive normale et se produisant normalement au cours de niveaux extrêmes de conflit et de stress (Linehan & Heard, 1993). L’usage extensif du clivage comme défense peut avoir moins à faire avec une histoire passée d’ambivalence non résolue ou de traumatisme inaccessible qu’avec le stress courant de l’expérience d’individus limites.

Le second aspect est l’identification de l’explication la plus appropriée parmi celles en compétition. Par exemple, l’hostilité et la tendance destructrice des patients limites furent, selon le moment, attribuées à une agression constitutive, à l’attitude non-empathique des soignants, à des stratégies défensives de protection de soi, etc. . On ne sait pas clairement si ces explications concurrentes devaient être appliquées à un même individu à différents moments, à des individus différents, ou si seule une de ces explications est correcte et doit être appliquée à tous les individus de la catégorie.

Le défi, dans le futur, sera d’être plus constant dans notre exploration d’explications alternatives, ainsi que dans l’identification des sous-populations appropriées pour lesquelles ces explications collent le mieux ou en abandonnant l’utilisation que l’on en faisait pour les remplacer par d’autres plus appropriées. Un tel effort demande un examen systématique minutieux.

Améliorer nos recherches concernant les influences sociales

Les théories psychanalytiques varient dans l’importance qu’elles accordent à l’impact de l’environnement. Cependant, on considère, traditionnellement, qu’elles souffrent d’un manque d’élaboration quant à l’étude des effets du monde extérieur. A certains égards, cela est compréhensible car la psychanalyse concentre son intérêt explicitement sur l’intrapsychique. C’est ce manque d’élaboration qui laisse la psychanalyse vulnérable face aux accusations de théorie culpabilisante pour les mères, et qui sur-valorise de façon irréaliste l’influence des facteurs externes pendant les premières années de la vie.

Il est maintenant généralement accepté que les influences entre l’enfant et l’environnement sont réciproques. Les facteurs parentaux et constitutionnels interagissent dans l’apparition de risques (Rutter, 1993). De tels modèles interactionnistes suggèrent que les risques et les traumatismes sont des processus plutôt que des évènements et que les problèmes surgissent quand une vulnérabilité constitutionnelle est combinée avec un environnement sous-optimal qui génère une réponse mal adaptée qui pour sa part sape, par la suite, l’adéquation aux ressources de l’environnement et ainsi de suite. Adopter une attitude scientifique dans le champ psychanalytique demanderait d’élaborer des modèles développementaux psychanalytiques actuels, c’est à dire plus spécifiques, qui concerneraient les aspects transactionnels dans la genèse du traumatisme.

Il existe un aspect supplémentaire où les perspectives des influences comportementales manquent de sophistication. Le contexte élargi social et culturel dans lequel les relations d’objet se développent est souvent ignoré par les théoriciens psychanalystes. Cette observation est seulement partiellement justifiée car beaucoup de théoriciens individuels ont porté une attention spécifique aux facteurs culturels (voir par exemple, Erikson, 1950 ; Lasch, 1978 ; Sullivan, 1953). Cependant, l’impact de la race et de la culture sur le développement et la pathologie est rarement un point de focalisation pour la théorie psychanalytique, peut-être comme un reste de l’origine biologique des idées psychanalytiques.

Un exemple particulièrement dramatique de l’influence des facteurs culturels peut être trouvée dans les approches du développement du soi. Les psychanalystes ont traditionnellement insisté, dans leurs théories générales du développement, sur le moi individualisé (voir, par exemple Kohut & Wolf, 1978 ; Mahler, Pine & Bergman, 1975). En généralisant ces modèles à d’autres cultures, nous pouvons ignorer l’étendue de la façon dont ces idées sont enracinées dans la pensée occidentale. Dans les cultures non-occidentales, le moi relationnel est bien plus représenté que le moi individuel (Sampson, 1988). Le moi relationnel est caractérisé par des limites plus perméables et fluides et un accent sur le contrôle social où il s’inclut tout en allant au delà de la personne. L’unité de l’identité pour le moi relationnel n’est pas une représentation interne de l’autre ou de son interaction avec un moi idéal, mais plutôt la famille ou la communauté. Dans les théories psychanalytiques traditionnelles une personne qui est sur dépendante et influencée , change à tout moment dans son expérience interpersonnelle pourrait être considérée comme immature et même pathologique. Il n’y a rien d’universel à cette théorie du moi. Ces idées n’ont émergé que progressivement dans le monde occidental au cours des 200-300 dernières années (Baumeister, 1987). La bien connue asymétrie suivant le sexe dans le monde occidental dans le diagnostic de trouble limite de la personnalité peut être interprétée comme une conséquence du plus grand enjeu expérimenté par les femmes que par les hommes quand ils sont confrontés avec l’idéal occidental d’un moi individuel (Gilligan, 1982). Placer le moi individualisé implicitement ou explicitement au sommet de la hiérarchie développementale peut porter le risque d’un ethnocentrique tout autant que la mise en pathologie d’un mode de fonctionnement qui peut être hautement adaptatif étant donné les contextes sociaux spécifiques.

Le manque d’explication de la psychanalyse concernant l’environnement social représente un défi majeur pour l’évolution de la psychanalyse au-delà de la question de son statut scientifique. Etant donné la nature intensive du traitement psychanalytique, son influence sera toujours limitée au relativement petit nombre d’individus qui ont le bénéfice de cette forme intensive de psychothérapie. Le déclin de l’influence sociale de la psychanalyse depuis la seconde guerre mondiale a peut être plus à voir avec l’augmentation de l’intérêt pour la santé mentale d’une plus grande partie de la population. Etant donné le nombre des personnes maintenant concernées, la psychanalyse a tendance à être moins considérée comme une approche thérapeutique. Pour que la discipline survive et soit florissante, il est essentiel que notre théorie soit rendue pertinente pour l’ensemble de la communauté et que nous puissions offrir des clés pour les préoccupations de notre communauté locale. Il est probable qu’en l’état actuel de nos connaissances, de telles clés ne seront jamais didactiques mais qu’elles permettront au moins l’apprentissage autant que l’enseignement. Il existe déjà dans cet esprit plusieurs projets dans d’importantes villes des Etats-Unis, dont Michigan, New Haven, Los Angeles et New Orleans. Traditionnellement notre discipline fut fortement ethnocentrique. Par exemple, les recherches psychanalytiques sur les traumas multi-générationnels se sont principalement concentrées sur les survivants de l’holocauste (Bergmann & Jucovy, 1982 ; Kogan, 1995). Cependant nous pouvons peut-être apprendre autant - voir plus - sur ce processus grâce à l’étude de la communauté Afro des Etats-Unis, dont beaucoup des problèmes actuels pourraient être vus, suite à nos échecs, au regard de leur histoire en Amérique du nord, comme un groupe asservi (e.g. Belsky, 1993).

En bref, en tenant compte des influences sociales, la psychanalyse devrait développer un système de catégorisation amélioré pour décrire l’influence de l’environnement. Les modèles transactionnels du développement tiennent plus compte des facteurs culturels, montrent une plus grande conscience de leur contexte culturel et vont au delà de l’ethnocentrisme.

Collaboration avec d’autres disciplines Pour certains psychanalystes, la séparation de la discipline psychanalytique de celles dont la matière recouvre la nôtre a été une source de fierté jusqu’à ce que des analystes aient été critiqués d’avoir inclus trop de citations bibliographiques à un travail non psychanalytique parmi leurs références (Green & Stern, sous presse). La peur qui est apparue a été que les champs adjacents à la psychanalyse aient le potentiel de détruire les perspectives uniques offertes par la recherche clinique. Comme ce n’est pas une vision dominante en psychanalyse et que la plupart des psychanalystes accueillent avec satisfaction les perspectives de connaissance que les aires connexes peuvent apporter, des organisations de collaboration active avec des disciplines voisines se sont penchées de façon irrégulière et non systématique sur des trouvailles, des découvertes ou des idées qui sont presque convergentes avec une conception particulière de l’auteur (cf. Wolff, 1996).

A l’inverse de la conception suivant laquelle une plus étroite proximité avec les sciences présentant des intérêts similaires aux nôtres peut détruire la psychanalyse, Kandel (1998) à fait un grand cas que les riches découvertes issues de la psychanalyse seront très probablement le mieux préservées si elles sont intégrées à la psychiatrie biologique. Il a basé son argumentation sur trois principes généraux.

a) toutes les fonctions de l’esprit reflètent des fonctions du cerveau. Le principe peut être maintenu même si il est trouvé que, pour de nombreux aspects du comportement, une analyse biologique peut ne pas en apporter la démonstration. Les psychanalystes peuvent avoir une certaine difficulté avec deux aspects. D’abord, qu’une approche biologique est invariablement réductible à la génétique, et ensuite que la transmission génétique les laisse aucun espace pour une intervention environnementale. Kandel, cependant, démontre de façon convaincante que la capacité d’un gène donné de contrôler la production de protéines spécifiques dans une cellule est sensible à des facteurs d’environnement et que le fait que seulement 10 à 20 % de gènes soient transcrits ou exprimés dans chaque cellule laisse un espace considérable pour les facteurs sociaux : « les influences sociales seront incorporées biologiquement dans les expressions altérées de gènes spécifiques dans des neurones spécifiques de régions spécifiques du cerveau » (p. 461).

b) Les gènes contribuent de façon très importante au fonctionnement mental et peuvent contribuer l’apparition de la maladie mentale, mais les comportements eux-mêmes peuvent modifier l’expression des gènes. Les recherche sur les jumeaux, sur l’adoption et la généalogie ont fourni d’abondantes preuves que les gènes déterminent autour de 50% de ce que nous appelons traditionnellement la personnalité. Des variables telles que le goût, les préférences religieuses et même les troubles névrotiques clairement déterminé par l’environnement comme le syndrome post traumatique ont des composantes génétiques importantes. D’autre part, les recherches sur l’apprentissage chez l’animal ont démontré, il y a quelques années, des changements durables dans l’efficience des connections neuronales en altérant l’expression des gènes. Ces interactions suggèrent que les distinctions traditionnelles entre les troubles organiques et fonctionnelles sont insoutenables. Toutes les maladies mentales sont organiques depuis que les techniques d’imagerie fonctionnelle peuvent démontrer de façon fiable que la structure biologique du cerveau est altérée (Jones, 1995). Cette observation est une conséquence triviale du principe précédent. La remarquable question en deux parties qui peut être posée est, comment les processus biologiques module les évènements mentaux et comment la structure biologique est modulée par les facteurs sociaux. C’est en répondant à la seconde question qu’une psychanalyse scientifique à un rôle clair à jouer.

c) Les altérations dans l’expression des gènes comme la conséquence d’un impact de l’apprentissage sur le cerveau causant des changements dans les patterns des connections neurales. De la même manière, les interventions psychologiques comme la psychanalyse doivent donc produire des changements dans l’expression des gènes qui altèrent la force des connections synaptiques. Il est possible de soutenir que les deux interventions, pharmacologiques et psychothérapeutiques, produisent des changements fonctionnels et structurels dans les circuits neuronaux. Le premier est peut-être plus non-spécifique que le second et donc plus efficace pour certains troubles psychiques plutôt que d’autres. L’évidence concernant l’association d’interventions pharmacologiques et psychothérapeutiques implique qu’il y a un bénéfice considérable à l’utilisation d’une approche intégrée des traitements (Roth & Fonagy, 1996).

Le même type d’arguments pourrait être utilisé pour une intégration plus profonde de la psychologie et de la psychanalyse Dès 1982, j’ai proposé que beaucoup de ce qui a été appris en psychologie sur les processus mentaux était applicable à la psychanalyse et devrait lui être intégré (Fonagy, 1982). Depuis cette époque, avec un certain nombre de collègues, j’ai travaillé sur l’intégration de la fonction mentale associée avec la représentation et la compréhension des états mentaux avec les idées psychanalytiques. Il s’agit juste là de l’un des processus mentaux ou modules au sein d’une large variété (Fodor, &983). Une étude systématique pourrait atteindre un haut niveau d’intégration et un grand enjeu d’élévation de la complexité dans la façon dont les psychanalystes parlent mémoriser, d’imaginer, de parler, de penser, de rêver, et ainsi de suite.

Tout ce qui est requis pour ces deux initiatives intégratives, c’est une attitude plus scientifique, une panel plus large de méthodes une ouverture et une excitation intellectuelle pour les nouvelles idées.


Dernière mise à jour : dimanche 11 janvier 2004
Dr Jean-Michel Thurin