Comité d'interface : 09 mars 2000



Introduction

Cette réunion fait suite à une rencontre de la FFP représentée par JM. THURIN (Secrétaire général de 1992 à 1997, Président 1999) et de l'UNAFAM représentée par B. ESCAIG (Vice-président) avec H. KORN (Conseiller scientifique), elle même consécutive à une demande de rendez-vous avec C. GRISCELLI (Directeur général de l'INSERM). Cette réunion était motivée par le fait que malgré une réorganisation profonde de la psychiatrie et un certain nombre d'initiatives fortes que cette discipline a su prendre en faveur de la recherche, aucun mouvement tangible n'apparaît au niveau de l'INSERM en faveur de la psychiatrie, la tendance étant même au repli (suppression des CNEP, des CRE et des RRC, absence de recrutement de chercheurs), à l'exception du soutien d'actions portées par des individus avec des moyens minimes (Psydoc-France, réunions conjointes d'interface).

A l'issue de cette réunion, une des démarches proposées par H. KORN a été de réunir une douzaine de cliniciens pour qu'ils disent : voilà ce qui nous manque, ce que nous proposons et ce qui nous paraît important, en évitant que cette réunion ne soit biaisée par des intérêts individuels.

La structure la mieux adaptée nous a paru être celle du Comité d'interface en l'élargissant à des cliniciens et des chercheurs qui ont démontré leur investissement et leur intérêt pour la recherche en psychiatrie.

Nous souhaitons également éviter de jouer l'éternel recommencement et rappeler un certain nombre de points que l'on retrouve dans les différents rapports et recommandations qui se sont succédés depuis une dizaine d'années, et qui ne semblent pas avoir été pris en compte par l'INSERM malgré la base large d'expertise sur laquelle ils reposent.

La recherche en psychiatrie doit faire l'objet d'un véritable plan de rattrapage.

Mais elle a des caractéristiques très particulières, comparée à celle dans les autres domaines : la recherche clinique y joue un rôle particulièrement important, et implique directement un nombre le plus important possible de cliniciens chercheurs.

Caractéristiques de la recherche en psychiatrie

Le malade indissociable de son environnement,
la clinique fondamentale indissociable de la clinique appliquée

- La recherche clinique a pour objet d'étude l'être humain non séparé de son environnement. Sa problématique pourrait être centrée sur le bénéfice direct et immédiat pour le malade ou la société. Chaque résultat doit constituer un progrès, et engendrer une modification d'habitudes dans les stratégies diagnostiques et thérapeutiques.

- La recherche clinique n'étudie pas un organe en psychiatrie, mais s'intéresse à une mise en perspective d'un être humain dans ses trois dimensions inséparables que sont le biologique, le psychologique et le social. Ces trois dimensions font intervenir la dimension historique, avec la distinction du processus et de ses conditions de développement, et aussi les trajectoires en fonction d'actions introduites à différentes étapes de ce développement. A ce titre, recherche fondamentale et recherche appliquée sont particulièrement liées dans la mesure ou des actions précoces peuvent modifier la course naturelle d'un processus, même si elles n'interviennent pas sur la cause primaire. Par exemple, imaginons que l'origine primaire d'une affection soit une infection, un trouble immunitaire ou dans un autre registre des difficultés associées à la naissance (séparation de l'enfant mis en réanimation, dépression maternelle) il sera tout aussi important d'identifier ces facteurs et de voir comment les dépister et les combattre, que d'envisager et d'évaluer les meilleures méthodes de soin après coup, sachant que l'on ne pourra que très rarement intervenir sur la cause primaire.

- Les recherches fondamentale et appliquée doivent donc s'inscrire dans une perspective complémentaire, impliquant la référence à des modèles de compréhension partagés et non pas des démarches cloisonnées.

- Il est difficile de mener dans le même temps pour un même patient, une activité de soin et une activité de recherche. Cela n'implique pas une catégorisation fixe des individus qui irait contre la nécessaire biappartenance fonctionnelle des cliniciens chercheurs mais une organisation permettant de définir des "temps de recherche" et "des temps de soin" soit durant un temps réparti, soit au cours d'une carrière. Au Canada, aucun soignant en psychiatrie ne peut être chercheur à propos du patient qu'il a personnellement en charge, mais il peut être chercheur pour un patient pris en charge par un autre psychiatre.

- Sauf exceptions, le temps d'hospitalisation n'est qu'un temps particulier dans la trajectoire de soin d'un patient en psychiatrie. Il faut donc concevoir que des recherches puissent être menées aussi à partir des soins prodigués en dehors de ce cadre.


Diversité thématique, organisation en pôles thématiques

- La recherche en psychiatrie est caractérisée par l'extrême diversité de ses thèmes (cf congrès internationaux) et la pluralité des exercices qui recouvrent des temps de soins différents ou des situations socio-géographiques différentes. Cela fait que les ressources aussi bien en terme de chercheurs cliniciens que de patients ne seront jamais suffisantes en un endroit donné. Par contre, il peut exister des pôles thématisés disposant de la logistique documentaire, de l'expérience et des moyens humains indispensables. Pour que cela soit pratiquement réalisable, il faudrait que chaque pôle puisse avoir une responsabilité organisationnelle (évaluée), impliquant une politique de collaboration active avec d'autres pôles de soin. Ainsi, par exemple le pôle Nice pourrait avoir une responsabilité spécifique dans le domaine Alzheimer tout en étant pôle associé dans une recherche Schizophrénie dont le pôle coordonnateur est situé à ....

La formation des personnels médicaux et paramédicaux

- La recherche clinique nécessite une méthodologie, un protocole, de la rigueur, un recueil des données et une exploitation statistique des résultats. Cela pose la question de la formation des cliniciens chercheurs et des moyens logistiques. Concernant le premier axe, le recrutement de chercheurs en psychiatrie a été infime au cours de ces dernières années,. Par contre, une cinquantaine de cliniciens ont suivi un cursus de DEA. Cette compétence doit pouvoir être utilisée pour animer des pôles "relais", structurés, de recherche dont la localisation ne devrait pas être seulement universitaire mais impliquer des centres hospitaliers et des structures associatives. Aucune recherche clinique n'est également envisageable sans une formation spécifique de membres du personnel infirmier. Il faudra veiller à ce que la recherche ne se réoriente pas spontanément vers des protocoles de psychopharmacologie clinique développés par l'industrie pharmaceutique et beaucoup plus attractifs qu'une recherche dont chaque étape exige de résoudre une des difficultés considérables.

- L'information doit être centralisée. Psydoc-France, serveur Internet développé à partir d'un partenariat FFP / INSERM, avec la collaboration depuis 1999 de la DGS, réunit toute une logistique concernant la recherche (base dynamique des recherches en cours, répertoire des recherches en épidémiologie, rapports complets de recherche, bases bibliographiques, compte rendus de congrès de recherche, appels d'offres, forums thématisés, ) et est à même de remplir cette fonction.

Les perspectives aujourd’hui de la recherche en psychiatrie


- Il est absolument nécessaire de sortir de l'illusion d'une clef unique qui permettait de résoudre une fois pour toutes la question de la pathologie mentale (gènes du suicide, de l'homosexualité, de la schizophrénie, de la dépression, de la violence, etc...). Toutes les études font apparaître un modèle multifactoriel pondéré, certains facteurs en tout état de cause ne pouvant jamais être éliminés sauf à imaginer un monde sans événements, sans travail, sans épidémies, sans addictions, etc. En attendant, il existe des populations qui souffrent de troubles psychiques, soit directement soit indirectement et pour lesquelles une identification des facteurs et des actions thérapeutiques peuvent avoir un rôle fondamental.
- Des thèmes de recherche ayant comme perspective la faisabilité et l’intérêt direct pour le patient et la collectivité ne doivent pas être négligés. Dans cet esprit, la construction de banques de données des cas diagnostiques présentés, l’analyse des interactions avec les disciplines somatiques, ... constituent des champs de recherche à investir.


C'est sur les questions et les perspectives actuelles que doit se concentrer l'effort de recherche.
A ce niveau, on peut regretter que leur identification par les professionnels sollicités à ce niveau (rapports, comité d'interface) et à l'occasion de travaux d'expertise complets comme dans le cas de conférences de consensus (schizophrénie, dépressions de l'enfant, toxicomanies opiacés) ou de recommandations de pratique clinique, de recherches (consommation de psychotropes et morbidité en population générale) ne soient pas pris en compte.


Rappelons toutefois encore l'importance :

- d'études épidémiologiques s'intéressant aux facteurs de risque, dans l'environnement au sens large du terme, de la décompensation ou de l'apparition des manifestations psychiatriques

- d'études longitudinales de cas qui introduisent des éléments plus spécifiques que les données précédentes, évitent les biais relatifs à des études menées à grande échelle sur des systèmes complexes et introduisent des hypothèses psychopathologiques

- d'études neuropsychologiques portant sur les compétences psycho-cognitivo comportementales et leurs conséquences dans la vie relationnelle et la réinsertion sociale ; psychoneurophysiologiques portant sur des vulnérabilités dans la gestion et l'intégration des événements de vie et leurs conséquences en termes de pathologies psychiques et somatiques

- d'études évaluatives concernant l'efficacité des soins (en dehors des médicaments qui relèvent de mesures réglementaires) et de la prévention, qu'il s'agisse de psychothérapie, d'interventions dans la communauté ou à l'hôpital général, d'hôpitaux de jour ou des appartements thérapeutiques, ... , sachant qu'il faudra prendre en compte son usage approprié et la qualité de sa mise en œuvre.


Dernière mise à jour : mardi 5 février 2002 9:37:04

Dr Jean-Michel Thurin