Méthodes qualitatives en recherche en santé et en psychiatrie |
Editorial - Comité de rédaction Recherche qualitative. Quelle définition ? M Villamaux Étapes d'une recherche qualitative Méthodes, techniques et épistémologies de l'analyse qualitative. X Briffault Subjectivité du chercheur et qualitatif en recherche. MThurin Quels outils pour l'analyse de données qualitatives ?. X Briffault Recherche qualitative et EBM. JM Thurin Études qualitatives en psychanalyse. B Lapeyronnie Évaluation de la recherche qualitative. M Falk-Vairant abonnement Comité de Rédaction et remerciements |
Dans le numéro 33 de Pour la Recherche de juin 2002, sur le thème la "recherche qualitative", nous annoncions un autre numéro sur cette question. Le voici.
S'il est utile de distinguer le quantitatif du qualitatif, il est insensé de les opposer. Par exemple, prenons un instrument d'évaluation comme le The Psychotherapy Process Q-set (PQS) in Therapeutic Action, de Jones qui comprend 3 types d'items : 1. éléments décrivant l'attitude et le comportement ou l'expérience du patient, 2. éléments reflétant les actions et les attitudes du thérapeute, 3. éléments essayant de cerner la nature de l'interaction de la dyade, le climat ou l'atmosphère de la séance. Cent questions sont posées à un observateur qui écoute des séances entières enregistrées. Cet instrument est présenté par les auteurs comme servant à une recherche quantitative. Mais si nous observons quelques questions : 1. Le patient verbalise des sentiments négatifs (c'est-à-dire, critique, hostilité) envers son analyste (vs. il approuve ou admet les remarques) ou 2. Le thérapeute porte attention au comportement non verbal du patient, c-à-d, à la position du corps et à la gestuelle ; ou encore 3. Les propres conflits émotionnels du thérapeute sont introduits dans la relation thérapeutique. A-t-on affaire ici uniquement à du quantitatif ? On quantifie du qualitatif pour le dire vite. Et bien sûr, nous n'obtenons pas le même type de résultats que si nous cherchions à comprendre les interventions du praticien (démarche qualitative).
Ce numéro propose de réfléchir sur une définition pragmatique de la "recherche qualitative", dont il dresse rapidement les principales étapes. Puis il présente les méthodes, techniques et épistémologies de l'analyse qualitative ainsi que des outils pour l'analyse des données. Un tableau présente les nombreuses études déjà effectuées dans le domaine spécifique de la psychanalyse et leurs principaux résultats. En encadrés, quelques exemples de chercheurs-cliniciens qui ont mis le concept à l'épreuve. Dans le numéro précédent de Pour la Recherche, nous abordions le concept difficile d'EBM. Un article aborde la question de ses relations avec la recherche qualitative.
Nous ne prétendons pas dans ce numéro, comme dans le précédent avoir fait le tour de la question, mais nous avons le sentiment d'avancer. Ce type de recherche s'organise et avec l'introduction de technologies (informatique, télévisuelle), l'affinage des recueils de données, les possibilités se sont ouvertes pour une véritable recherche qualitative qui devrait apporter beaucoup aux cliniciens et à leurs patients.
« Sachant combien les méthodes de recherche forment une partie extrêmement diversifiée et variable de l'histoire des sciences, cerner et caractériser globalement ce qu'on appelle « recherche qualitative » apparaît en soi comme une tâche paradoxale et vouée, dés le départ à l'échec ». Constat radical, que fait Alvaro P. Pires en 1997, dans un ouvrage collectif sur les enjeux épistémologique et méthodologique de la recherche qualitative. Moins de dix années plus tard, son point de vue semble toujours pertinent. Peu d'auteurs se risquent à une définition précise.
Christine Brown et Keith Loyd (2001) commencent ainsi leur introduction : « Les méthodes de recherche qualitative sont utilisées pour collecter et analyser des données qui ne peuvent pas être représentées par des nombres ». L'allusion est classique, faute d'une définition précise, on partage, dans le meilleur des cas, le territoire : aux chiffres la méthodes quantitative, aux lettres la méthode qualitative. Et cela, quand la hache de guerre est enterrée. Comme le rappellent à juste titre Brown et Lloyd, il n'est pas loin le temps où la recherche qualitative était tout ce que n'était pas la recherche quantitative sans plus de précision, ni de considération. Tout au plus la recherche qualitative pouvait y être envisagée comme une aide ponctuelle.
En 2000, Ursula Hess, Sacha Senécal & Robert J. Vallerand écrivaient, dans un important ouvrage sur les méthodes de recherche en psychologie : « Pour que l'opérationalisation des variables soit valide, une connaissance approfondie du phénomène à l'étude est indispensable. La première étape exploratoire, lorsque l'on aborde un nouveau sujet, consiste donc généralement en la description du phénomène à l'étude. Une fois cette description obtenue, elle peut servir de base à des études expérimentales subséquentes. Plusieurs des méthodes ou techniques développées dans un cadre qualitatif sont particulièrement utiles afin d'obtenir de telles descriptions ».
Et d'ajouter un peu plus loin dans le texte : « Il faut cependant comprendre que malgré le fait que les méthodes qualitatives sont fort utiles en tant que partie intégrante du répertoire d'un chercheur, elles ne peuvent pas permettre d'établir le lien de causalité ou de vérifier des prédictions. Elles sont plutôt utiles afin de créer une base de connaissance qui peut mener à des pistes de départ pour un programme de recherche de type quantitatif ».
Le débat pourrait être légitime, s'il avait pour unique objectif de trouver la méthode la plus adéquate pour répondre à la question que l'on se pose, à l'hypothèse que l'on veut tester.
La réflexion menée sur la validité des méthodes utilisées, leurs lourdeurs pratiques..., serait dans ce cadre, compréhensible. Les recherches qualitatives versus quantitatives pourraient se compléter, s'additionner afin de toujours mieux appréhender l'objet étudié.
Pour reprendre un exemple cité par Alvaro P. Pires (1997), on ne serait pas choqué, qu'un naturaliste afin de mieux comprendre une espèce de rapace, puisse à la fois, capturer l'animal afin d'en mesurer la taille et filmer son comportement en vol pour mieux comprendre comment il chasse. Malheureusement, il en va tout autrement dans les sciences humaines et la psychiatrie. L'objet d'étude de ces disciplines, à savoir le sujet humain, déchaîne beaucoup plus les passions. Au delà des aspects techniques de la recherche, et cela aussi bien pour la sociologie, la psychologie que pour la psychiatrie..., des considérations philosophiques sur la nature de l'objet, des arguments épistémologiques sur la place de l'observateur dans la recherche, alimentent le débat. Débat qui cache mal un autre problème récurrent dans ces disciplines : leur supposé statut scientifique comparé aux sciences dures (la physique, par exemple), fragilité qui pousse souvent certains chercheurs à redoubler d'efforts pour laver plus blanc que blanc.
Ainsi, la nature de la recherche, qualitative versus quantitative, serait avant tout un parti pris en fonction d'un courant de pensée ou d'une épistémologie particulière. Schématiquement, une recherche qualitative ferait plus référence à un cadre constructiviste ou subjectiviste, alors qu'une recherche quantitative serait plus proche d'une option positiviste, réaliste ou bien encore objectiviste.
Alors quoi faire ?
Selon nous, la construction d'une recherche fait nécessairement appel à des considérations épistémologiques et théoriques et cela en fonction de la question que l'on se pose mais aussi de l'objet étudié. Des choix méthodologiques en découlent mais ne la caractérisent pas. « Certes, certaines perspectives épistémologiques ont particulièrement mis en valeur l'un ou l'autre des types de données, ce qui a amené des chercheurs à associer, à tort, l'exploitation de ces données avec l'axiomatique épistémologique en question : les chiffres ont été assimilés au réalisme et les lettres, au constructivisme (Pires, 1997) », mais rien ne laisse penser que ces rapprochements soient nécessaires. Au contraire, nous sommes parfois tentés de penser que l'opposition qualitatif versus quantitatif cache avant tout des querelles plus idéologiques et politiques que méthodologiques.
En l'absence d'une définition précise du terme, concentrons nous sur son usage : quelles méthodes sont habituellement qualifiées de qualitatives ? Brown & Lloyd (2001) les regroupent en trois catégories : l'observation, l'interview et l'étude de documents écrits.
L'observation est plus ou moins structurée. Le chercheur définit a priori, ce qu'il souhaite observer en fonction des objectifs de la recherche et des outils qu'il souhaite utiliser : caméra, papier/crayon, magnétophone, etc. Son implication sur le terrain peut être variable, on parle parfois d'observation participante lorsque le chercheur est à la fois acteur et observateur de la situation étudiée.
Comme pour l'observation, l'interview peut être plus ou moins structurée. Le chercheur peut, par exemple, proposer un thème général et ensuite par simple relance recueillir le point de vue de son interlocuteur, ou dans des situations qui le nécessitent, il peut administrer un hétéro-questionnaire. L'entretien se déroule traditionnellement en face à face, mais peut – et cela se fait de plus en plus – être effectué par téléphone. Il est souvent enregistré pour être ensuite retranscrit et analysé. Traditionnellement individuel, il peut aussi être organisé en groupe (on nomme traditionnellement cette pratique : les focus groupes).
En résumé
La recherche qualitative produit de grandes quantités de données textuelles sous la forme de transcriptions et de notes d'observation de terrain.
La préparation systématique et rigoureuse, et l'analyse de ces données prend du temps et demande beaucoup de travail.
L'analyse des données prend souvent place à côté du recueil des données pour permettre aux questions d'être redéfinies et de développer de nouvelles voies d'enquête.
Les données textuelles sont typiquement explorées de façon inductive en utilisant l'analyse de contenu pour générer des catégories et des explications ; des logiciels peuvent aider à l'analyse mais ne devraient pas être considérés comme des raccourcis d'une analyse systématique et rigoureuse.
Une analyse de haute qualité de données qualitatives dépend de l'habileté, de la vision et de l'intégrité du chercheur ; elle ne devrait pas être abandonnée à un novice.
Pope C, Ziebland S, Mays N. L'analyse des données qualitatives. BMJ, 2000, Vol 320 ; 8 www.bmj.com
1. Brown, C. & Lloyd, K. (2001). Qualitative methods in psychiatric research. Advances in Psychiatric treatment, 7, 350-356.
2. Hess, U., Senécal, S. & Vallerand, R.J. (2000). Les méthodes quantitative et qualitative de recherche en psychologie. In R.J. Vallerand & U. Hess (eds.), Méthodes de recherche en psychologie, Boucherville : Gaëtan Morin Editeur.
3. Pires, A. P. (1997). De quelques enjeux épistémologiques d'une méthodologie générale pour les sciences sociales. In J. Poupart, J.-P. Deslauriers, L. Groulx, A. Laperrière, R. Mayer & A.P. Pires (eds.), La recherche qualitative : enjeux épistémologiques et méthodologiques, Boucherville : Gaëtan Morin Editeur.
Editorial - Pour la recherche -
Le premier numéro présentait une approche assez globale, un défrichage du concept et quelques unes de ses applications. Aujourd'hui, après une lecture d'articles abondants sur la question, nous tentons de présenter des outils et des exemples dans une perspective d'incitation à la recherche, l'objectif principal de Pour la Recherche.
Recherche qualitative, quelle définition ?
Michaël Villamaux
Enfin, l'étude de documents écrits, comme son nom l'indique, consiste principalement en l'analyse de textes comme par exemple les notes médicales, les correspondances, les journaux intimes, la presse, mais elle pourrait aussi être adaptée à l'analyse d'images. Ce type de travail a souvent été considéré comme idéal, étant donné qu'il s'agit d'un recueil d'informations a posteriori sans intervention préalable du chercheur.
Étapes d'une recherche qualitative
Méthodes, techniques et épistémologies de l'analyse qualitative
Xavier Briffault