Pour la Recherche n° 47

Entretien avec
Jacques Barber

Editorial - Comité de rédaction
Entretien avec Jacques Barber
abonnement
Comité de Rédaction et remerciements


Editorial - Comité de rédaction -

Jacques Barber est chercheur, spécialisé dans la recherche sur les psychothérapies. Il travaille à l'École de Médecine de l'Université de Pennsylvanie, aux côtés de Luborsky, CritsChristoph et DeRubeis, personnalités bien connues dans ce petit monde de la recherche.
Le comité de rédaction de Pour la recherche l'a rencontré à Paris lors d'un de ses voyages en France. Il souhaitait dialoguer et nouer des collaborations avec des chercheurs français dans ce domaine.

Cet entretien est intégralement reproduit dans ce numéro. Il aborde différents points intéressants qui concernent, notamment, la comparaison des pratiques de la psychothérapie et de la recherche aux Etats-Unis et en France.

A propos de la recherche, évidemment, nous sommes intéressés de préciser sur quelles bases elle fonctionne, mais aussi comment elle est financée. Aux États-Unis, les choses sont plus simples. Les financements du NIMH sont ceux du gouvernement et les choix sont donc plus clairs. Si les budgets sont "serrés", ils sont néanmoins sans commune mesure avec leur absence complète dans le domaine des psychothérapies qui caractérise la France.

De façon plus technique, il s'avère que les études actuellement menées (études comparatives centrées sur les ingrédients et sur le rôle de facteurs intermédiaires regroupés dans "l'alliance thérapeutique", efficacité potentielle et efficacité réelle) ouvrent des perspectives plus intéressantes que celles offertes par la promotion des marques de psychothérapies.

La mise en perspective de l'approche psychanalytique et de l'approche cognitivo comportementale crée aussi la surprise. Ici encore, la globalité des jugements semble se soustraire. Les représentations se manifestent de façon presque caricaturale, sous une forme inversée des nôtres, mais leur radicalité s'estompe avec la gravité et la complexité des troubles traités. Décidément, il se confirme que la sévérité des troubles ne se contente pas des formes les plus élémentaires de thérapie.

La faisabilité des recherches sur des cas complexes est abordée, incluant celle sur les processus, et la définition des facteurs intermédiaires et de leur séquence pour concevoir et tester les théories du changement. Cette recherche ne se limite donc pas à l'évaluation des résultats. Elle ouvre la perspective de comprendre pourquoi et comment cela marche davantage avec certains patients et moins avec d'autres, du moins dans un cas de figure...


Entretien avec Jacques Barber

J. Barber, X. Briffault, M. Thurin et JM Thurin

PLR - Jacques Barber, merci de nous rendre visite. Nous savons que vous êtes ici pour un séjour touristique et vous avez eu la gentillesse de vouloir nous rencontrer.
Vous êtes professeur de psychologie en psychiatrie, à l'École de Médecine de l'Université de Pennsylvanie, où vous êtes également directeur associé du Centre pour la Recherche en Psychothérapie. Vous êtes également Professeur associé dans le département de Neuroscience Clinique du Karolinska Institute de Stockholm, en Suède. Vous avez été formé à l'Université de Tel-Aviv avant de venir à l'Université de Pennsylvanie et vous avez reçu le Prix de début de carrière de la Société pour la Recherche en Psychothérapie en 1996, dont vous êtes devenu le Vice-président à la fin de l'année dernière. Vous êtes également membre de l'Association Américaine de Psychologie.
Il y a beaucoup de psychologues dans les Écoles de Médecine ?

JB - Dans les départements de psychiatrie, oui. Aux Etats-Unis, cela dépend ; mais à Philadelphie, oui. Ce sont surtout des chercheurs, intégrés dans plusieurs groupes. J'appartiens à un groupe de recherche sur la psychothérapie. Le groupe a été fondé par Lester Luborsky. Vous le connaissez ?

PLR - Oui, bien sûr.

JB - Lester est encore actif, il continue à travailler.

PLR - Vous travaillez beaucoup sur l'évaluation des psychothérapies, et depuis maintenant très longtemps en fait ?

JB - [rires] oui, depuis 1989, date à laquelle j'ai terminé mon doctorat avec quelqu'un de très bien qui s'appelle DeRubeis. Vous savez qu'à l'université de Pennsylvanie on cite Aaron T. Beck, le fondateur de la thérapie cognitive. Et j'ai donc fait mon doctorat sur la thérapie cognitive avec un de ses élèves. Je suis ainsi un peu versé dans les deux formes de thérapies, je travaille à la fois sur les psychothérapies cognitives et sur les psychothérapies psychodynamiques. Une partie de mon travail porte sur les psychothérapies psychodynamiques brèves.

PLR - Justement, ces psychothérapies brèves, c'est quelque chose avec lequel nos collègues ne sont pas du tout familiarisés en France. Cela paraît presque contradictoire avec les approches psychanalytiques.
Peut-être pouvez-vous nous parler un peu de l'histoire de ces psychothérapies brèves ? Sont-elles très utilisées aux Etats-Unis ? Ou bien s'agit-il de psychothérapies essentiellement constituées pour la recherche ?

JB - C'est une question assez difficile. Si vous prenez Freud, une partie de ses psychothérapies étaient assez brèves. Quatre séances dans le jardin, en parlant avec les malades... Donc ce n'est pas nouveau. Ça a commencé il y a longtemps. Après, vous allez trouver toute une série de psychanalystes qui faisaient des thérapies brèves, à commencer par Alexander, mais il y a aussi Malan (élève de Balint), Mann, Sifneos, et bien d'autres.... Et il y a beaucoup de raisons pour ça. Ce que je peux vous dire sur ce qui arrive aux Etats-Unis, c'est que la durée moyenne en psychothérapie est d'environ huit séances, et c'était vrai il y a 20 ans. Donc beaucoup de gens vont en psychothérapie et restent seulement huit séances en moyenne. Une psychanalyse dure trois ou quatre ans, ou même plus. C'est bien, mais je ne sais pas combien de personnes elle concerne. Une bonne partie des patients ont besoin d'une psychothérapie beaucoup plus brève et si vous parlez avec des résidents - des médecins qui se spécialisent en psychiatrie - ils vous disent qu'une bonne partie de leurs clients viennent pour quelques séances, donc il y a une place pour ces traitements. Le problème est, il me semble, que des deux côtés du champ, il y a des gens qui pensent que la psychothérapie de longue durée est la seule solution, et d'autres qui pensent que la psychothérapie brève est la seule solution. Je pense que ces deux solutions sont extrêmes et pas tout à fait réalistes. Il y a de la place pour les deux. Une des raisons pour lesquelles on a besoin de thérapies brèves, ce n'est pas seulement parce qu'on fait de la recherche dessus, mais parce qu'il y a beaucoup de gens qui y ont recours, ou qui pourraient le faire, si on leur donnait cela comme une des solutions. Bien sûr, les buts d'une psychothérapie brève ne sont pas les buts d'une psychanalyse. Une des choses dont je voulais vous parler, c'est de savoir si l'on pourrait faire une recherche qui pourrait montrer de quelle façon la psychanalyse a des résultats thérapeutiques bien meilleurs que ceux d'une thérapie brève ? Parce que pour nous, pour justifier une psychothérapie qui dure trois fois par semaine durant cinq ans, il faut que les résultats soient bien meilleurs, beaucoup plus importants, que ce que l'on peut faire dans une thérapie brève. Ce sont des questions à examiner. Une des choses que je voudrais faire dans ma carrière, c'est une étude empirique de la psychanalyse. Nous sommes un groupe de chercheurs qui sommes en train de rédiger une proposition et nous allons rencontrer l'association américaine de psychanalyse pour en discuter.

________________________

Une des raisons pour lesquelles on a besoin de thérapies brèves,
ce n'est pas seulement parce qu'on fait de la recherche dessus,
mais parce qu'il y a beaucoup de gens qui y ont recours
________________________

PLR - Peut-être pourrons-nous ré aborder ce point à partir du protocole de recherche que nous avons élaboré, mais j'avais tout de suite une autre question à vous poser à propos des psychothérapies brèves. Vous avez parlé de quelques séances, de 8 séances. De nombreuses études les concernant font aussi état de 40 séances et j'imagine que cet éventail reflète une variété d'indications ? Par exemple, traiter un trouble de la personnalité borderline en six ou 10 séances, cela paraît quand même difficile !

JB - Absolument.

PLR - En revanche, même pour des psychothérapies qui ont une durée plus longue (par exemple, débutant à l'occasion d'une dépression), on constate que l'état dépressif de départ se réduit effectivement en 6 à 8 semaines (12 à 16 séances). Ce ne sont donc peut-être pas les mêmes populations que vous soignez ?

JB - Non. Je suis d'accord que si vous voulez faire une étude des patients borderline, il vous faudra plus que six mois, peut-être même plus d'un an. La question est combien de temps faut-il ? Deux ans, deux fois par semaine ? Ou quatre ans cinq fois par semaine ?

PLR - Nous n'avons pas de données précises sur la fréquence des séances de psychothérapie relativement au troubles de la personnalité borderline. Ce que l'on peut dire à partir des éléments dont nous disposons, c'est qu'en France, il est exceptionnel que la fréquence des psychothérapies soit de cinq séances par semaine (du moins dans le cadre de la psychiatrie). En général, c'est une ou deux séances par semaine, quelquefois trois.

JB - D'accord. Donc c'est plus une psychothérapie psychanalytique qu'une psychanalyse. Vous faites ça sur le divan ?

PLR - C'est variable. Cela peut évoluer. Très souvent les psychothérapies psychanalytiques commencent en face-à-face. Parce que ce sont des patients qui vont mal, ont besoin d'une interaction quasi constante, et pour lesquels le divan n'est pas un dispositif approprié. Ultérieurement, les choses peuvent évoluer vers le divan. Qui traite les patients borderline, et comment, aux États-Unis  ?

JB - Ce que je peux vous dire, c'est que je participe à deux grandes études, où nous faisons une comparaison de la thérapie de patients borderline influencée par Otto Kernberg, par rapport à la psychothérapie dialectique de Marsha Linehan. Je pense que les résultats finaux vont commencer à arriver dans 3-4 ans. Dans cette étude, la durée qui a été suggérée se situe entre un et deux ans, deux fois par semaine, qu'il s'agisse des psychothérapies analytiques ou comportementales. Je ne crois pas qu'il y ait encore d'études qui soient sorties qui aient comparé ces deux traitements, mais cela ne va pas tarder. Ce sont les deux traitements les plus importants aux États-Unis et dans une partie de l'Europe. En dehors de la France, il y a une étude comme ça en Hollande, il y en a une en Suède et je crois qu'il y en a aussi une en Allemagne. Ce que je vois également, depuis la place où je me trouve, c'est que les traitements comportementalistes deviennent de plus en plus longs. Si vous parliez à Marsha Linehan, je pense qu'elle vous dirait qu'au début elle croyait qu'avec un an de traitement cela serait suffisant. A mon avis, aujourd'hui, elle serait d'accord pour parler de deux ans, peut-être plus.

PLR - Les psychothérapies cognitivo-comportementales sont de plus en plus longues, et elles impliquent de plus en plus de dimensions et d'ingrédients issus d'autres traitements...

JB - Oui. Elles sont très compliquées. Mais l'influence des aspects comportementaux sur lesquels elles essayent de se focaliser est importante. Il me semble que, par rapport à celle de Kernberg, la thérapie comportementaliste essaye d'aider les gens. C'est plus chaleureux, plus acceptant. En essayant de créer un environnement où vous êtes avec le patient.

PLR - Peut-être la comparaison avec la thérapie de Kernberg est-elle particulière dans la mesure où c'est une psychothérapie très interprétative ? D'autres thérapies psychodynamiques se situent beaucoup plus du côté d'une aide de la personne à construire son espace de pensée, sa personnalité, son identité dans un cadre qui lui apporte une sécurité. Cela me semble plus proche des traitements des troubles borderline en France que le modèle théorique de Kernberg.

JB - OK, Si je vous comprends bien, vous me dites qu'en France les gens n'utilisent pas l'approche de Kernberg pour traiter les troubles borderline.

PLR - C'est une question qu'il faudrait poser, mais je pense que l'approche française est beaucoup plus une approche de la construction de la subjectivité, en relation avec le patient, et prenant en compte toutes les difficultés initiales d'établir le cadre. Du fait, par exemple, que le patient va attaquer, ou va solliciter le thérapeute au niveau de sa capacité de contenance. Cela implique d'avoir une relation très stable, très chaleureuse, qui évite les abandons du traitement.

JB - Exactement.

PLR - Et par rapport à cela, il est question dans l'expertise collective de l'Inserm sur les psychothérapies des travaux qui ont été réalisés sur la question de l'utilisation respective du soutien versus l'interprétation (les travaux de Winston en particulier). Ils posent bien que les interprétations précoces dans le cadre de troubles borderline sont des choses extrêmement périlleuses qui occasionnent souvent des sorties de traitement. Les prenez-vous en compte dans votre étude suédoise ?

JB - Oui. Bien sûr. C'est un problème assez important. J'ai une autre étude que je fais en Suède avec des étudiants, une grosse étude d'environ 150 patients avec des troubles de la personnalité en général. Pas spécifiques, toutes les sortes. Ils ont bénéficié soit d'une thérapie « soutien - expression », à la Luborsky, soit d'un traitement général. C'est le papier de l'American Journal of Psychiatry [2005]. Et maintenant on est en train de travailler sur un deuxième papier où l'on regarde quelles sont les dimensions des patients qui correspondent le mieux aux deux traitements. Et il me semble que l'on trouve que les patients qui sont en meilleur état, ont de meilleurs résultats avec une thérapie « soutien - expression », qu'avec une thérapie plutôt « soutien». On est en train de travailler là-dessus, et on verra exactement comment ça va sortir. Nous pensons que la thérapie qui est plutôt « soutien», a de meilleurs résultats avec les troubles de la personnalité en général.

PLR - Mais est-ce que vous prenez en compte les étapes du traitement par rapport à cette question ou pas ? Est-ce que vous faites aussi une analyse de processus, ou est-ce toujours le même cadre psychothérapique ? Ou bien, par exemple, une première partie qui serait plus une partie soutien ... ?

JB - Le problème que l'on a, en répondant à ces questions, est un problème pratique et qui me cause beaucoup de soucis. On a des enregistrements seulement pour la thérapie « soutien - expression  ». On n'a pas d'enregistrement pour la thérapie « comme d'habitude ».

PLR - Qui implique quoi ?

JB - Qui implique « psychodynamique soutien », je pense.

PLR - D'accord. Mais est-ce une véritable psychothérapie ? Ou s'agit-il juste de recevoir le patient, de lui donner des médicaments et quelques paroles d'encouragement ... ?

JB - C'est un peu de tout. On sait jamais exactement ce que les gens ont fait dans le traitement usuel. Mais en général les traitements sont assez bons. Nous n'avons pas tellement regardé les enregistrements jusqu'à ce point-là. Je ne sais pas si on pourra le faire. On peut le faire seulement pour la thérapie « soutien-expression ». Dans une autre recherche, on travaille beaucoup l'analyse de l'influence du processus de la thérapie en début du traitement sur les résultats à la fin du traitement. Il y a beaucoup de travail qui peut se faire à ce sujet.

PLR - Pouvez-vous un peu compléter sur les processus en début de traitement ?

JB - Par exemple, j'ai fait quelques études pour observer quelle est l'influence de la relation thérapeutique au début du traitement et quelle est son implication sur les résultats. Et comme beaucoup d'autres chercheurs, nous avons trouvé que plus l'alliance est bonne en début de traitement, meilleurs sont les résultats à la fin du traitement. On a fait beaucoup de recherches méthodologiques sur cette question, on a cherché à préciser ce qui aide les patients. Est-ce que l'alliance est le résultat de se sentir mieux ? Ou bien, est-ce que c'est quelque chose qui se développe ? En fait, il est probable que l'alliance soit le résultat de se sentir mieux, mais c'est toujours un bon prédicteur des résultats quand même. C'est un peu des deux [Barber et al, 2000]

PLR - D'accord. J'ai lu des études là-dessus, et il ne me semblait pas que le sentiment d'amélioration précoce était véritablement une variable prédictive. Que c'était davantage finalement comme dans un des articles que vous avez publiés [1996a], l'accordage entre la personnalité du thérapeute et celle du patient. Et puis la technique qui va autour.

JB - J'ai écrit plusieurs papiers là-dessus. Il y en a un où ce que je montre c'est que mieux le psychothérapeute utilise les techniques « soutien-expression », meilleurs sont les résultats. C'est un papier que j'ai publié en 1996 [1996b]. Et dans un papier qu'on a publié il y a quelques années, on a recherché comment l'histoire de l'alliance thérapeutique prédit le résultat des traitements brefs [2000].

PLR - J'ai une question qui n'est pas directement en rapport avec l'évaluation des psychothérapies, mais qui porte sur les représentations sociales des psychothérapies. Par rapport à ce que vous avez dit tout à l'heure, que l'approche comportementaliste était perçue comme plus chaleureuse, avec un thérapeute plus présent. En France les psychothérapies comportementales sont plutôt perçues comme des psychothérapies agressives, froides et technicistes... Est-ce que vous avez une idée de cette différence de point de vue ?

JB - Je disais cela pour les traitements des borderline seulement.
Je pense que le traitement behavioriste pour les borderline est vraiment différent du traitement behavioriste pour traiter les obsessions et les compulsions. Une obsession est traitée par exposition. On n'a pas tellement besoin de la relation, c'est quelque chose de technique. Au contraire, avec les patients borderline les thérapeutes encouragent. Les patients peuvent appeler le thérapeute dès qu'ils en ressentent le besoin ; la première chose que le thérapeute essaye de faire, c'est de sauver la vie du patient. Je précise que c'est très différent.

PLR - Donc, c'est une spécificité de la psychothérapie comportementaliste pour les patients borderline ?

JB - Oui, cela s'appelle « dialectical behavioural ». C'est une psychothérapie Intégrative (intégration d'aspects de méditation, d'éveil de la conscience) [Linehan et al, 1991]*.
C'est une thérapie qui essaye d'aider les patients à développer les meilleurs moyens de réguler leur affectivité. C'est ça la différence je pense entre les traitements comportementalistes et les traitements psychanalytiques. Les comportementalistes vont travailler sur le problème identifié. S'ils pensent qu'il y a dysrégulation des états émotionnels, c'est là-dessus qu'ils vont travailler. Ils se moquent s'il y a eu des problèmes dans l'enfance, cela n'a rien à voir avec le problème présent qui doit être traité pour aider maintenant cette personne-là.

PLR - Oui, mais pensez-vous que l'on puisse vraiment différencier les deux ? Les aspects émotionnels ont une influence extrêmement importante sur les réactions du patient, éventuellement ses passages à l'acte. Se focaliser, considérer ce niveau comme un point d'appel paraît extrêmement intéressant. Mais il est souvent difficile ou même impossible de distinguer ces aspects émotionnels à la fois du type de relation à l'autre que les patients ont dans ces moments de bouleversement, et d'autre part, des bases d'insécurité, de traumatisme qu'ils ont vécues au cours de leur première enfance et ultérieurement. Ils y reviennent en permanence, du moins au début de leur psychothérapie.
Est-ce que l'on peut séparer en quelque sorte ce qui enclenche le signal du déroulement de la situation ? « Qui enclenche » en termes de forme de tout son contexte dans l'histoire de la personne.

JB - C'est vrai que c'est difficile de généraliser. La différence c'est que les comportementalistes, quand il y a un problème, ils l'attaquent directement. Supposons par exemple que j'ai des difficultés à parler avec des étrangers, ils vont m'aider à parler avec des étrangers. Ils ne vont pas essayer de savoir qu'est-ce qui m'a causé ça, cela ne les intéresse pas. Freud lui-même disait que ses patients devraient se confronter à ce dont ils ont peur. Mais il n'y a pas beaucoup de thérapeutes psychodynamiques qui vont dire à leurs patient « voilà, écoutez maintenant je vais vous demander de faire ça ». Je pense que c'est ça la différence.

PLR - Peut-être qu'il y a aussi des différences de techniques par rapport aux États-Unis. À un patient qui arrive avec des problèmes et des symptômes, on ne va pas lui demander dès la première séance de raconter sa vie, on part de ses problèmes. Vous donnez l'impression que vous avez l'image du psychanalyste qui travaille sans relation avec le problème particulier qui amène la personne à faire une psychothérapie ou une psychanalyse.

JB - Je ne pense pas exactement cela. Mais je pense que l'approche est différente, et sans parler de l'aspect spécifique français.

PLR - J'ai entendu récemment une interview d'un comportementaliste français et d'un psychanalyste renommé en France. Il disait que lorsque cela lui paraissait nécessaire, il se déplaçait, notamment pour accompagner un enfant à l'école avec ses parents (par exemple un enfant qui avait une phobie et ne pouvait plus aller à l'école). Et personne ne peut contester qu'il s'agit d'un psychanalyste pur et dur.

JB - Oui, mais c'est une analyse d'enfants. Vous pensez qu'il y a beaucoup de psychanalystes qui vont avec leurs patients adultes au-dehors ?
Ce que vous me dîtes c'est qu'il y a beaucoup plus d'apport pragmatique pour la psychanalyse en France. C'est ce que je comprends ici. Dans mon expérience des psychanalystes aux États-Unis, il n'y en a pas beaucoup qui feront ce type d'expérience avec leur patient.
Je me trouve dans une situation un peu amusante parce que finalement, dans cette discussion, je défends les comportementalistes alors que je ne le suis pas moi-même.
Je crois que je connais mieux les théories cognitives que les théories comportementalistes. Il y a une forte poussée des théories comportementalistes aux États-Unis, et je pense qu'on peut dire dans le monde entier. Et la raison principale c'est qu'ils ont emmené leur thérapie à l'examen empirique.

PLR - Est-ce que le développement de cette pratique tient au fait que les comportementalistes font des enregistrements de leurs patients et que les psychanalystes n'ont pas de matériel à offrir à la recherche ?

________________________

Il y a une forte poussée des théories
comportementalistes aux États-Unis, et je pense qu'on peut dire dans le monde entier.
Et la raison principale c'est qu'ils ont emmené leur thérapie à l'examen empirique
________________________

JB - Je ne crois pas que cela marche que comme ça. Je pense que la différence c'est que les comportementalistes étaient intéressés de connaître les résultats de ce qu'ils faisaient et voulaient le démontrer ! De plus, ils pensent que la recherche ne peut pas se faire sur un patient, mais sur plusieurs patients qui ont un certain diagnostic. Est-ce que c'est la seule façon de faire de la recherche je n'en suis pas sûr, mais c'est une façon qui a beaucoup d'influence dans le monde moderne. C'est une façon qui est plus attachée à la méthode scientifique.

PLR - C'est certainement beaucoup plus facile de faire ce type de recherche très ciblée sur le symptôme qu'effectivement sur des recherches psychodynamiques beaucoup plus complexes.
JB - C'est vrai, elles sont plus complexes, mais c'est possible de faire de la recherche. Et je crois qu'il n'y a pas assez de recherche.
Le problème c'est qu'il y a beaucoup de gens qui considèrent que quand il n'y a pas de recherche c'est que les résultats ne sont pas bons. Ce qui n'est pas nécessairement vrai. Mais le problème c'est qu'en médecine, plus qu'en psychologie, ce qui est démontré est important. Dans notre groupe, nous essayons de faire de la recherche sur les thérapies psychodynamiques. Ce n'est pas facile, je suis complètement d'accord avec vous. C'est plus difficile lorsque ce sont des recherches sur les thérapies à long terme. Il est aussi plus difficile de décider quel est le critère d'amélioration dont on va se servir. Une des questions qu'on a, c'est à quoi on la compare et quel est notre critère d'amélioration.

PLR - Vous avez déjà un protocole établi ?

JB - Nous sommes en train de le faire, avec des groupes psychanalytiques. Je serais intéressé d'arriver à cela dans le monde entier, mais je ne suis pas sûr qu'on y arrivera. Je crois que ça va peut-être se faire au début aux Etats-Unis, bien que je ne sache pas comment on peut trouver des financements. Cela coûte très cher. Mon opinion, très humble, c'est que si on ne fait pas ça aux États-Unis, la psychanalyse restera ou deviendra un traitement de plus en plus rare, de plus en plus cher pour une petite minorité. La psychanalyse en France est payée par le gouvernement ?

PLR - Les consultations des psychiatres sont prises en charge par la sécurité sociale. Cela veut dire que les patients qui viennent voir un psychiatre-psychanalyste pour des psychothérapies psychanalytiques sont pris en charge par la sécurité sociale, à peu près à 70 %, avec la possibilité d'un complément par les mutuelles. Il reste généralement une partie qui n'est pas remboursée. Mais globalement, cela reste dans les possibilités individuelles. Cela permet effectivement que des patients extrêmement lourds, des patients borderline, des patients psychotiques ou des patients avec des troubles complexes, puissent être pris en charge. Nous avons développé un protocole de recherche qui part de là. Peut-être peut-on vous le présenter ?

Nous sommes partis d'une idée originale de Daniel Fishman, publiée dans Prevention and Treatment, qui est de faire des études de cas empiriques, en situation naturelle (voir PLR n°44). La proposition de Fishman n'était pas très détaillée, elle s'est soldée d'ailleurs par le développement d'un journal en ligne, qui est tout à fait intéressant, mais qui n'est pas très systématique.
Nous sommes en train de développer la mise en place d'une base de données de cas, informatisée, dans laquelle on pourrait collecter des cas à partir de praticiens dans leur situation usuelle de pratique, avec un protocole très systématisé. Ce protocole que nous avons présenté à partir d'une étude pilote prend en compte à la fois le diagnostic initial, avec différents éléments diagnostiques, les différents éléments de résultats de la thérapie, et le processus entre les deux. L'approche diagnostique est vraiment psychopathologique. Les premiers entretiens sont recueillis, sous la forme de notes, de la façon la plus complète possible. Ces entretiens sont saisis et transmis pour analyse aux membres d'un groupe de pairs, trois ou quatre personnes qui vont avoir à répondre à trois questions : quel est le diagnostic psychopathologique que vous faites, quelles sont les objectifs que vous vous donnez pour cette psychothérapie, et quelle est la stratégie pour les atteindre ? À partir de là, il y a une réunion de consensus qui aboutit à une formulation de cas. Nous sommes là dans la situation de l'expérience clinique du clinicien sauf qu'au lieu de faire ça tout seul et de le faire de façon non formalisée, il confronte son opinion à celles d'autres cliniciens.
Ces éléments-là étant recueillis et construits, le corpus est soumis d'une part, à l'Échelle santé maladie de Luborsky, et d'autre part à une catégorisation DSM de façon à ce qu'on ait les trois niveaux de diagnostic qui donnent à la fois une dimension qualitative approfondie du cas, des éléments quantitatifs et catégoriels qui permettent son entrée dans des études plus générales.
Nous réunissons ainsi à la fois une approche qualitative, issue de la richesse de l'entretien verbatim et de la confrontation entre pairs, et une approche quantitative en soumettant notre corpus à plusieurs outils systématiques, ceux destinés à l'évaluation des résultats et ceux destinés à l'analyse du processus, en particulier le Psychotherapy Process Q-set (PQS) d'Enrico Jones dont nous avons réalisé la traduction. L'idée n'est pas de décrire tout ce qui se fait, mais de déterminer quels sont les ingrédients actifs, de façon à pouvoir dire que c'est une psychothérapie qui à cette phase-là est plutôt de type psycho dynamique, de type comportemental ou de soutien, etc.

La comparaison avant-après de l'état du patient et la description des principales caractéristiques de la psychothérapie tous les trois mois durant un an permet au clinicien de se faire une réelle idée de l'évolution qui s'est produite et de la façon dont elle s'est déroulée. C'est le premier niveau de la recherche, une étude processus-résultat sur des cas isolés systématiques.

Étant donné que c'est la même structure qui est appliquée à chacun des cas, nous supposons qu'ensuite il va être possible de faire de la recherche inductive. C'est-à-dire de constituer et d'observer a posteriori des groupes de cas similaires, avec une notion de similarité qui dépend de ce qu'on veut rechercher : questions et problèmes similaires, diagnostic similaire, processus similaire, résultats similaires ou non similaires ....
On peut constituer ainsi des groupes quasi expérimentaux à partir desquels il devient possible de faire des comparaisons à différents niveaux. Nous supposons que cela va dépasser les limites des essais contrôlés randomisés. La question est évidemment que cela repose sur la constitution d'une base de cas conséquente, ce qui nécessite une participation importante des praticiens. Une des questions qui se pose est celle des enregistrements (ils ne sont pas indispensables, mais très utiles pour appréhender le style et l'ambiance de la psychothérapie). Au niveau des premiers entretiens, ils nous paraissent difficiles à réaliser. En revanche, quand les patients sont là depuis un mois ou deux, cela ne pose aucun problème.

JB - Oui, souvent les thérapeutes ont peur de demander pour les enregistrements, mais en général, cela ne pose pas de problème aux patients. J'ai souvent beaucoup de mal à convaincre les thérapeutes qui travaillent avec moi que le problème c'est pour eux, c'est pas pour les patients. Nous n'utilisons pas le PQS. Vous ne rencontrez pas de problèmes avec ?

PLR - Non, cet instrument a été modifié de telle façon qu'il puisse saisir les principaux ingrédients des différentes méthodes. C'est un outil très clinique et ouvert. Nous avons fait une analyse secondaire qui a fait sortir des éléments qualitatifs intéressants. On ne les attendait pas, y compris sur le diagnostic d'ailleurs. Et sinon qu'est-ce qui est utilisé pour appréhender les processus alors ?

JB - Le problème, dans la recherche en psychothérapie c'est que chacun utilise les outils qu'il a développés. En général c'est ça qui se passe. Il n'y a pas vraiment de mesures dont tout le monde se sert. Peut-être les échelles de la relation thérapeutique mais pour le reste chaque chercheur a sa petite échelle et travaille avec ça. Nous utilisons le Core Conflictual Relationship Theme method (CCRT)**.
Tout dépend de la question que l'on se pose. Je ne pense pas qu'il y ait des outils universels. Nous, on est en train de développer une échelle qui d'une certaine façon est un peu comme le PQS. Elle traduit les interventions thérapeutiques, et on l'a élaborée de façon à ce qu'elle puisse être remplie par le patient aussi. Parce que ce qui m'intéresse, ce n'est pas seulement ce que les thérapeutes pensent qu'ils font, ou que les observateurs pensent que le thérapeute fait, mais aussi ce que les patients, qui sont dans ce processus, pensent de ce qui leur arrive. J'ai l'impression qu'ils pensent quelque chose qui est vraiment différent de ce que nous pensons. On verra.

PLR - Ce serait le même questionnaire ?

JB - Oui, le grand travail c'est de développer des items d'une façon assez simple, très claire. On est en train de travailler là-dessus. Nous l'avons déjà utilisé mais nous n'avons pas encore publié dessus.
Je fais un cours sur les psychothérapies à des étudiants de troisième ou quatrième année qui font leur licence en psychologie. Pendant le cours, nous regardons des films ensemble (des films de cinéma et des films de séances psychothérapeutiques). Nous nous sommes servis de cette échelle pour essayer de quantifier ce qui arrive dans les séquences thérapeutiques. C'est un bon entraînement, et c'est pour moi aussi une bonne manière de voir si notre échelle est capable de distinguer les différentes psychothérapies.

PLR - J'ai une question, mais qui est un peu « méta ». Il y a beaucoup de théories psychopathologiques, il y a des théories de l'étiologie, de la genèse des troubles... Mais existe-t-il des théories des processus de changement thérapeutique ?

JB - C'est très intéressant. Oui, il y a des théories, si vous allez voir un psychanalyste et que vous lui demandez quelle est sa théorie. Il va vous répondre : l'Insight. Et après vous allez lui demander : « Mais le transfert ? ». Il va répondre : « Ce n'est pas l'insight qui est important, c'est la relation ». Alors il y a des théories. Il n'y a pas beaucoup de travail empirique sur ces différents théories. Mais ce qui est intéressant là, c'est que j'ai toujours cru que mes collègues, qui donnaient des médicaments, avaient de bonnes théories, par exemple sur la façon dont les ISRS fonctionnaient. Et cela a été très intéressant pour moi de savoir, en parlant avec des chercheurs en pharmacologie, qu'ils ne savent pas pourquoi ça marche. Donc ce n'est pas tellement différent. Il y a pas mal de théories, mais il n'y a pas beaucoup de faits. Je pense que si vous réussissez à avoir les 300 patients que vous voulez dans votre étude, que vous avez les PQS en longitudinal, en espérant aussi que vous aurez différents traitements (que tout le monde ne sera pas psychanalytique), et que vous êtes capables de quantifier le traitement d'un point de vue théorique, ça je pense que ce serait vraiment très intéressant.
Les études naturalistes comme celle-là, il n'y en a pas beaucoup et c'est une très bonne méthode pour commencer. C'est différent de ce que nous faisons, mais c'est très valable.

PLR - Pour moi qui suis un peu extérieur, je suis frappé de voir, quand je regarde les travaux, qu'il n'y a pas vraiment de théorie de la psychothérapie, il y a de la théorie de la pathologie...

JB - Il y a de la théorie de la psychothérapie

PLR - Mais en tant que processus....

JB - Oui en tant que processus, mais si vous demandez à quelqu'un ce qu'est sa théorie, vous allez entendre beaucoup d'histoires ; il y a beaucoup de théories et je ne pense pas que les théories aient été très élaborées : qu'est ce qu'on fait quand on fait de la psychothérapie à nos patients ?

PLR - C'est la grande question

JB - On essaie de donner une réponse. Il n'y a pas beaucoup de bons livres là-dessus.

PLR - Est-ce qu'il ne faudrait pas alors que les axes de recherche ne se limitent pas à la psychopathologie et à l'analyse descriptive, et accordent davantage de place à une approche empirique des théories du changement ?

JB - Oui, si on prend la thérapie relationnelle, on pense que cette théorie est importante pour le changement et que les techniques sont importantes. Il n'y a pas beaucoup de recherches qui examinent comment elles travaillent, ce qui change dans la personne. Nous, on observe le CCRT (Core Conflictual Thematic Theme). Qu'est-ce qui est important dans le changement ? Les techniques thérapeutiques et la relation aident à changer le CCRT : on a des preuves que le CCRT change ; mais on n'a pas de preuve que ce que l'on fait change le CCRT. On a beaucoup d'hypothèses là-dessus, on a beaucoup d'histoires, mais on a pas beaucoup de faits.


PLR - Est-ce qu'on a des idées, pour savoir comment on pourrait réunir des faits ?

JB - Nous travaillons en nous appuyant sur le concept de médiation. C'est quelque chose d'important. Si vous comparez un traitement X à un traitement Y, et que vous pensez que ce qui advient dans le traitement X est important et ne se produit pas dans le traitement Y, vous allez vous demander quelle est l'intervention qui a produit ce changement. Imaginons qu'il s'est produit un Insight, mais également une interprétation du transfert. Si l'interprétation de transfert a eu lieu avant l'insight vous pourrez considérer que l'interprétation est le facteur déterminant et que l'insight n'est qu'une étape du processus de changement. Wallerstein a ainsi situé que l'insight n'est pas la cause du changement, il en est la conséquence. C'est un processus complexe, où l'ordre de déroulement est important. Il peut aussi y avoir différents types de personnalités qui vont répondre différemment à différents types de psychothérapie. Il peut être difficile de déterminer quelque fois si c'est le changement au niveau du symptôme qui produit le changement dans les relations interpersonnelles ou l'inverse,...

__________________________

Si vous demandez à quelqu'un ce qu'est sa
théorie, vous allez entendre beaucoup d'histoires
________________________

PLR - Dans toutes ces approches, est-ce que l'on dépasse véritablement le corrélationnel, a-t-on des hypothèses causales ?

JB - On a des hypothèses causales, et la façon que nous essayons de dresser les hypothèses causales se fait à partir du déroulement. Qu'est-ce qui est intervenu en premier ? Pour l'essentiel, qu'il s'agisse de la médecine ou de la psychothérapie nous n'avons pas regardé si c'était avant, ce qui est arrivé en premier. Évidemment, Il n'y a pas de doute que si nous aidons nos patients, ils nous aideront plus, ça va dans les deux sens...

PLR - Il est rare qu'il y ait un changement radical et définitif. On revient plusieurs fois sur les choses, on constate plutôt une réduction de la symptomatologie que sa disparition le grand jour de l'insight. La description de ce processus est très difficile et les études de résultats, qui ne sont peut-être pas très satisfaisantes, représentent déjà un niveau d'approche intéressant : une intervention psychologique a produit un changement. Peut-on aller plus loin avec les analyses de processus ? On peut repérer, dans le fonctionnement de quelqu'un, des régularités d'enchaînements qui conduisent finalement à une manifestation pathologique plus ou moins grave. Ces enchaînements, qui sont finalement des structures internalisées, peuvent commencer à se modifier à partir du moment où elles sont déjà appréhendées, décrites, et éventuellement interprétées. Ce sont des récurrences, des symptômes au sens où quelque chose de symbolique est touché, mais cela devient des schémas, des configurations fonctionnelles spécifiques chez une personne. La semaine dernière il était question dans un colloque de l'automutilation chez les patients borderline : quelqu'un a présenté cette conduite de façon très descriptive ; cela m'a fait penser à des patients (cinq) qui répondaient à ces critères et je me suis posé la question de savoir si les conditions de déclenchements de leurs conduites d'automutilation avaient des éléments communs. L'un d'entre eux a fait une crise chez moi et j'ai réfléchi à la façon dont cela s'était déclenché chez lui et à ce que les autres m'avaient relaté à ce sujet. Il me semble que l'enchaînement du déroulement était très comparable : incapacité de réagir autrement que dans la réaction physique à une situation de mise en cause et d'impuissance symbolique, l'automutilation représentant un soulagement et un sentiment d'existence transitoire. Cela donne beaucoup d'éléments pour comprendre ce qui se passe, le rapport à l'autre et la détresse qui l'accompagne.

JB - C'est le genre de travail que nous avons fait avec le CCRT. Est-ce que vous pensez que la configuration que vous décrivez pourrait être généralisée ?

PLR - J'aimerais bien que cela puisse être une hypothèse étudiée en relation à l'expérience d'autres cliniciens confrontés à ce problème.
La situation en France, c'est qu'il n'y a aucun soutien de la recherche en psychothérapie ; situation paradoxale car on dit il n'y a pas de travaux, mais il n'y a pas de financement. C'est une des vocations de ce « groupe du lundi » que nous avons mis en place avec des personnes qui ont une audience pour faire reconnaître l'importance de la recherche en psychothérapie et avoir un impact pour aller demander des fonds.

JB - Et la question des fonds ?

PLR - Il faut évidemment prendre en compte le fait que l'essentiel des psychothérapies se déroule en ambulatoire, notamment en cabinet libéral. Il serait tout à fait possible de faire intervenir une association ou un regroupement d'associations et de les coordonner avec une ou plusieurs unités de recherches. Aux EU, ce sont des universitaires qui font la recherche dans ce domaine ?

JB - Aux EU, c'est l'état qui nous accorde les crédits, on peut faire des requêtes au gouvernement. Le NIMH, c'est le gouvernement. Il est difficile d'avoir de l'argent pour la psychothérapie, mais c'est possible. Ils sont intéressés de former des chercheurs de base qui font de la molécule.

PLR - Juste encore une question : vous êtes devenu vice-président de la SPR, voulez-vous nous parler de cette société ?

JB - C'est une société internationale de chercheurs sur la psychothérapie, surtout empirique. Nous sommes très intéressés d'avoir des personnes de France, nous avions dans le temps deux chercheurs P Gérin et A Dazord qui ont disparu de la société.

PLR - Ils sont maintenant à la retraite après avoir fait un gros travail d'introduction de l'évaluation des psychothérapies en France. Ils ont organisé le premier congrès de la SPR à Lyon en 1990. C'est une équipe qui s'est heurtée à une certaine opposition de la profession par rapport à l'évaluation et n'a reçu que peu de soutien institutionnel. 

JB - La France est un pays important mais qui n'a pas de représentation dans la société. Nous sommes un groupe de chercheurs internationaux qui font de la recherche sur les psychothérapies à longueur de journée et ont différentes approches. C'est un groupe très sympathique avec beaucoup de collaborations. Ce que je vais essayer de faire en tant que président puis past président c'est d'établir un dialogue entre les psychanalystes et les autres.
J'espère que vous viendrez en Ecosse au congrès de la SPR. Ce serait bien que vous entriez en relation avec par exemple le groupe de Lausanne, décrire ce que vous faites.

PLR - Est-ce que vous pensez que la revue de la SPR Psychotherapy Research pourra être intégré à Medline ?

JB - je ne savais pas qu'il n'y était pas. Nous regardons plus PsyInfos mais je vais m'en occuper.



La Society for Psychotherapy Research (SPR) est une société internationale qui se consacre à la recherche sur les psychothérapies. Elle fut crée à la fin des années 60. Kenneth I. Howard, son premier président, fut élu en 1970.

Actuellement, la SPR revendique plus de 1000 membres actifs, originaires de 45 pays. L'Amérique du Nord est très représentée mais aussi l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie ou la Suisse. Le but de la SPR est de fédérer les recherches « scientifiques », de diffuser et de développer les travaux sur les psychothérapies.

Sa revue Psychotherapy Research paraît cinq fois par an. (http://www.tandf.co.uk/journals/titles/10503307.asp).

Son dernier congrès s'est tenu à Montréal en 2005. Il s'est déroulé sur 4 jours et comportait plus de 400 interventions sur des thèmes variés mais s'inscrivant toujours dans le cadre générale de la recherche sur le processus et les résultats de la psychothérapie (http://www.psychotherapyresearch.org/events/downloads/montreal.prog_web.pdf).

Le prochain congrès de la SPR, son 37ème congrès annuel, se déroulera en juin 2006 à Edinburgh en Ecosse. (http://www.psychotherapyresearch.org/edinburgh/welcome2.html).




 

* LINEHAN M.M., ARMSTRONG H.E., SUAREZ A., ALLMON D., HEARD H.L. Cognitive-behavioral treatment of chronically parasuicidal borderline patients. Arch. Gen. Psychiatry. 1991 ; 48(12):1060-1064.

** Le CCRT est utilisé à partir d'une transcription de séance où il y a un récit clair concernant les relations aux autres ou quelquefois à soi. Le CCRT tente de mesurer les conflits relationnels et les configurations sur la base de trois composants : attentes, réponses données par les autres, réponses données par le moi.
Luborsky L., Luborsky E. Evaluation des phénomènes transférentiels par différentes méthodes dont celle du "thème relationnel conflictuel central", In Gerin P, Dazord A. Recherches cliniques "planifiées" sur les psychothérapies. Méthodologie. Paris, Inserm 1992.



Quelques recherches de Jacques Barber et al.

DIGUER L., BARBER J., LUBORSKY L. Three concomitants : Personality disorders, psychiatric severity, and outcome of dynamic psychotherapy of major depression. Am. J. Psychiatry 1993 ; 150 (8) : 1246-1248.
Chez 25 patients présentant une dépression majeure, les auteurs ont étudié les relations entre l'existence d'un trouble de la personnalité comorbide, la sévérité du trouble psychiatrique et les résultats de la psychothérapie dynamique. Les patients avec un diagnostic comorbide avaient un trouble psychiatrique plus sévère à l'entrée, à la terminaison de la thérapie, et au suivi de 6 mois. Bien que tous les patients se soient améliorés et aient maintenu leurs gains au suivi, ceux qui présentaient un diagnostic de trouble de la personnalité comorbide ne se sont pas améliorés autant que ceux qui n'en présentaient pas.

BARBER J., CRITS-CHRISTOPH P., LUBORSKY L. Effects of therapist adherence and competence on patient outcome in brief dynamic therapy. J. Consult. Clin. Psychol. 1996 ; 64:3, 619-622.
Les auteurs ont examiné la relation entre les variables de processus du thérapeute (mise en oeuvre du traitement indiqué et compétence) et le changement symptomatique consécutif chez les patients. Relativement à la sévérité psychiatrique pré thérapeutique, à l'utilisation par les thérapeutes des techniques d'expression, et à l'amélioration symptomatique antérieure, la délivrance relativement compétente de techniques SE spécifiquement interprétatives a prédit une amélioration consécutive de la dépression. Des analyses secondaires concernant des explications alternatives (telles que le rôle de l'alliance thérapeutique ou les outils thérapeutiques généraux) n'ont pas changé les résultats.

BARBER J., MUENZ L.R. The Role of Avoidance and Obsessiveness in Matching Patients to Cognitive and Interpersonal Psychotherapy: Empirical Findings From the Treatment for Depression Collaborative Research Program. Journal of Consulting and Clinical Psychology 1996 ; 64:5 : 951-958.
Cet article examine l'hypothèse suivant laquelle la thérapie cognitive (CT) est plus efficace que la thérapie interpersonnelle (IPT) pour le traitement de patients déprimés ayant un niveau élevé de personnalité évitante, tandis que c'est l'inverse avec les patients de personnalité très obsessionnelle. Cette hypothèse est issue pour une part des résultats préliminaires d'une étude pilote non publiée, qui a examiné le déroulement de thérapies dynamique et cognitive pour une personnalité évitante et obsessionnelle-compulsive. Avec la configuration «définitive» des résultats disponibles du Programme de Recherche Collaborative sur le Traitement de la Dépression (I. Elkin et al., 1989), des interactions significatives entre le traitement (CT vs IPT) et l'évitement d'une part, les obsessions d'autre part ont été trouvées. Une interaction significative a également été trouvée entre le statut matrimonial et le traitement, indiquant que les patients mariés faisaient mieux avec CT, tandis que les célibataires et vivant seuls s'amélioraient davantage après IPT. Des configurations similaires ont été trouvées en utilisant l'Échelle de Hamilton et celle de Beck.

WILCZEK A., WEINRYB R.M., GUSTAVSSON P.J., BARBER J.P., SCHUBERT J., ASBERG M. Symptoms and character traits in patients selected for long-term psychodynamic psychotherapy. J. Psychother. Pract. Res. 1997 ; 7 (1) : 23-34.
Dans cette étude naturaliste de 55 patients sélectionnés pour une psychothérapie psychodynamique à long terme, deux instruments suédois d'évaluation sont présentés (le profil psychodynamique de Karolinska et les Échelles Karolinska de personnalité). La signification des critères psychodynamiques de sélection est discutée. Trente patients (55%) ont satisfait aux critères de diagnostic DSM-III-R. La pathologie du caractère la plus définie d'un point de vue psychanalytique s'est située dans les domaines de la gestion d'affects agressifs ; de la dépendance et de la séparation ; de la tolérance à la frustration ; et du contrôle de l'impulsivité. Certains traits de caractère définis de façon psychodynamique, en particulier la faible tolérance à la frustration, ont été rapportés à la souffrance psychique.

BADGIO P.C., HALPERIN G.S., BARBER J.P. Acquisition of adaptive skills: psychotherapeutic change in cognitive and dynamic therapies, Clin. Psychol. Rev. 1999 ; 19:6, 721-737.
Il existe de larges aires de chevauchement entre les types de processus de changement qui se produisent dans la thérapie cognitive et dans la thérapie dynamique. Nous suggérons que l'acquisition d'outils d'adaptation décrit des processus de changement du patient qui sont communs dans les deux thérapies. Plus spécifiquement, que le concept d'outils adaptatifs recouvre à la fois le modèle d'outils compensatoires de la thérapie cognitive (Barber & DeRubeis, 1989) et quelques uns des changements du patient qui se produisent dans les thérapies dynamiques. Le présent article éclaire le fait que les deux traditions thérapeutiques emploient des techniques radicalement différentes pour atteindre certains buts communs, ce qui autorise une investigation théorique et empirique supplémentaire du processus et des résultats de la thérapie.

BARBER J.P., CONNOLLY M.B., CRITS-CHRISTOPH P., GLADIS L., SIQUELAND L. Alliance predicts patients' outcome beyond in-treatment change in symptoms. J. Consult. Clin. Psychol. 2000 ; 68 (6) : 1027-1032.
Les auteurs ont examiné les relations entre l'alliance thérapeutique, le résultat, et l'amélioration symptomatique précoce dans le traitement d'un groupe de patients présentant des troubles anxieux généralisés, une dépression chronique, ou un trouble de la personnalité (évitant ou obsessionnel compulsif) ayant bénéficié d'une psychothérapie dynamique de soutien et d'expression. L'étude montre la réaction en chaîne qui s'établit entre une bonne alliance de départ, les premiers résultats sur les symptômes et l'effet de renforcement de ces résultats sur l'alliance thérapeutique, etc. Les résultats sont discutés en terme de rôle causal de l'alliance thérapeutique dans le résultat.
Il est souligné que ces conclusions s'appliquent à des troubles précis, traités par une psychothérapie spécifique (psychodynamique SE).

BARBER J.P, STRATT R., HALPERIN G., CONNOLLY M.B. Supportive techniques: are they found in different therapies? J. Psychother Pract Res. 2001 ; 10 (3) : 165-72.
Des thérapeutes de différentes approches utilisent des techniques différentes. Bien que nombre de ces techniques soient spécifiques à leur théorie du traitement, d'autres sont pratiquées en commun dans différentes formes de psychothérapie. Nombre de ces techniques communes ont été antérieurement décrites, mais les techniques de soutien ont été largement ignorées. Les auteurs distinguent l'utilisation de techniques de soutien et l'alliance thérapeutique. En utilisant la définition de Luborsky des techniques de soutien, ils examinent la littérature empirique sur l'utilisation de ces techniques dans différentes thérapies. Ils en concluent que les techniques de soutien sont souvent utilisées dans différentes formes de psychothérapie ou de conseil.

BARBER J.P., ABRAMS M.J., CONNOLLY-GIBBONS M.B., CRITS-CHRISTOPH P., BARRETT M.S., RYNN M., SIQUELAND L. Explanatory style change in supportive-expressive dynamic therapy. J. Clin. Psychol. 2005 ; 61 (3) : 257-268.
Le changement dans le style d'explication (mesuré par le questionnaire d'attribution de style [ASQ]) a souvent été considéré comme étant spécifique à la thérapie cognitive (CT). Nous avons utilisé des données issues de 59 patients qui ont reçu une thérapie dynamique de soutien et d'expression (SE) après avoir rempli les critères du DSM-III-R de trouble dépressif et qui avaient complété l'ASQ au début et à la fin du traitement. Nous avons trouvé que les symptômes dépressifs ont diminué de manière significative et que le style d'explication est devenu plus optimiste au cours du traitement. En outre, le changement à l'ASQ a été corrélé avec le changement dans la dépression.

VINNARS B., BARBER J.P., NOREN K., GALLOP R., WEINRYB R.M. Manualized supportive-expressive psychotherapy versus nonmanualized community-delivered psychodynamic therapy for patients with personality disorders: bridging efficacy and effectiveness. Am. J. Psychiatry. 2005 ; 162 (10) : 1933-40.
Dans un essai clinique randomisé stratifié, 156 patients au diagnostic de trouble de la personnalité ont été affectés au hasard, soit à 40 séances de psychothérapie d'expression et de soutien (N=40) délivrées suivant un manuel, soit à une thérapie psychodynamique délivrée dans un centre (N=76) et menée par des cliniciens expérimentés. Les évaluations ont été faites à l'entrée et à un an et deux ans après le début. Les mesures de résultat comprenaient la présence du diagnostic de trouble de la personnalité, l'index de sévérité du trouble de la personnalité, le niveau des symptômes psychiatriques (SCL-90), l'évaluation du score de l'échelle de fonctionnement global et le nombre de séances de thérapie. Dans les deux traitements, le niveau global de fonctionnement s'est amélioré en même temps qu'il se produisait une diminution de la prévalence des patients remplissant les critères de diagnostic de trouble de la personnalité, de la sévérité du trouble de la personnalité et des symptômes psychiatriques. Il n'y a eu aucune différence d'effet entre les traitements.


Dernière mise à jour : 10 mars 2005 16:18:38 contact

Accueil PLR