Interventions de T. Trémine et RM Palem

Texte de RM Palem

 

Une Histoire de la psychiatrie de plus ? sans doute, bien que l'auteur s'en défende: mais une des meilleures assurément. "Il n'existe pas d'histoire de la psychiatrie" affirme-t-il, mais "tout est histoire" (Levi-Strauss). Cette histoire n'est jamais terminée et le DSM ne peut prétendre être la "fin de l'histoire" de la psychiatrie. Avis à ses zélateurs amnésiques.

La pierre d'achoppement c'est, comme toujours, la périodisation et remplacer les périodes par des "paradigmes " (selon la conceptualisation de T.S.Kuhn) ne permet pas d'écarter cet inexorable artefact. GLL évoque, en effet, Kuhn et les paradigmes (de part et d'autre d'une "science en crise") comme Foucault évoquait les épistémés et contrairement aux histoires un peu trop continuistes (de progrès unilinéaire) de Ey et d'Ellenberger.

Un paradigme ne constitue ni une théorie, ni une doctrine, ni même la théorie des théories, mais "un groupe de connaissances à l'intérieur duquel les théories peuvent se formuler et s'affronter" (p. 2l2).

 

Pour la période retenue (de 1793 à 1977 car, comme M.Gourevitch, GLL pense qu' "il y a quelque chose qui commence avec Pinel et qui finit avec Ey"), 3 paradigmes se succèdent,

-l'Aliénation, maladie unique avec Ph.Pinel (à partir de 1793), avec le "traitement moral" pour panacée.

-les Maladies mentales avec JP.Falret (à partir de 1854), après les monomanies d'Esquirol, risée des prétoires

-les Structures avec E.Bleuler (1926), Minkowski, Goldstein et Ey (I'Organo-dynamisme de Ey étant "un exemple particulièrement élaboré de l'emploi du point de vue structural"). Structure (du latin structura) qui veut dire construction et organisation.

 

Freud et la Psychanalyse (en 2 pages seulement) tiennent peu de place dans cet ouvrage où Lacan n'est pas cité une seule fois. Ils entreraient dans le 2ème paradigme, celui des entités: la preuve en serait le travail de Freud sur la séparation de la Névrose obsessionnelle et de la Névrose phobique. Par ailleurs et depuis lors, les psychanalystes (pas tous sans doute, Lacan excepté qui le revendiquait mais n'a convaincu que ceux qui voulaient bien l'être) seraient "structuralistes comme les sauvages évangélisés sont chrétiens" (p.200).

Faisant remarquer que "nous manquons complètement d'une théorie de la pratique capable de rendre compte de manière réflexive de ces pratiques elles-mêmes", GLL tire le constat, décevant mais lucide, que "rien ne nous permet d'avoir quelque idée sur ce qui pourrait constituer le 4ème paradigme"

 

Pour livrer quelques idées maîtresses de cet ouvrage exceptionnellement riche, nous avons du faire un choix forcément limite:

-"La psychiatrie n'est évidemment pas une science" (p.11), la médecine non plus, ("mais ca n'est pas une fantaisie"... précisera-t-il le 27 mars à Ste Anne).

-GLL se méfie des "notions illusoires et captieuses de totalité et de continuité".Il n'y a que des "épistémologies régionales", sans aucun métalangage supposé supérieur pour les unifier.

-Le rapprochement psychiatrie-médecine "constitue un leurre et dissimule un piège". Ce point crucial et controversé mériterait de plus amples développements.

-"La psychiatrie doit posséder un thesaurus semioticus". Le diagnostic est avant tout différentiel et se fait sur des signes (qui n'ont d'autre utilité que de séparer l'une de l'autre au moins deux entités morbides), pas sur une appréhension du Sujet total... "requête sûrement impraticable, sans doute dangereuse et probablement irrationnelle".

-Le modèle indiscutable visé, dés le second paradigme, serait celui de l'Ecole anatomo-clinique de Paris (Corvisart, Bouillaud, Laennec). "Dès lors, on ne pouvait s'en tenir au paradigme de l'aliénation mentale, sans tourner le dos à la médecine en train d'accomplir des progrès décisifs, et si l'on ne voulait plus se couper radicalement de cette médecine-là, il devenait urgent de changer de paradigme" (p.l00).

Certes, mais quelle légitimité? quelle nécessité d'appliquer ce modèle des maladies physiques aux maladies mentales autre que, déjà, de ramener subrepticement les secondes aux premières. La réussite ? quelle réussite?... dans l'établissement descriptif de corrélations anatomo-pathologiques (avec l'exception de la Maladie de Bayle)? Car sur le plan de la thérapeutique, ça n'est pas faire injure à la mémoire de Laennec que de penser que Pinel était sans doute plus efficace, au "paradigme" précédent, sur l'aliénation mentale "toutes tendances confondues) que notre pneumologue national sur la phtisie, le cancer et la dilatation des bronches (exemples souvent cités par l'auteur).

-Remise en question de la légitimité universelle de l'exigence de totalité : "aucune preuve indiscutable ne nous garantit que le tout de l'homme soit dans le moindre détail de son comportement". Sans doute, mais ne serait-il pas sage de s'en tenir à Pascal: qu'aucun des principes gnoséologique de la connaissance positive n'interdit "pour connaître le tout de connaître également les parties, non plus que connaître les parties de connaître également le tout" (Pensées) ?

-Dans une période donnée, il ne fonctionne qu'un seul paradigme à la fois (p.37). C'est le point qui nous a paru le plus discutable. H.Ey n'a-t-il pas (c'est bien dans sa nature) mixé allégrement les 3 paradigmes-. l'aliénation-folie / les espèces morbides (de son Histoire naturelle de la Folie, de ses Etudes ) / les grandes structures anthropo-phénoménologiques ? Que le bilan de l'entreprise soit encore à faire (G.Berrios et F.De Diego,1998) est une autre histoire.

Ne choisit-on pas son paradigme en fonction de sa personnalité, de son milieu, de son école? N'en change-t-on pas en fonction de la mode ambiantes?

Ces questions auxquelles GLL a répondu pour la plupart, avec son brio habituel,ne sauraient occulter quoi que ce soit de ce livre important, démystifiant, à lire et à relire: toutes générations confondues (si cela est enore possible). Agréable à lire, en plus : ça n'est pas peu en ces temps où la psychiatrie (celle que l'on enseigne) est devenue décidément bien "ennuyeuse", comme le déplorait C. Koupernik dans le concours médical du 23-01-99.

On relèvera (fruit de l'âge et de l'expérience) une attitude générale qui n'est pas sans évoquer celle attribuée à Chaslin: "une réserve critique parfois indiscernable d'un certain scepticisme désabusé", qui n'est ni ludique, ni versatile, mais bien tempérée, et toujours solidement argumentée et appuyée sur une vaste culture médico-philosophique.

RMP