Pour la Recherche n° 26 - septembre 2000


phare
  • Éditorial, par les Drs Jean Garrabé et Jean-Michel Thurin
  • Place actuelle et enjeux de la recherche en pratique clinique ans l'avenir de nos pratiques - Dr Jean-Michel Thurin
  • Appel d'offres santé mentale - relevé de décision du 16 octobre 2000 - MIRE
  • Exercice de la psychothérapie par les psychiatres : compétences requises, formation, évaluation - Commission FFP-CNUP
  • abonnement

  • Comité de Rédaction et remerciements





  • Editorial

    - Drs Jean Garrabé et Jean-Michel Thurin -

    En confiant à la Fédération Française de Psychiatrie l'organisation du Congrès International, commémorant son jubilé à Paris en juin dernier, l'Association Mondiale de Psychiatrie a fourni une opportunité aux 160 sociétés nationales qui la composent actuellement : celle de présenter l'état de la recherche dans notre discipline. Le thème général du Congrès "Penser la psychiatrie : de la clinique à la recherche" souligne le fait que la clinique, au plus près du malade, ouvre tout un espace d'observation et de réflexion qui est indispensable pour penser les processus qui conduisent d'une santé mentale (au moins apparente) à des troubles majeurs, puis à leur amélioration et, de plus en plus souvent, à leur guérison. Il souligne aussi combien, à toutes les étapes, les hypothèses et les données recueillies de la clinique devraient pouvoir s'inscrire dans une démarche scientifique et bénéficier des résultats de la recherche. L'objectif est désormais fixé : il ne s'agit plus de courir après la cause mais, à tous les niveaux, de contribuer à concevoir un corpus cohérent de connaissances qui permette d'améliorer encore les stratégies de soin et leur qualité. Cette perspective d'une pensée en construction, interrogeant dans un mouvement réciproque différents référentiels de connaissances et pôles de compétences, va à l'encontre d'une idée fort répandue ces dernières années. Celle qui soutient que le psychiatre n'aurait d'autre choix que de devenir un technicien chargé d'appliquer les conclusions de chercheurs de disciplines, certes fondamentales, mais en l'occurrence annexes, ou de maintenir le fossé d'une boîte noire entre les théories et leur application.

    Il existe des différences considérables entre les continents en fonction des moyens économiques et humains disponibles dans chaque partie du monde ou sous continent. Si le nombre de psychiatres formés dans le monde est évalué en l'an 2000 à 120000, comme nous l'a rappelé le président de l'AMP, il existe des États où des dizaines, voire des centaines de milliers d'habitants, n'en comptent aucun. Cette situation doit alerter chacun d'entre nous sur la nécessité d'une aide de nos collègues les plus isolés, par tous les moyens dont nous disposons. Cette aide concerne tout particulièrement la recherche et la formation.

    On ne saurait réserver le privilège de produire et de présenter les résultats de la recherche en psychiatrie aux seules sociétés des pays nantis d'Amérique ou d'Europe occidentale qui disposent, même si nous souhaiterions qu'ils soient accrus (la FFP lutte en ce sens depuis qu'elle existe), de moyens incomparables avec ceux des pays dits émergents. Ce serait une erreur que de laisser croire que les psychiatres du reste de l'Amérique, de l'Europe non occidentale et des autres régions du globe, doivent se contenter, en ce qui concerne la recherche, des seules informations données par les publications issues des sociétés nationales qui peuvent se permettre de le faire. La psychiatrie est une discipline où les particularités socio-culturelles tiennent une place si importante que leur méconnaissance n'est pas acceptable.

    Beaucoup de pays n'ont pas les moyens d'assurer la formation continue de leurs psychiatres. Le congrès annuel de l'APA est-il la réponse universelle à ce besoin ? Certes, il rassemble un nombre de participants plus important que certains congrès internationaux. Mais faut-il soutenir, comme nous avons pu le lire dans une lettre publiée en France, que c'est lui qui constitue le véritable lien de diffusion des connaissances pour la psychiatrie mondiale ? Nous ne le pensons pas. Les symposia dits régionaux de l'AMP, les réunions de ses sections et bien sûr les congrès mondiaux permettent un véritable enrichissement des échanges par la diversité des écoles de pensée et des conditions d'activité qui y sont représentées. Les symposia organisés conjointement par la FFP et l'APA, alternativement dans le cadre des congrès et colloques spécifiques (dont trois à Paris) nous fournissent un bel exemple de cette importance du dialogue, pour aller au delà de la stérilisation programmée de discours fermés sur eux mêmes. C'est d'ailleurs au cours du congrès du Jubilé qu'a été constituée une association franco-américaine de psychiatrie, afin d'officialiser et de poursuivre ces rencontres.

    2500 congressistes* venus de soixante-huit pays se sont réunis à Paris en juin 2000. Reconnaissons le clairement, nous aurions préféré que l'assistance soit plus nombreuse à bénéficier d'intervenants d'une aussi exceptionnelle qualité et de la possibilité d'interagir avec eux. De nouveaux efforts et initiatives devront être déployés en ce sens lors de la prochaine réunion organisée par la France. Au cours du congrès du Jubilé, le point a été fait sur deux programmes conduits au sein de l'AMP que nous citons comme exemple de cette possible collaboration internationale dans la recherche en psychiatrie. L'un porte sur l'élaboration d'un consensus sur l'utilisation des drogues dites « nouveaux antipsychotiques » dans le traitement des psychoses schizophréniques, utilisation qui actuellement ne se fait pas selon les mêmes critères dans les pays où ils sont commercialisés, sans que l'on puisse expliquer à quoi tiennent ces variations. Le second est le programme dit de « destigmatisation de la schizophrénie » qui a à tenir compte des grandes variations dans les représentations culturelles de ce groupe de psychoses.

    Il resterait évidemment beaucoup de choses à souligner, mais nous voudrions insister pour terminer sur une question étroitement liée à la recherche : celle de la publication des résultats.

    Une question générale est la rare publication des résultats « négatifs », sorte de jeu de poker où l'on ne montre son jeu que lorsqu'il est gagnant. L'autre nous concerne encore plus directement. Il paraît admis de nos jours que seuls peuvent être pris en considération les travaux publiés dans des revues à comité scientifique et à double lecture anonyme, exigence qui paraît normale, mais uniquement si cette revue est publiée en langue anglaise, ce qui l'est moins. Cela a une double conséquence, particulièrement regrettable en psychiatrie. D'une part, la qualité des revues et de l'édition scientifique en français n'est donc pas reconnue, avec le risque évident que les auteurs délaissent progressivement les revues de langue française. D'autre part, cela aboutit à exclure de la publication - et donc des projets de recherche - des travaux sur des sujets où l'usage de l'anglais n'est pas forcément le plus pertinent. Ici encore, une forte implication internationale est indispensable. *

    * Les congressistes les plus nombreux ont été bien entendu ceux venus des pays des différentes régions du monde francophone qui représentaient près de la moitié (44%) des participants. Les psychiatres européens représentaient le même pourcentage (44% dont 27% venus d'Europe de l'Ouest et 14% de celle de l'Est). Un tiers (29%) des congressistes est venu d'Amérique du Nord (21%) ou Latine (8%). Nous pouvons signaler qu'à l'issue du congrès du Jubilé a été signée une convention entre la FFP et l'APAL (Association psiquiatinio america latina) pour accroître les échanges scientifiques entres elles. Le plus remarquable reste peut-être que 10% les congressistes venaient d'Afrique du Nord (8%) ou Sud Saharienne (2%), mais aussi 8% d'Asie, 4% du Pacifique et 4% du Moyen et Proche Orient.

    Si l'on décompte le nombre des congressistes par pays, on constate que 18 pays étaient représentés par plus de 12 psychiatres. Le record revient aux USA (114), mais avec les excellentes places du Japon (47, n'oublions pas que le XIIè congrès mondial se déroule à Yokohama en 2002), de la Roumanie (39), de l'Australie (35), du Maroc (33) et de l'Espagne (30).

    Il est intéressant de comparer ces données numériques avec celles issues des propositions de symposia faites par les sociétés nationales ou de communications individuelles, car cette comparaison met en évidence des sujets d'intérêt que l'on retrouve dans le monde entier. Six thèmes ont fait l'objet de plus de 40 communications : Stress, trauma et psychosomatique (73), Troubles des conduites alimentaires (49), Méthodes de recherche (49), Organisation des soins (46), Schizophrénie (46) Dépendances (44). Nous trouvons immédiatement après Dépressions (39), Environnement (38), Psychiatrie et disciplines connexes (35), Enfants et adolescents (32), Hospitalisation dans la trajectoire de soins (32), Psychopharmacologie (31). Ces sujets devraient faire l'objet en priorité de programmes de recherche soit à l'échelon national soit, de préférence, dans le cadre de collaborations internationales.


    Sommaire

    Place actuelle et enjeux de la recherche en pratique clinique dans l'avenir de nos pratiques

     

    Dr Jean-Michel THURIN

    La finalité de la recherche en psychiatrie repose sur le bénéfice direct que le patient, son entourage et la société peuvent attendre de la production de nouvelles connaissances. Quel « service » peuvent apporter les psychiatres à ce projet ?

    On sait aujourd'hui que les déterminants qui contribuent au déclenchement et à l'évolution d'un trouble psychiatrique sont à la fois multiples, hétérogènes et qu'ils se succèdent dans le temps. Certaines périodes sont plus sensibles que d'autres, en particulier la périnatalité, aux influences de l'environnement, au sens large du terme. La distinction entre affections « organiques » et « fonctionnelles » n'est plus tenable, à la fois parce que l'expression des vulnérabilités génétiques implique l'environnement et parce que l'apprentissage - et plus généralement l'expérience - viennent s'inscrire dans les structures neuronales et les systèmes de régulation biologique. Autrement dit, l'environnement peut être considéré ici comme facteur de risque, là comme facteur de protection, toujours comme l'arbitre de trajectoires individuelles, sans méconnaître à quel point il est en interaction constante avec les représentations (en particulier de processus) qui se sont constituées antérieurement. Certains troubles, comme les addictions, peuvent être considérés à la fois comme l'expression de facteurs de vulnérabilité et comme des mécanismes d'adaptation longtemps tolérés. La frontière peut être mince entre l'exacerbation de certains mécanismes de défense ou d'adaptation durables et les troubles caractérisés.

    Cet ensemble implique que, sur une courte période de temps, la plupart des facteurs impliqués dans une pathologie ne sont généralement que peu accessibles au psychiatre et à son action thérapeutique.

    Dans bien des cas, celui-ci ne peut que se recentrer sur le vécu, la souffrance, le comportement, éventuellement la crise, et leur environnement. Pour une large part, les traitements qu'il utilise restent ponctuels et davantage développés sur la base de leur efficacité globale que sur la connaissance des mécanismes intimes de leur action.

    Cet empirisme naïf, ne se référant à la psychopathologie que par un lien tenu, est-il la loi du genre en psychiatrie ? Pourra-t-il longtemps coexister avec le projet réactualisé des neurosciences d'actions ciblées sur des sites biologiques enfin déterminés ? Le psychiatre peut-il encore prétendre tenir une place dans la recherche ou devra-t-il la céder progressivement aux neurobiologistes, aux statisticiens et aux professionnels d'une évaluation très schématique ?

    La psychiatrie est une discipline clinique. Poser ces questions, c'est donc se demander si le psychiatre a encore des faits particuliers à observer, des hypothèses à proposer et à tester, des actions à évaluer et dans quelles conditions ou si, de son côté tout ayant à peu près été dit, son rôle doit se limiter à une veille éthique et stratégique, à propos de recherches menées ailleurs. C'est aussi concevoir des modes d'organisation appropriés à une valorisation de la clinique par la recherche et à des collaborations avec des investigations complémentaires ise situant à d'autres niveaux d'approche (et particulièrement celles menées par les neurosciences).

    Cette interrogation est essentielle car elle conditionne de fait l'avenir de la psychiatrie. Elle sera schématiquement abordée à partir de cinq questions :

  • Quel est, quel a été et quel pourrait-être le rapport usuel du psychiatre clinicien à la recherche ?

  • Comment les organismes institutionnels se représentent-ils la recherche en psychiatrie ?

  • Quels sont les axes actuels de développement de la recherche en psychiatrie au niveau international ?

  • Comment peut-on intégrer une démarche de recherche au sein de nos pratiques quotidiennes ?

  • La formation des futurs psychiatres en matière de recherche est-elle en adéquation avec le développement nécessaire ou souhaitable de cette discipline ?

    Un nouveau rapport du psychiatre

    clinicien à la recherche ?

    La tentative de comprendre la nature et l'origine d'un trouble ou d'un comportement psychopathologique est au cœur de la démarche du psychiatre. Celui-ci se place "naturellement" dans une démarche d'investigation où il recherche les indices qui lui permettent de poser un diagnostic, tout en analysant les conditions et les facteurs qui ont déclenché ou renforcé le trouble. Il les rapporte également aux circonstances antérieures qui ont pu produire un terrain, une personnalité et une vulnérabilité.

    Cette approche « clinique »va au delà de celle des autres spécialités médicales et se rapproche d'une recherche pour plusieurs raisons : "l'organe" malade n'est pas précisément défini ; les facteurs d'environnement peuvent être externes et internes (événements psychiques émanant de l'individu) ; il n'existe pratiquement pas d'examens paracliniques permettant d'affiner ou de rectifier rapidement le diagnostic ; le développement individuel et l'acquisition de compétences qui l'accompagnent se poursuivent bien après la naissance ; le corollaire de ce processus est la proximité de "crises" et d'étapes du développement avec d'authentiques tableaux pathologiques.

    Cette démarche, qui exige finalement d'organiser sa pensée à partir de multiples références traitées en parallèle dans un contexte d'humanité, a incontestablement produit en deux siècles tout un corpus de connaissances et de théories qui ont pu laisser croire régulièrement que l'on avait trouvé la cause des pathologies.

    Si l'on reprend les différents modèles qui se sont succédés, on retrouve globalement trois grandes orientations : le conflit psychique, les facteurs environnementaux (socio-familiaux mais aussi somatiques) et les facteurs neurobiologiques. Chaque orientation a eu ses partisans acharnés, avec des tentatives d'intégration comme celle de Ey mais surtout une tendance au renforcement des réductionnismes et des faux accords partagés. En particulier, on a soigneusement évité jusqu'ici de poser la question de l'articulation et de l'interaction des différents niveaux.

    Il est clair que cette situation n'a pas facilité la lisibilité de la psychiatrie et qu'elle a pu même faciliter l'application "sauvage" de certains traitements, utilisés de façon systématique sans que l'on ait vraiment mesuré leur validité, leur indication, ni même la pertinence des hypothèses qui les sous-tendaient. On pense évidemment à certaines lobotomies, encéphalographies gazeuses, ECT en série, etc., mais aussi aux effets iatrogènes du traitement moral de la folie que l'on a mis longtemps à mesurer, pour ne se référer qu'à des époques relativement anciennes.

    Actuellement, nous sommes entrés dans une période où, pour des raisons à la fois scientifiques, éthiques et économiques, une rigueur dans la production des connaissances sur lesquelles repose le soin est exigible. Cela rejoint le code de déontologie qui précise que le médecin doit prodiguer les meilleurs soins au meilleur coût. Mais la logique n'est plus seulement celle de la conscience professionnelle. Elle ne fait pas simplement intervenir le médecin en tant qu'individu, mais la médecine en tant que producteur de soins proposés à un consommateur, produits dont on attend que, comme ailleurs, ils répondent à des critères lisibles, d'efficacité et de qualité.

    C'est ici que se joue en psychiatrie un enjeu dont beaucoup de praticiens n'ont pas saisi l'importance, qui est celui de la légitimation de la connaissance et de la pratique, et de la place qu'y tient la recherche. Beaucoup de praticiens considèrent effectivement que ce qu'ils ont appris au cours de leur formation, auprès de leurs maîtres, au cours de leurs lectures et de leur expérience représente une sorte d'ultime vérité et que la recherche avec protocoles, mesures, etc. est non seulement inutile mais qu'elle représente une sorte de barbarie dont il faut se garder et préserver les patients. Dans le même temps, d'autres intervenants ont évidemment compris l'importance de pouvoir offrir des données même parcellaires et réduites mais "solides" dans un monde dont les références sont l'objectivité des chiffres, en particulier économiques.

    Nous avons là un aperçu de ce qui peut se passer dans une discipline comme la psychiatrie quand seulement certains aspects font l'objet de recherches structurées alors que d'autres sont complètement ignorés (par exemple, les psychothérapies). Est-ce que la seule connaissance valide - et remboursée - va devenir celle qui est relativement accessible, celle dont on attend des retombées financières directes, ou qui bénéficie d'un préjugé de "pertinence" pour laquelle des moyens seront octroyés ? Certaines recherches, qui sortent actuellement et qui semblent démontrer globalement que quelques séances de « résolution de problèmes » menées par le médecin généraliste ou l'infirmière ont les mêmes résultats que les psychothérapies structurées ou les antidépresseurs, ont de quoi faire réfléchir ...

    Cette réflexion stratégique n'est évidemment qu'un des aspects. Elle rejoint le principal, déontologique, qui est celui de la qualité quotidienne et de la professionnalisation des actes thérapeutiques que nous proposons à nos patients. Pouvons nous progresser et comment ? Nous allons y revenir, mais dès à présent, soulignons la nécessité, compte tenu de la complexité et de la variabilité des cas, que beaucoup de cliniciens s'engagent dans la recherche pour constituer des groupes s'organisant autour de données et d'outils spécifiques. La recherche artisanale individuelle n'est plus suffisante. Elle exige une organisation et des moyens qui sont à concevoir à une autre échelle.

    Les organismes institutionnels et la recherche en psychiatrie

    Une chose est ce qui apparaît aux yeux des professionnels constituer des priorités de recherche, une autre est ce qui leur est proposé dans les appels d'offres. Même si une recherche bien conçue finira (presque) toujours par trouver un financement, les moyens mis à disposition pour stimuler un domaine sont des arguments forts d'orientation.

    Comment apparaissent donc ces orientations dans les récents appels d'offres et les commissions spécialisées ?

    Celui de septembre 2000, émanant de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM), est clairement orienté « gestion du système de soins ». Nous y trouvons :

    * évaluation des outils pouvant favoriser la transmission des connaissances dans leur utilisation dans l'exercice médical quotidien. Moyens d'améliorer l'adhésion aux recommandations de bonne pratique et aux référentiels ;

    * analyser les déterminants de la non observance ;

    * évaluer les expériences novatrices dans la promotion de l'autonomie du patient et du soutien apporté par l'entourage dans la prise en charge des pathologies chroniques ;

    * avec pour objectif de promouvoir les soins primaires et de premier recours, évaluer les expériences assurant une meilleure permanence des soins et une implication plus efficace de la médecine de ville dans la prise en charge des urgences.

    Dans le Programme Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC), proposé en janvier 2000, les préoccupations sont très proches. Aux côtés de 3 thèmes biologiques (thérapies cellulaire et génique, chirurgie et AVC) nous trouvons :

    * évaluation de l'impact des différentes stratégies diagnostiques et thérapeutiques sur la santé des patients, leur qualité de vie, les coûts ;

    * évaluation de la performance et de l'organisation du système de soin ;

    * identification des facteurs susceptibles de modifier les pratiques médicales ;

    * maladies iatrogènes et infections nosocomiales ;

    * évaluation de l'impact de la recherche clinique.

    Un appel à propositions de recherche émanant du ministère (MiRe) sur la santé mentale propose 5 thèmes :

    * les infléchissements récents des politiques de santé mentale ;

    * nouvelles figures pathologiques ou nouvelles catégories d'analyse et d'enregistrement ?

    * quelle définition de "la santé mentale" ? Diversité des enjeux et des pratiques sociales et professionnelles ;

    * la sectorisation en voie d'achèvement ? Disparité des histoires, des pratiques et des réalisations des secteurs ;

    * deux objectifs en retrait : la prévention et la réhabilitation sociale et professionnelle.

    Ce projet qui concerne encore une fois la politique de santé et l'organisation des soins s'adresse "au milieu de la recherche en sciences sociales et à des équipes de recherche confirmées, ayant déjà travaillé sur ces thèmes ou des thèmes connexes. Cependant, étant donné les relations étroites qui unissent sciences médicales et sciences sociales dès lors qu'il s'agit de psychiatrie et de santé mentale, une attention particulière sera portée à toute équipe proposant une collaboration avec les praticiens du secteur de la santé (public et privé) ou avec les professionnels du domaine socio-sanitaire ou social."

    Déplaçons nous maintenant du côté de l'INSERM. Il n'y a pratiquement pas eu d'appels d'offres orientés vers la psychiatrie depuis plusieurs années, avec la suppression des CNEP (Contrat National d'Etude Pilote), des CRE (Contrats de Recherche Externe) et des Réseaux. A notre demande, ceux-ci avaient commencé à réapparaître en 1998 sous la forme d'une aide à la structuration de réseaux dont 3 équipes ont "bénéficié", le crédit étant très modeste (30 kf). Actuellement sous la pression particulièrement insistante de la FFP et semble-t-il d'une prise de conscience du politique, il est question de faire quelque chose en psychiatrie, avec la création notamment d'une intercommission dont l'intitulé et la composition sont présentés ci joint [encadré1].

    encadré 1

    Nouvelle inter commission

     

    Santé mentale et pathologies psychiatriques : mécanismes biologiques, approches cliniques, facteurs de vulnérabilité et de protection

    L 'objectif de cette intercommission est de développer les recherches sur la santé mentale et les pathologies psychiatriques, en assurant la continuité des approches depuis l'approche génétique et moléculaire jusqu'à l'approche en termes de santé publique. Dans cette perspective, elle favorisera tout particulièrement l'émergence de structures de recherche en psychiatrie et de réseaux de recherche multidisciplinaires qui devront contribuer au renforcement et à la structuration du milieu de recherche impliqué.

    Les axes suivants seront privilégiés :

    * Recherche clinique de marqueurs de validité externes (indicateurs objectifs et quantifiables) : génétiques, cognitifs, électrophysiologiques, d'imagerie, biologiques, pharmacologiques ;

    * Validation des hypothèses cliniques par modélisations chez l'animal, recherche de facteurs de protection et de vulnérabilité et avancées thérapeutiques ;

    * Prévention, primaire ou secondaire, en prenant en compte particulièrement la détection précoce des troubles ainsi que les facteurs de vulnérabilité ou de protection dans leurs dimensions sociales, environnementales ou génétiques.

    M. Arzi Mohamed (élu) ­ Bron

    Mme Barthélémy Catherine (nommé) ­ Tours

    M. Benoliel Jean-Jacques (élu) ­ Paris

    M. Celsis Pierre (élu) ­ Toulouse

    M. Clauser Eric (élu) ­ Paris

    M. Danion Jean-Marie (nommé) ­ Strasbourg

    M. Ehrenberg Alain (nommé) ­ Paris

    M. Falissard Bruno (nommé) ­ Villejuif

    M. Gardette Robert (élu) ­ Paris

    M. Martinot Jean-Luc (nommé) ­ Orsay

    M. Mendlewicz Julien (nommé) - Bruxelles

    M. Montcourrier Philippe (élu) ­ Montpellier

    Mme Mouren-Simeoni Marie-Christine (nommé) ­ Paris

    M. Piazza Pier-Vincenzo (nommé) ­ Bordeaux

    Mme Verdoux Hélène (nommé) - Bordeaux

    Un appel d'offres de CReS (Contrats de recherche stratégiques) vient d'être publié qui stipule explicitement parmi ses 7 thèmes : Santé mentale et pathologies psychiatriques. Une mission de veille scientifique est confiée aux Comités d'Interface, dont l'objet est « d'identifier et de formuler des problèmes de la recherche biomédicale en France, de donner leur avis sur les synthèses et sur les propositions élaborées par l'INSERM » . Deux autres missions leur sont confiées : « aider à l'élaboration et à la réalisation de projets de recherche, en particulier par la mise en place de réseaux, de cohortes et de collectifs de patients », participer au « transfert de connaissances en physiopathologie et thérapeutique vers les décideurs du système de santé, comme forces de propositions concernant les modalités de ce transfert et de relais et avec la possibilité d'organisation d'ateliers ».

    Parmi les autres organismes qui ont lancé un appel d'offres, on trouve la Fondation de France sur le thème de l'autisme et la Fondation pour la Recherche Médicale, avec une recherche épidémiologique sur la morbidité somatique de la schizophrénie. Il y a tout un ensemble de recherches locales financées à partir des ressources de laboratoires ou de fonds régionaux.

    On le voit, il existe clairement des orientations très ciblées qui s'expriment dans les appels d'offres, mais aussi des ouvertures. Dans les deux cas, il est essentiel que la profession s'en saisisse, à la fois pour être présente sur des questions qui la concernent directement, mais également pour élaborer, faire connaître et concevoir les moyens (en particulier les réseaux) de structurer des recherches sur des thèmes centraux qui sont délaissés.

    Les axes actuels de développement

    de la recherche en psychiatrie

    au niveau international

    Nous avons vu à quel point les organismes promoteurs ont une influence sur les orientations de la recherche en France. Ce n'est qu'une façon d'aborder les choses et l'on a pu s'en rendre compte au mois de juin au cours du congrès international du Jubilé, qui s'est tenu à Paris. L'analyse des communications présentées (dont les résumés sont en ligne sur Psydoc-France) donne une idée de ce qui se fait actuellement :

     

    1- Epidémiologie : renseigne sur la prévalence des principales affections, mais apporte également des connaissances sur les facteurs de risque qui y contribuent : par exemple, pour le suicide, l'alcool (étude en Russie), le système politique (étude en Lithanie). L'épidémiologie aborde des questions aussi diverses que les troubles de l'adaptation chez l'adolescent et le jeune adulte, le rôle du stress dans la dépression, l'influence des catastrophes naturelles sur la survenue de troubles mentaux et psychosomatiques, l'évolution naturelle d'une affection comme le trouble panique, la comorbidité entre affections, comorbidité qui pourrait être parfois utilisée comme moyen diagnostic (schizophrénie et troubles des mouvements oculaires)

    2 - Ethique et déontologie : les recherches peuvent porter sur : les implications éthiques et la psychopathologie de la prédictibilité en génétique ; les droits des patients (les patients psychiatriques ont-ils les mêmes droits que les patients des autres disciplines médicales, en particulier le respect des principes éthiques d'autonomie du sujet, de bénéfice et de justice dans la recherche) ; les implications des études avec provocation de symptômes ; celles qui concernent les enfants, les personnes âgées ; le consentement à la recherche dans un cadre contraint ; l'application de la loi de 1990

    3 - Évaluation des soins et des processus de changement : évaluation des résultats à court et moyen terme, avec comparaison des prises en charge. On en est encore le plus souvent à la comparaison X (ex : Antidépresseur) versus Y (ex : Psychothérapie) versus P (Placebo), ou X + Y versus P, rarement en les rapportant à une étape du traitement (une recherche sur le prolongement par pharmacothérapie d'un traitement

    psychothérapique intensif dans la

    boulimie) et pratiquement jamais

    en situant une trajectoire par rapport à une autre en fonction des stratégies thérapeutiques adoptées.

    4 - Toxicomanies et addictions : des mécanismes neurobiologiques et du rôle des facteurs génétiques, à l'étude des typologies et aux méthodes de traitement, des addictions au sport ou au jeu aux toxicomanies à l'alcool, au cannabis, à l'ecstasy et à l'héroïne, des modalités adaptatives chroniques de fonctionnement aux comorbidités et au renforcement des facteurs de risque de psychose, le champ des dépendances offre une perspective de recherche pluridisciplinaire impliquant la recherche fondamentale, les modèles animaux et la clinique.

    5 - Psychiatrie périnatale : représentations durant la grossesse, interactions précoces (et dépression), signes annonciateurs d'une psychose du post-partum et prise en charge, dépistage et facteurs d'environnement, déclenchement et durée de la dépression post-natale.

    6 - Hospitalisation dans la trajectoire de soins : conséquences de la désinstitutionnalisation en termes de santé mentale, santé physique, qualité de vie, fonctionnement économique ; l'hospitalisation comme recours dans des situations de détresse sociale ; mieux comprendre les raisons cliniques associées à la levée de la cure fermée du patient schizophrène.

    7 - Stress, psychiatrie de liaison, psychosomatique : développement, interactions sociales et biologiques, événements et troubles psychosomatiques ; conséquences à court, moyen et long terme des catastrophes, du terrorisme, des migrations, de la captivité (en prenant en compte les facteurs d'environnement, d'âge, de développement, génétiques), ; troubles psychiques associés à des maladies et des traitements (interféron, corticoïdes) : conséquences de l'annonce d'une maladie ; anxiété et progression de l'athérosclérose carotidienne ; particularités psychiques des accouchements par césarienne.

    8 - Troubles des conduites alimentaires : paramètres immunologiques, génétique des conduites alimentaires, image du corps, particularités des choix alimentaires, évaluation de la personnalité à différents âges et différentes durées d'évolution de la maladie, perception des anorexiques de leur mère, stratégies d'adaptation, impulsivités primaire et secondaire, recherche de sensation, thérapie familiale, psychothérapie brève.

    9...15... - Dépressions, Schizophrénie, Violence, Urgences, Psychopharmacologie, Neuroimagerie fonctionnelle, etc.

    Ce très bref aperçu montre les possibilités extrêmement larges qui s'offrent à un clinicien de choisir un thème de recherche qui l'intéresse et où il se sente particulièrement concerné. Evidemment, aucune recherche ne peut prétendre avoir épuisé le sujet et il faut se réjouir que des méthodologies existent, qui peuvent être adaptées, et que des résultats puissent être comparés.

    Comment peut-on intégrer une démarche de recherche au sein de nos

    pratiques quotidiennes ?

    Nous avons vu que cette démarche est naturelle, mais qu'elle reste insuffisamment opérationnelle au niveau collectif. Il y a là sans doute une difficulté générale qui tient encore à des habitudes de cloisonnement, malgré les progrès très sensibles qui ont été faits à ce niveau, mais surtout à un problème d'organisation. Comment le concevoir ? Nous devons d'abord créer la possibilité de concilier la nécessaire professionnalisation de la recherche et une participation active des cliniciens, quelque soit leur mode d'exercice. Si l'on veut assurer une cohérence entre, d'une part, un système de soin conçu comme un ensemble de compétences qui vont intervenir suivant des modalités diverses au cours de la trajectoire de vie et de soins des patients et, d'autre part, la recherche clinique qui concerne ces activités, tous les exercices : libéral, public, universitaire et psychosocial doivent pouvoir y participer.

    Ensuite, dans un grand nombre de cas, cette recherche n'atteindra vraiment son but que si elle peut être prolongée par de la recherche expérimentale et fondamentale.

    On pourrait évidemment envisager une organisation « militaire », avec ses généraux et ses fantassins que l'on rétribuerait sous forme de mérite ou financièrement, mais cette perspective risque de ne pas être très satisfaisante, car elle met de côté l'importance que peut avoir pour le clinicien, et donc pour ses patients, l'implication individuelle dans une perspective active de recherche.

    L'idée que nous proposons ici serait plutôt le regroupement de cliniciens et de chercheurs professionnels dans des réseaux constitués autour de pôles d'intérêt commun. Ces réseaux bénéficieraient ainsi de la compétence des plus expérimentés dans le domaine. Cela supposerait à la fois une perspective volontariste de « promoteurs » qui pourrait prendre la forme de « Nous avons le projet d'une recherche sur telle question et cherchons des praticiens et des chercheurs pour y participer » et d'une potentialité de réponse des cliniciens, préparée par une réflexion sur les points suivants :

    1 - D'abord, le choix du thème, qui doit correspondre à ses préoccupations et intérêts, mais aussi aux possibilités pratiques : accès aux données cliniques, institutionnelles et à la littérature déjà existante sur cette question.

    2 - Dans un article paru dans le 1er numéro de PLR, Ph. Mazet avait complété cette première démarche par un plan en 5 étapes. Chacune des étapes peut ouvrir à la suivante ou bien rester en suspens :

    * énoncé du problème et formulation des hypothèses ;

    * plan de recherche : passage de données abstraites à des données concrètes ; choix des instruments ; faisabilité ;

    * [recueil des données] production des observations et évaluations ;

    * analyse, [traduction], et interprétation des données ;

    * reformulation du modèle et publication.

    Ajoutons à cela qu'il est quasiment impossible d'appréhender directement tous les aspects d'une question et la présentation d'une expérience peut être la première étape, à condition que les éléments en soient suffisamment précisés.

    Ne rêvons pas. Cette façon de concevoir notre rapport à l'objet de notre travail est difficile. Elle va à l'encontre de toute une culture d'affirmations directes qui a été celle des 25 dernières années.

    Une formulation telle que "Les patients présentant une douleur chronique ont souvent dans leur biographie une histoire de deuil traumatique ; la douleur est liée à un passage à l'acte somatique. Nous présenterons quelques cas cliniques" est l'anti-modèle de la recherche : il s'agit d'affirmations imprécises que des cas ad-hoc vont justifier.

    Il aurait été important dans ce cas, de préciser le diagnostic (de quelle douleur chronique s'agit-il ici, fonctionnelle ou avec somatisation ?), les éventuels sous-groupes (âge, pathologies associées), les différents paramètres étudiés et le cadre de référence à la recherche.

    La rigueur nécessaire ne signifie pas qu'il faille pour autant s'inscrire dans des références théoriques particulières.

    Deux études, présentées en encadré, montrent que suivant cette référence, les paramètres étudiés peuvent être assez différents, même si la problématique générale est sensiblement la même.

    Encadré 2 - Deux études du même ordre utilisant un cadre de référence très différent

     

    « Conséquences psychologiques du diagnostic de stérilité » - Silvia G. Melamedoff M.D

    Objectifs : D'après le modèle des Réactions face à la mort et le deuil de E: Kübler-Ross, on analyse quelques variantes dans le comportement féminin après le diagnostique de stérilité.

    Cadre : Théorico-clinique psychanalytique freudien.

    Matériel et Méthodes : Sur un échantillon de 48 femmes traitées ou contrôlées entre 1989 et 1995, on observe les comportements conscients et inconscients chez des femmes stériles.

    Résultats : Kübler-Ross décrit cinq stades évolutifs.

    1) Choc : dépression, sentiment de porter un stigmate, envie, isolement, rage, etc.

    2) Négation : la paralysie après le choc a contaminé d'autres domaines de la vie.

    3) Recherche/ regret : emploi de recours médicaux de manière compulsive et erratique.

    4) Désorganisation : paroxysme du désespoir, de l'angoisse et de l'isolement.

    5) Réorganisation : la séquence n'est pas linéaire et la réorganisation peut varier ses formes d'expression.

    6) Conclusions : Les résultats montrent l'importance du travail interdisciplinaire afin de ménager une meilleure adaptation des patientes pour affronter le processus émotionnel causé par la stérilité.

    « Réactions émotionnelles dans les maladies chroniques» - C. Bungener , R. Jouvent

    Introduction : l'annonce d'une maladie chronique engendre des réactions psychologiques et psychopathologiques bien connues mais les processus émotionnels adaptatifs, notamment au cours de l'évolution de la maladie demeurent peu investigués. Mis à part des réactions dépressives et anxieuses, quels sont ces réactions émotionnelles adaptatives spécifiques ?

    Objectifs : les buts de l'étude étaient d'étudier ces réactions émotionnelles adaptatives ainsi que les perturbations psychopathologiques chez des patients atteints d'une maladie chronique connaissant le diagnostic depuis au moins six mois.

    Méthode : un entretien semi-structuré qui permettait de remplir les critères DSM III-R (épisode dépressif majeur, dysthymie et anxiété généralisée) et des échelles cliniques de dépression, anxiété, ralentissement et de l'humeur (identifiant différentes dimensions émotionnelles) a été réalisé avec chaque patient. Trois groupes de sujets ont été évalués : 71 séropositifs au VIH, 118 patients avec une Maladie d'Alzheimer, 15 patients avec une Dystrophie Myotonique (maladie de Steinert), ainsi que des groupes contrôles.

    Résultats : il est apparu que la symptomatologie dépressive et anxieuse était plus importante chez les patients que chez les contrôles. Un déficit émotionnel a été mis en évidence de façon significative chez tous les patients. Ce déficit était observé par le clinicien (humeur monotone, manque de participation affective) mais également exprimé par le sujet (anhédonie).

    Conclusion : un déficit émotionnel est présent chez les sujets au cours de l'évolution de ces trois maladies chroniques. Ce déficit peut être considéré comme une atteinte du SNC mais aussi comme une adaptation émotionnelle à la maladie et à ses conséquences : ressentir moins est une façon de souffrir moins et de se protéger des conséquences angoissantes de la maladie.

    La formation des psychiatres

    est-elle en adéquation avec le développement nécessaire et souhaitable de cette discipline ?

    La formation méthodologique est évidemment importante et elle devrait commencer très précocement dans le cycle des études médicales. La formation concerne aussi la personne elle-même : sa capacité de rester dans une démarche d'innovation et de création, de scepticisme par rapport aux évidences et d'ouverture, sa capacité de s'intégrer dans un réseau mono ou pluridisciplinaire.

    Concernant cette dernière dimension, la formation actuelle des psychiatres est-elle suffisante dans le domaine des neurosciences ? Beaucoup considèrent actuellement qu'une habileté pratique est largement suffisante, oubliant d'ailleurs au passage qu'elle s'est construite sur toute une culture et un apprentissage long et difficile de la physiopathologie, du diagnostic et de la relation médecin-patient. Il serait très dommageable de laisser croire que des disciplines qui aujourd'hui sont intégrées dans les neurosciences, telles que la linguistique, la neuropsychologie, les cognitivismes, la psychoneuroimmunologie ne sont pas des bases indispensables pour la psychiatrie. On dit volontiers que ces dimensions ne sont pas utilisables directement dans la pratique quotidienne, centrée sur le "fait psychique". Est-ce bien vrai ?

    Qui suit les péripéties linguistiques d'un discours va y trouver une multitude de repères qui concernent la subjectivité, le transfert, les mécanismes de défense ...

    Qui est attentif au déroulement précis du processus qui a conduit à un sentiment de desespoir, une crise de violence ou un passage à l'acte va retrouver les mécanismes de pensée, les affects et les stratégies envisagées dont le comportement

    final n'est que l'aboutissement grossièrement perceptible ...

    Qui s'intéresse à la psychoneuroimmunologie ne sera sans doute pas indifférent à l'implication de certains événements dans l'état d'une personne, non pas seulement en terme de représentation mais aussi de fonctionnement biologique associé.

    Toutes ces observations ont des prolongements dans la clinique, du diagnostic à l'action thérapeutique.

    En conclusion, la psychiatrie est actuellement à un tournant, dans un contexte économique et culturel qui ne lui est pas forcément très favorable. D'un autre côté, des potentialités existent, parmi lesquelles la recherche clinique tient une place stratégique considérable. L'implication forte de l'ensemble de la profession est indispensable, s'appuyant sur des formes d'organisation correspondant aux particularités de l'objet de connaissance et d'intervention en psychiatrie.

    Le débat, déjà ouvert sur cette possibilité par la FFP, devrait être un impératif à poursuivre pour les professionnels.


    Sommaire

    MIRE : appel d'offres santé mentale ­ relevé de décision

    16 octobre 2000

    Madeine Monceau, Marcel Jeager, Marc Livet ­ ARSAAP ­ Grenoble : contribution des usagers à la politique de santé mentale (10 mois)

    Sylvie Biarez ­ CERAT ­ Grenoble : Quelle politique pour la santé mentale (15 mois)

    Livia Velpry ­ Université Paris V ­ Paris : La prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux graves et vivant en milieu ordinaire ). Etude exploratoire (4 mois)

    Anne Golse ­ LASAR :Université de Caen : Transformation de la psychiatrie et pratiques des psychologues (18 mois)

    Gérard Neyrand ­ CIMERSS ­ Bouc Bel Air : quelle prévention des troubles de la relation parentale précoce ? Acteurs et contexte institutionnel (24 mois)

    Martine Bungener ­ CERMES-INSERM ­ Paris : les personnes adultes souffrant de troubles mentaux sous protection juridique. Conditions de vie et rôle des délégués de tutelle (15 mois).

    Christian Laval ­ Université Jean-Monnet ­ St Etienne : les réaménagements de la relation d'aide à l'épreuve de la souffrance psychique et sociale. L'exemple du dispositif RMI en région Rhône-Alpes (18 mois)

    Pierre Lascoumes, Anne Depaigne ­ CNRS Délégation régionale Ile de France ­ Thiais : accréditer la psychitrie ? L'entrée en scène d'un nouvel instrument d'action publique (18 mois).

    Bernard Doray ­ CEDRAT ­ MSH ­ Paris : « traumatisme » : vie et transfigurations actuelles d'un concept de la psychopathologie dans quatre champs du social (12 mois)

    Jacques Michel, Olivier Faure ­ CERIEP ­ Centre de politologie de Lyon : séminaire de recherche « politique de santé mentale et cultures professionnelles » (10 mois).

    Patrice Pinell ­ Centre de sociologie européenne, EHESS ­ Paris : les transformations du champ de la psychiatrie française dans la seconde moitié du 20ème siècle et le développement du domaine de la santé mentale (12 mois).

    Didier Fassin ­ CRESP ­ Université Paris 13 ­ Bobigny : traumatisme psychique et victimologie psychiatrique, nouvelles figures et nouvelles pratiques en santé mentale (18 mois).


    Sommaire

    Exercice de la psychothérapie par les psychiatres : compétences requises, formation, évaluation

     

    Commission FFP-CNUP*

    Préambule

    La psychothérapie fait partie de tout acte de soin psychiatrique ; elle inclut une grande modalité de pratiques et de références. Elle est aussi un des outils thérapeutiques du psychiatre, utilisé seul ou associé à d'autres moyens, pour le traitement des troubles psychiques et du comportement (psychothérapie structurée).

    L'exercice de la psychothérapie requiert des connaissances théoriques et pratiques, ainsi que des capacités et aptitudes individuelles. La compétence concerne l'exercice en situation et la mise en œuvre intégrée des trois registres précédents. Cette compétence reste un champ de progression potentielle au cours de l'exercice professionnel qui sera alimenté par l'expérience et par des formations complémentaires. Les études de psychiatrie sont sanctionnées par un diplôme de qualification. Dans le système médical français, il n'existe pas de certification attestant de la compétence d'un sujet à exercer et c'est la qualification qui remplit actuellement ce rôle. Le groupe de travail constitué par la FFP et le CNUP* a d'abord précisé les principales conditions requises pour qu'un praticien soit compétent dans la psychothérapie de personnes atteintes de troubles psychiques et du comportement. Il a ensuite étudié si elles étaient remplies et évaluées au cours des études médicales et de spécialisation en psychiatrie, et comment.

    Le travail de ce groupe a fait apparaître un point que nous signalons dès à présent : le caractère progressif et récurrent des acquisitions théoriques générales et spécifiques (elles commencent en fait dès le début des études de médecine), ainsi que la mise en relation progressive et encadrée du futur médecin avec des patients présentant des troubles divers qui est la base de l'apprentissage clinique, constituent une part importante de la formation à l'exercice de la psychothérapie. La spécialisation en psychiatrie, qui exige la maîtrise de la relation médecin-malade et le maniement des ressources psychothérapiques, complète et renforce cette base par l'acquisition de connaissances théoriques et une pratique clinique qui sont développées dans le contexte direct du traitement des troubles mentaux.

    La formation théorique repose sur des cours magistraux, des séminaires en petits groupes, des réunions cliniques et de recherche.

    La formation pratique s'acquiert lors de stages au cours desquels l'étudiant intervient à des niveaux de fonction et de responsabilité progressifs, comme rédacteur de l'observation clinique puis producteur de soins hospitaliers et ambulatoires, sous la supervision d'un référent agréé, y compris pour les urgences. L'étudiant participe aussi à des modules centrés sur la relation médecin-malade et les techniques spécifiques d'intervention psychothérapique. Comme c'est très souvent le cas, l'enseignement universitaire peut être complété par des formations délivrées par les instituts spécialisés.

    L'évaluation des compétences est faite tout au long du cursus. En ce qui concerne les connaissances, elle repose sur les examens, le contrôle continu, l'examen terminal classant (actuellement le concours de l'Internat), un ou plusieurs mémoires cliniques, et pour ce qui concerne la mise en pratique en situation, sur l'appréciation du collège des enseignants et des superviseurs.

    Les conclusions du groupe de travail sont présentées sous deux formes :

    La première présente sous forme synthétique les critères de compétence, les moyens de formation et d'évaluation qui permettent de considérer qu'un psychiatre qualifié a acquis une compétence à l'exercice de la psychothérapie de personnes atteintes de troubles psychiques (dans le sens de la garantie de l'usager de bénéficier de soins de qualité et non de l'atteinte d'un niveau optimum qui reste une perspective à atteindre).

    La seconde présente sous forme de tableau comment chacun des éléments participant à la compétence est acquis et fait apparaître en particulier les différents niveaux de formation impliqués.

    Cette présentation, qui réunit des éléments dont certains ne sont actuellement accessibles facilement que dans certaines régions, devrait permettre d'envisager une évaluation des besoins pour éviter toute disparité au niveau national, ainsi que les modalités de leur mise en place. Les propositions pourront également être utilisées pour la réflexion européenne sur ce sujet.

    Compétences

    La psychothérapie de personnes atteintes de troubles psychiques nécessite :

    1 - La connaissance d'un ensemble de modèles, de références théoriques, de données validées par la recherche scientifique constituant la psychiatrie et ses bases médicales, notamment les différentes acquisitions sur le fonctionnement psychique, la relation et le comportement, la psychopathologie.

    2 - La capacité :

    * D'écoute, d'observation, de compréhension et de communication, en s'appuyant sur le repérage, la discrimination et l'organisation d'éléments sémiologiques ;

    * De prendre en compte l'histoire individuelle ainsi que les contextes psychosocial et somatique.

    * D'élaborer le diagnostic psychiatrique et de formuler des hypothèses psychopathologiques en référence aux différents corpus théoriques. A partir de cette évaluation, de pouvoir déterminer l'indication et l'action thérapeutique appropriées, dont les psychothérapies structurées.

    * D'adapter la psychothérapie à la singularité du patient et de la situation, ainsi qu'à leur évolution. L'exercice de la psychothérapie ne se limite pas à l'application d'une technique.

    3 - Des capacités et aptitudes personnelles et professionnelles particulières :

    * Capacité de garantir un cadre thérapeutique qui permette continuité, solidité et disponibilité dans la prise en charge ;

    * Capacité d'aborder et de favoriser l'expression de vécus sensibles et personnels ;

    * Capacité de s'interroger sur son propre fonctionnement et tirer profit de l'expérience clinique ;

    * Capacité à créer un espace de relation contractuel à l'intérieur d'une situation de dépendance, y compris lors de soins sous contrainte ;

    * Capacité d'analyser les risques dans les situations instables ou critiques.

    4 - La connaissance et l'adhésion aux exigences de l'éthique et de la déontologie médicale, notamment :

    * En respectant la liberté et la dignité du patient, particulièrement en ce qui concerne son intimité psychique ;

    * En l'informant sur les objectifs et le déroulement de la psychothérapie.

    5 - La capacité d'évoluer dans sa pratique et de maintenir une perspective de recherche, avec par exemple la participation à des groupes de pairs.

    Formation

    La formation à la psychothérapie s'appuie sur un enseignement coordonné et hiérarchisé, de la première année de médecine jusqu'au DES de psychiatrie, avec une implication personnelle graduée et encadrée.

    - 1er cycle des études médicales (2 ans) : initiation

    Dès la première année, initiation aux sciences de l'homme et des humanités, ainsi qu'à la psychologie médicale (60 heures).

    - 2ème cycle (4 ans) : clinique (élaboration du diagnostic, relation, attitudes et conduites thérapeutiques)

    La clinique est au centre de l'acte psychothérapique.

    Acte intellectuel, relationnel, décisionnel et pratique, la clinique s'acquière de façon générale par un enseignement combiné à la fois théorique (sémiologie générale et tous les certificats par appareil) et pratique (9 stages de 4 mois chacun, en tant qu'Etudiant Hospitalier), particulièrement centré sur le processus d'élaboration du diagnostic et les choix thérapeutiques appropriés, et ce dans tous les domaines de la médecine.

    Concernant spécifiquement la clinique psychothérapique, elle est initiée au cours du 2 ème cycle par :

    * Enseignement théorique de la sémiologie psychiatrique (20 heures) en 2ème ou 3ème année (PCEM2-DCEM1) ;

    * Certificat optionnel de Psychologie Médicale, groupes de préparation à la relation clinique ;

    * Certificat intégré de psychiatrie en 5ème année (DCEM3) qui aborde, sous forme de cours magistraux et principalement d'enseignement dirigé, les différentes pathologies psychiatriques et leur traitement (50 heures) ;

    * Certificat de Synthèse Clinique et Thérapeutique (CSCT) qui inclut une formation aux attitudes et conduites psychothérapiques, notamment en situation d'urgence ;

    * Cet enseignement est complété lors d'un stage (obligatoire dans la plupart des universités) en service de psychiatrie de 4 mois, comme Etudiant Hospitalier (entretiens avec des patients, présentations cliniques, participation aux consultations d'un praticien référent, conférences).

    - 3ème cycle (DES, 4 ans) : formation théorique et pratique spécialisée, implication clinique relationnelle encadrée

    L'enseignement est combiné avec plusieurs niveaux d'implication personnelle. Il associe une formation théorique spécialisée (principalement sous forme de séminaires avec des petits groupes d'étudiants), une formation pratique à travers la responsabilité d'une activité de soins, sous la supervision d'un praticien référent dès la première année (8 stages d'internes de 6 mois chacun, gardes spécialisées aux urgences ou à l'hôpital) et la fréquentation de formations spécifiques à la psychothérapie. La complexité du processus de formation à la psychothérapie implique nécessairement une liberté de choix pour l'étudiant qui doit pouvoir se former aux différentes techniques.

    Plus spécifiquement :

    * Une partie (1/5ème) de l'enseignement du DES de psychiatrie est consacrée à la psychothérapie, elle porte notamment sur les facteurs communs et différentiels des psychothérapies (50 heures lors des 2 premières années du DES) ;

    * Au cours des 2 dernières années du DES, enseignement des bases d'au moins 2 approches psychothérapiques dans le cadre de séminaires optionnels (50 heures pour chacun), en relation avec les instituts de formation (possibilité de convention avec l'université). Cet enseignement peut être combiné avec un stage auprès d'un référent pratiquant cette approche ;

    * L'enseignement théorique est complété dans les stages d'interne (conférences, réunions de recherche, participation aux consultations d'un praticien référent) ;

    * Prise en charge d'un ou deux patients au long cours, avec une supervision en petit groupe ou individuelle par un référent habilité ;

    * Supervision, par un référent habilité, de la prise en charge de patients :

    - vus en urgence (gardes obligatoires),

    - hospitalisés,

    - suivis en consultation.

    * Travail collectif autour d'un cas, participation à des protocoles de recherche sur les psychothérapies, participations à des supervisions collectives ;

    * Enseignement des aspects généraux de l'éthique et de la déontologie médicale lors des 2 premiers cycles des études médicales. Enseignement spécifique lors du 3ème cycle des études médicales

    Les aspects propres à la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent font partie de la formation. Des aspects plus spécifiques peuvent être approfondis dans le cadre d'une formation spécifique (DESC).

    Evaluation

    1er et 2ème cycle : Examen pour chaque certificat ou module. Lors des stages, appréciation des qualités personnelles et des compétences en situation pratique par le collège des enseignants et des superviseurs. Questions spécifiques au concours de l'Internat

    3ème cycle : Contrôle continu avec analyse de textes de référence, exposés personnels ou en petits groupes. Rédaction d'un mini-mémoire à partir d'une situation clinique. Rédaction du Mémoire de DES. Appréciation des aptitudes personnelles et des compétences en situation pratique par le collège des enseignants et des superviseurs.

    Conclusions et recommandations

    A la suite des réunions qu'elle a organisées, la DGS a sollicité la FFP et le CNUP pour qu'ils constituent une commission chargée de formaliser les conditions suivant lesquelles une compétence dans la psychothérapie des troubles psychiques et du comportement est acquise au cours du cursus des études médicales et de spécialisation en psychiatrie.

    La commission a dégagé les axes de compétence exigibles, tant au niveau des connaissances générales et spécialisées que des aptitudes individuelles nécessaires pour une pratique qualifiée.

    Il apparaît nettement que la formation ne se situe pas comme un module complémentaire qui ouvrirait un exercice particulier à la suite des études de médecine, mais qu'elle s'appuie sur un processus long d'aquisition et d'intégration de compétences diversifiées dont la spécialisation constitue une étape essentielle.

    A l'issue de son travail, la commission FFP-CNUP recommande :

    1 - Un développement et une harmonisation de la formation à la psychothérapie au plan national, en organisant et en facilitant l'accès à tous ses constituants.

    2 - La promotion par l'UEMS de critères de compétence et de formation au niveau européen.

    3 - Le développement de relations organisées entre l'université et les instituts de formation reconnus par la profession (FFP et commissions régionales).

    4 - Le renforcement du rôle des superviseurs dans la formation pratique.

    5 - La pérennisation de la commission FFP-CNUP afin de garantir la compétence des futurs psychiatres et la qualité du service rendu aux patients.

     

    *Comité FFP-CNUP : Pr JF. ALLILAIRE, Pr C. AUSSILLOUX, Dr A. BESSE, Dr M. BOTBOL, Pr S. CONSOLI, Dr J. FORTINEAU, Pr G.DARCOURT, Pr B. GOLSE, Pr .A. FELINE, Dr N. GARRET GLOANEC, Pr M. MARIE-CARDINE, Pr JJ. KRESS, Dr JJ. LABOUTIERE, Dr J. MIERMONT, Pr M. PATRIS, Pr M. LAXENAIRE, Dr B. RIVIERE, Dr M. ROBIN, Dr JM.THURIN


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